Intrigue 2.6 • La Chasse Sauvage ▬ L'Aile Ouest

« Je voudrais bien de cette escorte, dans la mesure où mon humble obligé soit en position de me protéger… » Je l’aime bien, cette petite. Le Chevaucheur esquisse un sourire amusé, puis hoche la tête. Vaincu par cette si légère insistance, qui suffit bien à surpasser cette mince résistance mise en place par ses propres soins. C’est donc de bonne grâce et sans plus de mots qu’il laisse un guérisseur s’occuper de lui. Torse lacéré par les griffes et les crocs, sous ses vêtements en lambeaux, blessures diverses qui sont suffisamment soignées pour lui permettre de retourner chez lui. Les bleus et les égratignures l’importent bien peu. Il profite du calme pour dire à Gaëtane - retrouvée, régalienne au milieu des blessés et des morts - qu’il ira reconduire sa soeur à sa tour, si elle veut bien l’excuser de s’esquiver ainsi. Il espère que la duchesse ne lui en voudra pas… quoiqu’elle risque surtout de considérer ceci comme un rapprochement plus que positif dans l’affaire des fiançailles.
Il ne sait plus, en vérité, ce qu’il doit penser de quoi que ce soit. De sa belle-soeur, qu’il a l’impression de ne jamais suffisamment connaître. De ces simples personnages maniant des armes légendaires, dont il a lui-même rêvé pendant ses toutes jeunes années. Des chiens et des cavaliers, et du monde entier.

On les escorte sur une partie du chemin qui les conduit hors de l’Académie, puis ils sont seuls. D’autres couples les dépassent parfois, quelques attelages, des chevaux montés de soldats, auxquels il ne porte que peu d’attention. Concentré sur Gabrielle et sa main à son bras. Le silence entre eux ne se fait point oppressant, jusqu’aux tours de la Ville Haute. Il se fait plutôt reposant. Un charme, à ses oreilles malmenées par les cris, des humains comme des banshees. La pensée des créatures fait courir un frisson désagréable sur ses bras et tord ses entrailles, et l’idée de rentrer seul à sa tour se fait encore moins attirante. Il le faut bien, pourtant. La chaleur d’un feu suffira à le rassurer.

Les tours de Cibella, les plus hautes et les plus délicates, se dessinent bien rapidement. Même trop. Il se prend à chercher à ralentir le pas, mais même ainsi, l’arrivée devant la tour du Ru-d”Argent n’est qu’à peine retardée. « Restez. » Demande, ordre et supplication tout à la fois. Tout hurle, dans le regard de Gabrielle, dans son visage, la nécessité ce qu’elle vient de lui demander. Restez. À croire qu’elle a lu dans ses pensées. Ou, tout simplement, qu’elle sait. Qu’elle partage le même sentiment, le même besoin de ne pas être seule ce soir, d’avoir une présence rassurante à ses côtés. Restez. La Ville Haute est éveillée, en alerte, mais sur eux, aucun regard. Il prend sa main libre dans la sienne. Fraîche. La serre doucement. La tour est visible, ils sont bientôt arrivés. Ils peuvent encore se séparer, sans que rien ne soit noté, sans que personne ne remarque quoi que ce soit. Lionel n’en a absolument pas envie. Un murmure, un signe de tête : « Je suis à vous. »

Spoiler:

Mes discours ont porté ses fruits à ce que je vois… De quoi parles-tu Eole ? Ce n'est pas le moment ! Tu t'es montrée gentille aujourd'hui.

Gaëtane ne répondit pas. Elle les avait vu Gaëtane ses cavaliers vêtus de noir quitter l’enceinte de l’Académie. Chevaux flottant au-dessus du sol dans une brume macabre.

G E N T I L L E. Pas du tout ! Cesse Eole. Le conteur, tu l'as aidée. De ton plein grès. Je l'ai fait uniquement pour Gabrielle. Si ça ne tenait qu’à moi, je l’aurai abandonné. Me trouves-tu toujours aussi GENTILLE ? Ya peut être un coeur qui bat la dessous.

Regard foudroyant de Gaëtane envers son familier.

Tu les as vu ? De ? Les cavaliers ! Eole, enfin, tu n’es d’aucune aide !

Figure décomposée de Gaëtane qui n’insista pas sur le sujet. Allons viens. Quittons l'Académie. d’un ton plus doux.

Gaëtane rejoignit Lionel et Gabrielle. Elle jeta un coup d'oeil de dégoût envers Sylvain qu'elle jugeait complètement inutile… il n'avait servi à rien. C'était affligeant. Gaëtane gentille et puis quoi encore…. La Gaëtane égoïste était de retour, pour son plus grand plaisir. Cela ne lui avait pas apporté grand chose de faire preuve de bonté. Elle ne voyait vraiment pas ce qu’elle avait à gagner à être généreuse et offrir son aide à autrui. D'un certain côté, Eole était presque rassuré de retrouver une Gaëtane “normale”. C'était inquiétant de la voir aider son prochain.

Les deux étaient entre les mains des soigneurs, Gaëtane patienta non sans cacher son agacement. Elle en profita pour regarder de loin Liry Mac Lir dont elle ne connaissait pas l’identité. Dans d’autres circonstances, Gaëtane n’aurait même pas posé les yeux sur cette sauvageonne, mais elle s’était quand même montrée fort courageuse et habile au combat. Elle était une femme, certes pas noble, probablement pirate vu son langage que la Duchesse peinait à comprendre. Elle a été brave. Je trouve aussi. Il nous faut des femmes comme ça en Cibella avec, toutefois un peu plus de raffinement. Elle pensait déjà à “après”, elle avait du territoire à récupérer et une vengeance envers Ibélène à assouvir.

Gabrielle était au bout de sa vie. « Vous avez besoin de repos ma chère. ». Elle avait conscience des paroles de ses proches qui la tannaient depuis des années pour améliorer les rapports entre elle et sa fratrie. C'était ce qu'elle s'efforçait de faire...ainsi, elle pourrait reprocher aux autres leur manque d'effort à son égard ! Jamais de sa faute la Gaëtane. Jamais.

Gaëtane acquiesça le fait que Lionel reconduise Gabrielle dans sa tour, la Duchesse rentrera par ses propres moyens. Enfin, un peu de mouvement de ce côté-là !

Spoiler:

Tout en soignant l’Îlienne, Marianne se présente et explique vaguement ses liens avec les pirates et les Aubenacre. Autant pour oublier le combat qui s’achève autour d’elles que pour maintenir Liry éveillée, si épuisée par ses blessures qu’elle en fait une fixette sur son trophée-souvenir. La fracture du moral n’est pas très loin, et effectivement Marianne rend sa patiente en pleurs à son cousin une fois l’hémorragie arrêtée.
Autour d’elle les cris se sont arrêtés, les seuls chiens encore présents sont immobiles au sol. C’est terminé. Elle voit Lionel s’éloigner en soutenant un blessé. Vivant. Bien, bien.

La médecin a suivi le mouvement vers l’entrée de l’Académie où Voltigeurs et Chevaucheurs prennent en charge les rescapés. Dire que ces deux corps d'armes seraient en train de se déchirer dans le ciel s’ils n’étaient pas à Lorgol… enfin en sécurité, l’adrénaline de l’affrontement retombe et Marianne saisit de manière plus douloureuse l’ampleur des pertes de la nuit. L’Académie n’est plus son refuge inviolable d’autrefois. La Rose Écarlatea disparu. La Chasse est libre. Elle a perdu Cyselle. Et il s’en est fallu de peu pour qu’elle perde aussi sa nouvelle famille, Éponine, Quitterie, Mayeul…Mais elle ne peut pas s’apitoyer et se laisser à la peine, pas encore. Elle essaye de repousser ce chagrin qui l'engourdit pour soigner et sauver les rescapés, ceux qui peuvent encore l’être. Sur le front ou à la caserne, s’occuper des autres avait toujours réussi à détourner son attention, à la consoler un peu de la bêtise et de la folie de la guerre.
Mais pas ici.
Sur le champ de bataille la terre se nourrit du sang des combattants vaincus. Ici, à travers les couloirs et les étages, celui des victimes se transforme en mares écœurantes sur la pierre, trop importantes pour sécher, avec cette odeur douceâtre de vie fauchée. Les rires des élèves et l’ambiance magique ont été remplacés par les gémissements et les pleurs, des vitres brisées et des corps mutilés.
Tant de morts autour d’elle. Des professeurs, des élèves, des enfants. L’Académie, la Samhain, la guerre. Quitterie. Cyselle.
Tant de morts. Trop de morts.

Finalement, Marianne ne tient plus et passe le relais aux secours. Elle en a assez fait cette nuit et ce matin. Elle sort dans les jardins pour rejoindre son frère de plumes avec une idée en tête.
Elle le trouve dans un verger épargné par la Chasse, si ce n’est le cadavre fumant d’un molosse sous un rosier – vision à peine réconfortante. Devant elle Iode console la jeune Albâtre, lui lissant les plumes avec une rare douceur. Le bec rosé de la petite harfang est plongé dans le torse de plumes dorées, ses ailes blanches secouées d’un chagrin silencieux. Il la considère comme une petit sœur, cette douce fille du ciel, il a aimé lui apprendre ses tours et la prendre sous son aile. Mais le griffon doré ne la retient pas quand elle s’écarte avec un pépiement triste. Albâtre offre à l'ancien écrin quelques images de ciel rose et orange teintées de réconfort, flou et diffus sans le lien, avant de s'envoler haut dans le ciel sur un dernier trille d'adieu.
Iode s’approche de sa cavalière sans un bruit. Il a vu la succession d’images sanglantes et d'idées noires, la fiole d’anesthésiant dans la main couverte de sang séché.
Marianne plonge son regard dans le sien, sans un mot.
Lassitude. Protection, nid douillet.
Oui. Ramène-moi à la maison.
Approbation.
La Voltigeuse boit une gorgée sans hésiter et s’envole sur le dos de son ami. Elle ne se souviendra pas de la fin du voyage, la tête cotonneuse avec la sensation de s'endormir sur un lit de plumes. C'est peut-être bien ce qu'elle a fait, une fois arrivés à la plateforme d'envol de la Taverne de la Rose.

Spoiler: