Gustave de Faërie

Il est tard déjà. Voilà bien longtemps que le soleil a disparu de l'horizon et que les ténèbres se sont abattues sur le palais. Avec la charge d'empereur, sont venus les soucis. Je suis mécontent concernant l'attitude de la Maréchale de Flamme. Son emportement a précipité une guerre que je ne suis pas encore prêt à mener. Tout juste couronné, il m'aurait fallu un peu de temps pour asseoir ma position. Mais en même temps, c'est le moment où jamais de prouver que je suis capable de diriger l'empire d'une main ferme. C'est en situation de crise que les grands hommes se révèlent. Et je pense être de cette étoffe. Je dois être de cette étoffe. Aucun échec ne saura être toléré...

Un rayon de lune éclaire le lit conjugal. Lauriane dort paisiblement. Les années n'en en rien affecté sa beauté et je rajeunis de 20 ans quand je la contemple ainsi, me rappelant pourquoi cette femme a attiré mon attention. Pourquoi le jeune homme fougueux que j'étais s'est épris de cette délicate noble. Est-ce que je regrette la façon dont je l'ai faite mienne ? Non... Je savais qu'elle me pardonnerait et serait heureuse à mes côtés, avant même qu'elle ne le sache. Je ne pouvais concevoir qu'elle m'échappe. Elle était déjà séduite, même si rétive. J'ai l'impression que toute ma vie fut émaillée de combats et de conquêtes, quand tout aurait du être facile et ma voie tracée.

Je me souviens de mes larmes et de mon incompréhension quand ceux que je pensais mes parents m'ont apprit la vérité sur ma naissance. Je me demande encore pourquoi ils l'ont fait. Il aurait été plus simple de garder le secret. Je n'aurais alors jamais été une menace pour le trône et mes sœurs. On ne peut souhaiter ce que l'on ignore n'est-ce pas ? Sans doute aurais-je été aussi plus heureux. J'aurais continué d'être un seigneur du Ponant, enfant choyé et éduqué en Outrevent, qui n'aurait jamais eu d'ambitions concernant la famille royale, exilé dans son carré de terre outreventois. Les raisons de mon abandon n'ont eu de cesse de me révolter et de faire brûler la flamme de la revanche. Spolié de mes droits, simplement parce que j'étais né mâle ? Quelle stupidité ! Je regrette de ne jamais avoir pu rencontrer mes vrais parents, ce couple royal pour qui un fils était quantité négligeable et facilement sacrifiable... De cette expérience, j'ai fait une force, me promettant de faire passer mes enfants avant tout le reste. Mon fils héritera de mon trône. Les traditions sont faites pour être bousculées et abolies.

Le couronnement de Chrysolde fut une nouvelle épine amère dans mon cœur. Cela aurait du être moi... Maudit système qui permet de telles injustices... Ma sœur avait été élevée pour régner, ignorante de l'existence d'un frère sacrifié, écarté. Je me renseignai sur mes 4 sœurs, écoutant les rumeurs, devinant leurs caractères, me demandant parfois leur réaction si je me présentais à elles, si notre enfance aurait été heureuse, si nos caractères auraient pu se compléter, quels tours pendables nous aurions pu jouer... Le palais aurait résonné de cris d'enfants, de disputes d'adolescents. J'aurais pleuré la mort de nos parents avec elles. Je serai devenu empereur et aurai veillé sur elles. Chrysolde n'aurait pas été assassinée... Ce sont ces rêveries faites des espoirs d'un enfant abandonné qui sont dangereuses. J'essaie de les repousser quand elles m'assaillent. On ne saurait refaire le passé, malheureusement. Mais je peux construire le futur.

Je m'assois sur le bord du lit, avant de me pencher et d'embrasser l'épaule nue de Lauriane qui grommelle dans son sommeil, avant de se réveiller et de m'adresser un sourire.

« Il est tard Gus, je t'ai attendu. »

Et elle s'est endormie.

« Je sais. J'avais encore beaucoup de choses à régler... »

Sa main délicate vole vers mon visage et souligne les rides de mon front.

« Tu veux en parler ? »

Mon cœur se gonfle pour elle. Elle est merveilleuse. Intelligente, avisée, ambitieuse, de bon conseil. On aurait tort de la penser fragile. C'est une guerrière, qui m'a suivie dans mes campagnes. Elle est bien loin la petite noble timide et effacée que j'ai rencontré il y a 20 ans, après avoir sillonné Faërie et m'être lié à l'Ordre du Jugement, épousant leurs idéaux et menant leurs combats. J'ai achevé mon éducation dans mes voyages et à travers mes rencontres, quittant le cocon sécuritaire du Ponant pour l'aventure hasardeuse. Et enrichissante. Mon esprit s'est ouvert, j'ai acquis de nouvelles connaissances, pratiques. Je suis revenu changé, affirmé, homme. J'ai succombé au charme de la jolie Lauriane de la Rive, cousine de la famille ducale d'Outrevent. J'ai ravi sa vertu et l'ai mise enceinte, forçant son père à consentir à un mariage entre nous. Un pas vers l'élévation de ma condition. Mais il serait malencontreux de penser que je n'ai jeté mon dévolu sur elle que pour son rang. J'en suis tombé amoureux. Et cela s'est avéré encore plus vrai quand elle m'a donné un fils... Mon successeur, si ressemblant à sa mère tant adorée, qui me battit pourtant froid pendant presque trois ans, rancunière... mais dont j'abattis les défenses, scellant enfin notre entente quand Armandine fut conçue.

J'ai toujours su qu'ensemble, nous pouvions aller loin. J'ai décelé l'ambition et l'intelligence chez cette femme superbe et effacée, qui a su trouver sa voie près de moi... Ma belle guerrière. Il lui a fallu le temps pour me pardonner, mais... Non, je ne regrette rien. J'ai toujours su aller au bout des choses pour avoir ce que je désirais. Comme ce trône. Qui est désormais mien. L'escalade vers le pouvoir est longue, semée d’embûches, et chaque marche est faite de sacrifices. Sans doute ai-je été trop empressé parfois, maladroit même. La Rose Écarlate m'a mis des bâtons dans les roues quand je me suis présenté au couronnement de Chimène pour réclamer mon dû. Les choses auraient pu se passer autrement sans ces empêcheurs de tourner en rond, gardiens d'une paix dépassée, négociée selon des conditions inacceptables. Mais j'ai su que ses ducs n'étaient pas tous fidèles. Que beaucoup la jugeaient inapte au pouvoir. Et sa façon de traquer les mages de Sang n'a fait que servir mes intérêts. Les Mages de Sang... Comme mon Armandine... Devait-elle se cacher parce que l'impératrice refusait de retirer ses œillères ? Combien d'autres adultes et enfants comme elle, brimés ? Ce combat était le mien. Mais aussi le sien. Pour Antonin, c'était plus facile. Il n'a cessé de me surprendre au fil des années, quand il s'est avéré qu'il avait les capacités pour intégrer l'Académie, et ensuite la Caserne de Flamme, se liant ainsi à une dragonne. Mon fils, Chevaucheur... Qui doit désormais apprendre ce qu'un prince héritier doit savoir en plus de ses obligations. Mais il fera face. Comme sa sœur. Comme nous tous.

Pourtant... Ce trône a eu un prix. L'Ordre m'y a installé, je ne me fais aucune illusion à ce sujet. Sans eux, je n'y serai pas parvenu. Ils se sont battus pour cela. Ils m'ont aidé à enlever une nouvelle fois ma jeune sœur. Mais cette fois, pas question de la laisser s'échapper. Et ça... Non... L'écarter oui. Mais... La tuer ? Tuer mon propre sang quand bien même nous ne nous connaissons guère, quand bien même elle me hait, ignorant tout de moi, petite princesse blessée et vexée d'avoir été enlevée, trahie même, par ses ducs, sauf un. Liam d'Outrevent... Il va me poser des problèmes. J'ai réussi à le faire plier, par chantage. Pas très glorieux. Ni outreventois. Voilà bien une manœuvre qui s'est heurtée à mon éducation, mais j'ai apprit à voir le monde autrement au cours de mes voyages, à être un peu moins rigide, contrairement à Liam. Je dois lui reconnaître pourtant une noblesse que j'admire. Une franchise bienvenue. Je ne peux en dire autant des trois autres, dont je me méfie tout autant. Ils m'ont accepté sans sourciller, parce qu'ils ne croyaient pas en Chimène. Mais ils peuvent me planter un couteau dans le dos si je défaille. J'en suis encore à les jauger, à deviner leurs manigances et leurs espoirs pour Faërie... Et pour eux, évidemment. Quant à l'Ordre... Hors de question de leur faire confiance pour sauver la vie de Chimène quand ils réclamaient sa tête. Je leur ai offert un corps. Et j'ai permis à ma sœur de se sauver, à Ibélène, auprès de son aînée. Je préfère sa haine à sa mort. Elle ne m'a pas cru quand je lui ai assuré que c'était pour lui sauver la vie, quand je l'ai confiée au Major de Séverac pour l'escorter en toute discrétion jusqu'à la cour de l'Impératrice. Je crains que la supercherie ne soit éventée... Mais j'endosserai la responsabilité si l'Ordre l'apprend et me demande des comptes. J'ai toujours assumé les conséquences de mes actes.

« Plus tard peut-être. J'ai juste besoin de toi. »

Lauriane sourit et m'invite et je goûte ses lèvres délicieuses. Une petite voix me souffle, qu'elle, elle n'aurait pas hésité à condamner Chimène. Elle est une menace. Un symbole de révolte... Mais j'ai beau savoir cela, j'ai beau comprendre la raison, mon cœur me souffle que j'ai agi comme il le fallait. Et les caresses de mon épouse chassent enfin mes doutes et mes interrogations pour quelques heures.

▬ TRAME ALTERNÉE (Intrigue 2.3 La Roue Brisée)

Spoiler:

→ Gustave ne s'est pas réveillé dans la trame alternée et ne se souvient absolument de rien et ignore donc l’existence de Colombe.

▬ RÉSUMÉ LIVRE II : Le règne de Gustave a commencé dans la tourmente. Épargner Chimène, la cacher à la Cour de sa sœur a été une prise de risque qui n'a pas forcément été récompensée. Trahi par Hugues Hurlenfer qui a éventé ce secret à Liam d'Outrevent, il a vu le duc venir lui demander des comptes et refuser la proposition de mariage avec Armandine pour proposer de s'unir à Chimène, qui demeure une princesse de Faërie. D'âpres négociations ont été entamées alors, mais finalement, Gustave a consenti à marier sa sœur à Liam, contre quelques garanties et sacrifices de leur part. En parallèle, le jeune Marquis d'Amar, Mage de Sang avéré et Capitaine du Vol de Lagrance est venu proposer son aide pour intégrer les mages de sang et a osé demandé la main d'Armandine. Encore une fois, les discussions se sont engagées et sans rien promettre, Gustave a autorisé Tristan à faire la Cour à sa fille.
Lors du festival à Ansemer, le duché a été attaqué par des pirates afin de voler une relique. L'ordre, plus que jamais, s'est montré très actif sur le continent, menant plusieurs opérations de grande ampleur afin de récupérer des artefacts et également, se débarrasser des gêneurs. Ils ont lancé des soldats mécaniques d'un autre temps lors des festivités à Svaljard, tuant ainsi l'Impératrice et blessant Augustus. Une nouvelle qui a mis Gustave en rage, mis au parfum de la présence de l'Ordre mais absolument pas du désir d'assassiner le couple impérial. Chaque acte terroriste et extrémiste de l'Ordre lui fait se poser des questions. Il sait que la plupart de ses membres aspirent juste à la légitimité et à la paix, mais ceux qui font le plus parler d'eux sont bien les plus violents et radicaux dont il peine à justifier et soutenir les actions. L'épidémie magique qui s'est abattue sur Arven a été l'occasion pour Ibélène de reprendre l'avantage alors que tous les mages de l'Empire étaient hors d'état de combattre et défendre. Durant ces semaines d'angoisse, il a vu ses enfants tomber malade et frôler la mort, il a craint pour la vie de sa progéniture, qu'il aime sincèrement et sans condition, quand bien même il peut se montrer dur. Une période difficile, alors qu'il devait gérer ses angoisses de père et ses peurs d'empereur face à l'ennemi avantagé. Au fil des mois, le poids des responsabilités alourdit les épaules de l'Empereur qui ne regrette pourtant rien. Il a officialisé les fiançailles de Chimène avec Liam, la première renonçant à toute prétention au trône.
Récemment, l'Ordre a libéré la Chasse Sauvage, contraignant la Rose Écarlate à se dissoudre et disparaître, permettant ainsi de libérer la voie. Pourtant, la Chasse est incontrôlable et si c'est un coup de génie, c'est également un prix bien lourd à payer pour se débarrasser de la Rose. Son peuple a peur et souffre... Et il n'existe aucun moyen pour lui d'y remédier. Il a perdu Cassandre. Il ne lui reste plus que Chimène, qui le déteste. Mais il peut compter sur le soutien inébranlable de Lauriane. Ibélène a perdu son empereur, quelques mois après son impératrice, et c'est le jeune prince qui va monter sur le trône. Gustave a accordé une trêve aux deux peuples, pour quelques mois. Pour certains, il s'agit d'une erreur. Il aurait pu pousser l'avantage alors qu'Ibélène est dans le flou suite à la disparition de sa tête couronnée. Mais Faërie a besoin de souffler, besoin d'espoir, malgré l'ombre de la Chasse qui les menace tous.