Petit oiseau deviendra grand

Le palais se dessinait devant moi, immense et splendide, et surtout dans un piteux état... Je ne pus m’empêcher de m’arrêter pour l'observer, et de me rappeler ses tours, ses ailes qui avaient disparus dans les flammes. Après plusieurs minutes durant lesquelles je pris le temps d’observer chaque mur, chaque fenêtre et chaque décoration qui avaient résistés, je me décidais à reprendre la route. J’avais encore du chemin à faire, et je n’avançais pas très vite. Je n’avais donc pas de temps à perdre. Mon genou ne me facilitait pas les choses, heureusement que j’avais emporté ma canne. Je fis une petite grimace et tentait d’accélérer. Peu importe la douleur, la perspective de voir ma fille dans son nouvel environnement me rendait aussi nerveux que le jour où je m’étais présenté dans ce palais pour la première fois.  Quand j’avais appris qu’Elanin allait entrer au service de la princesse de Valkyrion, j’ai eu du mal à y croire. Parmi toute les filles de seigneurs, de marquis et des autres nobles plus haut placés, c’était elle que la Du-chesse avait choisi. Mon cœur s’était à la fois empli de fierté et de crainte. Ma fille allait quitter le manoir, sa terre natale, et sa famille pour un endroit qu’elle ne connaissait pas. Mais cela n’avait pas l’air de l’inquiéter, bien au contraire. La veille de son départ, elle ne cessait d’aller à droite, à gauche, pour vérifier que tout était en ordre, que ses robes étaient prêtes. Elle révisa ses révérences, les phrases de courtoisie, et avait même confectionné une liste de livres que je devais lui faire parvenir pour la princesse. Elle prenait sa nouvelle mission très à cœur, et la voir aussi radieuse me réchauffa le cœur.

Cela faisait maintenant quelques jours qu’elle était entrée au palais, et je n’avais pas eu la moindre nouvelle. Rolf avait décidé de suivre mon frère et sa famille et avait pris le chemin pour Ysgramor. Il avait tenté à de nombreuses reprises de me rassurer, en me disant qu’Elanin se débrouillerait très bien, mais je n’avais pas cédé. Il était donc parti sans moi et m’avait laissé avec quelques domestiques, s’assurant ainsi que je sois en sécurité, et surtout que je n’aille pas offenser un autre Duc. Rolf et sa sœur avaient très mal vécu ma soudaine disparition, et le fait qu’ils soient bannis d’Erebor avant même d’y avoir posé les pieds n’avaient pas arrangés les choses. Je n’étais pas sûr qu’ils m’aient pardonné. Elanin m’avait parlé plus d’une fois d’Erebor et de ses merveilles, et, par ma faute, elle ne pourrait jamais s’y rendre. Elle n’était pas la seule à être horriblement déçue. Moi-même, en perdant le droit d’aller dans ce duché, j’avais consi-dérablement réduit mon champ de recherche. Mon travail allait donc devoir se contenter des ouvrages de l’Académie, et de ce que j’avais en ma possession concernant Erebor. Il ne serait donc jamais complètement achevé. Quelle tristesse…  Depuis mon retour et mon rétablisse-ment, qui avait pris du temps, nous évitions d’évoquer ce sujet, préférant ne pas y penser. C’était sans doute mieux ainsi.

Après un temps qui me sembla très long, j’arrivais devant les portes du palais, qui conservait les traces des derniers évènements, et cela me désolais. Je donnais mon identité à un garde ainsi que la raison de ma présence ici, et le suivi après qu'il m'eut fouillé et vérifié que tout était en règle. Cela prit une éternité mais je ne protestais pas. La sécurité se devait d'être maximale après ce qu'il s'était passé.. Il me fit entrer dans le hall et me demanda de patienter, que ma fille n’allait pas tarder à arriver. Effectivement, ce ne fut pas long. Quelques minutes plus tard, ma fille arri-va, tout sourire, et vint me serrer dans ses bras. Elle portait une robe magnifique et ses cheveux blonds étaient attachés dans une longue natte. Je m’écartais d’elle pour la regarder, tout en prenant de ses nouvelles. Très vite, elle me submergea dans un flot de paroles, me racontant sa nouvelle vie, comment cela se passait avec la princesse, le fait que sa nouvelle chambre était magnifique et j’en passe. Je gardais le silence et l’écoutais. Rolf avait eu raison, je n’avais aucune raison de m’inquiéter. Elanin était à sa place ici, et elle construirait son avenir dans ce palais, en compagnie de la princesse de Valkyrion et de la duchesse. Un bruit de pas me fit revenir sur terre. En parlant de duchesse, la voilà qui arrivait, de son pas gracieux et noble. Je m’inclinais, aussi respectueusement que me le permettait mon genou et lui dis :

« -  Bonjour Votre Grâce, je suis ici pour prendre des nouvelles de ma fille, avant de repartir pour Ysgramor. J’espère que je ne vous importune pas, surtout après les der-niers évènements. »

Depuis les attaques de Lughnasadh, la ville est en effervescence car il fallait s’occuper des blessés, assurer les reconstructions et rassurer la population. De quoi mobiliser chaque habitant de Svaljärd. Quand je me remémore ces journées qui auraient dû être festives, un goût amer se fait sentir accompagnant ce sentiment de défaut envers mes concitoyens qui a coûté la vie à l’Impératrice. D’ailleurs, j’espère que Gustave se remettra de ses blessures, reprenant la tête d’Ibelène et démontrant que notre empire reste fort en dépit des coups portés. Ce jour-là, après m’être occupée des affaires avec mon mari, j’ai décidé de rendre visite à Elanin, la nouvelle dame de compagnie de Ljära, dont j’ai appuyé le choix. Mon chemin passe à côté de l’aile détruite du palais et à chaque fois que je passe devant, j’ai l’impression qu’il ne sera pas possible d’effacer les traces de l’Ordre et qu’il marquera profondément Arven, cependant, cela nous permet de conserver en mémoire la dangerosité des actes de ce groupuscule.

Puis je me dirige vers l’étage inférieur et je dérape dans l’escalier, glissant sur quelques marches avant de me rattraper à la rambarde. Je relâchai ma respiration, retenue sous l’effet de la surprise, et vérifie que je n’ai rien de casser. Plus de peur que de mal, je lâche un soupir de soulagement et termine ma descente après avoir vérifié que personne ne m’a vu. Fort heureusement, je me trouve seule à ce moment-là. Au pied de l’escalier, je réajuste ma robe aux teintes marron et glisse une main dans ma chevelure laissée libre, avant de m’avancer dans le hall vers les silhouettes familières des Ysgramor. Raygnar me salue et je lui adresse un sourire ravi.

- Bonjour messire Raygnar, votre présence ne nous importune pas. Nous avons certes beaucoup de choses à gérer, mais il est important de prendre des nouvelles de sa famille. Un élément essentiel de mon point de vue, rien ne remplace la famille. Je pose un regard bienveillant sur Elanin avant de revenir sur Raygnar. Je suis contente de voir que vous allez bien. Outre les derniers évènements et la présence d’une canne, j’ai eu vent de ses mésaventures en Erebor, pourtant je décide de ne pas aborder le sujet en premier. J’espère que le reste de votre famille se porte bien. En tout cas, Elanin se montre très enthousiaste dans ses nouvelles fonctions et Ljära s’est attachée à elle. Sourire approbateur.

Au lieu de poursuivre notre conversation dans le hall, je propose à la demoiselle et son père de s’installer dans une pièce adjacente, plus confortable.

- Vous rentrez dans votre domaine ? Vos recherches progressent ?

Spoiler:

La duchesse me salua, et me rassura sur le fait que ma présence ne l’importunait pas. J’en doutais. Le palais était dans un piteux état, des personnes étaient blessées, d’autres avaient perdu la vie. Je savais que ma présence pouvait être gênante. Cependant, je gardais tout cela pour moi et m’inclinais. La duchesse déclara que rien n’était plus important que la famille et posa un regard bienveillant sur ma fille. Celle-ci rougit et fit un grand sourire. Mes craintes s’évanouirent. Elanin était entre de bonnes mains, et elle avait toutes les chances de s’épanouir pleinement au sein de la cour ducale. J’espérais juste qu’elle me tiendrait au courant des dernières nouvelles, et qu’elle ne ferait aucune bêtise. Entrer au sein de la cour est assez difficile, y rester l’était tout autant. Je penchais la tête et fis un petit sourire.

La duchesse me regarda à nouveau et me dit qu’elle était contente de voir que j’allais bien. Elle avait eu vent de mes dernières mésaventures, et je fus soulagé qu’elle n’en parle pas tout de suite. Ces semaines passées en Erebor m’emplissaient encore de honte. Mais si la duchesse souhaitait en parler, je n’aurais pas d’autre choix que de répondre. Elle prit également des nouvelles de ma famille, et me parla d’Elanin et de son travail. J’étais ravi d’apprendre que la petite princesse se soit déjà tant attachée à ma fille. Voilà une amitié qui débutait bien, et qui durerait longtemps. Je me contentais donc d’hocher la tête et de répondre :

« -- Oui Votre Altesse. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai été sauvé par un groupe de combattant. » Je me tus pour regarder passer un serviteur pressé puis repris : « Ma famille se porte bien Votre Grace. Mon aîné vient de reprendre la route, et mon cadet étudie à l’Académie. J’espère que la vôtre n’a pas trop souffert des derniers évènements. Je suis soulagé de savoir que tout se passe bien entre la jeune princesse et Elanin.

La duchesse nous proposa de nous installer dans une pièce plus confortable, ce que j’acceptais volontiers. Mon genou me faisait encore payer ma course dans les rues de Svaljärd, et n’avait pas apprécié le trajet entre l’auberge et le palais. Je restais totalement stoïque, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver du soulagement quand j’ai enfin pu m’asseoir. Ma fille resta à mes côtés et affichait toujours le même sourire ravi. La duchesse me demanda alors si je rentrais dans mon domaine, et si mes recherches progressaient. Je passais la main dans mes cheveux et répondis :

« -Je compte reprendre la route dans la journée, au plus tard demain Votre Altesse. Mes recherches progressent, mais elles ont pris du retard. Je vais devoir le rattraper si je veux un jour voir mon projet aboutir.

Je suis contente d’apprendre que la famille de Raygnar se porte bien. Par contre mon regard s’assombrit légèrement quand je repense à ce qu’il s’est passé avec les attaques de l’Ordre. Je sais que j’aurai pu perdre mes enfants avec les Sentinelles, le nombre de morts auraient pu être plus conséquent sans l’intervention de la Rose. Je leur suis redevable. Mon sourire revient.

- Oui, l’entente se passe très bien entre votre fille et la mienne.

Une fois installés dans une pièce plus calme, le seigneur d’Ysgramor entreprend de répondre à ma dernière question. Ainsi, ses recherches ont pâti d’un certain retard, mais cela ne le décourage pas ce que je salue d’un hochement de tête approbateur.

- Avez-vous découvert ce que vous souhaitez en Erebor ?

Je finis par aborder le sujet fâcheux de son voyage chez notre voisin erebien. Je ne doute pas que leur culture et leur histoire soient riches, cependant je souhaite entendre la version de mon vassal sur ce voyage. Même si j’ai déjà des éléments d’information, je préfère me faire ma propre opinion avec les deux versions.

- Que s’est-il passé pour froisser le duc ?

Je me montre curieuse sans être accusatrice, mais je doute qu’Anthim ait pris ombrage pour une broutille. Donc j’attends les éclaircissements de Raygnar.

La duchesse me confirma que tout allait bien entre Elanin et la princesse, pour le plus grand bonheur de ma fille qui ne quittait pas un seul instant son beau sourire. Je posais ma main sur celle de la jeune fille et me tournais vers Astrid qui me demanda des nouvelles de mes recherches. Je lui avouais, quelque peu honteux, que celles-ci avaient pris du retard, sans préciser pourquoi. Je la savais au courant de mes dernières mésaventures, étant donné que je ne devais mon salut qu'à elle, mais je ne tenais pas tellement à lancer le sujet, même si je doutais qu'il soit mis sur le tapis tôt ou tard. La duchesse ne me laissa pas le choix. Elle me demanda si j'avais pu découvrir ce que je souhaitais en Erebor. Voilà, on y était. Je me sentais, à ce moment là, comme un enfant qui avait fait une bêtise, et qui attendait de se faire réprimander par sa mère. J'avalais ma salive et pris mon courage à deux mains. Je lui répondis :

- J'ai pu obtenir quelques anecdotes et quelques informations de la part des habitant de Vivedune. Cela n'a pas été facile. En revanche, je n'ai pas pu accéder à la bibliothèque ducale.

Je n'en dis pas plus. Je me sentais extrêmement mal à l'aise, et, vu le regard que me lança ma fille, je devais avoir considérablement pâli. Elle était resté suffisamment à mes côtés durant ma convalescence pour comprendre que j'avais vécu un véritable enfer dans les cachots du palais de Vivedune. Rares étaient les nuits où je dormais plus de deux heures d'affilées. Même encore aujourd'hui, je sursautais quand j'entendais ne serait-ce le bruit d'une porte qui se fermait un peu trop bruyamment. Je relevais les yeux pour croiser le regard de la duchesse qui, sans se montrer accusatrice, me demanda pourquoi j'avais subi un pareil traitement, pourquoi Anthim d'Erebor avait été offensé. Je posais les mains sur mes cuisses, baissais la tête, et lui répondis, d'une voix que j'espérais être la plus neutre possible :

"- - J'ai abordé un sujet délicat Votre Grace, j'aurais du prévoir que le duc serait aussi... susceptible.

J’écoute Raygnar m’exposer le résultat de son voyage en Erebor. Ainsi il a pu obtenir des informations pour ses recherches. Après, qu’il ait rencontré quelques difficultés ne m’étonne guère sachant que les erebiens sont un peuple assez protecteur envers les leurs, leur culture et leurs biens, mais c’est également un peuple fier et riche, et je ne parle pas uniquement de richesse matérielle.

- Oui, les erebiens peuvent être méfiants sur certains sujets et envers certains visiteurs. Heureusement que vous n’êtes pas cielsombrois.

Je ponctue mes dires d'un sourire entendu. Je n’ai pas besoin de préciser le fond de ma pensée, l’animosité entre Erebor et Sombreciel étant connue de tous. Je surprends le regard échangé entre la fille et son père, ce dernier a été marqué par son séjour chez notre voisin, cela s’entend dans son discours et je perçois également de la réticence à aborder le sujet de ce voyage. Son attitude me laisse penser que le seigneur d’Ysgramor n’est pas fier de sa mésaventure. Outre le fait que son nom devait être marqué d’une croix rouge, il est un représentant de Valkyrion et, malheureusement, cela rejaillit aussi sur les relations entre nos deux régions, même si c’est dans une moindre mesure qu’une offense de notre couronne envers celle d’Erebor.

- Et quel sujet avez-vous abordé ?

Je suis curieuse d’entendre sa version. Connaissant Anthim, je sais que sa famille peut être un sujet brûlant mais ce ne doit pas être le seul. Autant savoir de quoi il retourne avant d’être confrontée au duc d’Erebor. Mon regard se pose sur Elanin qui est également touchée par les actions de son père. Or, en tant que dame de compagnie de ma fille, elle sera amenée à rencontrer les têtes couronnées d’Arven dont Anthim, autant qu’elle soit préparée. La conversation se poursuit jusqu’à ce qu’un serviteur vienne me voir. Il me signale que Hjalden me demande au sujet des moyens mis en œuvre suite à l’attaque des sentinelles.

- Veuillez m’excuser, je déclare en me levant. Le devoir m’appelle.

Sur ces paroles, je prends congé, emmenant Ljära avec moi pour laisser père et fille discuter tranquillement.