Déni, colère, marchandage, dépression, acceptation

Palais d’Euphoria
Le 12 juillet 1001

Chère Mélusine,

Je peux comprendre la colère que tu as éprouvé au couronnement de Sa Grâce Chimène, face à mon pathétique état. J’ai été irresponsable, il est vrai, inconséquent, mes actes étaient inconsidérés, et tu es tout à fait en droit d’être furieuse contre moi. Si tu n’avais pas été là pour intervenir et distraire un temps la délégation d’Erebor et moi-même, qui sait ce qui aurait pu arriver ? Gustave de la Rive aurait été un bien piètre divertissement, un pâle trouble-fête, en regard des horreurs qui auraient pris place du côté d’Ibélène ! Je te jure, cela dit, que c’était un épisode unique, sans précédent et sans suite. Les raisons de ma consommation sont sombres, ma sœur, elles sont laides, mais elles ne sauraient se reproduire de façon à me tenter à nouveau. C’était sans malice, je le jure, sans désir de blesser qui que ce soit et surtout pas toi, ma tendre.

J’attends ta réponse avec impatience,

Castiel

Palais d’Euphoria
Le 15 juillet 1001

Chère Mélusine,

Pardonne-moi de ne pas attendre ta réponse, mais tu connais mon impatience ! Puis, sans nouvelles de toi depuis le couronnement, je suis quelque peu inquiet. Imagine si la première lettre vient à se perdre, sur le chemin entre Sinsarelle et Euphoria ? Ou même tes réponses ? Je ne me pardonnerais pas que tu n’aies rien reçu !
Je tiens donc à te répéter que mon comportement irresponsable ne se reproduira plus, tu en as mon mot, et qu’il n’y a donc pas à te tenir à tes menaces précédentes. Je me doute que la colère ait été ta maîtresse, ma douce, c’était justifié, mais quitte ses jupons sans crainte.

Tendrement,

Castiel

Palais d’Euphoria
Le 17 juillet 1001

Chère Mélusine,

Je viens de recevoir mes deux précédentes lettres, pas même décachetées. Aurais-tu confondu ma main avec celle d’un de tes nombreux admirateurs, incapable de comprendre que tu n’as aucun intérêt envers eux ? Dans le doute, je te les renvoie, en plus de celle-ci. Je veux t’assurer que, hors de tout doute, les événements de couronnement de Sa Grâce Chimène étaient uniques et n’ont aucune raison de se reproduire.

Avec amour,

Castiel

Palais d’Euphoria
Le 21 juillet 1001

Chère Mélusine,

Jamais deux sans trois, n’est-ce pas ? Trois lettres envoyées, toutes retournées, et je commence à saisir le triste manège auquel tu me soumets, sans aucune pitié. Mélusine, ma sœur, il suffit de m’assourdir de ta colère et de ta rancune. Je me sais coupable, je me sais ignoble, mais mes agissements passés ne sont aucunement tributaires de ceux futurs et j’ai bien retenu cette affreuse leçon dont j’ai fait les frais, par ma propre volonté. Ne crois-tu pas que j’ai bien d’autres choses à me soucier ? Ne te suffit-il pas que je sois en disgrâce auprès de notre empereur ? Père t’a probablement fait part de toutes les nouvelles restrictions sous lesquelles je me meus, en Sombreciel, et de cette épée qui pend dangereusement au-dessus de ma tête, prête à occire une nouvelle fois mon pauvre règne.

Je t’en prie, réponds-moi.

Castiel

Palais d’Euphoria
Le 22 juillet 1001

Chère Mélusine,

Je dois avouer que je ne comprends pas tes agissements. Aucune de mes lettres n’a eu la grâce d’être ouverte, donc lue, et pourtant, tu prends la peine de me les réexpédier, à grands frais de magie et de pauvres messagers exténués. Est-ce un nouveau jeu, dont je ne possède pas les règles et dont je me retrouve victime ? Il n’a rien d’amusant, ma sœur, et j’aimerais que tu le cesses.

Tu ne manques pas de logique, ni d’intelligence, encore moins de raison, et tu sais bien que ce qui est arrivé à Alfaë était un événement isolé. Je suis bel et bien sevré de toutes les drogues qui ont emporté les premières années de mon règne et il n’y a rien à craindre, en vérité. Ce n’était pas une rechute ! À peine de quoi me rappeler ce qui m’a tant éloigné de mon trône et de mes priorités, une grossière erreur qui n’a aucun besoin de m’être constamment rappelée. Pourquoi donc me châtier, pour un péché déjà expié ? J’ai fait bien pire par le passé ! Est-ce parce que j’ai blessé ta tendre amie ? Je m’en suis excusé, Mélusine, et c’était tellement involontaire, oh, si tu savais comme je m’en veux !

J’attends ta réponse,

Castiel

Palais d’Euphoria
Le 26 juillet 1001

Chère Mélusine,

Que dois-je faire, pour que tu ouvres mes lettres ? Dois-je obliger les messagers à les lire, quitte à ce que tu les exécutes par la suite ? Dois-je aller moi-même te les réciter ? Dois-je te les enfoncer dans la gorge, ma sœur, pour que tu cesses de les ignorer ? Tout ça pour un événement aussi mineur, c’est d’un ridicule sans nom, Mélusine, et ton acharnement dans ton silence est d’un pathétique à rendre triste jusqu’aux roc des montagnes de ce duché ignoble dont tu te dis sujette. Il n’y a rien de comparable entre les événements d’Alfaë et ceux qui ont failli me perdre, il n’y a donc aucune raison de maintenir cette ligne dure plus longtemps. Je déteste te donner des ordres, à toi ou à quiconque de ma famille, mais l’envie de t’ordonner de répondre à mes lettres me chatouille de plus en plus. Je suis toujours ton duc, Mélusine, et plus encore, ton frère.

Réponds-moi,

Castiel

Palais d’Euphoria
Le 30 juillet 1001

Chère Mélusine,

J’en ai assez, de ton silence mesquin.

Réponds.

Castiel

Domaine des Murmures
Le 4 août 1001

Comment ai-je pu apprendre par Anthim que tu allais non seulement te marier, mais que tu étais enceinte ? Par Anthim, vraiment ? Pas même par Mère, Père, ou n’importe lequel de nos frères et sœur, mais bien par ce cancrelat enturbanné qui sert de duc à ces crétins d’Erebiens ? Tu as ainsi embarqué toute notre fratrie dans tes affreuses idées. Complices, tous autant qu’ils sont, est-ce bien cela que je dois comprendre ? D’ailleurs, s’agit-il uniquement de ma fratrie, puisque tu n’es plus ma sœur ?
Je te savais rancunière, mais je ne te savais pas méchante. Je ne te savais pas si cruelle, ensorceleuse de bas étage digne de la salope sans nom et sans titre qui avait pris le trône d’Outrevent. Tu ne vaux apparemment rien de plus.

Castiel

Domaine des Murmures
Le 10 août 1001

Tu n’es plus ma sujette, tiens donc ! Quelle splendide surprise, par tous les Dieux ! Ainsi donc, tu as décidé de mettre à exécution toutes tes menaces. Bien fait ! Que les vipères restent chez elles et nous serons tous en de meilleures dispositions, sans risque que leur venin vienne nous infecter ! Je me suis d’ailleurs empressé de saisir toutes ces terres, tu t’en doutes, considérant que leur vente n’a pas été approuvée par la couronne et est donc illégale. C’est trop aimable à toi, que de renflouer mes coffres.

Castiel

Le 17 août 1001

Dame Mélusine de Sinsarelle

En vertu des traités de paix qui unissent Erebor et Sombreciel, tout membre de la noblesse erebienne désirant se rendre en terres cielsombroises se doit de demander droit de passage auprès de sa couronne, en mentionnant le motif de sa visite, ainsi que sa durée. Vous êtes ainsi en possession d’un droit de passage de type illimité, autorisé au 1er janvier de l’an 1001 et valide jusqu’au 31 décembre de l’an 1001.

La révocation de ce droit de passage est imminente et tout voyage sur les terres de la couronne cielsombroise est désormais passible d’emprisonnement.

Si vous désirez obtenir un nouveau droit de passage, veuillez contacter directement les législateurs du palais d’Euphoria.

Bien à vous,

Aurélien Finrenard
Législateur au palais d’Euphoria

Le 25 août 1001

Dame Mélusine de Sinsarelle

La couronne cielsombroise ordonne la prise de tout mobilier frappé des sceaux et emblèmes de Sombreciel, dont vous trouverez la liste exhaustive jointe à cette missive, actuellement en résidence temporaire à la demeure de Sinsarelle. Une calèche a été envoyée pour récupérer les différents effets, ainsi qu’une équipe de responsables du dénombrement. Toute résistance, ou toute tentative de subtiliser du mobilier, est passible d’accusation de vol à la couronne de Sombreciel et d’emprisonnement.

Bien à vous,

Aurélien Finrenard
Législateur au palais d’Euphoria

Je te déteste je te déteste je te déteste je te déteste comment oses-tu me faire ça Mélusine ? Tu n’as pas compris que j’ai besoin de toi ? Pourquoi est-ce que tu ne comprends pas ? N’as-tu que du sable, dans ta pauvre tête ? Celui-ci t’empêche-t-il de réfléchir ? De t’attendrir ? As-tu le cœur sec que le désert ?

À quoi bon m’aimer, Mélusine, si c’est pour ensuite me désavouer aussi facilement ? C’est facile pour toi de prétendre que je te fais honte, alors que tu n’as jamais rien fait pour m’aider. Tu as laissé Père m’enfermer à Ibelin et tu ne venais jamais me voir, tu m’as abandonné, toi et les autres. Encore une fois, tu laisses les autres se salir pendant que tu t’enfuis.

Qu’est-ce que tu veux ? Dis-moi ce que tu veux, par Alder, juste un mot.

Vois-tu, comprends-tu ? J’ai du cœur, ma sœur, à ton contraire, et je sais reconnaître mes erreurs. Qu’est-ce qui t’empêche de reconnaître la tienne ? Je ne t’en tiendrai pas rigueur, loin de là. Reviens-moi, maintenant, arrête.

J’espère que ton Kyréen puant te rendra malheureuse et que vos enfants soient affligés de toutes ces maladies honteuses que l’on prête aux gens de son espèce. Probablement qu’il ne t’aime même pas et qu’il voit uniquement en toi un aimable divertissement, comme Denys jadis, et qu’il profite de ton nom plus élevé et noble que le sien pour reprendre place dans une noblesse où il est une tache disgracieuse et malodorante. J’espère que Sylvamir te permettra de dormir dans la porcherie où tu mérites de reposer.

Même de nos frères et de notre sœur, de nos parents, tu refuses d’entendre raison. À quoi cela te sert-il ? Te sens-tu mieux ? De m’abandonner une autre fois ? Es-tu heureuse, de me blesser ? Je sais, je t’ai blessé, Mélusine, mais REVIENS-EN, il y a pire, il n’y a eu aucune guerre, rien du tout, rien qui puisse t’importer outre mesure. Je suis suffisamment malheureux, tu peux être heureuse et te réjouir.

Tu ne peux pas avoir joué l’amour pendant toutes ces années, mais je commence à le croire. Je commence à voir que sous ton beau visage, tes belles manières, tu n’es en fait que l’incarnation même de Syned, sa forme aussi envoûtante que vicieuse. Peut-être, oui, aurais-tu dû accepter l’offre d’Anthim de rejoindre son triste harem de pauvresses manipulatrices. Au moins, je ne t’aurais plus vu. Et si tu avais été sultane ? Il aurait fallu peu de temps pour que même ce misérable enturbanné devine ta vraie nature.

Tu me fais tellement pleurer, Mélusine. Je ne dors plus la nuit, depuis des mois, je pense tout le temps à toi. Mes pensées oscillent entre toi et Alméïde, je suis incapable de penser à autre chose, et même ma colère n’y change rien. Tu ne lis aucune lettre, je suis incapable de t’en envoyer, incapable d’écrire, de penser. Comment fais-je pour administrer ce duché ?

Je suis tellement défoncé et saoul. Je suis allé au bordel, le plus beau, le plus grand d’Euphoria, j’ai léché toutes les drogues du monde sur les seins de la plus belle fille de nuit et j’ai envie de te dire d’aller te faire FOUTRE beaucoup loin Mélusine je ne non c’était TOUT CE QUE TU MÉRITES j’ai le droit de faire CE QUE JE VEUX je suis DUC de l’esprit je dois APPRENDRE et toi aussi tu ne comprends pas Joséphine comprend Mélisende même comprend parfois mais toi non es-tu idiote je ne comprends pas Mélusine je t’aime pourquoi est-ce que tu ne me réponds pas -

Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
Pourquoi
TU NE RÉPONDS PAS
MÊME PAS À MES INSULTES
MÉLUSINE RÉPONDS
S’IL TE PLAÎT
DIS-MOI QUE J’EXISTE ENCORE POUR TOI MÊME SI C’EST POUR ME HAÏR

Cesse de m’ignorer. S’il te plaît.
J’ai tellement mal sans toi.

J’en ai assez, de pleurer pour toi. Assez de pleurer en espérant qu’avec assez de larmes, je pourrai me noyer dans celles-ci. Assez d’espérer que tu portes attention à mon désespoir, ou à ma colère, alors que ça ne sert à rien. Tu veux uniquement vivre sans moi, sans le poids que je représente pour toi et ce probablement depuis toute ta vie. Pourquoi avoir un frère de plus, s’il doit être aussi idiot ? Aussi inutile ? À quoi bon s’attarder à cet imbécile de Castiel ? Ma mère ne m’aimait pas, Mélusine, mon père non plus, ils n’ont jamais été des parents, que des géniteurs égoïstes qui ont enfanté un héritier parce qu’ils le devaient, et Maximilien m’a pris sous son aile pour la même raison. Il le devait, il l’a fait. Tu as joué ton rôle, il est terminé.

Arrête, je t’en prie, arrête, je t’entends hurler dans ma tête, j’entends encore tes mots, mille fois, susurrés, murmurés, si froids. Sans doute es-tu faite pour les glaces kyréennes ? Tu n’es pas le sable des dunes, non, ni même le roc des montagnes, tu es ces glaces traîtres et acérées prête à se dérober sous le pied, à tuer d’une caresse, ou d’engourdir jusqu’à ce que la mort embrasse. Arrête, s’il te plaît, j’en ai assez de t’entendre, une fois c’était assez. Pourquoi être si méchante et à chaque nuit répéter ces paroles terribles ?

N’essaie pas de me voler Joséphine ! Ni Mélisende ! Elles ne t’appartiennent pas ! Je refuse que tu les montes contre toi, avec ta rancune stupide ! Joséphine est mon amie et Mélisende est ma sœur, autant qu’elles sont les tiennes, et j’espère que tu gardes ton venin pour toi, qu’il t’empoisonne petit à petit, que tu ne le distilles pas dans leur cœur. Serais-tu aussi mesquine ?

J’espère que tu ne seras pas au tournoi des Trois Opales. Ou oui, j’espère que tu y seras et que tu pourras voir ton cher ami dans l’arène. Je l’ai envoyé pour toi, tu sais. Juste pour toi. Pour que tu puisses le voir peut-être triompher. Probablement tomber. Il en meurt, des guerriers, à Hacheclair, et il en mourra d’autres, et j’espère qu’il en fera partie. Que tu verras tout.