Intrigue 3.5 • La Joueuse de Flûte

Braise n’a aucun mal à les transporter, bien qu’ils soient trois hommes dans la force de l’âge (dont l’un en ce moment réduit au rang de poids mort), et ses ailes rubis resplendissent dans le ciel de Port-Liberté alors qu’il porte les deux ducs et son Chevaucheur jusqu’à la capitale du duché des Océans. Plusieurs dragons inquiets survolent les bâtiments, ceux qui n’ont pas osé traverser l’étendue d’eau jusqu’aux navires, et une grande foule est présente sur les quais. Badauds, marchands, pêcheurs, qui ne comprennent certainement pas tout. Pour ce que les gens présents comprennent, eux ! Parce que même si bien présent, Lionel n’irait pas prétendre tout savoir de ce qu’il s’est passé.

Ils sont accueillis à terre par l’escadron d’Outrevent mandaté de rester en réserve, prêt à venir prêter main forte, ou, comme en  ce moment, à recevoir blessés et invités sur terre. Ses hommes demandent à demi-mots des informations sur ce qu’il y a bien pu se passer sur ce damné navire coulé, mais les versions diffèrent et les esprits s’embrouillent, entre les actes des Accordés et ceux des hommes ensorcelés par la magie.

Chimène est sauve, brave et courageuse dans l’adversité, fière fille de Faêrie. Aymeric est sauf, les larmes chassées par l’euphorie - même si plus tard, des cauchemars de navires engloutis dans la mer réveilleront son oncle au coeur de la nuit. Faustine est sauve, les dieux soient loués. Une fierté féroce prend Lionel, à l’encontre de ses Chevaucheurs qui ont tout fait pour sauver les passagers, qui ont obéi à chacun de ses ordres, qui ont brillé et se sont montrés dignes des voeux qu’ils ont fait en mettant les pieds pour la première fois à la Caserne de Flamme. Dignes de ces serments qu’ils énoncent, au moment d’entrer à son service. Outrevent a montré sa force farouche, indiscutable, autant de par son duc et sa duchesse que par sa force armée et ses citoyens. Arven en aura bien besoin, de la force et de la fierté du duché de l’Honneur, pour les temps qui suivront… car ceux-ci seront aussi troubles que les eaux qui ont englouti Vanessa l’Atone.

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Le bateau sombrait et Denys ne revenait toujours pas. Les bras de Marjolaine se serraient autour du corps encore tout petit de Rose tandis qu'elle tentait par tous les moyens de ne pas laisser transparaître toute son angoisse : si elle semblait douter, peut-être le destin n'interviendrait-il pas en sa faveur. Elle ne pouvait que se blottir contre Gabrielle, elle aussi certainement rongée d'inquiétude pour Antonin qui avait été porté secours aux autres passages du navire qui coulait inexorablement. Elle n'osait piper mot et n'entrouvrit que les lèvres pour accueillir l'Outreventoise qu'elle avait fait quérir et demander à ce qu'on s'assure qu'elle soit elle aussi bien couverte. Elle attendait que son époux ne revienne, qu'il les rejoigne, mais le temps passait et il n'y avait toujours pas de traces de lui, ni du fiancé de son amie. Elle résistait aux hommes qui la pressait de laisser la chaloupe prendre la mer : elle refusait de partir sans qu'ils ne soient tous là sains et saufs. Cependant, elle n'eut d'autres choix que de se résigner. L'eau montait rapidement et dans quelques instants, il serait trop tard. Les cordes furent dénouée, la fragile embarcation frappa les eaux de sa coque de bois. La duchesse sentit son cœur se serrer et n'eut été la présence de Rose et d'étrangers, elle se serait laissée aller à une crise d'angoisse hystérique. Pour sa fille, elle devait se montrer forte et bien que desserrer les lèvres lui coûta une force qu'elle n'avait plus, elle s'entêta à tenter de réconforter les autres avec quelques mots épars. Elle chercha à s'intéresser à Tancélie, lui posa quelques questions, intriguée par cette jeune femme à la chevelure flamboyante, mais aussi reconnaissante de son geste pour tenter de lui venir en secours bien que cela ait au final échoué. Elle n'en oubliait pas la cruelle absence de son aimé, mais cela l'obligeait à repousser ses craintes. Leur barque atteignait déjà un des autres navires de la flotte, elle serait rapidement fixée.

Parmi la foule, fatiguée de toutes les émotions de la journée et frigorifiée, elle n'osa pas se déplacer pour aller en quête de Denys, préférant dépêcher des hommes pour qu'ils le fassent à sa place tandis qu'elle prenait place au centre du navire, incapable de rester près du bastingage, encore terrorisée par son plongeon dans les eaux glacées. Bien malgré elle, elle laissa échapper un soupir de soulagement en voyant Denys apparaître et elle se serait jeter dans ses bras si elle l'avait pu. Lui laissant la charge de porter Rose, elle serra avec force sa main, s'y accrochant pour ne plus la lâcher avant de ne se retrouver de nouveau en sécurité entre les murs du palais ducal de Lagrance.

Spoiler:

Lorsque le fils de Sombreval lui avait tendu Arietty, lui intimant de la protéger, Tancélie l’avait enveloppée contre elle, bien au chaud sous la veste de Teagan. Ce n’est que quelques secondes plus tard qu’elle songea au geste qu’elle venait de faire. Elle la relâcha sur ses genoux, même si le Familier ne semblait pas plus troublée de se trouver dans ses bras, et s’efforça de la rassurer de quelques paroles encourageantes. Bientôt, ils seront sur la terre ferme. Les mots filèrent entre ses lèvres, porteurs de douceur et d’espoir.

Son aîné la serrait, lui baisait le front, lui glissant à l’oreille à la manière d’une prière que tout était bientôt terminé, qu’ils rentreraient à la maison. Plus rien ne serait plus pareil. Tancélie le pressentait. La magie de l’Accord avait été dévoilé sous son pire visage. Leur duc, un homme loyal et droit, s’avérait réticent à la magie du sang - comment l’en blâmer? Elle savait que cette magie nouvelle, qui entraînait avec elle bien plus de danger que l’autre magie scellée, serait une source inépuisable de suspicion. Son rêve, son doux rêve d’intégrer la cour ducal d’Outrevent, lui resterait inaccessible à jamais. Que ferait Teagan, désormais? Qui accepterait d’acheter des instruments, alors que la musique éveillait la méfiance? Même ici, en situation périlleuse, on lui avait confisqué une cornemuse. La cadette esquissa néanmoins un sourire pâle. Ils étaient en vie. C’était le plus important.

C’était le vent d’Outrevent qui soufflait sa poésie brute jusqu’à son coeur, lui inspirant mille mélodies et autant d’accords. Elle avait tant observé les landes balayées par le vent, elle avait tant entendu l’éclat des vagues contre les falaises, elle avait tant parcouru les terres qu’elle savait, Tancélie, que ses souvenirs resteraient avec elle. Même si elle se devait de trouver un protecteur pour Teagan, les enfants et elle bien loin de Souffleciel. Il y avait ce prétendant lagran qui la harcelait depuis toujours. La musicienne se fit violence pour ne plus songer à ce rêve murmuré tant de fois, autant à Aïda qu’aux fées. Ils étaient vivants. Ils étaient vivants, c’était le plus important.

Malgré la toux qui menaçait ses paroles, la rouquine se fit un devoir de répondre à l’intérêt de la duchesse de Lagrance. Parler des événements, parler de la magie inquiétante, parler d’elle, s’il le fallait. Parler de tout, et oublier combien sombre était son avenir, ainsi qu’à Teagan.

- Je vais vous expliquer, Votre Grâce. Je vais tout vous raconter, si vous le désirez.

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Avec inquiétude Agnès regarda le navire sombrer tandis que les barques étaient mises à l’eau et cherchaient secours auprès des autres bâtiments. Elle ne savait si tout le monde était parvenu à quitter le lieu des festivités ou si certains se retrouvaient prisonniers au sein du navire, peut-être encore sous l’influence de l’enchantement de Vanessa, et cela ajoutait à son inquiétude. D’autant qu’elle n’avait pas vu son duc, mais savoir sa duchesse en sécurité ôtait un poids sur son cœur. Lorsqu’elle fut recueillie avec les autres naufragés, la jeune femme se laissa prendre en charge jusqu’au retour à Port-liberté.

Rejoindre la terre ferme la rassura et ce fut avec soulagement qu’elle retrouva les membres de sa famille qui étaient également venus pour le mariage. Rentrer chez elle lui convenait parfaitement suite à cette mésaventure, et ce fut ce qu’elle entreprit après s’être assurée que la famille ducale lagrane était bien saine et sauve. Quoiqu’il en soit, elle n’était pas certaine de vouloir reprendre la mer de sitôt. En tout cas, elle se posait de nombreuses questions sur les Accordés vu ce qu’ils étaient capables de faire, et d’une manière plus large sur les capacités des Arveniens qui étaient et seraient touchés par les magies et savoirs bannis. Mais pour le moment, Agnès souhaitait retrouver Lagrance et ses paysages familiers, elle entreprendrait de trouver des réponses plus tard.

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Ce n’est qu’une fois à terre que l’on te mit au courant des dernières nouveautés de ces épousailles bien vite avortées. On te dit que Vanessa l’Atone est morte, tu entends des commérages ici et là disant que c’est elle la fautive, elle la cause de tout ce chaos. Mais où sont les preuves de tout ceci ? De toutes les noces, tu n’avais pas vu l’ombre d’un instrument de musique à ses doigts, à sa bouche… Tu fis la moue, tu ne t’attendais pas à cela pour le mariage mystérieux de Bartholomé d’Ansemer. Tu indiquas aux chevaucheurs où trouvait la dépouille de Sébastien. Pénélope à tes côtés, ton esprit encore un peu embrumé, tu lui devais beaucoup à Pénélope et tu n’oublierais pas.

On te dirige un peu à l’écart et on change tes vêtements, trempés. Après cela, tu te sens mieux. Tu fais peau neuve, mais tu restes quand même chamboulé par ce qu’il s’est passé sur le navire. Pour certains, c’est anodin, toi tu sais que le problème est plus profond que cela n’y parait. Tu soupçonnes Pénélope de l’avoir compris également. Une fois, présentable tu te diriges vers Anaëlle Faucheblé et Abigaïl l’Embrasé entre autres pour les remercier de leur bravoure, de leur courage et d’avoir tenté de te sauver la vie. Tu as bien conscience de leurs actes et de ce qu’elles ont essayé de faire pour toi et cela ne restera pas sans récompense.

Tu t’assures que les quelques personnes qui comptent un peu pour toi vont bien ; notamment ton frère Gabin, Lionel et Faustine de Rivepierre, mais aussi les différents ducs et duchesses de Faërie, non pas qu’ils comptent et ont une place dans ton cœur, mais tu en aurais voulu à Bartholomé si son mariage avait nuit et affaiblit Faërie. Puis, tu repars, accompagnée de Pénélope que tu ne veux plus lâcher. Trop d’émotions, trop de rebondissements pour aujourd’hui, tu la veux à tes côtés. Tu es fatiguée d’avoir barboté dans les eaux profondes de l’océan, tu as besoin de repos et tu attends de pied ferme des explications de la part de Bartholomé d’Ansemer.

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