Le ciel gris et neigeux de l’hiver n’est pas pour décourager Louis, alors qu’il erre à l’un des nombreux bazars de la Ville Basse. Pas celui des Miracles, pas même celui proche du port pirate, où la mer perpétuellement déchaînée décourage même les plus vaillants d’aller traîner sur les quais. Un des bazars les moins louches, en vérité, où il sait qu’il pourra trouver un acheteur pour le pendentif qu’il désire revendre à bon prix. Butin de l’année, butin de Vivécume, plus précisément, arrivé entre ses mains suite à la séparation des parts de tout le monde. Enfin, il n’a pas exactement eu le pendentif dans sa part du butin, mais disons que par quelques parties de cartes rondement menées et gagnées, il en est désormais l’heureux propriétaire, et qu’il cherche à s’en débarrasser. Il en connaît bien trop pour savoir que conserver un pendentif aux couleurs de Vivécume est risqué et il préfère avoir des fleurons à dépenser autrement, plutôt qu’une babiole qu’il n’ira jamais mettre au cou de sa compagne, ou de sa fille.
Le pirate en est au troisième marchand, qui inspecte, commente et regarde d’un oeil aussi critique que sceptique le bijou remis entre ses mains. Les autres ont proposé des prix rien de moins qu’insultant, pour l’instant, et il a bon espoir que celui-ci saura reconnaître la valeur de l’objet. Ce n’est pas le bijou le plus raffiné, mais sa préciosité est tout de même bien réelle. Les mains enfouies dans les poches de son manteau, un bonnet enfoncé sur ses boucles blondies par le soleil, il attend le verdict avec une pointe d’anxiété. Et prêt à bondir sur la dague à sa ceinture, si l’autre décide de l’entourlouper.
« Six cent fleurons. » Le Brunante reste d’abord coi de surprise, sous le prix ridicule, avant de sembler tout à coup enfler de colère. Feinte, la colère, autant que l’outrage est réel, parce que c’est ainsi que les négociations se passent, en Ansemer : à grand bruit et à grands cris. « Six cent fleurons ? Je ne pourrais même pas m’acheter la dentelle d’un jupon, avec ça !, s’insurge le pirate. Et simple, le jupon, avec ça, même pas brodé ! Faut penser à pas vendre d’la cam’lote, alors. Camelote ?! c’est pas d’la cam’lote, ça ! Regardez la délicatesse du dessin, le brillant des couleurs - du bleu comme ça, vous n’en trouverez pas partout, la finesse des perles... Ça en vaut au moins le double, de fleurons. Le pirate a repris le pendentif et de ses doigts calleux, souligne les détails qu’il évoque, avec une passion qui semble faire réfléchir le marchand. Trop peu à son goût. Six cent cinquante. C’est de l’arnaque, à ce prix, vous le savez très bien, vous allez le revendre trois, quatre fois le prix, après. Sept cent, dernière offre. Ah oui ? J’vais aller voir m’dame Atalante, alors, si elle n’aurait quelques foutues centaines de fleurons à m’offrir en plus. » La mention de la reine de la contrebande de luxe fait hésiter le marchand, qui sait bien qu’en effet, la belle et féroce Atalante le Lointain saura tout à fait régaler le pirate d’un prix qui lui convient (même si bien en-dessous de la valeur réelle du bijou), pour ensuite en faire ses propres frais. Une hésitation dans laquelle Louis n’hésitera pas à s’engouffrer, si le type lui en laisse l’occasion, ou même l’ombre de l’occasion.