Une brise fraîche. Un filet de lumière qui perce ma fenêtre, irradie une partie de ma chambre. Et moi, en son sein, plantée sur mon bureau, à scruter le reflet de ma glace.
Qui suis-je?
Une question que tout être a dû se poser un jour dans sa vie. Je pensais peut-être pouvoir y faire exception. Ou du moins être l'exception. Mais maintenant que la fatigue me tiraille et que l'ombre de mes regrets s'étende, un doute subsiste.
Je soupire. L'idée d'être une autre ne m'a jamais effleuré l'esprit depuis que la magie est mienne. Pourquoi maintenant? Est-ce la faute à la quarantaine qui pointe à l'horizon?
J'attire mes yeux sur le miroir qui renvoie mon image. Les craquelures du verre s'impriment sur mes traits, vieillissant mon visage. Je détourne mes yeux de cette caricature affreuse. Je connais mes charmes, étant particulièrement attirante pour mon âge, la rougeur fugitive de certains étudiants lorsque j'esquisse un sourire ne trompant guère. Et pourtant, que Aura me garde si je n'aie pas désiré, ne serait-ce qu'un jour, retrouvé mon teint de jeune fille.
Cette jeune fille, je me rappelle l'avoir été, autrefois. À arpenter les couloirs du château, sourire aux lèvres, comme si le plus grand des trésors se situait au fond de la galerie. L'innocence, un luxe qui ne durait guère longtemps pour une fille de famille impériale. Les années qui suivirent furent celles de l'enseignement, du papier et de la plume, du monde et de la cour. Bien que troisième fille de la fratrie au destin incertain, Chrysolde se voyant acquérir le trône de Faërie et Catarine celui d'Ibélène, je n'en demeurais pas moins une princesse.
Du moins, jusqu'à mes treize ans. Je me souviens de cette nuit sombre et sans lune, où je gisais au sein de mon lit, enfouie dans un sommeil agité. Réveillée dans un sursaut, paralysée, comme prisonnière de mon rêve, je voyais les ombres se mouvoir autour de moi, danser une pièce funeste . C'est alors qu'un éclat vint déchirer les ténèbres. Une flamme douce et froide se situait au creux de ma main, et bien que la faible lueur tremblait entre mes doigts, elle me parut un instant comme un phare au cœur de la nuit.
La panique quitta un instant mon cœur, puis revint davantage au galop. Je venais de mettre le feu à mes draps.
L'anecdote aujourd'hui encore m'arrache un sourire aux lèvres. Pas d'immolation ni de brasier pour la grande Cassandre, juste une petite fille esseulée dans le noir qui désirait un brin de soleil.
Et une fois que l'été est venu à vous...
J'ai passé par la suite ce qui me restait de vie plongée dans les arcanes, complètement obnubilée par la magie qui s'était ouverte à moi. Je n'eus guère de mal à rentrer à l'académie, encore moins à réussir mes études que je terminai à l'âge de vingt-trois ans. Mon zèle payait et le succès retentissait. Petit à petit je grimpais les échelons et ce fut lors de ma trente-troisième année que j'acquis ma profession actuelle.
Cassandre, la professeur de transmutation de l'académie de Magie et du Savoir. Il faut reconnaitre que le titre possède un joli cachet.
Pourtant un creux demeure en ma poitrine et je ne peux m'empêcher de désirer plus. Pourrai-je un jour siéger au Conseil ou bien encore devenir l'Archimage? Ces mots attisent en moi une flamme que je ne parviens à étouffer. On pourrait croire le rêve d'un fou mais pas pour moi, la fille impériale de Faërie, qui aurait pu être tant et qui a refusé tant de privilèges de son sang.
J'aurai pu être tout d'une femme accomplie, si l'on excepte mon travail. Car je ne suis certainement pas une amante. Même si je me rappelle avoir déjà connu la chaleur d'un homme, comme dans ce bal masqué au palais impérial, lors de mes quinze ans. Un noble de Lagrance, à qui je fis don de toute ma flamme, de toute ma fièvre. Et que j’éconduis sans vis à vis, comme un vulgaire déchet, après que le bougre ait juste souhaité découvrir la fille sous le masque.
Enceinte de sa progéniture, j'aurai pu être mère et border d'amour la fille à qui je donna vie. Mais quelle mère abandonne sa fille dans une quelconque famille et en vient même à ignorer le prénom de sa propre enfant?
Moi. Moi qui n'est pas plus une sœur, fuyant ma propre famille comme la peste, ignorant lorsque celle-ci se déchire, dévorée par les conflits. Car je n'étais pas là lorsque Chrysolde et sa famille perdit la vie.
Et je n'étais pas là lorsque Chimène perdit aussi la sienne.
Je ferme les yeux, amère et tremblante. Des larmes perlent au coin de mes yeux. Il était temps que je pleure leur mort. Je me lève et m'enfouis sous les couvertures de mon lit.
Je sais que ces pensées qui m'accablent ne sont que le mouron d'un soir. Elle s'évaporeront surement le lendemain, dès que le soleil sera au ciel.
Pourquoi tant de questions? Tu es ce que tu es. Inutile de s'attarder sur le passé.
Et puis...as-tu vraiment encore, le luxe d'un choix?
Je suis Cassandre de Faërie,
professeur de transmutation à l'académie de Magie et du Savoir,
capable de changer le plomb en or.
Incapable de devenir une autre.