Lena Jedidiah

Chère Leia,
A l'instant où j'écris ces mots, tu n'as que quelques mois. Tu as des mains miniatures que j'adore te faire enrouler autour de mon index et tu cries beaucoup, c'est énervant, mais lorsque tu t'arrêtes, je regarde ton visage à croquer et j'oublie tout. Je ne sais pas si j'ai aimé autant Lucy lorsqu'elle était bébé mais de toute façon c'est trop tard pour elle, elle ne m'aime pas autant que je le voudrais et je ne peux pas la blâmer : j'ai été une grande sœur horrible. Mais avec toi, tout reste à écrire et j'espère qu'au moment où tu liras cette lettre j'aurai été aussi importante pour toi que je prévois de l'être. Je suppose que oui, ceci dit, car je t'ai laissé un chemin bien corsé pour la trouver alors vu que tu y es arrivée, je peux déjà te dire : Félicitations ! Tu es ma digne héritière et je suis enchantée que tu n'aies pas hérité du cerveau rétréci de notre aînée (et je le suis d'autant plus, que ça veut dire que nous sommes une majorité de gens tout à fait respectables dans la fratrie). Tu ne sais pas encore, Leia, ce que tu tiens entre les mains car, vois-tu, petite sœur chérie, je ne te lègue pas seulement les trésors de mon enfance, je ne te lègue pas seulement ma meilleure amie, je te lègue, en plus de tout ceci, mes secrets. Le droit de savoir exactement ce qui me passe par la tête et tu as le privilège d'être la seule dans la confidence, puisque les poupées ne parlent pas encore, désolée de te décevoir.

Tout comme toi, je suis née à Lorgol d'une famille de pirates. Tu sais tout ça, bien sûr, mais il faut commencer quelque part et l'origine de tout est un bon début. Je suis partagée, Leia, voici mon premier secret. Tu vas me croire hypocrite car je répète depuis toute petite que ces pirates ne sont pas ma famille et pourtant j'aime ma mère plus que tout, je le ressens au fond de mon ventre : même lorsqu'elle me fait peur, même lorsqu'elle m'irrite, j'aime et j'admire Freyja de Brunante. Voilà pourquoi je suis partagée, j'aurais voulu ne pas être née chez les brutes et en même temps je suis très fière de mes parents. Cherche un parchemin jauni enroulé, il date de l'époque où je m'imaginais cartographe sur l'Audacia, j'aime dessiner et tu vois, j'avais cette idée folle de rejoindre l'équipage quand je serais plus grande, je me disais qu'on pouvait être pirate et élégante, il suffisait d'avoir un rôle un peu plus intellectuel que celui de piller et tuer. J'aimais bien les cartes, mais plus pour les choses qu'on pouvait y cacher. L'aventure ce n'est pas pour moi, je l'ai compris plus tard.

C'est dur de trouver sa place, quand on est l'intruse d'une famille de braves. Je vais te choquer, Leia, parce que mon deuxième secret est difficile à supporter. Plus encore pour moi. Je suis parfois, rien qu'un petit peu, mais ce n'est pas forcément toujours le cas, enfin je veux dire qu'il m'arrive, mais ça me passe très vite, d'être jalouse de Lou-Ann. Rassure-toi, ce n'est pas si important que ça. C'est juste que les parents sont tellement fiers d'elle. Elle, elle n'a peur de rien. Elle, ils l'ont accepté dans leur équipage et moi ils m'offraient des choses pour que je ne les oublie pas. Bien sûr, je suis mage maintenant, donc ce n'est plus si grave, mais avant j'étais très vexée de ne rien avoir pour moi. J'espère, ma Leia, que tu n'as pas connu ça, que tu as été acceptée. Cherche un collier de coquillages, un cadeau de Papa, je l'ai longtemps porté, à présent il est à toi. J'ai l'air ingrate mais ne t'en fais pas, j'étais très heureuse de recevoir ces cadeaux. J'avais des robes à en faire pâlir les filles de la noblesse. J'en ai toujours. Je suis comme une princesse.  

J’avais une marraine, une vraie dame de la noblesse, Lisbeth d’Outrevent. Tu aurais dû la voir, elle était magnifique avec ses longs cheveux, sa présence et ses tenues. Regarde à la page cent-vingt de Femmes d’Arven, d’hier et d’aujourd’hui. Si tu ne la connais pas, c’est qu’elle a rejoint Sithis il y a déjà trois ans. Il s’est passé tant de choses depuis, ça a l’air beaucoup plus loin. Sur le moment je ressentais beaucoup de souffrance, c’était ma marraine et la seule personne de ma famille à avoir de vraies manières, la seule personne à qui je pouvais vraiment m’identifier. Je pense qu’avec le temps on passe à autre chose, surtout quand on a une vie aussi remplie que la mienne, alors je suis vaguement mélancolique quand je me souviens d’elle. J’aimerais qu’elle soit là pour que tu la rencontres, peut-être que tu connais Grâce et Marianne, les marraines des autres, toi tu as Ilse et ça va aussi, mais Lisbeth était bien au-dessus. Après son départ, je l’ai vue en rêve quelques fois, mais je ne voudrais pas que son esprit ère, ce serait un bien trop triste sort. J’ai décidé de privilégier les vivants, je voudrais une marraine de remplacement, j’aurais dû demander à Alméïde d’Erebor quand je l’ai rencontrée.

Parce que oui, je l’ai rencontrée ! C’était avant l’Académie et avant la guerre. Mais ce n’est pas tout attends ! J’ai rencontré aussi Sitara d’Erebor qui m’a offert un bracelet que, j’en suis navrée Leia, je ne te lèguerai jamais. Mais surtout, SURTOUT, tiens-toi bien ! Il y avait Mélusine de Sylvamir. Je l’admire depuis toujours, même lorsque je ne la connaissais pas. Tu vois, la poupée Mélusine tire son nom d’elle et puis j’ai aussi un portrait d’elle signé dans ma chambre. Elle est aussi dans le livre mais aucun portrait ne témoigne réellement de sa beauté. Oui, en vrai elle est beaucoup mieux et son mari est beau aussi ! Mais je m’égare, Leia, je devais te raconter des secrets et ça ce n’est un secret pour personne. Bien sûr que dès que j’ai pu fréquenter la haute société, j’en ai parlé avec le plus de monde possible. Encore aujourd’hui, c’est une anecdote que je ne manque jamais de rappeler. J’ai aussi rencontré Mélisende une fois, mais pour des jumelles, elle est tout de même beaucoup moins belle.

A l’âge de onze ans, j’ai découvert ma magie. Ô Leia, je voudrais tant que tu sois mage toi aussi ! Les autres ne se sont pas rendu compte à quel point c’était important pour moi. Tu vois avant, j’étais une princesse ratée de taverne, une couarde toujours le nez dans les bouquins. J’étais heureuse d’être plus intelligente que Lou-Ann, mais les pirates, ça leur fait une belle jambe de savoir lire et d’avoir de la culture. A l’Académie en revanche, je suis dans mon élément. Passée la frayeur de me trouver nez à nez avec une tornade dans ma chambre, j’ai été soulagée. A ce moment-là je ne savais pas ce qui m’attendait, je ne savais pas qu’Arven allait changer, que je serais enlevée, que l’Académie allait fermer ou même qu’un an après mon admission, je tomberais malade. Mais nous y viendrons, Leia. Je suis certaine que lorsque tu liras ces mots, je t’aurai raconté ces histoires des milliers de fois, mais jamais ainsi, jamais je ne te dévoilerai face à face la terreur que j’ai ressentie.

Plusieurs fois j’ai cru que j’allais mourir. Non, j’ai vraiment failli mourir. N’essaie jamais de te faire enlever, Leia, ce n’est pas drôle. Etrangement, ma mémoire me renvoie peu d’images de cette période, je me souviens bien plus clairement de la punition qui a suivi. C’était le pire, tu sais, d’être consignée à la Taverne et de n’avoir aucune excuse pour en sortir, pas même un entretien à l’Académie qui était exceptionnellement fermée. Fichus mages du sang ! J’ai dû attendre décembre pour y entrer, décembre ! Alors j’ai fait la seule chose que je pouvais faire : travailler ma magie, travailler mes connaissances, travailler mon éloquence. Je ne pouvais pas me permettre de rater cet entretien. Voici un conseil avisé, Leia, je n’ai peut-être pas l’ancienneté d’une maman ou d’une marraine mais écoute moi : si tu veux quelque chose, il faut que tu te donnes les moyens de l’obtenir. Si tu n’y arrives pas et que tu as tout essayé c’est que ça ne dépendait pas de toi. J’ai réussi mon entretien, tu le sais, j’ai été admise au rêve et je l’étudie encore. Je serai une très grande mage, tu sais, c’est peut-être le travail d’une vie mais c’est ce pour quoi je suis faite alors autant devenir la meilleure.

Revenons un peu en arrière, parce qu’avant l’Académie, il y a eu le Tournoi des Trois Opales. Je ne pouvais pas crier au retour de la liberté, car c’est tout de même ma nourrice qui m’a amenée à Hacheclair – qui a encore une nourrice à douze ans, sérieusement ? -  mais ça changeait de ma chambre et allons directement au plus important : (Passons sur le fait que j’aie rencontré la délégation d’Erebor et que c’était le plus beau jour de ma vie parce que j’en ai déjà parlé un peu plus tôt) Arsène et moi on a teint des griffons et J’AI CHEVAUCHE UN DRAGON DE LA ROSE ! Arsène était tellement jaloux, tu n’as pas idée ! Oh, au fait, Arsène c’est mon meilleur ami garçon, je crois qu’il m’aime plus que bien mais je ne sais jamais avec lui, parfois il est si puéril. Mais c’est le seul avec qui je n’ai jamais l’impression de passer pour une idiote, je m’amuse vraiment et ce n’est pas grave si on fait des choses puériles. Enfin il ne faudrait pas que ça se sache à l’Académie, mais ça tombe bien parce qu’il n’y est pas. Enfin, Leia, tu t’en fiches de tout ça, parce que là-maintenant (je veux dire, maintenant quand tu lis, pas maintenant quand j’écris) on doit être devenus grands et donc on ne fait plus tellement de choses puériles. J’espère que nous sommes restés amis par contre. Tiens je vais te confier un autre secret : je t’ai fait une copie de ma liste de potentiels maris, il est tout en bas mais plus j’y réfléchis, plus je me dis qu’il mériterait de gagner quelques places. Et là, petite sœur, je t’en supplie, que tu connaisses Arsène ou pas, qu’il soit toujours mon meilleur ami garçon ou qu’il soit autre chose, NE DIS RIEN A PERSONNE !  

En mars j’ai failli mourir. Oui, encore. C’est un beau chevaucheur qui m’a sauvée (se référer à la liste mentionnée précédemment). C’est dommage parce que les choses commençaient réellement à s’arranger avec ma mère, je n’avais toujours pas le droit d’aller dehors en dehors des trajets Taverne-Académie et pour la première fois j’avais pu aller en sortie avec d’autres élèves et professeurs. Je n’avais pas prévu que la charmante petite équipe de l’Audacia vienne gâcher la fête d’Ansemer. Je n’ai pas besoin de te raconter ça, Leia, tout ce que tu as besoin de savoir c’est que c’était le chaos. J’ai failli mourir et ce n’était même pas la dernière fois. Je vais te dire quelque chose, il y a une raison à tout ça : les énigmes, le coffre, les trésors, la lettre. Mais si, je t’aime, petite sœur ! Quand je suis tombée malade il y a quelques semaines et que Lou-Ann essayait de s’occuper de moi à sa manière, j’ai compris que personne ne me connaissait vraiment. J’ai été très seule jusqu’à pas si longtemps, Nina ma meilleure amie fille ne date pas d’il y a si longtemps. Une troisième fois en moins de deux ans j’ai cru que j’allais y passer et c’était la pire, parce que je me sentais partir petit à petit. Parce que ma magie - la seule chose qui me rend vraiment spéciale rappelle-toi - était devenue ma pire ennemie. Et j’avais une mine terrible, aussi. En tout cas ça m’a fait réfléchir. C’était pénible, mais c’était encore ce que je pouvais faire de mieux. Et j’ai songé, jolie Leia, à ces deux humains miniatures qui avaient eu la bonne idée de débarquer après Lou-Ann, Lena, Lucy et Leo Jedidiah. Je ne pense pas que nous soyons une fratrie toujours très facile mais je veux rendre les choses meilleures. Je veux être digne d’être ta grande sœur puisque j'ai raté avec les autres.

Chère Leia,
Voilà le résumé de ma vie telle que je ne l’ai confiée à personne. Je te laisse découvrir le reste de mes trésors, peut-être même que j'en rajouterai.

Lena

▬ TRAME ALTERNÉE (Intrigue 2.3 La Roue Brisée)
→ Lena était la seconde fille de Grâce (alors Seconde de l'Audacia) et de Philipe Jedidiah (cuistot sur la vivenef). C'était une vraie casse-cou, qui passait son temps à s'entraîner au combat en s'imaginant future pirate (à ce propos, elle était relativement furieuse que sa précieuse de sœur soit déjà mousse). Elle a passé un petit moment à essayer de comprendre sa mère qui débloquait mais vu que Lou-Niaise a décidé de prendre les choses en main, elle est retournée faire des choses beaucoup plus intéressantes, comme jouer par exemple.
Mais tout ceci importe peu puisqu'elle ne s'est pas éveillée et a vécu sa vie normalement.

Ibélène a regagné les terres perdues pendant la guerre et en a même regagné de nouvelles. Le conflit a donc pris un nouveau tournant en faveurs des Ibéens, en es-tu satisfait ?
Bien sûr que non ! Je voudrais juste que la guerre cesse. A Lorgol, je vois des gens de tout Arven et je ne comprends pas pourquoi ailleurs ils devraient se taper dessus. Heureusement qu'à l'Académie je suis épargnée, mais quand on voit comment les Ibéens traitent leurs mages, ça fait peur, il ne faut surtout pas qu'ils continuent de gagner !

L'épidémie d'il y a quelques semaines a eu pour conséquence la révélation de nombreux mages, quel que soit leur royaume d'appartenance. Que penses-tu de cet état de fait, trouves-tu que l'Ordre du Jugement a eu raison de les exposer ainsi à la vue de tous ?
Je suis révoltée. Vous allez me dire qu'est-ce que j'en ai à faire, moi, de ces mages d'Ibélène ? Je ne suis pas concernée après tout, j'ai eu la chance de naître au bon endroit. Certes, ça m'affecte peu, mais il me reste des souvenirs pas du tout agréables de cette épidémie alors je ne peux que compatir avec ceux qui en plus d'être malades se sont fait pourchasser dans leurs propres duchés. L'Ordre du Jugement, je n'avais d'avis à leur sujet  qu'une inquiétude incertaine, mais à présent ils me font vraiment peur, je ne peux cautionner aucune de leurs actions.

Que penses-tu de Lorgol, la ville aux Mille Tours ? Est-ce que tu t'y promènes sereinement ou est-ce que la capitale des peuples libres t'oppresse ?
Je suis née à Lorgol, ce serait vraiment triste si je m'y sentais oppressée. Depuis que je suis mage, c'est doublement chez moi : la Taverne est ma première maison, l'Académie ma deuxième maison. Plus jeune, je m'imaginais dans les jolis jardins d'Edenia ou assise au bord de la fontaine d'Alfaë. Maintenant je comprends que ce sont des endroits que je peux visiter, mais naître là-bas ne m'aurait pas donné l'occasion de voir autant de monde. A partir du moment où vous ne faites confiance qu'à vous-même, fréquenter les peuples libres est plus enrichissant qu'oppressant.