Roméo

Domitille,

Je m'appelle Roméo, Roméo de Flétribois. Connais-tu, ma belle ? Connais-tu ce domaine ? Il se trouve en Lagrance, non loin du Comté de Blanc-Lys où a grandit la duchesse de notre si beau duché. Tu as beau être une roturière et moi un noble, je te sais savante assez pour connaître les têtes couronnées. À toi je te le dis, ma jolie, ma toute belle, notre famille est en très bon terme avec les couronnes de notre duché.

Les arbres et arbrisseaux issus des vieux bois de notre domaine, à majorité de buis et d'ébéniers, ont consolidé au fil des générations notre réputation et notre nom. Le buis et l'ébène sont après tout une base et composante élégante comme importante dans la création d'instruments tel que la flûte, le luth ou le violon. Naturellement avec les derniers évènements ayant secoué Arven et plus précisément touché Ansemer, ces évènements tournant autour de la magie de l'Accord, nous avons perdu quelques contrats juteux, mais nous sommes néanmoins restés forts. Après tout, de ces bois jolis, l'on peut faire beaucoup. Comme des pinceaux, des meubles  ou des baguettes, les gens sont davantage conquit par la qualité que l'on procure que par des paillettes. C'est ainsi aussi que, sans miracle, dans le jardin ducal de Lagrance, se trouve quelques uns de nos arbrisseaux et arbres. Ils y sont replantés, soignés, taillés, élagués, avec autant de raffinement que de beauté. Un jour, je le promets, avec ma spécialisation d'outremarche, j'ouvrirai tes yeux pour te faire découvrir, ce lieu merveilleux et splendide que je connais.

Mais assez discuté du bois, parlons plutôt de moi. De ma famille, je suis le cadet de notre fratrie. J'ai trois frères et une sœur et aucun n'a démontré de don pour la magie avant moi. Avant cette découverte et parce que j'aime la musique et le son qui ressort des instruments composés de nos bois, je me voyais passer de mélomane averti à violoniste aguerri. Après l'invitation de la magie dans ma vie, j'ai choisi un tout autre chemin, une toute autre voie, à l'Académie. Et le violon que l'on m'a offert à mes six ans, je l'ai soigneusement placé dans un coffre de rangement. Et si il m'arrivait en nuitée d'en sortir encore quelques belles notes égarées à mes compagnons de dortoir, depuis la rencontre désastreuse entre Accordés et Nobles, j'ai tiré un trait sur ces soirs.

De toute, je préfère m'éclipser pour mieux te contempler. Tu aimes les astres et j'aime les étoiles qui naissent dans tes yeux. Et si malgré ma spécialisation d'outremarche je ne peux t'emmener jusqu'au ciel, au moins de loin, discret, sur toi je veille.




Je signe et pousse alors un soupir. Je relis avec attention tout en suivant la courbe de mes lettres. Je reste dubitatif à la fin de ma relecture.

J'ai bien l'impression d'en avoir trop fait autour de ma personne. L'impression que je dois davantage lui dire que de lui écrire. Cette lettre, c'est céder à la facilité. Hors, je me sais courageux. Mes mains ne tremblent pas, elles sont assurées, mais mes mots, ma voix, c'est une chose que je ne contrôle pas. Lorsque la surprise me gagne, lorsque ma respiration se trouve en suspens, je n'arrive plus à aligner deux mots correctement, je balbutie et je bégaye alors. Heureusement, dans ces moments là, je peux compter sur mon art de me fondre dans le décor pour trouver un point auquel m'accrocher, Domitille par exemple, et ainsi me sortir de cet état presque végétatif. Le domaine d'études que j'ai choisi me va comme un gant quand on y pense.

Je fini par plier la lettre, me lève de mon bureau et je la range au fond du fond caché de mon tiroir. Là, personne ne la lira. Là, je la relirai en souriant quand, de mon courage à deux mains, j'aurai pris les devants. Il est l'heure à présent de retourner en classe. Je quitte ainsi le dortoir et cède la place.