Peine maximum

• Date : 31 janvier 1003
• Météo (optionnel) : Sableux
• Statut du RP : Express (environ 300 mots )
• Résumé : Reja et Mayeul ont beaucoup à se dire, en vérité. Certaines choses ne devraient-elles pas, pourtant, demeurer à jamais secrètes ?
• Recensement :

Code:

• [b]31 janvier 1003[/b] [url=http://arven.forumactif.org/t3259-peine-maximum#121030]Peine Maximum[/url] - [i]Rejwaïde Sinhaj & Mayeul de Vifesprit[/i]
Reja et Mayeul ont beaucoup à se dire, en vérité. Certaines choses ne devraient-elles pas, pourtant, demeurer à jamais secrètes ?

Cela fait des jours que Mayeul de Svaljärd essaie de la voir, lui a-t-on expliqué ce matin en lui apportant un petit-déjeuner préparé avec attention en suivant soigneusement les instructions du guérisseur local. Il est arrivé peu après sa blessure, dit-on avec tact pour ne pas jeter de sel sur ses plaies, pour quérir des nouvelles ; et ensuite rencontrer le Maréchal le Harnois lorsqu’il est venu quelques jours plus tôt. Maréchal dont elle n’a pas vu le bout du nez ; Sirocco, par contre, s’est entretenu avec Adamante, et en a tiré une certaine anxiété malgré les sincères vœux de bon rétablissement transmis par la vénérable griffonne.

Et ce matin, il appuie sa requête d’audience avec le sceau du Maréchal en question sur un courrier, parait-il. Reja ne sait pas vraiment si elle a envie de le voir, ou pas – penser à lui est si douloureux qu’elle hésite sur la conduite à tenir. Tout ce qui s’est passé s’est déroulé bien trop vite, elle n’a pas eu le temps de réfléchir, ni de comprendre, ni d’accepter. Alors pardonner ? À lui, de lui avoir menti ; à elle-même, d’avoir ôté la vie d’un enfant en devenir qui n’avait rien demandé ? Elle est si lasse, la fière Voltigeuse, si fatiguée – que même les câlins de Sif et le solide soutien de Grâce ne suffisent pas à rallumer en elle la flamme de vivre qui lui a permis de survivre au harem du sultan Charif.

« Entrez. » dit-elle. Mieux vaut en finir rapidement. Mayeul se présente, et le cœur de Reja bondit douloureusement – comme s’il voulait sauter hors de sa poitrine pour filer se réfugier dans les bras du Cielsombrois. Quand bien même elle le voudrait, elle n’en a pas la force – aussi reste-t-elle appuyée sur ses oreillers, à l’observer de ses yeux cernés. « Que veux-tu ? » murmure-t-elle d’une voix blanche, « Je dois me reposer. »

Mayeul parle, et Reja écoute, stoïquement, refusant à son cœur malmené toute voix au chapitre. Elle a cédé, elle s’est attachée, elle a fait confiance, elle a tout dévoilé – elle s’est trompée. L’erreur a été dure à accepter, mais la terreur de Sifaï qui ne l’a pas lâchée des yeux depuis qu’elle l’a trouvée à demi-morte lui a permis de comprendre que, peut-être, d’autres étaient attachés à elle, et sincèrement cette fois. La petite a tremblé contre elle, chaque nuit, craignant que sa titulaire ne commette à nouveau un geste dramatique – et Reja s’est juré de ne plus placer la jeunette dans une telle position.

Elle n’a rien promis à Mayeul, toutefois, et se contente d’entendre sans répondre, refusant aux échos de ses mots de se frayer un chemin jusqu’à son âme en lambeaux. C’est d’une voix curieusement détachée qu’elle finit par répondre, lorsque le silence s’installe à nouveau entre eux, et qu’elle ne fait pas mine de vouloir se redresser pour attraper la missive qu’il agite dans sa main crispée. « Ce qui est accompli ne peut être défait ; ce qui est gravé ne peut être effacé. J’en ai pris mon parti, il faudra t’y faire, Voltigeur. La faute est mienne, de m’être attachée et confiée là où la réciproque faisait défaut ; je le vois à présent, et je l’accepte. Tu n’as pas démérité, Cielsombrois : tu as agi très exactement comme j’aurais dû me douter que ta nature te porterait. Tu t’es montré fidèle à ce que tu es, en cela tu n’as pas à rougir. Tu m’as appris beaucoup sur la nature humaine, et je t’en remercie. » Les yeux braqués au mur, Reja interrompt là son discours monocorde, récité d’un ton dénué de passion. Elle a tant répété ces mots dans son esprit, se promettant de les lui écrire lorsqu’elle en aurait la force – et voilà qu’il lui épargne cette peine.

Elle ne garde pas longtemps le silence, non –  juste le temps d’inspirer pour asséner le coup final, le regard toujours fixé sur l’angle du plafond. « Je considère que nous sommes quittes. Tu as détruit mon cœur, et j’ai tué ton enfant. Il n’y a rien de plus à dire. »

Mayeul ne comprend pas, Mayeul l’interroge, Mayeul est prêt à nier la vérité – et Reja soupçonne qu’au fond de lui, il sait. Qu’il se souvient, sûrement aussi nettement qu’elle, de cette nuit d’amour dans le berceau de lumière d’Al-Majir. Qu’il sait compter comme elle, qu’il a compris – qu’elle portait au creux d’elle une étincelle, si fragile et si belle, promesse d’une vie à venir qu’il y avait lui-même installée.

Qu’elle l’a détruite, cette esquisse d’une vie en devenir.
Elle ne lui dira pas qu’elle ignorait la porter jusqu’au moment où Maari la lui a arrachée du ventre, comme l’on déchirerait une poitrine pour en extraire un cœur battant. Qu’il s’imagine qu’elle savait, qu’il pense qu’elle l’a voulu ainsi – ce sera plus simple de lui résister, s’il cesse de la poursuivre, de la harceler. Plus simple, pour tous les deux, de tirer un trait sur ce rêve d’avenir bâti à deux et qui s’est écroulé avant d’avoir commencé à exister.

Elle force un rire amer hors de sa gorge – un son grinçant, un halètement fatigué, comme un gémissement plein d’une détresse qui refuse de s’exprimer. « Allons, ne fais pas l’enfant. Tu sais très bien de quoi je parle : tu as eu tout le temps de voir les sages-femmes, de parler à Sifaï, et à Grâce. J’étais enceinte quand j’ai gravi la montagne, pour faire ce que j’ai fait – je ne le suis plus, aujourd’hui. C’est un tracas de moins – nous n’aurons pas à effacer ce… détail embarrassant. »

Et elle est si froide, Reja, murée en elle-même comme dans un tombeau de glace ; comme si l’hiver s’était installé en son cœur pour n’en plus jamais partir – qu’une partie d’elle commencerait presque à y croire !

« Parce que ce n’était pas important. »

Elle lui brûle les lèvres, cette phrase abominable, réduit en cendres les vestiges de son amour-propre et de sa dignité tant elle porte de mesquinerie et de cruauté – mais c’est nécessaire, si Mayeul refuse encore de lâcher prise. Ne peut-il donc pas coopérer un peu ? Ne voit-il pas qu’ils sont visiblement destinés à se déchirer, chacun détruisant peu à peu chaque parcelle de beauté chez l’autre ? Ne voit-il pas qu’il la rend vulnérable et fragile, ne comprend-il pas qu’elle ne lui apporte que souffrance et chagrin ? Comment peut-on être aussi borné, comment peut-on s’aveugler à ce point ?

Comment peut-il avoir la foi d’y croire encore.
Comment peut-il, après tout ce qui s’acharne à les séparer ? Elle agent de l’Ordre, lui ancien écrin de la Rose ? Elle fille du Sable et du Roc, lui enfant de l’Esprit ? D’un geste fatigué, peinant à lever son bras affaibli, elle lui coupe la parole. Il demande de la sincérité ? Très bien, mais il devra accepter de voir la vérité. « Mayeul, est-ce que tu ne vois pas que tout ça, c’est – c’est tout ce que nous pouvons avoir ? Tu me rends différente, tu as changé mon monde, je ne me reconnais plus – et toi, regarde-toi. Tu ne vois pas que je ne peux t’apporter que du malheur, Mayeul ? Pourquoi, pourquoi, est-ce que tu t’acharnes autant pour une cause perdue… ? »

Il se passe bien trop de choses en bien trop peu de temps, et Reja se sent perdre pied soudain. Le soudain intérêt de Sirocco qui semble sentir sa résolution flancher ne fait rien pour arranger la situation, et la Voltigeuse tente d’asseoir plus fermement sa position. Elle a beaucoup pris sur elle pour en arriver là, trouver la force d’amputer tout ce qui réagit à Mayeul en elle, à s’arracher toute parcelle de sentiment ; mais visiblement l’amour est résilient, même s’il confine à l’aveuglement, et le regard que le Cielsombrois pose sur elle ne fait rien pour renforcer sa détermination, au contraire.

Trop de détails, trop d’informations – ainsi, elle ne serait plus Voltigeuse ? Cela la trouble profondément d’entendre Mayeul prononcer son prénom en entier, comme si c’était un titre à part entière – et se voir donner tant d’importance, c’est – c’est trop. Elle secoue la tête dans un signe de dénégation instinctif, son réflexe d’auto-préservation prenant les choses en main avant que son esprit n’ait le temps de pleinement enregistrer ce qui se dit. « Je ne – je ne peux pas réfléchir à tout ça, pas maintenant Mayeul – laisse-moi, s’il te plaît, je suis si fatiguée… J’ai besoin de me reposer. J’y penserai, d’accord ? Si tu t’en vas, je te promets d’y réfléchir, plus tard. »

Elle se penchera sur la question, oui, une fois l’objet de la tentation loin d’elle et hors de son champ de vision. Elle y réfléchira quand l’impulsion de lui dire de grimper sur le lit la rejoindre pour se blottir contre lui et se réfugier entre ses bras sera moins forte. Pour l’instant, elle doit dormir – lire, peut-être, cette lettre qui porte le tampon du maréchal et qui lui retire certainement son insigne de Voltigeuse.

Plus tard.