« Les contes ne révèlent pas aux enfants que les dragons existent, ils le savent déjà. Les contes révèlent que l'on peut tuer ces dragons et comment le faire. »
Dans la vie, je suis...
Et voilà comment j'en suis arrivé là.
« De toute façon, tu ne peux pas faire mieux que Chrysolde, Caterine ou Cassandre. »
L'histoire de Chimène n'aurait sans doute pas grand-chose d'intéressant si elle était née dans une autre famille que la sienne. Dernière-née connue d'une famille constituée avec elle de quatre filles – et potentiellement un garçon, le doute reste de son point de vue. -, la petite rousse n'était plus attendue. Après tout ses aînées étaient déjà fort âgées : onze ans de différence avec la plus jeune, c'est énorme. Dans un environnement normal, peut-être aurait-elle alors été pouponnée par tous, elle, la puînée et aurait-elle grandi simplement, avec une grande liberté.
Mais voilà : Maari voulut qu'elle naisse dans une famille noble de Faërie en temps que fille de l'impératrice, aussi très vite reçut-elle une éducation assez stricte, moins cependant que celle de certaines de ses sœurs. La première avait été élevée pour prendre la place des parents lorsqu'ils moururent, la seconde pour régner sur l'autre empire. Il n'y avait donc plus que des trônes de duchesses à offrir aux deux dernières et certaines données leur étaient moins nécessaires. Cependant, afin qu'elles fassent honneur à leur rang d'origine, l'on veilla à ce qu'elles sachent gérer un château, connaître les bonnes manières, la littérature, la géographie, l'Histoire, la rhétorique, le chant et la danse et tout ce qui allait avec.
Chrysolde était bien trop occupée déjà tandis que Chimène grandissait un peu, Catarine était partie trop loin trop vite à Ibélène tout comme Cassandre à l’Académie et leurs parents avaient disparu de son histoire trop rapidement pour qu'elle s'y accroche réellement. La petite dernière se retrouva donc rapidement seule à suivre des cours pour lesquels elle n'avait que peu de goût et pas grand monde de proche à qui demander des conseils. Aucun autre dans le coin n'avait eu à subir les mêmes apprentissages…
Enfin peut-être les nobles, si, en partie, ceux-là qui déambulaient dans le palais, terriblement trop impressionnants pour qu'elle les embête ou reste longuement dans leurs pattes. Ou encore les deux enfants de Chrysolde trop disparates en âge encore à son goût, trop occupés et au destin trop différent. On est ingrat et difficile quand on est enfant.
Les visages qu'elle perçut le plus durant son jeune et moins jeune âge furent donc ceux d'une batterie de servants, de professeurs, de conseillers très mineurs et de nourrices tous plus attentionnés les uns que les autres.Trop là encore, sans doute, puisque chaque bêtise et chaque manquement furent suivis de sermons doux, sans jamais de violence, mais toujours avec des comparaisons avec ses aînées, ces modèles qu'ils avaient vu grandir avant elle.
Il ne fallut pas beaucoup de ces gronderies pour que la damoiselle se fasse de plus en plus effacée parce qu'elle ne parvenait jamais assez à imiter ses sœurs même dans leurs colères et de plus en plus curieuse vis-à-vis de sa famille qu'elle ne voyait que peu par manque de temps de tout côté.
Et bientôt, timidement, la dernière-née incita ses relations à causer davantage de ses aînées aux caractères de feu, vivant par procuration une enfance entourée de compagnes de jeu de son sang. Au fur et à mesure du temps, elle éprouva aussi pour chacune un respect grandissant basé souvent sur de plus ou moins véridiques ou chimériques affirmations. Leurs rencontres trop rares ne lui permirent pas de corriger toutes ses hypothèses, même si certaines rumeurs se chargèrent de détromper une partie de celles-ci. Cependant toujours resta l'impression que ses sœurs étaient toujours meilleures qu'elle en tout…
Vint aussi un jour où son imagination ne lui suffit plus pour s'amuser assez et la cadette vit son amour des livres se révéler à elle. Chimène dota alors Chrysolde de nouvelles qualités en découvrant les reines merveilleuses de ses premiers romans. Catarine obtint des dizaines de jolis autres traits liés aux princesses et Cassandre aux érudites. Tout allait bien.
Elle se montra vite meilleure élève pleine de bonne volonté durant les cours pour les finir au plus vite à dire vrai, dans le but de grappiller quelques heures de plus pour lire.
Percevant rapidement son plaisir de découvrir des histoires, une nourrice nommée Anne et un professeur se chargèrent alors de lui parler plus que les autres de la religion, lui contant des légendes auxquelles d'autres ne songeaient pas et l'invitant à s'y accrocher quand quelque chose n'allait pas de son point de vue. Ce qu'elle fit, plus souvent qu'ils ne pouvaient l'espérer.
Durant l'adolescence, au milieu de discussions ténues avec trop trop de têtes titrées à son goût, vint aussi la rencontre avec Liam d'Outrevent. Le jeune homme de sept ans son aîné se montra assez peu désagréable et combla la curiosité de Chimène parfois malgré lui sur plusieurs sujets qu'elle n'osait aborder avec d'autres. Leurs caractères si différents en certains points et pourtant semblables en d'autres s'accordèrent plutôt à merveille et la jeune fille intimidée finit donc à terme par nouer avec lui un lien d'amitié qui lui complut.
Elle envisagea leur avenir avec impatience, surtout lorsque, enfin, leurs fiançailles furent prononcées officiellement après des années. Soit, il n'y avait pas l'amour chanté par des bardes entre eux, mais cela pouvait naître après, n'est-ce pas ? Et puis elle aurait d'autant plus de libertés à Outrevent...
« Quand on veut, on peut. Enfin parfois. Je crois. »
Hélas le Destin avait visiblement d'autres projets. La mort de Chrysolde, son mari et ses bambins empêcha la réalisation des siens, la propulsant à un rang qui l'effarait : nouvelle impératrice en probation. Elle n'eut pas le temps de faire convenablement le deuil de cette sœur qu'elle révérait qu'elle fut assise sur son siège et qu'on l'assomma sous les responsabilités suite à un penaud « oui » presque chuchoté lorsqu'on lui avait demandé si elle prendrait les rênes du pouvoir en temps que première dans l'ordre de succession.
Ainsi disparut la flâneuse Chimène et naquit douloureusement l’embryon d'impératrice. Elle refusa au début d'habiter les appartements de son aînée, cependant, Hugues Hurlenfer, devenu premier conseiller rapidement, l'incita avec force à le faire après deux longs mois. Les apparences étaient importantes lui asséna-t-il jusqu'à ce qu'elle craque.
Ses premiers pas et nuits au sein de ces pièces furent à l'image du début de son règne : laborieux. Puis, trop vite, si les murs ne cessèrent pas de lui faire se ressouvenir à chaque seconde de l'absence de sa sœur si belle, si sage et toujours si mirifiquement vêtue, ils le firent avec moins de douleur. Elle n'avait de toute manière plus le temps d'avoir trop mal vu combien elle avait toujours à apprendre de nouvelles choses.
Deux ou trois évanouissements plus tard à force de trop travailler et d'oublier de se nourrir et Chimène se rappela que se laisser mourir à son tour n'allait pas arranger les choses. Il fallait vivre puisque personne dans la famille ne pouvait plus accéder au trône, ses sœurs ayant passé la main. Il lui fallait tenir, le temps de mettre une héritière au monde ou d'en trouver une autre. Liam le lui remémora aussi à sa manière un peu brusque parfois. Elle recommença donc à se sustenter à peu près convenablement et à lire, de manière amoindrie cependant, dès qu'elle pouvait souffler. Rêver éveillée à nouveau lui fit véritablement du bien, même si ses songes étaient teintés de tristesse. Des voyages ici et là lui permirent aussi de mettre des images sur des coins d'Arven qu'elle ne connaissait guère et de rajouter de nouvelles scènes à ses rêveries.
Cinq mois après sa nomination, les efforts qu'elle faisait payèrent enfin convenablement de son point de vue et pour qui voulut bien le percevoir. Bien entendu, elle n'avait toujours rien de sa sœur, trop discrète et passive, mais elle s'améliorait sur d'autres points tels que la connaissance des lois même incongrues et leurs modifications. En tout cas percevoir des conséquences bénéfiques à ses actes l'aida, lui donnant une légère confiance en elle qu'elle n'avait pas jusque là.
Son anniversaire cependant, rendu public peu après suite à une suggestion d'Hugues et devenu foiré à cause d'invités la fit retomber dans l'incertitude totale. Profitant de son état et de ce qu'elle avait vécu, on porta son attention sur ses potentiels ennemis attendant plus ou moins dans l'ombre et sur les noms des duchés et autres nobles ayant publiquement affiché leur mépris à son égard. Elle les nota et parut pour tous les oublier en se remettant au travail sans plus s'interrompre si on ne le faisait pas pour elle.
Son retour de cet état de forcenée survint un mois plus tard, après que l'une de ses anciennes nourrices l'eut assez vertement grondée - en présence de Liam encore dont l'amitié paraissait fort connue -, accusant Chimène de trop jouer avec sa santé. Dire que l'impératrice s'était faite toute petite devant la nounou serait un pléonasme.
Puis vint le couronnement…
« Être presque sereine, obéissante et heureuse par devoir, n'est-ce pas finalement comme l'être par plaisir ? »
Les mois avaient passé depuis l'anniversaire gâché et avec eux était revenu l'espoir. La nouvelle impératrice s'était trouvé des habitudes qui l'aidaient dans sa charge et les retours plus ou moins bénéfiques de certaines de ses tentatives de travaux lui faisaient du bien.
Elle aidait des habitants de Faërie, songeait-elle pour de bon alors, aussi tous les tracas liés lui apparaissaient sous un nouveau jour. Cela valait le coup de les endurer et de tenter de s'améliorer encore et toujours, pour continuer longuement, en souvenir de Chrysolde et pour sa patrie. Elle avait aussi regagné un peu en assurance avec le temps, bafouillant moins. Bref, la situation lui convenait enfin et même si elle savait qu'elle avait toujours beaucoup à faire et à apprendre, elle ne songeait plus à fuir, mais à poursuivre ses débuts. Elle se sentait capable.
Aussi, lorsqu'elle se présenta dans la salle du trône pour donner son serment, ce fut le menton haut. Si ses doigts tremblèrent un peu, il sembla que personne ne le remarqua. Tout allait bien.
Le début de son discours fut prononcé d'une voix claire et chaque mot dit parut la rendre plus épanouie encore. Jusqu'à ce qu'enfin, vint ce à quoi elle aurait dû s'attendre : une interruption. Seulement le nouveau venu la surprit, tant et si bien qu'elle tomba dans le silence tandis qu'il pavanait fièrement.
Un frère. Un aîné qui voulait faire couler le sang pour des raisons qui ne lui parurent pas assez légitimes.
Dignement, elle lui laissa le devant de la scène, curieuse et en partie sceptique vis-à-vis de ce nouveau potentiel membre de sa famille. A cet inconnu et ses proches, elle offrit un logement alors que l'Ordalie de diamant, sur laquelle elle n'avait pas de prise, se lançait enfin.
Trois jours passèrent, ceux nécessaires avant que l'épreuve ait lieu. Trois levers de soleil durant lesquels elle laissa autrui se renseigner pour elle sur les conditions de l'Ordalie et leur respect. Que fit-elle durant ce temps, outre prier pour calmer les dieux et travailler comme si de rien n'était si l'on la laissa faire ? Ce fut chercher sur ses heures de lecture, silencieusement et sans aide comme souvent, des parchemins datant de l'époque de ses parents. Elle tenta de mettre la main sur des échanges littéraires avec autrui pouvant prouver la filiation de cet étranger et le pourquoi de son éloignement. Des lettres échangées, comme dans certains romans traitant d'orphelins mis au secret.
Elle avait donc un frère d'après ce que l'on disait, ainsi qu'une belle-sœur et des neveux et nièces. Une nouvelle branche de famille qu'elle évita autant que l'étiquette le lui permit de peur d'être déçue, mais à son habituel flot de questions ininterrompu auquel nul ne put lui porter de réponses prouvées se mêla trop rapidement l'envie de croire à cette situation rocambolesque. Un frère… Ce serait là un cadeau inespéré si chacun survivait.
Aussi, dans le doute et parce que les dieux semblaient fâchés, fit-elle en partie comme si l'on lui avait dit la vérité tout en s'interrogeant tout bas, comme d'habitude. Elle n'interrompit donc pas la marche de l'Ordalie, continuant discrètement ses recherches jusqu'à ce qu'il fut trop tard et en espérant que les dieux lui pardonneraient un jour d'insister autant pour garder le trône. Cependant, s'ils devaient la juger réellement coupable de mal gérer Faërie, autant que cela fut dans l'Ordalie qu'indirectement en continuant de rendre malade autrui. Au moins les conséquences ainsi ne toucheraient plus des innocents.
Vint le matin où la lame et le calice qui auraient dû être siens furent présentés, tout comme les duos choisis pour représenter chacun des participants. Elle avait fait porter après réflexion plus tôt encore dans la matinée un ruban de couleur à ses héroïques défenseurs. D'un bleu pur plus clair que le ciel, il ne représentait pas la couronne de Faërie, mais Chimène elle-même et leur prouvait, si c'était nécessaire, la confiance de la femme en eux.
A présent, à voir leurs possesseurs se dresser si vaillants dans ce simulacre de procès, la jeune femme se demanda cependant furtivement s'ils avaient raison de vouloir risquer leur vie pour elle et dans quel chaos les conséquences de cette ordalie allait tous les plonger.
La venue des Épines écarlates, cependant, l'interrompit tandis qu'elle calculait le pourcentage des chances de survie en cette journée de chaque participant et elle retint son souffle. Le dos droit, debout, elle attendit qu'ils parlent, vidant sa tête des faits inutiles, se focalisant sur les masques seuls.
Ce jugement à venir qu'elle craignait, celui qui devait venir par le sang n'allait finalement sans doute plus tarder… Mais viendrait alors sous une forme différente. L’Écarlate ne se déplaçait jamais pour rien si ce n'était protéger la paix, n'était-ce pas une des premières choses que l'on lui avait appris à respecter ?
Mais malgré sa déférence, Chimène déglutit discrètement et le bout de ses doigts vinrent s'effleurer sur le devant de ses jupes. Il leur suffisait d'un mot, un seul pour réduire ses espérances à néant. Allaient-ils la juger incapable de faire tenir la sérénité ? Elle avait sans doute moins que le seigneur Gustave après tout les qualités nécessaires pour régner. Ou pas, se morigéna-t-elle. N'avait-elle pas prouvé qu'elle prenait le travail au sérieux ? Et n'avait-elle pas eu cette discussion avec elle-même cent fois ?
[La suite en rp]