Lorsque Qasim a ouvert les yeux sur ce monde, j’ai su que, jusqu'à mon dernier souffle, mon coeur battrait au même rythme que le sien. J’ai compris, en un seul regard, que jusqu’à ce que l’Aïeule vienne me cueillir, j’allais m’inquiéter pour ce petit être plus que pour ma propre vie, sans savoir m’en empêcher. L’amour maternel était violent et coupait le souffle plus brutalement encore que mes premiers émois de jeune fille entre les bras protecteurs d’Anthim. Il ne m’avait fallu qu’un voyage à Lorgol pour sombrer dans le plus profond torrent et souffrir d’un coeur qui ne battait, l’espace d’un instant, que pour moi seule. On m’avait dérobé mon enfant. La chair de ma chair. Qasim. On avait osé. J’avais eu cette impression qu’on m’avait lacéré la poitrine de l’intérieur en me laissant hébétée et pantoise, à la fois morte et vivante, en plein carnaval. La douleur avait été si vive. Oh… Si vive!
Tout le long des recherches, je me remémorais difficilement les derniers instants partagés avec mon fils. Une boule d’angoisse se formait tout autour de mon coeur malmené. Était-il seulement possible d’oublier le dernier moment passé avec son enfant? Inconcevable. Je n’étais pas une mère si terrible et la simple idée me révulsait. C’est sous un air solennel que je me tenais, toutes les recherches durant, le visage fermé par la timidité et le coeur trop écorché pour me permettre d’être d’une quelconque utilité.
Avec toute la délicatesse du monde, je déposai mon enfant dans son berceau de bois sculpté où de petits griffons et des fleurs de cactus s’enchevêtraient étroitement. Mon fils luttait pour maintenir ses grands yeux ouverts, repu, le ventre rebondi de mon lait maternel. Quelques bouclettes sombres annonçaient déjà une chevelure abondante. Je les lui caressais en lui fredonnant des chants anciens que mes soeurs me chantaient jadis, lorsque j'étais petite fille, pour m’endormir ou me calmer. Bientôt, Qasim sombra dans un sommeil bien mérité et, je l’espérais, peuplé de fées et de gentils oiseaux. Lorsque je relevai les yeux sur Anthim, il me couvait du regard avec la majesté d’un lion satisfait: son petit était enfin en sécurité et sa femme allait le rejoindre sur sa couche, dans le creux de ses bras, là où était sa place. Je ne me fis pas prier, acceptant ses baisers comme nous acceptons l’assurance d’une solide protection. Les récents événements m’avaient épuisée et, comme s’il le pressentait, mon époux ne laissa pas ses caresses s’aventurer vers quelques délices satisfaisants mais ô combien éreintants.
La tête lovée contre son torse, j’entendais chacun des battements de son coeur et m’imaginais, l’espace d’un instant, qu’il ne battait que pour moi. Le rythme lent et constant qui résonnait contre mon oreille m'apaisa de mes derniers doutes. Cette sordide histoire était désormais entièrement derrière nous. J'espérais que nous allions recroiser cette femme, celle qui m’avait ramenée mon enfant, afin de la remercier comme il se devait. Je n’avais pas même pris conscience de ce qui se déroulait autour de moi, plus tôt, tant entendre Qasim pleurer entre les bras d’une inconnue m’avait troublée. Je n’avais rien dit. Je l’avais seulement pris dès qu’on me l’avait tendu; les visages et les voix étaient flous s'entremêlaient à mon esprit, si bien que je n’aurais pas su décrire la Voltigeuse si on me l’avait demandé. Silencieuse, je cherchais mes mots pour formuler cette requête à Anthim. Je ne doutais pas qu’il serait du même avis que moi, mais je ne souhaitais pas donner l’impression d’exiger. Je sentais sa main s’aventurer dans mes cheveux avec tout l’amour du monde. Et la patience. Mon silence perdurait encore, et quelque part au fond de moi, je me doutais qu’il se doutait… Mon tendre époux me connaissait si bien.
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Anthim… Cette femme...Ma voix était faible et douce; une invitation à la confidence. Je déposais sur lui mon regard tendre, deux gerbes d’obsidienne pures, avant de poursuivre.
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Cette femme qui a sauvé Qasim.. Je lui dois tout. J’aimerais qu’Erebor la remercie avec déférence.Je laissais mes lèvres pleines s’aventurer sur peau hâlée. La douceur de celle-ci me surprenait toujours et m’invitait inexorablement aux caresses. Cette fois-ci, pourtant, ce fut par timidité, pour m’occuper en patientant le verdict de mon duc, de mon roi, et me cacher un peu, aussi, par-delà son poitrail musclé. Seul mon regard sombre et le bout de mon museau étaient perceptibles, à l’affût d’un refus.
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