Paul la Tambouille

Yo.
Corvée de patates ? Hé, c'est le métier. Le sac est là, prend ce couteau, et tu t'arrêtes que quand j'te l'dis. Et tire pas la tronche, ça me fout en rogne.

T'sais le mousse, j'ai peu d'choses à dire sur ma jeunesse. Ma famille est à Ansemer. Une petite auberge qui paie pas d'mine. J'ai toujours aidé en cuisine, d'aussi loin qu'je souvienne. C'pas tant apprendre les recettes que d'tenter de les améliorer qui me bottait. Les clients étaient content. Mais bon, on est vite limité par les goûts du coin si on est pas riche. Poisson, crêpes, poisson, crêpe. On avait pas assez d'fleurons pour se payer d'autres produits de base. La vraie cuisine, ce serait plutôt du côté d'Bellifère. C'est là qu'y'a les meilleurs coqs, la Guilde des Saveurs, tout ça. J'voulais apprendre là-bas. Alors un jour j'ai embarqué sur un navire marchand, sans l'sou, et j'ai payé ma traversée en faisant la bouffe. Me suis entraîné à faire des plats comestibles avec l'peu qu'on me refilait. Ils étaient pas mécontents les gaillards.
Arrivé à Hacheclair, j'me suis fais jeter des meilleurs tavernes qui avaient un gars de la Guilde. Comme un pouilleux, ouais ! Soi-disant que je mettais trop de temps à déchiffrer les recettes. Est-ce que c'est ma faute si j'ai appris à lire sur le tas, hein ? Et pas question de me filer les papelards pour qu'j'prenne le temps de mémoriser, hoho ! Un Ansemarien, ça va forcément les revendre à la concurrence !

Bon, p'têt que je l'aurai fait.

Mais je voulais quand même apprendre d'abord les secrets du métier. Avec les bons. J'suis resté quelques années sur place, j'ai commencé dans une auberge plus modeste. Ouais, encore, mais au moins le chef m'a fait confiance. Les plats du coin sont variés, c'était chouette. Des purées et des soupes, beaucoup de viande. Et des sauces, mon gars ! A tomber par terre ! C'était le talent d'mon chef, moi j'ai découvert comment faire des conserves avec. J'l'ai surpris une fois, quand j'ai chopé un kangourou pour le cuisiner. C'est pas mauvais tu sais, plus tendre que le bœuf. Il a gardé l'idée. Par contre ils mettent trop de moutarde partout.
On a gagné d'la notoriété, le patron est entré dans la Guilde. Ça se bousculait au portillon pour se régaler d'nos plats. Mais l'chef il prenait tout le mérite. Egoïste. Je gagnais une misère comparé à not' travail. Alors au bout d'un temps j'me suis cassé avec mes économies, dans l'idée de faire mon trou à Lorgol. J'voulais prouver qu'on peut devenir un vrai maître coq sans passer par l'Académie. Pour pas dépenser, j'me suis à nouveau proposé sur un raffiot ; ma cuisine contre la traversée.

Et là, on s'fait aborder par des pirates ! Des pirates ! Maudits, avec leur regard goguenard et leurs entourloupes au sabre. Ils ont tout pillé, jusqu'à ma cuisine ! Et tu sais quoi, ils avaient plus d'coq à bord de l'Audacia depuis perpette, sombre histoire d'intoxication générale. Le pauvre bougre a pas fait long feu. Alors ces forbans, ils capturent un cuistot, ils font quoi, ben ils l'embauchent tiens ! Si tu penses qu'ça m'a fait plaisir de dev'nir pirate contre mon gré ! Tsé !
Quoi, pourquoi j'suis encore à bord ? Rien à voir, occupe-toi de tes patates. Je reste uniquement parce qu'à force de rapines, y'a un peu de tout dans ces cales. J'aime bien les défis culinaires.
Pas pour l'ambiance. Pas pour Rhéa. Ravale ton sourire. Pas pour les abordages non plus. Si je suis en première ligne c'est pour me venger d'mon doigt coupé pendant un raid. Si, c'est logique ! Cherche pas j'te dis, et épluche.
Puis j'suis à mon compte ici, j'reçois d'ordre de personne. A part le capitaine, ouais, mais lui il gueule pas si j'met pas de moutarde ou d'ail ou quoi. Je fais mes recettes comme je l'entend.
Avoue que mes sauces en bocal, ça aide avec les biscuits secs, pas vrai ? Si l'équipage est pas content, c'est qu'il sait pas apprécier la vraie cuisine ! Vingt ans que j'suis là, on me chassera pas si facilement p'tit !

Goûte-moi ça, j'crois qu'c'est réussi. Y'a un peu du requin d'hier dedans. Aaaah. Tu sais, le secret c'est de se satisfaire de c'qu'on a, et réussir à en faire quelque chose de meilleur. Mon p'tit plaisir, c'est quand y'en a pas un qui moufte à l'heure du repas, tous plongé dans leur bol. Le silence de celui qui mange bien. Si, ça arrive. Faut pas croire, le moral d'un équipage en mer, ça dépend beaucoup de la bouffe, et t'as vu, y'a une bonne ambiance sur l'Audacia. Bien manger, c'est la clé. L'énergie.

Quoi des questions ?
Le chat disparu de Douce Marianne ?
Héhéhé.

J'sais pas. C'est vrai qu'il y en avait beaucoup à l'époque et qu'on m'a soupçonné. Va savoir. D'ailleurs, tu feras gaffe au Monstre, laisse rien traîner quand tu m'aides. Si ça disparaît dans son ventre, j't'ouvre le tien en deux en représailles.
C'est bon pour les patates, y'en a assez. File.