Histoire
Chrysolde, Catarine, Cassandre, Chimène.D’aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais vraiment cessé de répéter en boucle ces prénoms dans son esprit. Tout du moins, quand il en avait eu connaissance. Parce que la vie ne lui avait pas permis de les voir grandir, de vivre avec elles. Il n’avait connu que leurs prénoms, durant des années. Jusqu’à ce que certaines d’entre elles ne deviennent que des souvenirs qu’il n’avait même pas eu l’occasion de se forger.
Il n’oublierait jamais quand ceux qu’il avait cru être ses parents lui avaient dévoilé la vérité. Premier né mâle d’une famille qui n’avait que faire de lui. Il avait été écarté, parce qu’il n’était pas celui qu’il fallait. Déclaré mort même, de quoi faire grincer des dents et haïr cette famille qui aurait dû être la sienne. Et pourtant, il n’avait pas pu les détester, même pas quand il avait appris que Chrysolde allait porter cette couronne qui, dans une autre vie, aurait dû lui revenir. Il avait même pleuré ces parents qu’il n’avait jamais connus d’une certaine façon. Ou pleuré une existence qui lui avait été refusée, difficile à dire. Mais il savait que ce n’était pas leur faute à elle, même s’il l’avait jalousée quand il avait appris. Plutôt la faute d’un système qu’il fallait changer, qui ne pouvait rester en l’état.
Chrysolde, Catarine, Cassandre, Chimène.Peut-être qu’en énonçant leur prénom un par un, à haute voix, ce serait plus facile. Les regrets finiraient enfin par le laisser en paix et il pourrait avancer sans sentir ce poids peser sur ces épaules. Mais il savait pertinemment que non, il avait déjà essayé.
Il avait aimé voyagé avant de connaître son épouse. Il avait aimé fouler ces terres sur lesquelles il aurait dû régner.
Et pourtant, il pouvait être fier de son existence. Fier de cette femme qui était la sienne, qu’il avait certes possédée contre son gré mais qui avait appris à l’aimer, qui se tenait à ses côtés depuis vingt ans déjà et qui lui avait apporté deux enfants qu’il chérissait plus que tout. Lauriane. Ce prénom avait toujours le même effet sur lui, même après toutes ces années. Bien plus doux à son oreille que celui de ses sœurs, s’il pouvait vraiment les appeler comme tel. Même si c’était leur prénom à elles qui revenaient dans son esprit lorsqu’il ne trouvait pas le sommeil.
Catarine, Cassandre, Chimène.
Un jour, peut-être aurait-il la chance de les oublier. Certaines personnes, l’âge venant, perdaient la tête. Ils étaient bénis des dieux en vérité. Oublier ce qui pouvait ronger une existence toute entière, ces regrets qui avaient jalonné une route pourtant bien chargée.
Parce que sa vie avait commencé à prendre un tournant inattendu. L’Ordre du Jugement. Libérer les magies et les savoirs perdus, cachés, ce qui effrayait. Donner à chacun la possibilité de suivre la voie qui lui venait naturellement, contre ce que la société et ce que ses lois imposaient. S’il fallait passer par la guerre pour détruire un monde trop étriqué, qui ne pourrait tolérer que sa fille puisse vivre, c’était un prix qu’il était prêt à payer.
Catarine, Cassandre, Chimène.A mesure que les années passaient, Gustave de Rive gagnait en influence. Il apprenait, auprès de l’Ordre du Jugement, appréciant de plus en plus la compagnie de ces mages qu’on disait reniés. Jusqu’à ce que son heure arrive. Tout du moins, c’était ce qu’il avait cru. Poussé par l’Ordre, il était allé réclamer ce qui lui était dû, cette couronne qui aurait dû ceindre sa tête à sa naissance. Ce fut un échec qui ne l’empêcha pas de recommencer, lors du Tournoi des trois Opales. Là encore, les dieux ne semblaient pas en sa faveur et il lui fallut attendre encore quelques mois avant de parvenir enfin à ses fins et par trouver comment atteindre cette jeune sœur qu’il ne connaissait pas vraiment. Chimène abdiqua en novembre de la même année et elle aurait dû mourir, ce qui, à la réflexion, n’aurait été qu’un juste retour des choses s’il songeait à sa propre naissance et au sort qui lui avait été réservé. Et pourtant, il ne souhaitait pas qu’il lui arrive réellement du mal. Il voulait simplement la préserver de cette couronne bien trop lourde pour ses frêles épaules et qui, de toute façon, lui était destinée. Alors, il avait fait ce qu’il fallait pour que l’Ordre pense qu’elle était bien morte, pour la mettre en sécurité, loin de tout cela. Il avait réussi, même si tout ne s’était pas passé comme il avait pensé.
Et voilà qu’il devenait empereur. Avec sa Lauriane à ses côtés, il se sentait capable de tout, même s’il avait conscience de la lourde charge qui l’attendait, que ce soit pour faire triompher les idéaux de l’Ordre ou pour unifier un pays qui ne demandait qu’à se craqueler de part et d’autres. Alors, il avait commencé à oeuvrer. Se faisant des ennemis ça et là, parmi les gens du peuple comme les nobles, un regard toujours posé sur ses ducs, guettant la moindre de leurs réactions alors que certaines hostilités se faisaient plus franches que d’autres.
Cassandre, Chimène.Il ne fallut que peu de temps avant que la guerre ne soit déclarée. A peine quelques semaines, quelques mois après qu’il ait posé la couronne sur sa tête. Des siècles de Trève rompus, pour un meilleur futur, il en était persuadé. C’était le meilleur moyen de bousculer les choses et l’Ordre était là pour bousculer les choses. Peut-être même un peu trop. La magie du Sang semblait comme chercher le meilleur moyen de se montrer au grand jour alors qu’il laissait sa fille se faire courtiser par l’un de ses représentants. Et, lorsque la trame du temps fut bousculée, Gustave commença à se demander si cet Ordre qui l’avait porté n’allait pas trop loin, quand bien même il n’avait aucun souvenir de ce qui lui était arrivé, comme si leur but était de semer le chaos sans qu’il n’en sorte rien de bon.
Et la guerre l’avait porté, pendant plusieurs mois, Faërie passant de victoires en défaites, perdant des territoires qu’elle avait conquis, Gustave n’ayant de cesse de se demander si c’était, au fond, la meilleure façon d’arriver à ses fins. Les évènements s’étaient bousculés, surtout en Ibélène, poussant l’empereur à proposer une trêve bienvenue pour tous ou presque, sachant pertinemment que bien des gens s’interrogeraient sur ses desseins et, surtout sur les raisons qui le poussaient à ne pas reprendre le conflit. Mais il ne pouvait pas rester les bras croisés.
Alors qu’il perdait une sœur. Puis encore une autre. C’était là sa punition alors ? De les voir disparaitre les unes après les autres sans jamais réellement pouvoir les approcher ?
Chimène.Ne restait plus qu’un seul nom. Ne restait plus qu’une chance de pouvoir noyer les regrets pour de bon alors qu’il était en train de lier ses précieux enfants à d’autres, qu’il les regardait s’éloigner inéluctablement, peu convaincu du successeur que pourrait être son fils le moment venu. Et il était plus que temps de savoir en qui il pouvait réellement avoir confiance, de qui il devait se défier. La sécession d’Erebor avait été une leçon capitale à retenir quant à sa façon d’appréhender les choses. Son trône n’était pas assuré, ses ducs pouvaient prendre exemple sur eux. Alors il devait réfléchir avec soin du prochain mouvement, de la prochaine action à mener, sa confiance en l’Ordre commençant doucement mais surement à s’effriter alors qu’il cherchait à comprendre le but de leurs actions. Et pourtant, il continuait de partager leurs idéaux et ne voulait pas s'arrêter sur les actions d'une poignée d'hommes. Peut-être devrait-il trouver d'autres soutiens, d'autres branches au sein de l'Ordre qui ne seraient pas gangrénées et qui pourraient l'aider à poursuivre ce qu'il souhaitait voir arriver. Et cela, sans compter que le trône d’Ibélène était vide désormais. Et qu’il pourrait peut-être se forger des alliances inattendues.
Chimène. Armandine. Antonin. Lauriane.Au final, il ne devait pas oublier sa propre famille. Sa chair, son sang. Ces enfants qu’il avait élevés avec Lauriane. Si le trône d’Ibélène était vide et qu’il devait trouver comment l’exploiter, le fait que cette nièce qu’il ne connaissait guère s’installe dessus risquer de s’avérer délicat. Comment remettre en cause sa légitimité, trouver une faille pour ébranler un empire qui n’avait pas besoin de grand-chose pour le fissurer d’avantage ?
Mais avant, il devait veiller sur sa propre famille. Marier Armandine, dont le regard cerclé de rouge n’avait de cesse de l’inquiéter pour sa propre survie. Faire confiance à Tristan d’Amar et assister aux autres unions. Comme celle de Chimène. Le coeur serré et pourtant heureux d’être là, de pouvoir y assister, un drame avait failli tout gâcher avec l'union de Bartholomé d'Ansemer. Et la magie de l’Accord tous les détruire. Heureusement que certains avaient gardé leur sang-froid, la catastrophe avait été évitée de peu. De trop peu.
Et il y aurait des comptes à rendre. Pour les responsables. Mais pour lui aussi. Pourquoi la guerre ne reprenait pas ? Pourquoi ne pas utiliser leur puissance et frapper fort ? Les réponses étaient dans son esprit, tout comme les doutes qui lui venaient lorsqu’il songeait aux branches plus extrêmes de l’Ordre auxquelles il avait du mal à se raccrocher. Et il savait que certains ducs viendraient le mettre au pied du mur. A lui de prouver qu’il méritait d’être sur le trône et qu’il comptait bien faire de Faërie un empire fort, à sa mesure. En attendant, il avait un fils à marier. Un futur empereur, s’il savait se montrer à la hauteur. Sinon, le destin en déciderait autrement. Mais là encore, c’était sans compter sur les dieux, décidés à ne plus s’occuper des hommes. Difficile de savoir les conséquences de ce qui allait se passer en Arven mais Gustave était inquiet. Vraiment.
▬
TRAME ALTERNÉE (Intrigue 2.3 La Roue Brisée)
→ Dans cette autre vie, Gustave était né empereur. Sans avoir été écarté du trône, sans avoir à lutter pour ce qui, sommes toutes, était légitime. Et pourtant, dire qu’il avait toujours détesté ça était un euphémisme. Il aurait préféré naitre ailleurs, dans une autre famille. Loin de ces responsabilités, loin des tumultes d’une Cour où il ne se sentait pas à sa place. Il se rêvait même pêcheur, à l’autre bout du pays, du monde même.
C’est pourquoi il n’a pas hésité à abdiquer en faveur d’un fils bien trop jeune et pas assez formé à la tâche qui était la sienne. Pour quitter tout cela, avec sa femme. Pour échapper à cette guerre qu’il avait déclarée bien malgré lui. Et pour éviter de voir tout s’effondrer parce qu’il n’aurait pas été à la hauteur.
→ Gustave ne se souvient pas. C’est bien dommage d’ailleurs.
Chronologie
14 avril 950
Naissance de Gustave, déclaré mort-né et recueilli par la famille du Ponant.
975
Gustave fait connaissance de l’Ordre du Jugement, adhérant à leurs idéaux et à leur volonté de libérer les magies et savoirs perdus par tous les moyens possibles.
23 septembre 980
Mariage de Gustave avec Lauriane de la Rive.
4 février 981
Naissance d’Antonin de la Rive.
10 août 984
Naissance d’Armandine de la Rive.
Livre I- Juin 1001
Poussé par l’Ordre du Jugement, Gustave réclame une première fois ses droits lors du couronnement de Chimène et fait appel, sans succès à l’Ordalie de Diamant. Il doit prendre la fuite avec sa famille.
- Septembre 1001
Lors du tournoi des trois opales, Gustave essaie, sans succès d’enlever Chimène et de l’arracher au trône.
- Novembre 1001
Gustave réussit enfin à s’emparer du trône et oblige les nobles faës à lui prêter allégeance, tout en s’arrangeant pour que Chimène passe pour morte auprès de l’Ordre du Jugement.
Livre II- 26 janvier 1002
La guerre est officiellement déclarée avec Ibélène
- Mai 1002
La roue du temps est brisée. Gustave se rêve empereur depuis toujours mais, au vu de ce qu’il entend dire par la suite sur l’Ordre, se demande s’ils ne sont pas en train d’aller trop loin.
- 15 octobre 1002
Chimène « revient à la vie » et abdique en faveur de Gustave qui lui rend son titre de princesse impériale.
- 6 décembre 1002
Suite à la mort d’Augustus d’Ibélène, Gustave propose une trêve hivernale qu’il n’a toujours pas rompue.
Livre III- 10 janvier 1003
Annonce des fiançailles d’Antonin avec Gabrielle de la Volte.
- 23 septembre 1003
Mariage d’Armandine avec Tristan d’Amar.