ft. Ryan Gosling
« Désolé de te dire cela de manière aussi brutale, mais il me semble avoir bien plus souvent raison que toi, surtout quand nous ne sommes pas d'accord » (Kalem à son familier)
Dans la vie, je suis...
Et voilà comment j'en suis arrivé là.
L'arrivée sur ce monde et la tendre enfance de cet enseignant de la Magie est tout ce qu'il a de plus banal, ce qui au fond n'est pas plus mal car c'est une époque dont le jeune homme ne gardera aucun souvenirs. Il est le fils unique de Alain et Edna Pied-Léger, deux commerçants qui ne roulaient certes pas sur les fleurons mais qui offrirent à leur enfant toute l'affection et le confort matériel dont il aurait pu avoir besoin.
La famille Pied-Léger étaient cordonniers de Lorgol de père en fils, et ce depuis des générations, et paraît il avant même la dernière grande Guerre en date. La voie de Kalem paraissait donc toute tracée, mais bien vite l'idée que la ville de Lorgol soit bien chaussée grâce à son travail ne lui parût plus du tout satisfaisante, et commença même rapidement à lui casser les pieds. La seule chose qui animait le jeune garçon était la soif de connaissance, et ce depuis qu'il avait ouvert son premier livre, "Introduction à l'usage de la Magie", du professeur Gilles Grandgriffon. C'est une vocation qui lui valut nombre joutes verbales avec son père, celui-ci étant la plupart du temps époustouflé par le fait que son enfant de sept ans puisse lui répondre au tac-au-tac et avec un argumentaire si fourni. Kalem avait de plus le soutien de sa mère et de son parrain et oncle Jakk Pied-Léger, qui avaient su déceler les capacités cognitive de son neveu et qui se refusaient à voir un tel potentiel gâché dans l'industrie des bottes et des mocassins. Mais alors qu'au fil des jours, le débat faisait rage, un événement vint peser dans la balance.
Le vingt-et-un mars de l'an 980 s'annonçait être un jour printanier comme les autres. Kalem sortait de l'école un peu plus tard que d'habitude, ayant à purger sa punition. Là où d'autres enfants auraient été sanctionnés pour quelque bêtise que ça soit, il le fut lui par l'égo de son professeur, il l'avait en effet contredit sur un léger détail de l'histoire de la Rose Ecarlate. Ce n'était pas la première fois qu'il reprenait son enseignant et c'était une habitude qui avait généralement tendance à agacer ses aînés, qui le qualifiaient de "petit impertinent" ou "petit con" en fonction de la personne. Seulement à deux rues de chez lui, Kalem constata un fait étrange : de la fumée noire et épaisse semblait survoler sa rue, à l'endroit où se trouvait son logis/boutique de ses parents. Sans se poser la moindre question, le jeune garçon passa de marche lente à sprint, une douloureuse boule au ventre.
Ce qu'il redoutait était effectivement en train d'arriver. Son foyer était pris par les flammes, la fumée étant de plus en plus dense et étouffante. Il voyait ses voisins courir et crier pour alerter les secours. Malheureusement, ils vivaient dans un quartier calme de la haute ville de Lorgol, où la moyenne d'âge était d'environ 60 ans, ses voisins étaient donc d'assez lents messagers.
Les fenêtres étaient toutes devenues opaques de saleté, il était donc impossible pour Kalem de voir ce qu'il se passait à l'intérieur de la maison. Il se concentra alors sur son ouïe, et dans tout le vacarme, il reconnut les cris de ses parents. Ils venaient de l'intérieur de la maison, au rez de chaussée du côté ouest là où se trouvait l'atelier de cordonnerie. Le jeune garçon, paniqué, tenta d'abord d'ouvrir la porte d'entrée par la force, mais c'était un attribut bien trop faible qu'il avait du haut de ses huit ans. Il s'approcha de la fenêtre de l'atelier, mais la seule chose qu'il en tira fut une chaleur étouffante et les quinte toux de ses parents, qui semblaient s'éteindre à petit feu piégés par l'impitoyable brasier.
Leur maison était située en plein milieu d'une petite place dela ville, qui arborait une fontaine stylisée par une statue d'Argon, Dieu sous lequel il avait été béni. Désespéré et au bord des larmes, il se jeta sur le point d'eau et avec ses petites mains tenta d'envoyer des éclaboussures sur l'incendie. Sans effet.
Mais alors que tout semblait perdu, Kalem poussa un cri venant du plus profond de ses entrailles, suivi d'un grand geste des bras de la fontaine vers sa maison. Seulement cette fois-ci, ce ne fut pas une petite gerbe d'eau se dirigea vers son domicile en feu, mais la quasi totalité du contenu de la fontaine, se soulevant en une énorme vague et fonçant droit vers l'atelier où ses parents étaient enfermés. La violence de la déferlante fut telle que la fenêtre n'y résista pas une seconde, et en quelques instants l'endroit était envahi par les flots, éteignant au passage une bonne partie de l'incendie. Juste après, le jeune garçon s'évanouit, voyant avec ses dernières bribes de consciences des élémentaires d'eau arriver d'un peu partout, prêts à gérer la situation.
Un rêve? Non pas exactement. Aucune image mentale, juste du noir tout autour de lui. Mais il entend quelque chose. Une voix. Inconnue, mais pourtant si familière. Un chuchotement, d'abord, lointain, presque inaudible. Rapidement, il se rapproche. Kalem n'a pas peur, la voix lui procure un sentiment de bien être, douce et chaleureuse à la fois. D'abord des bribes "Elle", "Besoin", "Toi", "Instinct", puis enfin des phrases complète. "Dans les bas-quartiers, va, suis ton instinct. Tu la trouveras. Elle a besoin de toi comme tu as besoin d'elle".Kalem rouvrit les yeux, doucement. L'endroit lui était familier, il était dans son lit, et à son chevet des personnes familières. Son père, sa mère, son oncle. Au moment même où il reprit conscience, il entendit la voix de son géniteur
"-Ah, enfin notre petit héros surdoué se réveille!"
Le jeune garçon poussa un léger gémissement. Physiquement, il se sentait encore affaiblit, et les souvenirs des derniers événements se bousculaient dans son esprit en flashs, puis il y avait
cette voix. Non sans difficultés, il tenta de prendre la parole.
"Que... que s'est il passé?"Les yeux illuminés, sa mère lui répondit tout en le serrant dans ses bras :
"Tu nous as tous sauvés, voilà ce qu'il s'est passé! Et avec nous une bonne partie de l'atelier. Sans toi nous serions sans doutes morts, ou ruinés, ce qui équivaut à la même chose dans cette ville..."
Son oncle prit à son tour la parole :
"J'en étais sur que tu avais un potentiel de magicien, tu as maîtrisé un élément petit! Un membre de l'académie est venu nous voir, nous affirmant qu'il t'avait vu faire et qu'il souhaitait de faire intégrer un cursus d'apprentissage de la magie. Mes félicitations!"
Quelques heures plus tard, le temps qu'il reprenne des forces et qu'on lui raconte en détail toute l'histoire, Kalem était empli de nombreux sentiments. La joie, l'excitation, l'impatience, intégrer l'académie était son rêve depuis déjà un certain temps. Mais surtout, il était intrigué. Quelle était cette voix qui lui avait parlé pendant son temps d'inconscience? Que lui voulait-elle? Un seul moyen de le savoir, la réponse ne pouvait être que dans les bas quartiers. Deux jours plus tard, il attendit qu'il fasse nuit et quitta discrètement son domicile alors que ses parents dormaient.
C'était la première fois qu'il allait dans cette partie de la ville. On lui avait toujours prohibé, l'endroit n'étant évidemment pas sûr pour un enfant seul. Il ne connaissait absolument pas l'endroit, il aurait été aisé de s'y perdre, mais étonnamment, il se dirigeait sans la moindre hésitation, comme poussé par une force invisible.
Dans une ruelle sombre, il comprit enfin pourquoi on l'avait attiré là. Un chiot s'y trouvait, seul. Un labrador noir, qui semblait relativement mal nourri et apeuré. Leurs regard se croisèrent, et un puissant lien se créa automatiquement entre les deux êtres. Kalem venait de trouver son familier, compagnon et ami de toujours. Il la nomma Lourdepatte et celle-ci l'accompagna sans la moindre hésitation chez lui. Sur le chemin, se fit leur première conversation, où ils firent connaissance par la pensée. C'était aussi le début d'une longue, puissante et inébranlable amitié.
Cinq ans plus tard, Kalem était un apprenti mage plus que prometteur. Son école fut évidemment celle de l'hiver, et c'était sans doutes le plus assidu des élèves de sa classe. Il faisait toujours plus que le travail qu'on lui donnait, s'intéressait à tout. Il n'avait pas un potentiel magique particulièrement élevé, mais apprenait de manière fulgurante, et faisait déjà preuve de beaucoup de sagesse et de maturité face à la puissance qu'il acquérait, ce qui manquait en général cruellement aux élèves de son âge.
Le reste de son temps libre, il le passait dans les bibliothèques de l'académie, désaltérant sa soif de connaissance le plus qu'il pouvait, dans des domaines variés, scientifiques et magiques. Il s'intéressa notamment un peu à la médecine, à la théorie musicale, à l'histoire, mais aussi à la théorie de la magie et ses nombreux auteurs. Il rediscutait de tout ce qu'il apprenait et concluait avec Lourdepatte (qu'il finit par surnommer "Pat" au fil des années). Cela lui permettait d'avoir un avis extérieur, soit pour le conforter dans sa position, soit pour le contredire, ce qui le forçait à aiguiser un peu mieux son argumentaire. Le labrador avait plus ou moins le même caractère que lui, mais avec une meilleure capacité de prise de recul, elle lui permit par exemple de comprendre que la plupart des gens n'étaient absolument pas passionnés par les applications de la magie d'altération sur les théories de physique fondamentale, et que c'était donc un sujet dont il ne pouvait s'entretenir avec tout le monde.
Il sortait aussi régulièrement de la ville avec son familier, car tenir une forme physique solide lui paraissait être une grande nécessité.
Il réussit son premier cycle sans la moindre difficulté, et à seize ans il entama sa formation avancée avec un maitre de la guérison, un certain Ludwig Brancard. Il entretint des relations tout à fait cordiales avec son professeur, qui voyait en lui une sagesse que même certains de ses plus anciens collègues n'avaient pas. Kalem avait réussi à obtenir sa chambre personnelle, qui s'était rapidement transformée en une sorte de chalet de montagne, en bois clair, sobre et dénué de la moindre décoration hormis une cheminée, mais rempli de nombreuses bibliothèques où s'accumulaient au fil des années ouvrages et parchemins. En clair, tout allait pour le mieux. Seulement...
C'était en août, Kalem avait vingt-deux ans. Il rentrait chez lui visiter, comme chaque année sa famille. Une fois sur place, il sentit que sur lui quelque chose n'allait pas. Il se précipita pour ouvrir la porte, et découvrit l'atelier de ses parents saccagé, les peaux et étoffes toutes éventrées au couteau, leur carnet de commande déchiré en mille morceaux et la cache de leurs fleurons de côté vidée. Sa mère et son père étaient agenouillés en plein centre de la pièce, des larmes courant abondamment sur leur visage. Des milliers de questions se bousculaient dans le cerveau de l'apprenti mage, mais il ne choisit que les plus concises d'entre toutes.
"
-Qui? Comment? Pourquoi?"
Dans un sanglot étouffé, son père lui répliqua
"-La Cour des miracles..."
Quelque chose frappa tout de suite l'esprit de Kalem. Si c'était vraiment la cour, alors les choses étaient gravissimes. En effet, il n'était pas affaire ici d'un simple cambriolages. La destruction du matériel de l'atelier était ce qui ressemblait le plus à un message qu'on a voulu faire passer.
"-Dans quoi vous vous êtes trempés tous les deux?-Nous étions au bord de la ruine, Kalem. Les commandes avaient diminué de moitié et le prix du cuir avait grimpé en flèche. Nous n'avions qu'une seule solution pour sortir la tête de l'eau, c'était de contacter la Cour et de nous demander de nous prêter de l'argent le temps que les affaires reprennent. Seulement ils se sont avérés de plus en plus impatients, et nous n'avions pas moyen de les rembourser. C'est fini, il va falloir que nous quittions la ville."
Bouleversé, Kalem était partagé entre la colère et la tristesse. Il tenta de rassembler ses esprits. Bien qu'il pensait que ses parents ne méritaient que ce qu'ils subissaient pour avoir pris une décision aussi stupide, il était évident qu'il fallait les aider. Il tenta de prendre un ton rassurant, mais sa voix était tremblotante tant il était incapable de contenir ses émotions.
"
-Bon. Je vais trouver une solution. Faites attention à vous."
Il se dirigea vers la sortie, et rajouta, sous le coup de la colère :
"
-Tout de même, je ne comprendrai jamais comment des parents aussi stupides ont pu engendrer quelqu'un comme moi..."
Tout en avançant d'un pas rapide dans une direction aléatoire, Kalem posait les solutions qui s'offraient à lui. Il en voyait deux : s'attaquer frontalement à la Cour des miracles, ce qui était aussi pertinent que d'aller embrasser un élémentaire de feu après avoir pris un bain d'huile, ou trouver beaucoup d'argent rapidement. Alors qu'il tentait d'envisager toutes les options, des plus suicidaires aux plus illégales, épaulé par les conseils de Pat, son regard croisa une affiche. Il était inscrit :
Avis aux assoiffés d'aventures, la compagnie des Bras de la Justice recherche un guérisseur pour une mission de la plus haute importance. Grande récompense à la clé.Sans la moindre hésitation Kalem arracha l'affiche pour en scruter les détails. Après avoir trouvé le lieu de recrutement, il se mit en route d'un pas rapide et déterminé.
Il fut recruté sans difficulté, alliant intelligemment sa pratique de la magie de guérison à ses connaissances en médecine et en herboristerie. Il put donc faire connaissance de Gradur et Falna, frère et soeur guerriers venant de Souffeciel de puissants bretteurs, pas particulièrement lumineux mais étant d'agréables compagnons de route, et de "Loup-Gris" (comme il se faisait surnommer), un homme discret qui ne donnait quasiment aucune information sur lui mais dont les talents étaient sans conteste ceux d'un voleur ou d'un assassin.
On lui expliqua que leur mission consistait à démanteler un réseau de bandits qui se cachaient dans une petite forteresse en Outrevent, accusés de meurtre, vol à main armée et torture, avec une prime élevée mise sur la tête de leur chef, un certain "Dent de Dragon". Quelques explications, présentations, et préparatifs plus tard, ils prirent la route.
Kalem n'avait jamais quitté les terres du Nord, et encore moins dans ces conditions. Il réussit cependant vite à s'adapter à la vie d'aventurier. Sa maîtrise de la magie et ses connaissances en médecine faisaient de lui un guérisseur hors pair. Pat, quand à elle, aidait largement à trouver de la nourriture grâce à ses sens aiguisés.
Il se lia d'amitié avec Falna, qui lui apprit quelques bases martiales, alors que lui lui contait les légendes qu'il avait lu dans les nombreux romans qu'il avait parcouru. La route se fit sans encombres, hormis quelques bêtes sauvages et bandits de grand chemin, qui ne posèrent aucune difficultés aux guerriers expérimentés qu'ils avaient dans leur groupe. De plus, la moindre blessure était guérie immédiatement.
Lorsqu'ils arrivèrent en Outrvevent, au bout de plusieurs semaines de voyage, le jeune mage utilisa sa magie d’altération pour faire face au climat austère, et ne fut vraiment pas déçu du voyage : la région était encore plus belle que la description qu'il avait eue dans les ouvrages qui en parlaient.
Plusieurs jours après être entré dans la région, Pat lui adressa un message mental, avec un air inquiet :
"
-J'entend un groupe arriver dans notre position, ils ont l'air nombreux.-Combien?-Une quinzaine, si ce n'est plus. Ils se déplacent vite vers nous!"Kalem, la boule au ventre, tenta de garder son calme et annonça à ses compagnons de voyage :
"
-Préparez vous, nous avons de la compagnie!"Alors même qu'ils déterminaient encore s'il fallait fuir, combattre, tenter la diplomatie ou se mettre en embuscade, une quinzaine d'homme sortirent du brouillard et foncèrent sur eux, en hurlant. Kalem dégaina l'épée que lui avait offerte Falna, tout en se préparant au pire. Pat partit se cacher, car n'étant pas un chien de combat son compagnon lui avait prohibé de participer à la moindre bataille.
Le combat dura à peine cinq minutes, vu la situation de sous-nombre. Gradur fut le premier à tomber, après avoir héroïquement éliminé deux de ses adversaires, se prenant un coup d'épée dans le dos, tranchant en diagonale de son épaule droite jusqu'au bas de son bassin. Falna accourut à son secours en hurlant, mais fut stoppée net dans sa course par un grand coup de hache de guerre dans le bide, repeignant de sol de tripes, d'organes et de sang.
Voyant cela, Loup-Gris voulut prendre la tangente, mais une première salve de flèche le fit tomber au sol. La deuxième mit fin à sa vie.
Encerclé et au bord des larmes, Kalem reprit une dernière fois ses esprits pour parler à son familier :
"
-Va-t'en.-Je ne pars pas sans toi.-Tu vas te faire tuer si tu restes ici! DEGAGE!"
Kalem avait dit ce dernier mot avec une autorité dont il ne se serait jamais cru capable. A vrai dire, l'ordre était tellement puissant que peu auraient réussi à ne pas y obéir sans réfléchir. Il y avait mis tellement d'émotion qu'il l'avait même crié à vive voix, sans s'en rendre compte.
Alors qu'il sentait son lien télépathique avec son animal s'effriter, il rajouta par la pensée :
"
-Chasse dans les landes pour survivre, et attends-y moi. Je reviendrai."
Alors, il ne sentit plus le lien. A la place, une violente déchirure dans la poitrine, c'était la première fois qu'il était séparé de son familier depuis qu'ils s'étaient rencontrés. C'était une sensation tellement horrible qu'il en oublia presque les autres problèmes qu'il avait à ce moment précis. Quelques instants plus tard, il était assommé d'un violent coup à la tête.
Il reprit conscience, d'abord en gardant les paupières fermées. Il tenta d'évaluer la situation. Il avait mal à la tête. Il avait froid et se sentait enroué, l'atmosphère étant humide. Ses yeux n'étaient gênés par aucune lumière, il était donc dans un endroit sombre. Il avait les poings menottés, les bras soulevés et écartés par des chaînes, et il était à genoux. Donc soit dans une prison, soit dans une session un peu particulière avec une fille de la caravane des plaisirs. Au vu des récents événements, c'était malheureusement la première solution. Il était encore en vie. Pourquoi?
Il ouvrit les yeux, et en face de lui un sourire, d'un blanc éclatant, mais avec des dents tellement acérées qu'on aurait cru la mâchoire d'un dragon. Le sourire se mit à se mouvoir, émettant un son grave et inquiétant :
"-Alors enfin, notre petit fainéant se réveille..."
Kalem recouvra un peu plus la vue. En face de lui se tenait un homme, ou plutôt un monstre! Il faisait au moins deux mètres de haut, pesait sans doutes plus de cent kilos. Il avait un visage carré et abrupte, avec un regard froid et calculateur, et ce sourire qui donnerait des frissons au plus valeureux des chevaliers. Le titan reprit la parole.
"-Tu te poses sans doutes plein de questions, mais pour l'instant, tu vas m'écouter. Moi, c'est Dent de Dragon, je suis le chef de ce modeste endroit. Tes amis sont tous morts. Et si toi tu es encore en vie, c'est parce que mon organisation aurait bien besoin des services d'un guérisseur. Comprend bien que tu n'as aucune chance de sortir d'ici, et pas d'autres choix que de m'obéir."
Falna, Gradur, et même ce voleur antipathique. Les souvenirs revinrent dans la mémoire du mage d'hiver comme une claque lancée à pleine vitesse. Ils s'étaient donc leçon à corps perdu dans la gueule du loup, ils n'avaient aucune chance face à leur nombre et leur organisation. Une erreur fatale, mais maintenant, plus grand chose n'importait aux yeux de Kalem. La voix remplie de haine et de dégoût, il rétorqua :
"
-Alors autant me tuer tout de suite. Je ne travaillerai jamais pour toi."
La monstre à la mâchoire informe éclata d'un rire gras et méprisant. Puis soudainement, son visage se figea et il plongea son regard dans celui de Kalem. A ce moment le mage compris qu'il avait en face de lui quelqu'un qui n'avait plus toute sa tête depuis un certain temps déjà...
"-Qui t'as dit que tu allais travailler pour moi? Tu vas me servir, pauvre idiot. Je vais te soumettre, et d'ici peu de temps tu n'auras d'allégeance que pour moi, ton maître. Cela dit pour l'instant tu m'as l'air un peu dissident, alors laisse moi t'enseigner la leçon du jour : le respect de tes supérieurs. Vingt coup de fouets!"
Juste après avoir intimé cet ordre, Dent de Dragon s'éloigna d'un pas dédaigneux. Gardant miraculeusement son sang froid, Kalem se concentra au maximum sur ses connaissances en altération, et prépara un sort qui rendrait sa peau plus solide et moins sensible à la douleur, alors qu'on lui arrachait le haut et laissait son dos à nu.
Un Il avait plutôt bien réussi son sort, le premier coup fut moins douloureux qu'il ne l'aurait prévu. Il serra les dents et se prépara au deuxième impact, tout en restant concentré sur son sort.
DeuxLe deuxième impact était bien plus douloureux que le premier. Il sentait le cuir déchirer sa peau et il savait pertinemment que sa magie était en train de perdre en puissance.
TroisLe troisième coup avait creusé dans la plaie que le premier avait ouverte. La douleur était insoutenable, et Kalem serra les dents à en briser sa mâchoire, tout en émettant en grognement de douleur.
QuatreLa douleur l'empêchait de se concentrer, il n'arrivait plus à canaliser son sort, il n'y eut donc plus aucune barrière entre le fouet et sa peau. Il hurla.
Cinq
Son dos était déjà largement lacéré, chaque coup frappait maintenant sur sa chair. La douleur du troisième coup avait l'air d'une caresse comparée à celle ressentie lors du cinquième.
Six, sept, huitLes hurlements du mage résonnaient dans l’acoustique du caveau, tels une symphonie macabre. Chaque fois que son seuil de douleur était atteint, le nouveau coup repoussait les limites.
Neuf, dix, onze, douzeIl était maintenant persuadé qu'il allait mourir. Il haïssait profondément son corps pour le faire rester conscient face à une telle souffrance.
Treize, quatorze, quinze, seizeSon esprit était délirant, maintenant. Il ne criait plus, mais murmurait. Une seule syllabe.
"
Pat.... Pat..."
Dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt
Chaque pause était prétexte à tomber dans les limbes de son esprit. Chaque coup le ramenait douloureusement à des bribes de réalité.
La torture aurait pu s'arrêter la. Malheureusement pour Kalem, son tortionnaire était mauvais en arithmétique.
Vingt-et-un...
Une fois n'est pas coutume, Kalem s'évanouit.
Il reprit conscience dans une cellule de cachot, sombre et humide. La vive douleur dans son dos le ramena rapidement à la réalité. Il avait été rapidement rabiboché, mais c'était un travail très mal fait, d'où le besoin du groupe de Dent de Dragon d'avoir un guérisseur au plus tôt. Le mage utilisa ce qui lui restait de force mentale pour guérir plus efficacement ses blessures via un enchantement. Les blessures étaient trop profonde, et sa magie trop faible, il ne réussit qu'à empêcher l'infection. Les cicatrices, quand à elles, resteraient à jamais gravées sur son corps, comme pour lui rappeler sa douloureuse erreur de suivre des aventuriers bien trop téméraires dans leur quête. Il se rendormit.
Une voix le réveilla, tout en faisant sortir en lui tous ses sentiments les plus mauvais. C'était celle de son hôte, Dent de Dragon.
"-Je vois que tu t'es bien guéri de ta dernière leçon. Voilà qui me laisse penser que tu seras un grand atout dans notre organisation."
Kalem ne parla pas, n'ayant simplement pas le répondant vu sa situation. Son regard parlait pour lui, on pouvait en effet y lire les mille manières dont le mage imaginait le meurtre de son interlocuteur. Celui-ci afficha son plus beau sourire carnassier, et continua.
"Heureux d'apprendre que tu as compris les dangers de l'insubordination, et qui tu y préfères le silence. Maintenant laisse moi t'expliquer ta situation. Tu vas moisir dans ce cachot, seul, avec personne à qui parler. Tu y resteras le temps qu'il faudra, jusqu'à être aux portes de la folie. Ton esprit est peut être fort, mais tu ne tiendras pas éternellement. Une fois affaibli, ta soumission sera un jeu d'enfant pour moi. Allez, amuse toi bien!"
Puis il fit volte-face, et disparut dans la noirceur du cachot.
N'ayant accès à aucune source de lumière, hormis la faible lueur d'une bougie, Kalem perdit vite la notion du temps. Il tenta d'abord de compter les jours en fonction de la fréquence des repas qu'on lui apportait, mais cela ne fut efficace qu'un temps.
Il savait à quel point la solitude pouvait rapidement mener à la paranoïa, puis la folie. Il était d'un caractère bien trop têtu pour être fataliste, il décida donc de mettre son intelligence au service de son bien être mental. Cela se décomposait en deux temps :
Le premier, il pensait. Il se remémorait ses leçons à l'académie, travaillait du mieux qu'il pouvait ses sorts. Il philosophait, jouait aux échecs contre lui même dans sa tête, résolvait des énigmes mathématiques qu'il s'imposait lui même, écrivait des histoires, pensait à ce qu'il ferait une fois sorti de cet enfer. Une chose était certaine : il sortirait.
Le second, il le consacrait donc à son évasion. Il ne voyait rien depuis sa cellule, alors pendant des heures il s'asseyait en tailleur, fermait les yeux et écoutait. Tout. Les bruits de pas, les conversations qui résonnaient. Un détail frappa son esprit, au bout d'un moment. A l'étage au dessus de lui côté est, se tenait une salle particulière : en effet là où toute la forteresse dans laquelle il supposait être était en pierre, au son des pas qui venaient de cet endroit, cela ne pouvait être que du bois. Aucun grincement, au contraire le bruit des pas qui émettaient de cette salle étaient harmonieux à l'oreille, donc un bois bien entretenu, et sans doute de bonne qualité. De plus une seule démarche provenait de cette salle, et il la reconnaissait au son entre toutes : c'était celle de Dent de Dragon.
Aucun doute maintenant, cette fameuse salle était forcément son bureau, ou sa salle aux trésors. Toute information était bonne à prendre, et celle-ci pourrait s'avérer cruciale...
Plus tard encore (des jours, des mois, des années?), alors que la forteresse était vide de sons (ce que Kalem considérait logiquement comme étant la nuit), il notifia un son particulier provenant du bureau du chef. Une dalle de mur déplace, un cliquetis, puis un bruit sourd, comme un pan de mur qui se déplacerait. Pour le mage, cela lui sauta aux oreilles comme une évidence :
"
-Une sortie secrète..." murmura-t-il.
Il y avait moult autres explications à ces sons atypiques, mais l'envie suprême de sortir de l'endroit lui brouilla sa rationalité. Il tira donc cette conclusion sans plus de réflexions. Pour lui, l'espoir revenait avec, car il avait une sorte de plan de sortie, incomplet, bourré de facteurs aléatoires, mais un plan. Sa réflexion ne fut désormais qu'axée sur le plan en question...
"-ON NOUS ATTAQUE!"
Kalem fut réveillé par le cri d'un des gardes de la forteresse. L'agitation au dessus de lui était clair, l'endroit était pris d'assaut. Le sang du mage ne fit qu'un tour : pour lui, c'était sa chance de s'enfuir.
Il entendit alors la voix de Dent de Dragon, qui s'adressait à l'un de ses hommes :
"-Toi! Va surveiller le prisonnier, qu'il n'essaie pas de s'échapper dans la cohue!
-Parfait..." chuchota Kalem.
Le garde descendit les escaliers menant au cachot, et trouva leur prisonnier le corps et le visage tordus de douleur, gémissant. Il se précipita, ouvrit la porte de la cellule. A ce moment là, Kalem se releva, avec dans la main un surin fait avec la colonne vertébrale d'un rat mort dans sa cellule qu'il avait taillé sur les murs en pierre. Sa connaissance de l'anatomie humaine ne lui fit avoir aucune hésitation : la lame alla directement se ficher dans la jugulaire de son adversaire, qu'il trancha net. Ce dernier s'écroula, avec dans les yeux un mélange de terreur, de surprise et de colère, puis s'éteignit dans un dernier gargouillement. C'était la première fois que Kalem tuait un homme, mais ce moment là ça n'avait aucune importance. Les remords seraient remis à plus tard.
Il attrapa l'épée du garde et se faufila, montant les escaliers du cachot. Son cerveau tourbillonnait à mille tours minute, et son cœur battait sur un rythme bien trop rapide pour espérer danser dessus.
Instinctivement, il se dirigea, utilisant le croquis de plan qu'il s'était imaginé de la forteresse, en utilisant uniquement ses oreilles. Sans croiser le moindre garde, il arriva devant la porte qu'il cherchait. C'était une magnifique porte en bois, ornée de gravures ancienne. Il enclencha la poignée : par chance, dans la panique Dent de Dragon ne l'avait pas verrouillée. Il entra.
C'était une salle assez grande, magnifiquement décorée de tableaux sans doutes volés par ci par là. Comme il l'avait deviné, le sol était en bois précieux, comme l'était l'imposant bureau au fond de la salle. De nombreux bibelots, ayant pour certains l'air d'avoir une valeur inestimable, traînaient dans la pièce. Et de l'autre côté, un grand tapis, et ce qui l'intéressait : un mur de pierre, mais dont l'un des blocs semblait détaché des autres.
Il se mit tout de suite en action, poussant le bureau devant la porte pour empêcher les visiteurs indésirables. Puis il se précipita au fond de la pièce côté tapis, le coeur noué. Il joua avec le bloc de pierre qui se retira sans difficulté du mure, laissant une fente de la taille d'un gros bras. Il y inséra le sien et trouva une petite poignée, qu'il enclencha sans réfléchir.
Comme prévu, un cliquetis, un pan de mur qui se déplace, et là :
Une petite cavité, à peine de la taille d'un enfant. à l'intérieur, un coussin sur lequel est posé : une bouteille.
Désespéré, Kalem s'en empara. C'était un alcool de prune, venant d'une des cuvées les plus célèbres de Lagrance. Il en avait déjà entendu parler, ces bouteilles étaient particulièrement rares et valaient une fortune. Voici donc ce que Dent de Dragon cachait si prudemment.
Il entendait le vacarme des combat se calmer. Ça avait duré à peine 30 minutes, et vu le nombre qu'étaient Dent de Dragon et ses hommes, une bataille aussi courte ne pouvait qu'être victorieuse pour eux. Bientôt, on découvrirait sa tentative d'évasion, on le retrouverait. Après...
Au fond du gouffre, il se laissa glisser le long du mur, assis sur le tapis. Il ouvrit la bouteille sans la moindre considération, et en but une gorgée comme si c'était de la piquette. Le goût était agréable et lui réchauffait tout le corps. C'était sans doute la seule sensation agréable qu'il ressentirait avant longtemps.
Après avoir bu, il posa violemment la bouteille sur le tapis, à côté de lui. Mais le bruit de son impact avec le sol fut un peu particulier...
"
-Ce son!"
C'était un son sourd et creux. Comme si... Comme si...
Il se releva en un quart de tour, posa la bouteille plus loin et souleva le tapis de toutes ses forces. En dessous, une poignée en fer!
L'espoir lui donna une nouvelle poussée d'adrénaline. Il prit un sac trouvé dans la pièce, embarqua la bouteille et quelques bibelots qui semblaient valoir le plus cher, puis tira sur la poignée. C'était lourd, ma sa détermination le rendait infatigable, malgré son état physique déplorable. Il souleva ce qui s'avérait être une trappe, récupéra son nouveau sac, et se jeta dans les ténèbres qui s'offraient à lui, comme si elles étaient la lumière au bout du tunnel. Puis il ferma derrière lui.
Son avancée fut pénible et à tâtons, mais rien ne l'empêchait de continuer. Rien n'aurait pu. Au bout de ce qui lui a semblé une heure de marche, mais qui auraient tout aussi bien être cinq minutes, il la vit, la sortie.
Des feuillages, mais une douce lumière se diffusait à travers la végétations. Il les repoussa, et sentit pour la première fois de ce qui lui avait parut une éternité, l'air frais. Le soleil sur son visage, le vent frais dans les cheveux. La liberté.
Jamais de sa vie il ne s'était senti aussi libre, aussi prêt à mordre la vie à pleine dents. Une joie qui ne peut être procurée qu'à ceux qui ont vécu l'enfer. Cependant, il lui restait une chose à faire.
Ne suivant que son instinct, il la retrouva vite, Pat. Il se jeta sur elle, leur accolade silencieuse dura quelques minutes, les deux amis pleurant à vive larme. Puis enfin Kalem lui parla :
"
-Combien de temps?-Six mois.-Ils m'ont paru comme des années.
-A moi aussi...Ils reprirent la route : direction Lorgol. Durant leur voyage, ils ne parlèrent même pas des six mois, ni de son évasion. Ils reprirent leur conversations comme elles étaient avant, débattant de choses et d'autres.
Une fois rentré dans sa ville natale, Kalem notifia que ses parents n'étaient plus chez lui. Après une courte enquête de voisinage, il en conclut que criblés par leurs dettes et pensant leur fils mort, ils avaient fui la ville, purement et simplement. Le mage ne lâcha pas une larme : il avait déjà perdu six mois d'une vie si courte, il ne voulait plus perdre une seule seconde.
Il attendit le premier du mois et se dirigea dans les bas quartier : au marché noir, il revendit tous les bibelots et les bouteilles volés chez ses tortionnaires. Il en accumula un pécule non négligeable, puis réintégra l'académie.
On aurait pu penser que n'importe quelle personne sortant de six mois d'emprisonnement et se retrouvant avec une petite fortune aurait sauté dans le premier vol disponible pour visiter le monde et profiter de sa liberté récupérée. Ce ne fut pas le cas de Kalem. Il ne vola que par les plumes de se prédécesseurs, via les les livres qu'ils avaient écrits. Il reprit sa formation, et devint professeur à l'académie. Pour lui, le but de sa vie était clair : apprendre, pour soi, puis apprendre aux autres.