Je suis comme mon père.
Cette pensée me percute, me déstabilise. Cruelle vérité qui me renvoie à ma propre condition... Facile à manipuler, à tordre selon son bon vouloir. Je ne le pensais pas. Tant de certitudes, balayées. Cette conviction d’être inébranlable, irréprochable ? Envolée, elle aussi. Je me mure dans la même impuissance dont il a pu faire preuve, avant qu’Outrevent ne chute. C’était un grand homme, fier et courageux, plein d’honneur... Qui a connu une chute terrible, car ce qui faisait sa force a fait aussi sa faiblesse. Ses ennemis ont su où frapper, comment contourner cette Justice qui lui tenait tant à cœur, comment retourner son honneur contre lui en le parant d’autant de chaînes. Ils l’ont fait plier. Ils l’ont rendu faible, impuissant... Manipulable à souhait. Ils en feront bientôt de même pour moi. Parce que je suis comme mon père.
Mes nuits sont agitées, difficiles. Elles l’ont toujours été, mais mes ballades nocturnes ne se sont jamais autant multipliées. Je disparais, de longues heures durant, et bientôt Souffleciel ne suffit plus à mes escapades incessantes. Lorgol les accueillait avant tout autant, sauf que cette fois, mes pas sont guidés vers un lieu précis. Je songe à la mort de Chimène qui, si elle est bien factice, a été si admirablement masquée que je n’ai pas su desceller la supercherie à temps pour éviter de commettre l’irréparable. Je l’ai trahi, à cause d’un mensonge, d’une magie impie. Je songe à Maelenn, l’Ensorceleuse si désirable, qui me fait redouter de suivre les traces de mon père... A cause de ses sentiments mitigés qui me font craindre une corruption naissante. Si je faiblis, c’est tout Outrevent que je menace. Si je faiblis, je veux que ce soit en mon âme et conscience, avec mes certitudes et mes doutes qui me sont propres. Je veux que ce soit réel.
Je dépasse les hautes murailles, et suis la route qui me mène directement à l’Académie. J’évolue seul, en silence, sous le renfort de cette cape qui me garantit l’anonymat. Personne ne s’arrête sur mon chemin, et personne ne cherche non plus à m’arrêter. A qui pourrais-je bien m’adresser, dans l’enceinte de ses murs ? Je ne m’y attarde pas souvent, si bien que je ne connais que peu ses occupants. Il me faut des renseignements, que je ne peux quérir qu’après d’un professeur... De confiance, autant que possible. Je sais, et ce sera l’occasion de lui parler plus en détails de... De sa sœur, si elle n’en a pas été avisée. Cassandre de Faërie. Je ne la connais que peu, mais elle est une mage d’exception et saura certainement m’aiguiller davantage. Je ne m’encombre pas de prendre rendez-vous avec elle, ni d’attendre qu’elle finisse quelques explications sur la transmutation auprès d’élèves assidus... Et qui ouvrent des yeux ronds en avisant qui vient de faire irruption soudainement dans leur cours. « Cassandre... J’aurais à vous parler. » Je ne m’encombre pas de manière, me contentant de rabaisser ma capuche pour lui dévoiler mes traits. Je la fixe longuement, en faisant mine de pas écouter les bavardages soudains que mon intrusion vient de provoquer. Je rajoute, guère patient, au risque de la froisser davantage : « C’est important. »