Prudence de Rougeheaume.

La mère de la sûreté, c’est elle. Il n’y a rien de plus sévère que ses sourcils froncés, ses lèvres pincées et ses jambes closes. La bienséance, le bon goût et la discrétion sont au coeur de sa vie. Certains la trouvent simple et idiote, et les femmes vulgaires continuent de rire de ses efforts démesurés. Elle n’en a cure. Qu’ils rient, qu’ils se moquent, qu’ils cancanent. Prudence a déjà été jugée impure, deux fois. D’autres qu’elle auraient lâché l’affaire. Il n’y a qu’elle pour persister à protéger une vertu que tous nient. C’est pour elle-même, pour ses croyances de bonne Belliférienne, qu’elle persiste. Il faut être bon, il faut être généreux, mais cela uniquement lorsque la bienséance le permet. Il y a des choses que seules les femmes peuvent faire, et d’autant plus de choses que seuls les hommes peuvent faire. Elle n’irait, cependant, jamais les jalouser. Au contraire, elle les plaint. Ils doivent combattre, manigancer, contrôler, et toutes ces choses l’épuisent. Prudence aime les choses douces et simples de la vie : les arts, la bonne nourriture, un paysage champêtre. Peu de gens ont conscience de la douceur dont est capable l’intendante d’habitude si acariâtre. Elle-même, souvent, préfère taire ses quelques plaisirs sensoriels, tout comme ses désirs secrets d’une famille qui n’appartiendrait qu’à elle. Tout cela, ce sont des rêves de jeune fille, qu’elle sait impossible à réaliser. Elle s’enferme plutôt dans son armure de sévérité. Devant son miroir, elle se répète qu’elle pourra se soucier de son propre bonheur lorsque les vices auront disparu de la noblesse ibérienne.