"Tonton... emmène-moi avec toi." [PV Epo & Géralt]

Le réveil est compliqué.
Comme hier matin, tu t'attendais à ouvrir les yeux sur le plafond de ton infirmerie, à la Caserne de Riven. A voir pour la énième fois la tâche d'humidité, qui s'est étendue de plus en plus à mesure des années. C'est un tout autre plafond qui t'accueille, ce matin. Plus clair, plus solide. Tu as besoin de quelques secondes avant de replacer le fait que tu as fui avec Eponine, que vous êtes arrivés il y a bientôt 48 heures à Lorgol et qu'il s'agit du plafond de la chambre dans laquelle tu résides à la Taverne de la Rose.

A peine éveillé que tu soupires déjà fébrilement. Pour tout ceux que tu as laissés derrière. Pour tout ce qui peut dégénérer en ton absence, à Aubenacre. Pour tout ce que tu aurais peut-être dû faire, ces derniers temps et encore avant. Pour le courage qui t'a manqué par moments, mais qui te paraissait inaccessible, tant tu te sentais enfermé dans un carcan de ronces et d'épines.

Ta gorge se met à brûler et tu déglutis difficilement pour chasser les émotions qui menacent de te submerger. Un rire jaune t'échappe soudain, dérisoire, pour t'aider à contenir ces sentiments, à les maintenir sous contrôle, à te duper toi-même. Tu expires bruyamment plusieurs fois et y parviens au bout de quelques minutes d'une lutte sans relâche, à te répéter tes serments en boucle.
Tu t'es promis d'aller délivrer Désirée et Gédéon dès que tu aurais assez d'argent, dès que l'occasion se présentera. Tu t'es juré de faire tout ton possible pour veiller sur ta nièce, même de loin. Tu t'es fait le serment qu'à la première occasion, tu réunirais ta vraie famille, ton noyau.
Par Levor, tu comptes bien tenir parole.

Tu finis par te lever et aller te préparer avant de descendre dans la salle. Tu files vers le comptoir pour commander de quoi manger. Alors que tu énonces tes choix à l'un des employés, tu repères Eponine dans un coin de la salle, avec Félicie et les autres enfants ; tu rajoutes donc un jus et une douceur pour elle. Tu ne sais pas exactement l'heure qu'il est, mais la luminosité dehors ne semblait pas suffisamment puissante pour que le jour approche du zénith.

Tu es sorti de tes pensées par une boule d'énergie qui s'exclame : « Tonton ! ». Un grand sourire se dessine instantanément sur tes lèvres et tes mains vont se poser affectueusement, de manière protectrice, sur sa tête et son épaule. Elle te serre encore plus fort contre toi et tu ressens une telle vague d'amour à son égard que ton cœur se serre. Elle s'écarte ensuite et pose sur toi un regard plein d'étoiles, empli de hâte. « Tonton, je veux voir l'Académie. On peut ? S'il te plaît ? » Tu laisses échapper un rire en t'accroupissant devant elle.

Tu t'attendais à ne visiter qu'une partie de la Ville Basse, éventuellement de mettre un pied dans la Haute, pas à devoir rejoindre l'Académie qui se trouve en dehors de la ville. Ainsi soit-il. Il s'agit de votre dernier jours ensemble avant que tu ne prennes la mer. Si c'est là qu'elle veut se rendre, c'est là que vous tenterez d'aller. Tu t'en voudrais de la décevoir. Tu tiens cependant à ne pas faire de promesses en l'air. « J'imagine qu'il est possible d'arranger ce voyage. Il va simplement falloir que je me renseigne avant, ma belle. » Tu lui offres un sourire malicieux et lui pinces doucement et affectueusement le nez. « Dans tous les cas, on ne part nulle part tant que nos ventres sont vides. Surtout le mien, si tu t'es déjà nourri. » Même si une collation de plus ne fera pas de mal à la petite, si vous vous en allez crapahuter dans ce lieu qui est gigantesque, d'après tes souvenirs.

Tu caresses rapidement sa joue puis entreprends de te redresser. Tu déposes un baiser sur son front au passage et reprends : « Choisis-nous une table, je te rejoins au plus vite. » Tu la regardes s'éloigner un instant avant de reporter ton attention sur le comptoir.

***
Nourriture et boisson en main, tu te diriges vers la table qu'elle a choisie, un sourire satisfait aux lèvres. Tu déposes le tout sur la table, la douceur devant elle. Tu entreprends de lui servir un verre de jus sucré. « Bonne nouvelle. Une âme charitable a offert de nous envoyer directement par portail à l'Académie. » Ton sourire s'agrandit puis tu avales une gorgée du jus, avant de piocher dans ton assiette.

L'homme, présentement accoudé au comptoir, a entendu ta conversation avec l'employé. Il s'est présenté comme habitué de la Taverne de la Rose et mage outremarcheur et t'a proposé ses services. Quand tu lui as demandé Combien ?, il t'a jaugé du regard, t'a regardé de haut en bas, durant un moment somme toute court, mais qui t'a paru bien trop durer. Finalement, il t'a souri en décrétant qu'un repas chaud ferait l'affaire. Tu t'es exécuté sans discussion, trop heureux de l'aubaine.

« Nous irons le retrouver une fois notre repas avalé. Et ! Prends le temps de manger. Nous ne sommes plus si pressés, au final. Nous y arriverons en quelques secondes, tout au plus. » Tu hausses un sourcil, brièvement, feintant un air sévère, avant de repiocher joyeusement dans ta nourriture, un sourire affectueux aux lèvres.

***
Tu avances d'un pas, la main de ta nièce dans la tienne, et tu te retrouves soudain face à une place qui grouille de gens. Un regard en arrière te montre l'outremarcheur qui te salue de la main, ses doigts s'agitant avec désinvolture, pour appuyer son geste. Tu n'as pas le temps de répondre quoique ce soit que l'ouverture vers la Taverne disparaît. Tu exhales un rire léger en reportant ton attention sur le bâtiment face à vous.

Le rire meurt dans ta gorge.

La structure qui te fait face est gigantesque. Tu prends pleinement la mesure de l'immensité des lieux. Certaines tours s'élèvent si haut que tendre le coup ne suffit pas pour en avoir l’extrémité. Tu écarquilles les yeux quand, au loin, tu crois voir des gens marcher sur les parois de l'une d'entre elles, sans corde, sans protection, sans rien. « Par Callia, ton apprentissage en ces lieux risque d'être particulièrement intéressant, ma nièce. »

Tu penches ensuite la tête vers elle, ton visage cachant difficilement ton émerveillement – tu as beau être déjà venu ici, tu n'étais pas arrêté pour visiter les lieux, trop pressé de rentrer auprès de tes aînés. « Par quoi veux-tu commencer ? Il paraît que l'étage des négoces est particulièrement intéressant. » Tu doutes que cela pique réellement sa curiosité, mais tu te promets d'y passer une petite trentaine si vous en avez le temps à un moment. Tu fronces subrepticement les sourcils. « Je ne sais pas à quoi l'on a accès, en définitive. » Il vous faudrait vous rendre à l'accueil, afin d'être certains de ne pas entrer où vous n'êtes pas les bienvenus.

Si j'étais un chat je ronronnerai de plaisir en cet instant. L'approbation de tonton a ma demande me fait sautiller de joie. Chouette ! On va à l'Académie, on va à l'Académie ! Je tape des mains en tournant sur moi-même, tout excitée à l'idée d'y aller. J'ai envie d'y aller de suite mais tonton a besoin de manger, contrairement à moi. Mais c'est pas grave, je mangerai avec lui aussi ! Avisant une table vide, je sautille pour m'y asseoir jusqu'à ce que tonton revienne avec une douceur et du jus sucré.

-On va y aller en portail ? demandé-je en écarquillant les yeux.

Je tape encore des mains. Je n'ai jamais pris de portail de ma vie ! J'aimerai tout manger vite et y aller de suite mais tonton me demande de prendre mon temps et j'obéis. Même si je bouillonne de l'intérieur, je mange sagement, discutant avec animation. C'est plutôt moi qui l'inonde de paroles mais ça a toujours été comme ça donc c'est presque comme à la maison. Puis, après un temps qui me semble une éternité comparable au tri des perles d'huîtres, il se lève enfin et on part passer le portail.


Le portail c'est rigolo. Je vois le monsieur qui nous a transporté par le trou qui montre la Ville Basse. Je lui fais des grands signes de mains m'amusant de cette fenêtre ouverte sur un autre endroit en plein milieu de la rue. La magie c'est fascinant ! Dire que maman m'a dit « Tu es une mage, Eponine. » Une quoi ? Moi ? Non, impossible ! Et pourtant si ! Et devant nous, se dresse l'Académie. Et je reste bouche bée.
Totalement immobile.
L'Académie est... magique. Je ressens sa magie qui fait échos à la mienne et je me mets à trembler. De peur. D'anxiété. D'excitation. Les tours sont tellement hautes que je n'en vois pas le bout. Du monde entre et sort, l'air pressé et occupé. Je me sens... petite. Minuscule. Une toute petite chose devant une personne géante et impressionnante. Intimidée, je me colle à tonton pour éviter de la regarder et une bouffée d'angoisse me sert la gorge. Je vais vraiment étudier... là-dedans? C'est immense et je suis si petite. C'est gros, c'est grand. C'est magique. Majestueux. Comment une si petite personne comme moi peut étudier là-dedans ? En plus, je sais même pas lire ! Je vais être l'élève la plus nulle de l'Académie. Je vais m'y perdre, je ne serais même pas où aller. Je suis sûre que je ne me ferai aucun ami. Tonton me parle et je lève une tête paniquée en sa direction.

-Je veux plus y aller, je gémis en me cachant une fois encore dans sa tunique.

C'est trop grand, y a trop de monde. Mais c'est faux, tout mon corps brûle d'envie d'y aller, d'entrer en parfaite symbiose avec l'établissement. J'ai envie de me fondre dedans, d'apprendre tout ce qu'elle peut m'apprendre. Mais j'ai peur. Tout ça c'est trop. Y a le voyage, maman me manque, tonton Géralt qui part, tante Quittou qui travaille. Je veux pas y aller mais j'ai envie d'y aller. Mais je veux que tonton il reste avec moi tout le temps. Il restera avec moi à l'Académie et comme ça je pourrai vraiment y aller.

-Tu restes avec moi, hein ? demandé-je d'une voix suppliante. Je veux pas y aller toute seule.

Je me suis connue plus intrépide. Mais avec tout ce qu'il s'est passé dernièrement, c'est comme si je devenais une petite fille apeurée. Et bientôt, je serais toute seule.
Encore.

Eponine vient se blottir contre toi et un sourire attendri apparaît sur tes lèvres. « Je veux plus y aller. » Ta main va entourer l'arrière de son crâne et tu ouvres la bouche pour tenter de la rassurer – il faut dire que le complexe académique est impressionnant –, mais elle enchaîne : « Tu restes avec moi, hein ? Je veux pas y aller toute seule. » Tu te figes tandis que ton cœur se serre soudainement car tu as dans l'idée qu'elle ne parle pas de votre visite à l'Académie, mais de ton départ prochain. La culpabilité t'envahit en un claquement de doigt et tu fermes les yeux pour tenter de contrôler le flot d'émotions qui te parcourt.

Une fois de plus, tu te traites intérieurement d'égoïste. Tu sais qu'une des raisons pour lesquelles tu pars est purement personnelle : tu veux, pour la première fois, faire un choix pour toi, rien que pour toi. Par toi. Pour étancher la soif de liberté qui t'étreint si fermement depuis ton adolescence et à laquelle tu n'as jamais cédé parce qu'il était simplement hors de question que tu abandonnes Gédéon, Désirée puis Eponine. Tu étais déchiré entre tes souhaits d'une vie meilleure pour toi, pour eux, et la réalité de vos vies, dramatiques mais incontournables. Tu aurais pu partir, les laisser derrière toi, dans les faits, mais jamais tu ne l'as envisagé. Tu as même inconsciemment saboté ton entretien à l'Académie parce que tu savais pertinemment que les choses empireraient considérablement. Alors, maintenant que tu es considéré comme un déserteur par ton duché, maintenant que Eponine est en sécurité, tu veux goûter à cette vie à laquelle Quitterie a eu droit en fuyant, à laquelle tous ces pirates aspirent en partant voguer sur les flots. Rien qu'un peu.

Puis, au fond de toi, tu sais qu'il n'y a pas que cela, qu'il y a des raisons qui font que tu n'as pas forcément le choix, alors tu tentes de l'expliquer à ta nièce : « Tu sais bien que je pars demain, ma belle. Mais je reviendrai d'ici quelque temps. Je reviendrai avec de quoi nous aider à vivre, mais surtout avec de quoi planifier la fuite de ta maman et de Gédéon. » Tu t'accroupis près d'elle, ta main allant caresser doucement sa joue. « Pour être honnête, je sais que c'est en partie égoïste de te laisser, mais ils ont besoin d'un chirurgien et je ne sais faire que ça. Et pirate, ça rapporte bien plus vite de l'argent que si je restais à Lorgol, avec un travail plus conventionnel. »
Tu déglutis et baisses ton regard, en même temps que tu laisses tomber ta main. Ton explication n'est que partielle, tu le sais, et tu veux pas lui cacher de choses, mais tu n'es pas sûr qu'elle saisisse la dualité en toi, ce besoin d'individualisme qui se mêle intiment à la loyauté que tu ressens envers ta famille. Tu ne veux avoir l'air de te justifier auprès d'elle, parce que tu suivras ta décision, mais impossible de ne pas t'en vouloir.

Tu relèves les yeux vers elle avec détermination et cet espoir qu'elle comprenne, presque qu'elle te pardonne du haut de ses 11 ans. « Je crois aussi... Je crois aussi que j'ai besoin de faire ce choix, Epo. De choisir moi-même ce que ce que je veux faire sans que Géraud ou tes oncles ne soient là pour me dire quoi faire. » Ton sourire est empreint de tristesse, mais tu tentes une petite touche d'humour. « C'est un peu ma fuite, ma petite rébellion, pour aller de pair avec ta fuite, avec ton futur qui arrive, à l'Académie. Mais ça ne veut pas dire que je vais vous oublier, ta mère, Gédéon, Quitterie et toi. Vous serez toujours avec moi, quand je serai en mer. Comme je serai toujours avec toi, là, tu poses une main sur son cœur, quand tu commenceras les cours à la rentrée et à chaque étape dans ta vie. Tu es ma petite nièce, forte et courageuse. Tu leur montreras à tous quelle belle petite fille tu es et quelle belle mage tu seras. Et je serai encore plus fier de toi que je ne le suis déjà, mon kangourou. » Ta main retourne sur sa joue et tu souris avec tendresse et douceur.

Je suis consciente de l'égoïsme de ma demande. Tonton Géralt il a toujours été là pour moi. Il a toujours fait passé maman, tonton Gédéon et moi en premier. Je l'ai toujours vu. Je sais qu'il a loupé l'Académie et j'en ai été honteusement soulagée parce que ça voulait dire qu'il était obligé de rester avec nous. Et j'ai été heureuse de savoir qu'il travaillait pas loin parce que ça voulait dire que je le verrais souvent. Et là, comme une petite fille gâtée, je lui demande encore de se sacrifier pour moi, pour mon propre bien-être et je me déteste aussitôt d'avoir dit ça. Je peux dire que le fait de me retrouver toute seule me fait peur mais tonton a passé sa vie à s'occuper de notre vie. Il faut qu'il commence à s'occuper de la sienne. Je vois bien, en plus, que je rends tonton triste. Il essaye de me rassurer et mais il s'en veut de me laisser et je m'aime encore moins. Quelle fille égoïste maman a élevé ! Je ne mérite pas tout ça.

Je hoche doucement la tête et à mon tour ma main vient toucher la joue râpeuse de tonton. Je ne pleure pas parce que je me suis promis de ne pas pleurer. Mais je sais que mon cœur pleure parce que je sais que tonton a besoin de partir. Lorsqu'il reprend la parole, il me dit ce que mon cœur me dit depuis que j'ai su qu'il partait sur l'Audacia, avec les pirates. Je le regarde moi aussi gravement, sans sourire. Je sais que c'est important pour lui qu'il me dise ça. Il veut m'expliquer correctement. Je sais déjà tout ça. Je suis une nièce égoïste.

Je réponds à son sourire. Un sourire que je veux heureux et je passe mes bras autour de son cou pour une étreinte.

-Je sais tonton. Je suis désolée, je veux pas que tu crois que je crois que tu nous abandonnes. C'est juste que ça fait beaucoup.

Je lui murmure à l'oreille. Une voix un peu triste. Puis, je m'écarte et lui attrape la main avec un large sourire.

-Bon, on est venu ici pour voir l'Académie. On va rentrer dedans non ?

J'essaye de ne pas penser à ce qu'il va se passer dans les jours à venir. J'ai survécu à une éducation belliférienne avec un grand-père et des oncles un peu violent alors je vais pouvoir survivre à l'Académie. Et si tante Quittou l'a fait, alors moi aussi je peux le faire. Moi aussi je peux survivre.
Je me redresse et tire la main de tonton vers l'Académie. On passe les portes et gravit les marches menant à l'Académie. La peur a laissé place à l'excitation. Je vais visiter l'Académie !
Lorsqu'on pénètre dans le hall principal je reste bouche bée, perdant l'usage de la parole. C'est... magnifique. Tout n'est que magie. Le marbre blanc et bleu est d'une beauté sans pareil. Les discussions résonnent comme des tintements de clochettes à mes oreilles. Et les statuts des griffons et des dragons m'intimident tellement que je n'arrive pas à les regarder dans leurs yeux de inanimés. Je jure même voir le griffon s'ébrouer un peu et mes yeux s'écarquillent encore plus alors que je pousse un cri de surprise, mon doigt se pointant vers lui. Quelques têtes se tournent vers nous, intrigués et certains sourires apparaissent. Pour ma part, je... je tremble. De la tête au pied. Je n'ai jamais ressenti ça. Je pousse un gémissement plaintif. Impressionnée. La magie. Elle est partout. Elle est l'Académie. Elle rentre en parfaite résonance avec la mienne et je ne peux m'empêcher de trembler. C'est comme si l'Académie me parle, me murmure mon avenir, mon passé et mon présent. Comme si Sa magie se fond dans la mienne. C'est une sensation étrange et... puissante. Trop puissante pour mon corps de jeune enfant qui n'a encore jamais rien connu de tel. Est-ce ainsi que je vais vivre lorsque j'y serais ? J'ai l'impression. C'est... c'est comme si je ne fais qu'un avec elle.

Tu es fier de ta petite nièce, qui reste droite et digne. Son visage arbore l'air sérieux propre à votre famille, mêlé à une concentration sans faille. Tu sais qu'elle t'écoute, tu sais qu'elle comprend ce que tu lui dis. Tu vois qu'elle tente de s'empêcher d'être trop triste, peut-être de pleurer, et ce fait te touche autant qu'il t'attriste. Cependant, il te rend fier également. Eponine a toujours été une enfant éveillée et forte : même dans cette situation difficile, elle garde le menton haut et fait de son mieux pour gérer. Cela te rassure sur la suite à venir, quand tu seras loin, au large.

Elle finit par te rendre ton sourire et passer ses bras frêles autour de ton cou. Tu passes les tiens autour d'elle et la serres contre toi, fort, son odeur rassurante apaisant tes angoisses aussi efficacement que les quelques mots qu'elle murmure à ton oreille. Tu fermes les yeux brièvement, un sourire un peu triste aux lèvres à présent. Ta main va caresser l'arrière de son crâne alors que tu lui souffles à ton tour : « Je comprends, mon Epo. Mais tu verras, tout ira bien, on fera ce qu'il faut pour. » Bientôt, dès que possible, vous récupérerez ta sœur et ton frère, ce qui sera déjà un grand pas vers un semblant de retour à la normale, à votre famille, celle qui compte.

La petite s'écarte finalement, un sourire aux lèvres, et tu hoches la tête. « Je te suis, ma nièce. » Tu te relèves et te laisses guider par sa main enthousiaste.

Une fois à l'intérieur, tu dois afficher la même tête qu'elle : émerveillement, curiosité, étonnement. Tu fais simplement preuve de plus de retenue qu'elle, en ta qualité d'adulte, même si ce n'est pas l'envie qui manque d'en avoir moins. Ton regard dévore tout ce qui se trouve dans ce grand hall et ton sourire ne faiblit pas. Vous devez avoir l'air beau, tous les deux, là, non loin de l'entrée. Tu vous fais donc avancer un peu et vous vous rapprochez de statues magnifiquement ouvragées. Tu penses rêver un instant, quand l'une d'entre elles s'ébrouent, mais le cri surpris et enchanté de ta nièce résonne et te confirme que c'est bien réel. Tu laisses échapper un petit rire ravi, peu habitué à voir une telle magie à l’œuvre.

Tu sens la main de la petite trembler dans la tienne et baisses le regard vers elle : elle a l'air chamboulé, mais dans le bon sens du terme. Tu souris avec tendresse, avant de tirer légèrement sur sa main. « Regarde, le dragon, là-bas, il prend son envol. » Vos pairs d'yeux se posent sur lui assurément : il déploie ses ailes paresseusement, déliant ses membres avec la même nonchalance, et commence à battre l'air, comme si c'était normal qu'une statue dragon s'envole d'un hall d'entrée. « Wow », alors que tu suis des yeux l'être écailleux qui passe au-dessus de vos têtes et s'engouffre dans les hauteurs de la bâtisse. Tu remarques les vitraux à ce moment-là, joyaux chamarrés faisant entrer une lumière chaude et douce.

Tes yeux sont ensuite attirés par l'un des tableaux, un peu plus loin. Tu réalises, avant même de t'arrêter devant, que deux êtres au sexe non identifié s'enlacent, chacun levant au-dessus d'eux quelque chose. Ils dominent un attroupement, un tas d'êtres bien plus sombres, aux traits déformés, qui font naître en toi un sentiment malaisant. Tu comprends d'un nouveau coup d’œil aux êtres enlacés, bien plus clairs, bien plus définis, bien plus colorés, qu'ils tiennent ce qui s'apparente aux représentations de la magie et du savoir.
Il faut être honnête, tu as rarement était confronté à des objets d'art, dans ta vie, tu n'y connais donc vraiment pas grand-chose. Pourtant, ce tableau-là, il te parle et il te coupe le souffle, même si tu ne saurais dire pourquoi. Il t'attriste aussi, d'une certaine manière : le monde d'Arven a relâché ses vieux démons et l'utopie émanant de ce tableau est bel et bien terminée.

Tu secoues la tête sans t'en rendre compte, oublieux de ce qui t'entoure l'espace d'un instant.

Tonton il a l'air aussi stupéfait que moi. Je sais pas combien de temps on reste planté là, à admirer l'architecture luxuriante, vibrante de magie de l'Académie. Je le vois aussi, le dragon, et le regarde ébahie. Je m'accroche à la main de tonton, le pointant du doigt, oubliant un instant où je suis.

-Tonton ! Il s'envole ! Il s'envole, regarde ! Il s'envole !

Quelques têtes se tournent vers nous. Des regards parfois condescendants ou des sourires attendris. Mais mon attention est totalement accaparée par le dragon qui s'envole dans le ciel de Lorgol. Les vibrations de la magie continuent de résonner en moi mais j'ai l'impression de percer un peu plus leur symphonie. C'est.... impressionnant et intimidant mais je pense que je peux finir par m'y habituer.

Immobile depuis un moment, le regard perdu dans le ciel d'où le dragon a disparu, je me retourne vers tonton. Lui aussi, il a l'air perdu. Il regarde un tableau qui me met un peu mal à l'aise. Mais moi je n'y connais rien en dessin. J'ai vu peu de tableaux, je sais pas trop ce que ça veut dire. Mais quoique ça dise, ça a accaparé totalement l'attention de tonton.

-Tonton ? appelé-je timidement en secouant sa main.

Je regarde un peu partout dans le hall, ne sachant pas vraiment où aller. On pourrait rester ici, et continuer de profiter du spectacle parce que je m'en lasse pas, mais on va finir par prendre racine. Et puis on a dit qu'on visiterait l'Académie alors autant la visiter. Je le traîne alors par la main, m'avançant vers le centre du hall. J'hésite, ne sait pas trop où aller ou quoi faire et, finalement, quelqu'un finit par nous expliquer que l'étage des négoces est accessible pour les visiteurs et nous prenons la direction. Les escaliers sont tout aussi magnifiques que le reste et l'Académie n'a rien à envié à son hall. Chaque pas est une symphonie magique et son écho résonne en moi à chacun de mes mouvements. C'est comme si je suis dans un état second. Pas vraiment là, trop occupée à écouter le chant magique de l'Académie, à suivre les chemins étoilés de la Magie que Valda me met dans les yeux. J'ai du mal à me dire que c'est ici que je vais étudier, maintenant. Que ma vie sera là pendant près de cinq ans. Cinq années durant lesquelles je vais apprendre à utiliser ma magie. Ca me semble incroyable. Et invraisemblable. Alors que quelques semaines avant, j'étais dans ma lande natale, à me cacher de grand-père, de mes oncles et à m'endormir au son de doux pas de maman, parfois blottie contre tonton Gédéon. En fait peut-être que je rêve ? Et plus j'avance dans l'Académie, plus cette impression se confirme. Un rêve tout éveillé, une torpeur dans laquelle je baigne depuis plusieurs jours. Je vais me réveiller et Lorgol et l'Académie auront disparu. Pourtant je sais, que ce n'est pas un rêve. Que le long voyage jusqu'ici a été très éprouvant. Que j'ai bien quitté maman. Que je suis bien à l'Académie.

Arrivée à l'étage des négoces, le monde est encore plus présent que dans le hall. Je pense qu'on doit pas être les seuls visiteurs mais l'ambiance y est... encore différente mais toujours cette même atmosphère. En fait c'est comme si l'Académie en elle-même a été façonnée par la Magie Pure. Je me sens toujours aussi... impressionnée. Et intimidée. Je vais vraiment étudier là. Je ne sais pas si j'en suis digne. Tout ce que je sais, c'est que je vais faire mon possible pour l'être.

Éponine secoue vos mains jointes et ce geste t'extirpe de ta contemplation. Tu détaches tes yeux du tableau, étrangement envoûtant, et les abaisses vers ta nièce. « Excuse-moi, on peut continuer. » Tu suis son exemple et observes les environs pour déterminer où aller à présent. Elle semble décider pour vous ; tu te laisses entraîner avec plaisir, après un dernier regard en arrière pour le tableau.

Un discussion avec un homme qui nous indique la direction pour l'étage des négoces et nous voilà en route. L'escalier menant à l'étage supérieur est tout aussi magnifique que le reste. Tu n'as aucune idée des circonstances de la création de cet endroit, mais la construction à dû prendre un laps de temps très long, magie ou non. Le mélange harmonieux de Savoir et de Magie ici est l'exemple parfait de ce qu'Arven peut accomplir, main dans la main, et tu te prends à te demander si votre monde retrouvera un jour un semblant de paix. Mille ans partis en fumée et cet Ordre qui fait de plus en plus parler de lui. Et ces mages bannis qui réapparaissent. Tu ne sais pas exactement quoi penser de tout ça, mais tu déplores au moins toutes les vies humaines perdues et à perdre dans la bataille.

Tu chasses ces pensées sombres et te reconcentres sur votre visite car vous êtes arrivés aux négoces. Là encore, le monde grouille et tu te surprends à sourire sans raison. Tant de gens différents, comme dans la Ville Basse. Une ouverture sur le monde que tu n'as jamais connue en Bellifère et c'est rafraîchissant. Tu t'abreuves de tous les détails, aussi avide de découvertes que ta nièce.

Vous passez un premier étal où sont vendus tissus, vêtements et où des artisans s'activent à fabriquer des pièces ou à prendre les mesures de clients. Vous vous arrêtez un instant car les types de vêtements sont parfois à l'opposé de ce que vous portez dans ton duché. Une pièce attire particulièrement ton attention dans un étal proche. Tu t'apprêtes à t'avancer quand tu réalises qu'il s'agit d'une robe et que la quantité de tissu utilisée est vraiment minime et qu'elle doit provenir de Sombreciel, avec ses dentelles et autres originalités. Une légère rougeur apparaît à tes joues.
Tu tires doucement sur la main d'Éponine pour vous faire avancer.

Quelques pas, hochements de tête et sourires à des passants plus tard, vous voilà devant une confiserie. Tu sais instantanément que vous allez faire un arrêt ici. Tu vois le regard du vendeur s'arrêter sur Eponine et… « Mon bon m'sieur, une petite douceur pour la petite ? » Tu laisses échapper un léger rire et un coup d’œil à ta nièce te décide définitivement à t'arrêter. « J'ai des nougats, des pralines, des fruits confits, des dragées. J'ai de tout. Suffit de demander. Qu'est-ce qui te f'rait plaisir, p'tite ? » L'homme lui sourit avec bienveillance, content aussi d'avoir attrapé une cliente.
Une pression sur la main d'Eponine, un hochement de tête et vous vous approchez.

Tu peux bien lui offrir quelques douceurs. Il te reste un petit pécule et cela te permettra tout de même de lui offrir ce que tu as repéré plus loin.

Il y a tellement de choses et j'ai pas assez d'yeux pour les voir. Je regarde partout à la fois, ma tête se tournant si énergiquement de droite à gauche que je commence à avoir mal à la tête. C'est comme si mes yeux sortent de mon corps. J'ai l'image fugace de ma tête avec deux trous à la place des yeux et retiens un frisson de dégoût. Frisson bien vite dissipé dans tout cet étalage diversifié. Il y a de tout. De tous les horizons, tous les produits, toutes les couleurs. Comme un condensé de la Ville Basse mais sur un seul étage. Les tissus sont d'une telle splendeur avec des couleurs si vives et différentes que j'ai dû mal à en détacher les yeux. Pour la première fois, j'ai envie de tout acheter sans raison particulière. Nous qui, habituellement, portons une attention à l'argent, voilà que je me mets à rêver de fortune qui me permettrait d'acheter tous ses trésors.
Je lève les yeux vers tonton. Lui aussi à l'air de pas savoir où regarder. Je le comprends. Les poteries n'ont rien à envier aux tissus. Les artisans ont l'air de rivaliser en terme de finesse et d'esthétique.  Surexcitée, oubliant toute intimidation ou anxiété, je commence à pousser des cris d'extase, pointant du doigt divers stands dans un babillement incessant. Puis une odeur alléchante me parvient aux narines et me fait oublier tout le reste.

-Douceurs ! exclamé-je, incapable de dire autre chose.

Mais tonton m'a devancé. Le marchand me regarde avec gentillesse et je croise le regard de tonton. Un profond élan d'amour me submerge en songeant qu'il va m'offrir des douceurs et s'est avec l’œil affamé que je m'approche de son étalage. Je regarde à nouveau toutes ces douceurs et mon ventre émet un fabuleux gargouillis, clamant haut et fort que j'ai très faim malgré mon petit déjeuné. Je lève de nouveau un regard interrogateur vers tonton et sourit timidement. Ce qui me ferait plaisir ? Tout le stand. Mais tonton a pas assez d'argent pour tout m'acheter et il me dira que en manger trop me donnera mal au ventre et que c'est pas bon pour ma santé. Je réfléchis alors. Les dragées coûtent moins chères et j'en aurais plus. Mais elles sont plus petites et vont durer moins longtemps. Les fruits confits sont très bon mais c'est comme des fruits avec du sucre. J'aime beaucoup mais ça fait plus « fruit » que « douceur ». Je pense que je vais prendre les pralines et les nougats. Déjà parce que c'est ce que je préfère. Ensuite parce que le nougat dure plus longtemps que le reste, tout en étant d'une taille plutôt raisonnable et que la praline... ben la praline c'est vraiment trop bon. Le marchant finit par éclater de rire, me voyant ainsi méditer les douceurs que je vais choisir :

-Une vraie d'moiselle d'affaire !

Je sursaute et rougis furieusement, bredouillant quelque chose et finit par m'accrocher à la manche de tonton. Du coin des lèvres, je lâche un murmure à peine audible.

-Pralinesetnougatssilvousplait...

Cela paraît suffir au marchand qui rigole franchement avant de mettre ce que j'ai choisi dans un sac. Toujours un peu embarrassée par toute cette affaire, je reste près de tonton, attendant qu'il ait fini d'échanger les pièces avec le négociant. Je bredouille encore un timide « merci », attrape le sac qu'il me tend et nous reprenons, tonton et moi, notre visite de l'étage. Il ne comprend peut-être pas, mais c'est très important de bien choisir ses douceurs. Rya, le comprend, elle. Elle sait l'importance entre la taille et le nombre de dragée en comparaison avec les nougats.

-Merci tonton, lui dis-je avec un grand sourire en pressant sa main. Tu en veux ?

Je lui tends le sachet. Je n'ai toujours pas osé en prendre, comme si je suis un peu honteuse d'avoir été prise sur le fait d'une réflexion comparative entre les bonbons proposés.

La concentration dont ta nièce fait preuve t'arrache un sourire attendri, qui se transforme en rire lorsqu'elle revient s'accrocher à ta manche à la remarque du marchand. Tu caresses brièvement son crâne de ton autre main, puis elle passe finalement commande. L'homme se met à la tâche tandis que tu t'adresses à Eponine : « Très bon choix, mad'moiselle. », suivi d'un hochement de tête tout ce qu'il y a de plus sérieux. Tu te défais de sa prise pour pouvoir payer l'homme et elle récupère son butin comme un petit chat sauvage effarouché. Tu souhaites la bonne journée au commerçant et vous reprenez votre petit tour.

« Merci tonton. De rien, Kangourou. » Elle te propose une douceur et tu remarques qu'elle n'a pas encore osé en manger. Tu t'accroupis devant elle et pioche avec révérence dans le sachet. Tu portes la praline à ta bouche et le goût envahit ton palais en peu de temps. Tu laisses échapper un petit bruit de contentement. « Délicieux. Tu devrais goûter, ça en vaut le détour. L'une des meilleures pralines que j'ai mangée de ma vie. » En réalité, tu n'as pas goûté à tant de sortes de ces douceurs durant ton existence, mais, c'est indéniable, elles sont vraiment bonnes.

Tu la laisses savourer sa petite douceur dûrement gagnée. Après seulement vous dirigez-vous vers le stand que tu as repéré plus tôt. Le commerçant vend majoritairement des fournitures scolaires et ce qui a trait à l'écriture. Cahiers, plumes, encre, livres, sacs, parchemins, et encore plein d'autres choses sur lesquelles tu ne peux forcément mettre de nom. L'air y sent le vieil ouvrage, la page plus ou moins neuve, le cuir plus ou moins récent et ça te plaît. Tu laisses à Eponine le temps de tout dévorer des yeux avant de déclarer, sur le ton de la conversation  : « Je te laisse choisir plume, encre et cahier, ma princesse. » Tu tournes ton regard vers elle, un sourire doux aux lèvres. « Qu'est-ce que tu en dis ? » Tu exerces une pression sur sa main pour lui assurer que tu dis vrai, que vous pouvez vous le permettre.

L'idée de lui offrir son premier support d'apprentissage t'émeut, d'une certaine manière. Tu l'imagines déjà apprendre à écrire, à former ses lettres, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle maîtrise le geste. Parce que Eponine est comme ça : quand elle se lance dans quelque chose qui lui tient à coeur, elle s'y met à fond. Tu as hâte qu'elle connaisse sa première rentrée et soit tout heureuse avec son matériel.

Et si l'idée qu'elle ait un petit souvenir de toi lorsqu'elle sera en classe est une autre des raisons, personne n'est là pour te juger.

Je rougis de plaisir, lui adresse un grand sourire et prend immédiatement une praline pour la manger aussi. Le goût est délicieux et je savoure ce fameux met de Rya, très sucré et si agréable en bouche.

-T'as raison tonton, elle est délicieuse.

Puis j'éclate de rire et en prend une deuxième. Je veux pas tout manger d'un coup. Je veux bien les savourer et en profiter. Je mange pas souvent de douceurs. Avant j'attendais toujours que tonton il revienne parce qu'il m'en apportait souvent. Et je prenais aussi le temps de les manger, les partageant avec tonton Gédéon et maman. C'est un peu comme avant. Elles sont bonnes, sucrées et remonte le moral. Les douceurs c'est magiques, presque comme si Rya elle-même les a béni !
Tout en la dégustant, je suis tonton vers un autre stand. Je contemple avec intérêt les marchandises. Je me rends compte que ce sont des cahiers, des plumes, de l'encre, bref de quoi écrire. Écrire. Comme les grands, comme les élèves de l'Académie. J'en suis toute impressionnée. Ca fait sérieux, comme si on allait forcément réussir sa vie et ses études avec un tel matériel. Je n'ai jamais possédé de telles choses. Maman est aveugle, elle n'écrit pas et moi j'ai jamais appris donc il n'y avait aucune raison à avoir ce genre de fournitures à la maison. J'en ai rarement vu de si près aussi mais je veux rien toucher de peur de les salir. Aussi je préfère les regarder, totalement fascinée. Puis je l'entends me dire ce que je n'ose croire et lève un regard incrédule sur lui. Tonton me sourit et me presse ma main, m'encourageant du regard pour me dire que j'ai pas rêvé et qu'il me propose vraiment de m'acheter des fournitures. Cette fois, ma bouche imite mes yeux et j'ai bientôt tout mon visage qui doit former des « ooooh » comme quand on est surpris. J'essaye de bredouiller quelque chose mais je sais même pas ce que je veux dire.
Oh si, je me souviens. Le principal.

-Mais tonton... je sais pas écrire.

Ni lire. Mais ça manque de conviction en fait parce que j'ai très envie d'en avoir moi aussi. Et que j'ai aussi envie d'apprendre à lire et à écrire. Et si jamais je le fais avec des fournitures achetées par tonton, alors je sais que je vais jamais gaspiller un tel trésor. Parce que oui, c'est un trésor pour moi. J'ai jamais rien possédé de vraiment à moi. Enfin... jamais quelque chose comme ça.
Mon regard se rive de nouveau sur le stand. De toute façon, il va falloir que j'apprenne à lire et à écrire pour rentrer à l'Académie. Il va bien falloir que j'apprenne mes leçons et tout enregistrer dans ma tête ça va être très long et très compliqué. Si je peux mettre par écrit et relire, ce serait plus simple. Mais qui va m'apprendre ? Je trouverai bien quelqu'un. Il le faut. Je regarde de nouveau tonton et sourit très largement, pressant moi aussi sa main. En fait, je sais même pas si je vais oser de les utiliser. Mais quand ils seront pleins, je les garderai tout de même. Parce que ce sera le premier cadeau de rentrée à l'Académie de tonton et que c'est quelque chose à chérir. Un peu comme le collier de maman. Et, en y pensant, mon autre main trouve naturellement le chemin jusqu'à mon cou alors que je m'approche un peu plus du stand. Le soucis c'est que je ne sais pas trop ce que je dois prendre parce que je n'y connais pas grand chose. Alors je sollicite encore une fois tonton. Lui il sait. Il sait tout mon tonton.

-Je sais pas c'est quoi le mieux... tu veux bien m'aider ?

« Mais tonton... je sais pas écrire. » Tu souris à l'émerveillement audible dans sa voix malgré tout. Tu es serein : tu sais qu'elle apprendra vite, qu'elle travaillera dur à retenir l'alphabet et qu'elle excellera dans cette tâche. C'est une petite fille intelligente et vive. Malgré son manque d'éducation scolaire et de perspectives d'avenir à Aubenacre, dès toute jeune, elle s'est intéressée au monde qui l'entourait, elle posait des questions quand elle ne comprenait pas. Tu sais qu'une fois lancée, rien ne l'arrêtera, cette petite. « Ne t'inquiète pas, Kangourou, on te trouvera quelqu'un pour apprendre à écrire. Et à lire. » Elle ne semble pas avoir besoin d'être tant convaincue que ça car la voilà déjà de nouveau en train de dévorer les étals des yeux.

Tu la laisses regarder, s'approcher, jauger. Tu restes en retrait, silencieux, si ce n'est un salut à l'artisan. Pourtant, elle se tourne finalement vers toi, un peu perdue. « Je sais pas c'est quoi le mieux... tu veux bien m'aider ? » Tu hoches la tête, un sourire tendre aux lèvres, et tu t'approches. « Voyons ça. Tout dépend de ce que tu aimes. Regarde, par exemple, tu lui montres quelques carnets protégés par une couverture de cuivre, « ils prendront plus de place, mais seront mieux protégés. » Tu penses à ton propre carnet, celui qui se trouve au chaud, dans ta poche intérieure. Il a survécu à du sang, de l'eau, des coups.
Tu attrapes l'un desdits carnets et dénoue la lanière qui permet de fermer le tout. « La lanière peut-être encombrante, mais elle t'assure qu'il reste fermé. » Tu fais défiler les pages entre tes doigts. « Tiens, touche le grain du papier »

Une fois que vous avez fini de l'examiner, vous passez au suivant. Une couverture en écorce de bois, des pages plus épaisses et plus nombreuses. Un autre consiste en un tas de pages à la couleur plus foncée et au grain rugueux, tenue par un fil transparent solide sur le haut, le tout protégé par une tissu épais, mais souple. Vous examinez les autres disponibles jusqu'à ce qu'Eponine fasse son choix.
Vous répétez le même processus pour les encres. Il y en a de différentes couleurs : certaines sont magiques, d'autres ont simplement la fonction d'encre. Tu l'autorises à en prendre deux tant tu imagines le choix compliqué que cela doit être pour elle.

Quand vous en arrivez aux plumes, même toi tu te retrouves admiratif de la beauté de certaines. Tu siffles. « Je ne suis pas sûr de pouvoir t'aider à choisir, pour le coup, ma belle. » Tu te demandes si tu ne vas pas en prendre une porte toi. Tu as laissée ta plume, ton encrier et ton stock de parchemins à Riven, forcément. Tu vas cependant très vite en avoir besoin – et emprunter à tes collègues n'est pas une solution viable. Il te faudra écrire souvent. Pour rassurer Désirée et Gédéon régulièrement, pour donner des nouvelles à Quitterie, pour tout raconter à Eponine, pour qu'elle n'ait pas l'impression que tu l'as abandonnée.

Tu tournes la tête vers elle, une moue faussement songeuse sur le visage. « Qu'est-ce que tu dirais de demander de l'aide ? » De la tête, tu montres l'homme derrière vous, à son comptoir, qui est en train d'emballer les fournitures d'une cliente. Tu lui souris malicieusement.

Tonton il pense que je vais apprendre à lire. Qu'on va trouver quelqu'un. Je veux bien parce que j'ai très envie d'apprendre. Et je suis sûre que plus tard, on va se moquer de moi parce que je sais ni écrire ni lire. Mais après ça me dérange pas trop parce que j'ai l'habitude qu'on se moque de moi, ou qu'on me parle pas. J'ai jamais eu d'amis à Riven. Personne ne voulait être l'ami de la petite fille du grand-père Gérault. Mais là, y aura pas de grand-père et personne à qui je dois cacher ma magie. Là-bas personne ne me verra comme la petite fille de grand-père qui boit trop, crie fort et frappe. Je suis soulagée. De plus être avec lui. Je me serre plus contre tonton. Heureusement qu'il est là. Qu'il m'a sorti de là. C'est grâce à maman et lui que je respire. Et que je suis là, dans l'Académie, à regarder des fournitures avec tonton. Il me montre et m'explique les différents cahiers. Je l'écoute avec attention, les regarde, les évalue et finis par caresser la couverture de cuir très doucement, comme si c'est une précieuse relique. Puis mes doigts effleurent le papier avec fascination. C'est tout blanc, tout propre. Rien n'est tâché. On a presque pas envie d'écrire dessus de peur de l'abîmer. On regarde différentes sortes de cahier et ça me paraît encore plus compliquer de choisir. Finalement je choisis le tout premier. Parce qu'il ressemble un peu à celui de tonton et que c'est le premier véritable cahier que tu as touché. Un peu comme si le cahier m'a choisi moi. Ce n'est pas moi qui l'ait choisi, c'est lui qui l'a fait.

Puis on passe à l'encre et tonton m'autorise même à en prendre deux. Toute contente, je regarde les différentes options. Je finis par en prendre une noire classique, celle qui est le plus utilisée, dont la couleur me rappelle les perles des huîtres d'Aubenacre. Puis j'hésite entre une encre magique qui peut corriger mes fautes, ce qui sera bien pratique, ou une autre encre de couleur. Je finis par me laisser tenter par la seconde option. Il faut que j'apprenne toute seule à pas faire de fautes et elle est moins chère. J'en choisis une qui a une jolie couleur bleue ciel. Et finalement, on se se dirige vers les plumes. Mais tonton a l'air aussi perdu que moi et je peux le comprendre parce qu'elles sont toutes magnifiques. Il y en a qui ont l'air tellement douces, qu'on a envie de se caresser le visage avec. Incapable de choisir, tonton finit par me proposer de demander au marchant. Je hoche la tête, silencieuse et jette un regard dans sa direction. Lorsque je vois qu'il nous fixe gentiment je rougis un peu mais, enhardie par ma dernière acquisition, je laisse de côté ma timidité pour le solliciter d'une petite voix.

-On... on cherche une plume. Vous pouvez nous aider ? Moi... je... je rentre à l'Académie à la rentrée pour ma première année.

Je rougis plus encore mais une certaine fierté transparaît de ma voix à la fin de ma phrase. Une fierté qui m'étonne moi-même. Je n'ai pas eu l'occasion de m'entendre souvent dire ça. Le marchand m'adresse un grand sourire et s'approche de nous.

-Bien sûr p'tite d'moiselle ! C'est bien ça l'Académie ! Tu vas bien apprendre et mes affaires, ben elles sont d'qualités !

Il choisis quelques plumes qu'il pose avec précaution devant nous. Certaines sont très basiques, paraissent aussi plus robustes, tandis que d'autres ont l'air plus souple et plus garnies. Elles doivent certainement coûter plus cher aussi.

-Celles-là c'est les basiques, explique-t-il en désignant les plus robustes. C'mieux quand l'faut écrire longtemps. Pis en c'moment y a la promotion ! Deux achetées, une offerte.

Il esquisse son plus beau sourire. Le sourire spécial négociant qui veut faire fonctionner son commerce.

-Les autres, l'sont plus fines, elles f'ront une plus jolie écriture et sont plus agréable entre les doigts. Y a pas l'promotion par contre.

Je fixe les plumes avec attention. Les plus fines sont les plus jolies, évidemment. Mais moi je sais pas écrire, y a pas d'intérêt à ce que j'écrive plus joliment. Je suis sûre que même avec une plume spéciale écriture fine, je ferai juste des gros pâtés.

-Je veux celles-ci, s'il te plaît tonton, dis-je en désignant les basiques.

Et puis de toute façon, elles sont très belles aussi parce que c'est tonton qui me les achète. Et j'ai peut-être pas de jolies plumes fines, mais j'ai une très belle encre bleue ciel. Satisfaite de mon choix, j'attends que tonton fasse le sien.

 Tu la vois jeter un coup d'œil à l'homme, qui vous fixe avec bienveillance, puis prendre son courage à deux mains. Tu la laisses faire et, bien vite, l'homme vous rejoint devant l'étal, somme toute grand, de plumes. Tu l'écoutes avec attention et observes les plumes qu'il désigne. Il vous parle d'une promotion et quelle aubaine ! Il vous montre ensuite celles dont le prix dépasse largement ton budget. Elles sont magnifiques, pour sûr, mais tu n'as pas même pas de quoi en payer une avec les écus que tu as sur toi. Tu vois l'intérêt dans les yeux de ta nièce, mais elle le réprime aussitôt : cette vision te fend le cœur, en un sens. Tu te promets qu'avec ta première paie de pirate, tu lui en offriras deux comme ça. Elle pourra dessiner ses belles lettres avec les plus fines des plumes, foi de Levor.

Tu ressens un élan d'affection énorme pour ta nièce quand elle désigne d'elle-même les plumes basiques, au prix raisonnable. Tu lui offres un sourire un peu triste, mais fier de la raison dont elle fait preuve, alors qu'elle n'a que onze ans. Tu te tournes ensuite vers le marchand. « Donnez m'en six, dans ce cas. Ajoutez-y le carnet les encres, s'il vous plaît. » L'homme s'en retourne au comptoir après avoir récupéré les objets des mains d'Eponine ; toi, tu t'agenouilles vers elle. « Comme ça tu en auras trois de rechange, au cas où il arrive malheur à la première. » Tu attrapes délicatement son nez et le secoue. « Je suis fier de toi, ma nièce. » Puis, sur un ton plus bas, de confidence : « Dès que j'aurai un peu d'argent, on reviendra en acheter une digne de toi. » Tu déposes un baiser sur son front en te relevant.

Une fois que vous avez rejoint le marchand, tu donnes la somme que tu dois et l'homme t'emballe le tout pour que ce soit plus facile à transporter. Tu récupères le tout et vous quittez la boutique après avoir salué l'homme. Vous continuez de flâner parmi les boutiques pendant un temps, discutant parfois avec les marchands, jusqu'à ce que vous ayez fait le tour de l'étage. Vous vous redirigez ensuite tranquillement vers l'entrée, inspectant un peu plus le hall d'entrée, les choses que vous n'aviez pas vues à l'aller. Il est ensuite temps de sortir du bâtiment et d'aller trouver un mage des portails qui vous renverra dans la Ville Basse.

« Pas trop déçue de ne pas encore avoir vu l'intérieur, mon Kangourou ? Tu me raconteras quand tu auras fait ta rentrée, hein ? » Dans ton esprit, il ne fait aucun doute qu'elle sera prise à l'Académie, de toute manière.

Si... six ? Je le contemple avec incrédulité alors qu'il commence à compter ses pièces pour payer. Oh... par Osir, il va vraiment m'acheter tout ça ? Tout ça sera pour moi ? J'ai dû mal à le croire et pourtant c'est bien vrai. Tonton paye et ensuite il s'accroupit devant moi et m'attrape le nez. Je ris très fort et entoure mes bras autour de son cou pour lui faire un gros bisou sur la joue.

-C'est pas la peine tonton, je t'assure, je bafouille, gênée. C'est bien ça ! Moi ça me suffit.

Et comme pour lui prouver que c'est vrai, je fourre le tout dans mon sac et prétend m'intéresser à un autre stand, laissant derrière moi les beautés des jolies plumes délicates que l'on ne peut pas acheter. Mais c'est pas grave, j'ai pas besoin de jolies plumes. Les cadeaux de tonton me remplissent déjà de joie, j'ai pas besoin d'autres choses pour me sentir heureuse.
La promenade se poursuit et les stands offrent tous des choses merveilleuses qui donnent envie de les acheter. Tonton Géralt s'arrêtent parfois pour discuter avec les négociants avant de reprendre la route. Bientôt nous avons fait le tour de l'étage et commençons à nous diriger de nouveau vers la sortie. Au fond de moi, la tristesse me remplit et j'ai plus envie de partir parce que je sais que cela veut dire mettre un terme à notre moment à nous et que ça nous rapproche de notre séparation. Mais je montre rien parce que je veux pas que tonton ait de la peine de me savoir triste. Alors je contine de babiller gaiement, lui confiant ma joie de venir ici à la rentrée, que j'espère me faire des amis et ne pas me sentir trop perdue, qu'il me tarde de savoir apprendre à lire et à écrire et du dîné copieux que m'a promis Touillette quand je rentrerai. Avec tout mon bavardage, je ne fais pas attention que nous sortons de l'Académie pour trouver un mage des portails qui nous ramènera ensuite dans la Ville Basse. C'est à ce moment que je me trouve à court de mots, ne sachant que dire et essayant de refouler l'angoisse qui commence à m'oppresser. Heureusement tonton me pose une question, m'offrant une porte de sortie.

-Promis tonton ! m’écrié-je, enjouée. Si je sais lire, je te ferai des lettres où je te dirais tout ! Mais c'est vrai que je suis un peu déçue, je pensais pouvoir voir les salles de classes et tout...

Enfin je suppose que j'aurai tout le temps d'explorer l'Académie ensuite. Lena elle me fait rêver avec tout ce qu'elle me dit dessus alors que ça fait à peine quelques jours. Mais voilà, c'est le moment de trouver le mage de portail et nous voilà bientôt dans la Ville Basse. Aussitôt je me mure dans le silence, culpabilisant même de montrer une telle tête à mon oncle. Il devrait me voir toute contente et enjouée, pas déprimée et triste. Parce que lui aussi doit pas se sentir bien à l'idée de partir. J'adore tante Quittou mais elle reste une inconnue pour le moment. Elle a alimenté les contes de mon enfance mais c'est tonton Géralt qui a toujours été là. Et me dire qu'il ne va plus y être... Par Osir que c'est dur ! Tellement que je sais même plus quoi lui dire et marche en silence vers la Taverne, me concentrant sur les bruits environnement et le son de ses pas qui claquent sur les pavés, à côté de moi.

Tu l'écoutes raconter tout un tas de choses, poses des questions par moments, commentes à d'autres. Vous n'êtes à Lorgol que depuis peu, mais elle semble avoir rencontré pas mal de gens et commencé à nouer quelques liens. Ca te rassure, vraiment. Tu sais que Quitterie est là, tu sais qu'elle est entre de bonnes mains, que ta sœur n'aurait pas tant confiance si les gens de la Taverne n'étaient pas fiables. Puis, tu leur as parlé, tu as discuté avec le capitaine, le mari de la patronne, tu as eu ton petit combat de bienvenue, tu es allé te présenter à Rhéa. Tu le sens bien, vraiment bien. Ce n'empêche qu'entendre tout ça te met un peu de baume au cœur, alors que tu t'apprêtes à la laisser plusieurs semaines.

« Promis tonton ! Si je sais lire, je te ferai des lettres où je te dirais tout ! Mais c'est vrai que je suis un peu déçue, je pensais pouvoir voir les salles de classes et tout... J'aurais aimé qu'on puisse découvrir ça ensemble, oui… Mais ce sera merveilleux, j'en suis sûr. »

Tu monnayes un retour auprès d'un mage, qui vous fait atterrir à une quinzaine de marche de la taverne. Le silence s'installe entre vous et tu te prends à le détester. Tu jettes un coup d'œil à ta nièce et son visage s'est rembruni ; ton cœur se serre. Tu cherches tes mots mais constates que c'est difficile de les trouver quand, dès demain, tu l'auras laissée derrière toi. Alors tu te places devant elle et t'accroupis. Tu ramènes tes bras vers l'arrière et lui fais signe de la tête. « Grimpe sur mon dos, Epo. » Tu la laisses faire et ajoutes : « Changement de programme : on continue notre balade, puis on ira trouver une taverne pour le repas, rien que tous les deux. » Tu n'as pas une fortune en poche, mais les repas sont largement moins chers que les fournitures scolaires. Peut-être même qu'elle pourra commander un dessert, selon les prix et le lieu. Puis, le soleil n'en est qu'à son zénith, vous avez encore du temps devant vous.

Décidément, elle te manquera beaucoup trop, ton petit kangourou.

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