Solal, prénom merveilleux pour un garçon merveilleux. Sa mère le couva un instant de ses yeux avant de reporter son attention sur de sa dernière-née. Etait-il bon pour une femme d’être si heureuse ? Les dieux ne risquaient ils pas de le lui reprocher alors que d’autres ne connaissaient que la souffrance ?
Sa main douce vint caresser la tête du nourrisson alors qu’elle écoutait d’un tendre sourire son fils consoler l’une de ses sœurs qui s’était écorchée le genou. Solal. Le bonheur d’une mère et la fierté d’un père. Il venait d’avoir onze ans et elle se plaisait à le surnommer son petit chef de clan. Entouré de ses sœurs, c’était tout comme. Bénéficiant de l’intention particulière de son tendre Saïd, le jeune erebien appliquait les valeurs de son père et de son clan comme si elles avaient toujours coulées en lui.
Un soupir pourtant s’échappa de ses lèvres rebondies. Son garçon ne pourrait bientôt plus bénéficier de ses petits gestes maternel qu’elle se plaisait à prodiguer à tous ses enfants. Elle le savait, il grandissait. Si vite, trop vite. Sans que son époux n’ait à lui dire, elle était consciente qu’elle devait désormais concentrer son maternage sur les plus jeunes. Solal devait grandir pour devenir fort et indépendant. Un homme sur lequel on pourrait s’appuyer. Qui serait à la hauteur de l’héritage que son père lui transmettrait. Guider son clan dans l’honneur et la droiture.
Shaha ferma les yeux dans la chaleur de cette après-midi si parfaite. Elle devait profiter de l’instant présent, de ce baiser qu’elle déposerait ce soir et plus le lendemain. De ce regard protecteur qu’elle pouvait encore couler sur lui et abandonner dans les jours suivants. De s’entendre lui donner des noms affectueux qu’elle ne chanterait plus d’ici quelques semaines.
Saïd assit sur un coussin ne fit pas mine de relever les yeux sur son fils qui s’était installé à ses côtés. Il aimait éprouver la patience de l’enfant qui lui paraissait infinie pour un garçon de son âge. Avait il eut lui-même cette retenue ? Jeune, il ne pensait qu’à courir les dunes à la recherche de petits fennecs quand son temps libre le lui permettait. Le silence s’installa seulement rompu par son index parcourant le sable.
« Oui Solal ? »
Le jeune garçon releva la tête de l’ouvrage pour poser sur le visage paternel un regard sombre.
« Père qu’écrivez vous ? »Oh ainsi c’était cela qui le préoccupait.
Alors que dehors des sanglots et des cries retentissaient encore par intermittence, son fils se demandait ce qu’il écrivait.
« Tu ne te demandes pas plutôt pourquoi j’ai obligé cette femme et cet homme à rester sur le sable à genou à porter un rocher ? »
Un léger froncement de sourcil lui apprit qu’il réfléchissait à sa question.
« Non, ils ont volé sans permission de la nourriture dans nos réserves, vous les avez punis pour leur crime. »D’un sourire, Saïd reporta son attention sur ses mots à même le sable.
« Mais je leur ai dis que je leur aurais donné ma bénédiction et des provisions si ils en avaient fait la demande. Tu ne trouves pas cette punition trop cruelle ? »
Quelques boucles brunes s’agitèrent doucement alors que les traits juvéniles reprenaient leur placidité.
« Non ils ont manqué d’honneur. Quand on a l’impression de commettre un délit c’est que l’on est un voleur. »Le sourire laissa apercevoir quelques dents blanches du gitan.
« C’est ça mon fils. J’écris sur leur méfait. Quand enfin j’aurais l’impression d’avoir dit à la terre tout ce qu’il y avait à dire sur leur geste alors seulement ils pourront lâcher leur poids. Veux tu m’aider ? »
La proposition était dite en toute subtilité. Il ne lui imposait rien, sachant pertinemment que l’enfant venait d’apprendre à écrire il y moins d’un an. Lui apprendre leurs valeurs morales, à consolider ses muscles, la pitié comme la fermeté, tout cela était plus facile que de tenter de saisir tous les aspects, bons ou mauvais, de leurs actes. C’était une perpétuelle remise en question qui aurait fatigué bien des hommes. Beaucoup préférez vivre dans leur légitimité. Saïd les comprenait.
« D’accord. »Alors l’enfant se pencha sur ce qui avait déjà été écris et lut à voix hautes.
« L’homme est un fardeau sur les marches du temps
Sable brulant des nuits anciennes
Eternel témoin de nos tourments » De son doigt il traça alors quelques lettres tremblantes sous l’œil attentif du père.
Pardon accordé si faute avouée
Devoir envers le clan
Protection pour les autres bouches affamées.
C’était maladroit mais le sentiment y était. Saïd hocha la tête, encourageant et repris à son tour, attentif à ce moment de partage pendant que la peau des malheureux brulait sans pitié contre les grains chargés de soleil.
Erebor, fille de l’étreinte de la chaleur et de la glace. Les journées dans le désert étaient aussi brûlantes que le froid des nuits lorsque le soleil tombait.
Mais un feu hurlait vers le ciel, accompagné des cris des hommes du clan. Plus loin les femmes s’échangeaient des sourires en préparant les festivités. C’était un grand jour, le petit Solal, unique fils de son père célébrait son quinzième anniversaire, l’entrée dans l’âge adulte.
Si Saïd était rayonnait d’une fierté tranquille, il n’en demeurait pas moins inquiet. Solal était un jeune homme intelligent aux vives qualités de meneur. Mais il y avait quelque chose, un aspect de lui qui l’empêchait d’être parfaitement satisfait. Son gout de la solitude, toutes les heures passées a s’entrainer seul, à étudier seul, à veiller. Son instinct lui disait que le garçon était trop jeune pour développer ce gout naturel pour l’individualité. En vieillissant, c’était normal, les hommes aspiraient un jour ou un autre a se détacher un peu du groupe. Mais Solal venait à peine d’avoir 15 ans. Si il ne sentait pas pour autant que son fils se désintéressait de l’esprit commun, il estimait toutefois qu’il aurait dû se mêler plus facilement aux gitans qui constituaient leur clan. Les jeunes de cet âge ne cherchaient ils pas le contact ? A se lier autant positivement que négativement. Solal dégageait déjà une aura de respect qui tenait à l’écart les autres jeunes de son âge. Saïd craignait que le temps n’arrange pas cette tendance. Mais il était si important d’être proche des autres pour guider au mieux.
« Ton front se plisse amour. »
D’un sursaut ce père inquiet chercha le regard chaleureux de son épouse qui venait s’asseoir derrière lui. D’une main burinée, il attrapa la sienne et la caressa longuement alors qu’un silence s’installait entre eux deux.
Shaha avait eu douze enfants. Et si aujourd’hui elle n’était plus la jeune fille, cette danseuse envoûtante d’hier, elle gardait dans ses courbes et dans son visage tout ce qu’un homme pouvait désirer. Et des yeux qui faisaient frémir son âme.
« Solal je m’inquiète de ne pas le voir d’avantage s’impliquer dans la vie des autres. »
Le regard de la femme chercha son fils du regard. Il était là près du feu, discutant tranquillement avec l’un doyens du clan alors que les chants et la musique battait son plein.
« Il a toujours été différent, mais est-ce une bonne chose d’attendre de lui qu’il soit exactement comme tous ceux qui l’ont précédé ? Peut-être que son caractère nous apportera autre chose et que ceux qui auront le bonheur de l’entourer pallieront à sa faiblesse. »
Saïd eut un frémissement de sourire. Shaha voyait toujours ce que son esprit ne faisait qu’effleurer.
Son épouse reprit alors que ses doigts froids se réchauffaient dans la paume de son mari.
« Il est Solal Aluddin, « Celui qui guide ». »
Oui. C’était vrai. De part son prénom et les dieux qui suivaient son destin, il accomplirait son devoir avec excellence.
S’il n’était pas devenu le plus bel homme du clan, il avait hérité du regard brûlant de sa mère. Un regard rare chez lui mais qui en faisait frémir plus d’un quand l’instinct de Solal se réveillait.
L'erebien était aujourd'hui un homme accompli. Bon combattant, leader affirmé, il menait aujourd'hui au nom de son père les délégations armées du camp. Malgré tous, les inquiétudes de Saïd s'étaient confirmées. La solitude et le cynisme avaient poussés dans son cœur telle les grandes racines des plantes du désert. Si son caractère s'était affirmé, les seuls élans de tendresses que l'on voyait chez l'erebien étaient pour sa famille, tout particulièrement ses sœurs, et les enfants du clan.
La main sur la garde de son épée, le gitan guettait. Au loin un nuage de sable s'élevait. Loin des prémisses d'une tempête de sable qu'il avait attendu, il était désormais capable de voir deux cavaliers venant droit sur eux là ou deux des guerriers qui attendaient a ses cotés ne voyaient que deux points noirs.
« Des bandits ? »
Les yeux de Solal quitta un instant leur cible pour regarder celui qui venait d'ouvrir la bouche.
« Non, des messagers. »Laconique, droit sur sa monture, le jeune homme préféra se reconcentrer sur ses priorités. Des bandits ne seraient pas venus de façon aussi visible seulement à deux. Laissant l'autre croire qu'il était capable de distinguer la couleur de leur vêtements, le fils du désert reprit sa scrutation. Il attendait ce moment depuis qu'ils avaient perdu un enfant. Un jeune garçon d’à peine cinq ans. Depuis que leur route avait croisé celle d'une caravane de marchands qui avaient échangés avec eux les nouvelles préoccupantes de voleurs d'enfants.
S'il n'était pas l'oreille attentive qui aurait comblé leur chef de clan, il était unanime qu'il était un protecteur intransigeant.
La perte du bambin était déjà un échec épouvantable qui l'avait affecté. Cela ne se reproduirait plus. Son cœur brûlait d'une flamme ardente. Son esprit ne connaissait plus le repos, tourné inlassablement vers le souvenir des traces de sabots qui s'étaient effacées presque immédiatement après leur découverte.
Enfin les cavaliers étaient là. Comme espéré, représentant les couleurs du duc, leur prince, porteur d'un message si attendu que Solal aurait pu l'écrire lui même.
Sans un mot, conscient de ce qu'ils allaient demander, il tira sur les rênes de sa monture pour la faire pivoter.
« Je vous emmène au près de notre chef. Veuillez me suivre. »
Les deux hommes hochèrent la tête, suivant cette petite délégation venue à leur rencontre sans prendre ombrage de la directive. Ils étaient des hommes de guerre porteur d'un message, les simagrées et les politesses pouvaient attendre. Leur mission leur demandait du temps, d'autres chefs à voir, d'autres à convaincre. Ce jeune erebien parlait un langage qu'il connaissait, celui des hommes pressés.
C’était l’appel du sang. Le sang des ennemis du sable et du roc. Le sang du peuple gitan. Pas un seul accord ne passa du chef de clan aux messagers ducaux. Une simple énonciation des faits. Le fils embrassa son père sur le front, sa mère sur la joue et adressa un regard protecteur et farouche à ses sœurs. Puis s’en alla. Avec d’autres, répondre aux vœux, aux ordres, à l’appel de leur sultan. Au prince des gitans.
Quelques mois passèrent, à chercher, à recueillir les indices et les pistes. Jusqu’au jour où la troupe fut rassemblée. Jusqu’au jour où la chasse fut lancée. Les renégats, les impies, il était temps d’éradiquer la souillure d’Erebor, d’apaiser les fils et les filles rassemblés dans cette seule optique, alléger les cœurs et les âmes meurtris d’un peuple dont les plus grands joyaux étaient leurs enfants.
L’attaque se passa dans l’aube naissante. Cet instant fragile ou l’obscurité laisse place à quelques rayons fragiles.
Solal en tête, épée à la main, le sang coula ce matin-là. Par gros bouillons, poisseux, tachant les parois des cavernes où se livraient ces rebuts de la nature. Certain tentant encore de se cacher derrière de jeunes âmes pour gagner quelques secondes de vie.
Beaucoup moururent mais quelque chose d’autre naquit chez l’erebien. Quelque chose de sombre qui ne demandait qu’a grandir. La vengeance avait un gout tendre sur sa langue. Eprit d’une justice sanglante, la satisfaction brulait dans son regard alors qu’il éprouvait du dégout à sentir ses doigts maculés par la souillure ennemie.
Mais le châtiment ducal avait été délivré. Pas un enfant n’avait péri dans la vague vengeresse. Et si l’un des hommes, le plus important, le cœur de ce sordide esclavagisme de pierres précieuses, n’avait pas été trouvé sur les lieux, Solal se sentait en partie apaisé.
Suffisamment apaisé pour se donner le droit de laisser un peu de place à la faiblesse de son cœur face à l’une de ces enfants qui le regardait avec cet éclat de confiance absolue. Assez touché pour que l’éclat terrible de la vengeance parfaite soit rejetée de côté. Elle attendrait. Les enfants avaient besoin d’eux et tout particulièrement la fillette qui ne bronchait pas sous son regard perçant. L’erebien se plaça alors au service de la tendre mais farouche enfant. Demandant pardon silencieusement à son prince pour cette décision, considérant que ce dernier pourrait de nouveau posséder toute sa dévotion quand enfin, la fillette des cavernes serait à l’abris de toutes les difficultés de la vie.
L’attrapant dans ses bras, sa petite tête nichée dans son cou, de derniers signes furent échangés entre ses compagnons éphémères, puis Solal s’en alla. Avec le butin le plus précieux des esclavagistes décimés, tout contre lui.
Sa voix était un filet, tel le vent chuintant sur un rocher. Mais l’erebien écoutait sans jamais lui demander de répéter. Il l’écoutait et entendait ses vœux toujours modestes. Ses interrogations inquiètes. Son bras barrait son ventre alors qu’il chevauchait droit vers l’Oasis du Crépuscule, cet endroit qui lui semblait tout indiqué pour élever avec douceur cette petite flamme ténue déjà abimée par la vie.
« Des sables »Ce fut le nom qu’il lui donna dans le silence d’une nuit de marche aux coté du cheval. Yeux dans les yeux, elle ne dormait pas. Il n’eut pas besoin d’en dire plus, l’apaisement de son regard lui donnait toutes les informations nécessaires. Il ne lui expliqua pas non plus son choix. Des sables car elle était cette gamine faites de roc. Des sables car sa peau et ses yeux avaient la chaleur du désert. Des sables car elle avait en elle des trésors qu’il soupçonnait mais qu’elle était trop jeune pour percevoir. Des sables car plus jamais elle ne serait arrachée à son foyer tant qu’elle se trouverait en Erebor.
Astarté des Sables, Solal caressa cette idée pendant que ses doigts faisaient de même avec la joue de la fille qui s’endormait enfin d’un sommeil tranquille.
Quand le jour vint de s’en aller, l’homme était absolument certain qu’il avait bien fais. Il laissait Astarté aux mains d’une famille qui éveillait en lui le souvenir de la sienne. Mais il ne s’en alla pas avant que le plus important fut fait. Une promesse.
« Fais appelle à moi, dès que tu ressens le besoin. Alors je reviendrais. »L’homme était peu bavard mais la fille encore moins. Cette fois, pour de bon, il pouvait tourner ses pas vers le travail qui l’attendait. Il était temps de clôturer l’histoire.
Une année passa. Une année d’efforts, passant de clans en clans, de citadins à marchands, à retracer avec une minutie mortelle le chemin de celui qui avait échappé au courroux princier à la tête de ceux et de celles qui l’avaient accompagnés lors de l’attaque des cavernes. Mais enfin leurs efforts furent récompensés. Ils savaient.
Il attendit la nuit pour s’infiltrer dans cette maison où le confort transparaissait. L’écœurement aurait pu l’étouffer si le besoin d’en finir cette nuit n’avait pas été une bouffée salvatrice.
La porte était d’un magnifique bois vernis, l’erebien resta devant un long moment. N’envisageant pas un seul instant de passer par une fenêtre laissée sans surveillance. Il n’attendait pas, il écrivait.
Ici, Ignominie lancinante
D’un être se croyant homme
Devenu ombre navrante.
De la pointe d’un poignard, jusqu’à ce que l’inscription soit lisible de tous. Les autres, derrière lui, attendant que son œuvre soit achevée. Quand enfin ce fut fait, l’un des siens s’avança et fit jouer la serrure aussi facilement que s’il avait tenu la clé. Les citadins étaient navrants de naïveté. Il sentait qu’il était de son devoir de leur montrer toute l’étendue de l’imagination d’un fils du désert en colère.
Une heure passa. Solal assit dans le salon avait abandonné son épée. Il ne s’en servirait plus. Il détestait le sang, poisseux, salissant, indigne de le toucher, lui, qui allait abattre la justice. Un sang corrompu qui avait une odeur lourde et écœurante. Non, l’épée était un outil de dernier recours. Le crépuscule était encore jeune, il avait tout son temps. Autour de lui, les autres se déployaient, égorgeant en silence les quelques gardes présents.
Une heure passa. Il avait trouvé ce qu’il cherchait. La chambre des enfants et celle des parents. Dans la dernière alors que le sommeil paisible tirait quelques soupirs aux deux dormeurs, Solal prit le temps de choisir avec soin les plus beaux foulards de soie de l’épouse. Des pièces magnifiques. Dans d’autres pièces, oncles et tantes passaient de vie à trépas.
Une heure passa. Tout était prêt. Il avait commencé par réveiller avec douceur les plus jeunes fils à peine plus âgés que la jeune Astartée. Il avait pris le temps de jouer un peu avec eux avant de les emmener au salon alors que l’une de ses compagnes portait dans ses bras l’une des filles pendant que l’autre la suivait en s’accrochant fermement à sa tunique. Puis il les avait attachés avec quelques voiles trouvés dans leur chambre. Solidement mais pas assez pour leur faire mal. La joie avait fait place à la surprise puis à l’inquiétude pour les plus vieux. Enfin à la terreur quand le garçon à peine plus âgé de 9 an avait vu le corps des gardes étalés sur le sol.
D’un doigt sur les lèvres, l’erebien leur avait fait promettre le silence sous la menace tranquille de ses compagnons. Ses pas légers l’avaient mené à la suite nuptiale. Ils n’eurent pas à attendre longtemps avant qu’il ne revienne trainant celui qui était coupable de tous les maux de familles et enfants traumatisés et parfois endeuillés.
« Ne crie pas, je me suis donné beaucoup de mal pour que tu puisses bénéficier le dernier de quelques minutes de sommeil supplémentaire »Mais il criait. Alertant l’épouse qui affolée se jeta tout droit dans les bras d’un erebien qui n’eut aucun mal à la retenir.
Serrant les dents de mécontentement, Solal le projeta en avant, droit vers ses enfants attachés. La puissance du geste l’étala de tout son long sur le sol carrelé, coupant net ses protestations hystériques. Le gitan n’était toutefois pas sans cœur, il l’aida à se relever en l'empoignant par ses cheveux.
« Admire » Du menton il lui indiqua une tresse de soie qui pendait du plafond. Les tentures qui étaient si esthétiques avaient accroché son œil quand il était entré. Partant du plafond, attachées à un solide anneau au centre de la pièce à vivre, elles partaient chacune avec légèreté droit vers de grandes ouvertures circulaires dans les murs. C’était ravissant de raffinement, Solal avait été très réceptifs à la décoration.
Sa main s’envola vers le cou de l’homme, alors que son regard s’embrasait d’une colère féroce et cruelle contenue jusque-là.
« Ne perds pas ton souffle inutilement. Ton cœur est froid. Le mien l’est encore plus. »
Son autre main attrapa la boucle qui pendait à l’extrémité. Et il tira pour y faire passer son crâne, puis sur la corde improvisée elle-même. Aidé par d’autres, jusqu’à ce que seul les orteils de ce père de famille et esclavagiste de profession touchent terre.
Ils le laissèrent ainsi le temps de poser les voiles éblouissants des épouses de la maison, gorgés d’eau sur le visage des enfants.
La mère hurla mais pas assez longtemps pour s’en déchirer les cordes vocales. Son cou fut tranché alors que les enfants paniqués s’étouffaient et suffoquaient sous les ordres de Solal.
Mais son regard à lui ne quittait pas le presque pendu aux mains attachées dans le dos. Il pleurait et tentait d’hurler au risque de s’étrangler à son tour. S’asseyant dans un soupir, le gitan attendit d’être pleinement satisfait de l’ambiance chargée de terreur avant de faire un simple signe du menton. Les regards, braqués sur lui, abattirent dans un même mouvement leurs poignards.
La petite armée s’en alla. Laissant quatre enfants égorgés et leur père éventré, entourés du reste de la famille baignant dans leur sang. Laissant un seul survivant, bien involontaire, derrière eux.
Avec le temps, le fils du désert avait pris la tête de ses semblables et c'est pourquoi cette nuit s'était déroulée selon ses gouts et ses attentes. Solal était celui qui guide. Mais un guide bien différent que celui que l’on avait tant espéré de lui.
Fermant la porte derrière lui, son regard se porta droit vers le parchemin déposé sur son oreiller. Le devoir l'avait appelé une dernière fois, près de son roi, présenter avec ceux qu’il ne verrait peut être plus jamais , un rapport détaillé de ce qui avait été accompli.
Une main noire accompagnée d'une phrase. « Nous savons ». Stoïque, ne sachant qu’en penser, la nuit passa sans qu’il ne s’en rende compte, trop occupé à regrouper dans sa mémoire tous les éléments qu’il connaissait de la confrérie, évaluant la probabilité que cette lettre soit une vrai. Et la réponse qu’il donnerait.
Le temps passa, l'obscurité laissa place à l’aube qui vient sans que la majorité ne s’en rende compte. Les dormeurs en premier lieu mais aussi ceux trop préoccupés par l’attente d’un assassin.
Et si Solal avait eu l’imagination assez fertile pour envisager plusieurs profils différents du visiteur attendu, il fut tout de même frappé de surprise de se trouver confronter à un Ecoutant. L’Ecoutant de la corde.
Lorsqu’Erebor se réveilla, Solal était déjà parti, pour suivre les traces de la voie des assassins.
« Je ne vais pas te cacher gamin, les apprenties lames sont aussi nombreux qu’les morpions de la sainte Mirta. »
Le ton était rugueux, l’œil vif et malin. Geoffroy Troublereve était un Ecoutant vieillissant mais aux compétences éblouissantes. Solal le respectait et lui vouait une admiration commune de l’élève trouvant son maitre. Malgré son langage grivois et son apparence tordue peut commune, l’homme était une légende. Une légende que beaucoup imaginait inventée quand ils le rencontraient en chair et en os.
« Qu’t’ai continué la corde, c’tait une bonne nouvelle. »
Allumant une pipe aux odeurs nauséabondes, l’erebien se contenta d’un hochement de tête, incertain de ce qu’il devait dire. L’Ecoutant assit à ses coté toussa un moment avant de grommeler.
« L’age. Maintenant des morpions plein de chtards veulent agiter une épée. Qu’ils commencent par la leur merde. »
Tirant sur sa pipe, il la proposa a Solal qui d’un geste de la main déclina poliment.
« Ca fait combien d’temps maintenant ? »
Habitué à son langage décousu, le fils du désert esquissa un fantôme de sourire.
« Trois ans et six mois. »L’autre se mit alors à râler, comme si le gitan était de mauvaise foi, incapable d’accélérer le temps.
« T’me fais chier Solal. J’ai besoin d’un adepte, j’en ai refoulé pour enfin rencontrer un type comme toi. Dépêche toi. Merde ! »
Oh oui. De bons assassins il en avait formé. Mais une perle comme ce foutu erebien, on en trouvait pas par milliers. Le jeune homme avait suivi l’apprentissage comme s’il parcourait une foutue promenade de santé pour vieille Cielsombroise désœuvrée. D’ailleurs pourquoi y avait autant d’erebiens dans son Aspect ? Geoffroy lui n’avait jamais était capable de lâcher ses draps de soie. Quand l’heure fut venue, il s’était simplement contenté de les transformer en arme.
« Encore six mois. »De l’œil, le gitan détailla son maitre. Un homme à qui on aurait donné une cinquantaine d’années alors qu’il en avait dix de moins, cette apparence n’était pas arrangée par la finesse de ses membres et cette façon presque répugnante de se tenir vouté. Mais il l’avait vu à l’œuvre. Tel un oiseau de proie, Au moment venu, le cielsombrois se déployait, usant de trésors d’imagination pour accomplir ses contrats.
« Merde, t’fais chier. »
Les deux hommes en haut d’un toit, les jambes pendouillant dans le vide, échangèrent un sourire avec le ciel. Ils étaient si différents mais étaient curieusement sur la même longueur d’ondes.
En 985, Solal était devenu Adepte. Il apprit beaucoup de ces années de collaboration étroite avec Geoffrey. Si bien que seulement neuf ans plus tard, il acceptait avec un sentiment d’immense fierté d’endosser le rôle de celui qui se disait mériter de se retirer. Il avait alors 35 ans.
An 1000.
Du sang, du sang sur son visage, dans son cou, sur ses vêtements. Sur l’Oracle. Des corps jonchent le sol, des assassins mais aussi des visages inconnus. L’Ecoutant de la corde se laisse tomber alors que le dernier adepte de la lame vivant élimine le dernier de leur assaillant. La couronne de faërie les a frappés, en plein cœur. Les pertes pour la confrérie noire sont terribles mais Solal n’a pas la force de les dénombrer. Il reste là, à genoux aux coté du corps sans vie de l'Oracle et de Lubin son estimé collègue. Une corde enroulée à son poignet droit, une seconde au gauche, l’homme a frappé comme une tempête de sable. Mais ce n’était pas suffisant, pas dans une mêlée. Alors il a attrapé une lance et avec répugnance il a fait a son tour couler le sang. Il ferme les yeux. Son cœur palpite. Il y a un peu moins de 20 ans, il avait connu ce sentiment dévastateur. Celui qui de ses yeux découvrent les petits corps réduits à l’esclavage. La fureur remonte, lui faisant prendre conscience que lui est encore bien en vie. La couronne a fait une terrible erreur en n’employant pas d’avantages de moyens. Son cœur bat. Fort, tel un tambour de guerre. Ses yeux s’embrasent.
Le lien de cuir produit un grincement alors que Solal raffermi sa prise. Sa joue collée à celle de l’enfant royal, il observe l’impératrice qui sombre dans la folie, tenue en respect par Anselme. Il a l’impression de revenir dans le passé. Son cœur ne vacille pas un instant en entendant les sanglots de celui qui reste. Les enfants sont les créatures les plus précieuses qui soient pour les parents. Il n’y a rien de plus efficace que de serrer une trachée si tendre pour faire passer un message a des esprits si obtus. Sa sentence ne connaît pas de pitié. Solal tue les hommes comme les femmes. Les nouveaux nés comme les vieillards. Ses muscles se relâchent alors qu’il prend le temps de retirer son arme incrustée dans la chaire tuméfiée. Il en reste encore un. Parfois il faut aussi savoir prendre son temps dans l’urgence. L’erebien sourit à l’impératrice qui lâche le crie le plus puissant et inhumain entendu dans ce palais. Le lien se loge sur la seconde gorge. Il ferme les yeux pour entendre l’air franchir les lèvres de sa victime. Et la magie opère, son cœur reprend un rythme normal, en paix avec Sithis et Lida. Il a fait sa part du travail. Le reste ne le concerne plus.
Après la mort de l'Oracle, l'attente fut presque douloureuse pour la Confrérie. Tant d'incertitudes pour ceux qui avaient toujours été guidés.
Mais c'est dans la foi que Solal à placé ses doutes et ses angoisses. Il attend et avec raison. Lorsque Lida lui apparut pour la première fois, l'Ecoutant lui adressa l'un de ses plus rares sourires. Un sourire de promesse. Le retard serait rattrapé.