Vous n'êtes plus si loin de Lorgol, une dizaine de jours, quinze tout au plus. Bientôt, vous allez retrouver vos familles, vos amis et la terre ferme. Être à bord te va parfaitement, mais tu as vécu les choses différemment cette année. Il y a la raison évidente de ton enlèvement par la Chasse, mais surtout le fait que vous n'avez fait aucune escale à Lorgol, contrairement à l'année dernière. Dans les faits, l'année a été bien plus tranquille. Il n'en reste pas moins qu'une grande majorité d'entre vous a hâte de marquer un arrêt pour l'hivernage. Trois mois à profiter de votre salaire comme vous semble – tu sais déjà que tu vas gâter tes proches comme pas possible.
Seulement, voilà. Une tempête s'est levée plus tôt dans la journée. Elle vous a suivis, contrairement à ce que vous espériez. Elle a même pris de l'ampleur. Elle ralentit votre rythme et rend la navigation et la vie à bord du navire plus difficile. Bien sûr, l'équipage est habitué à gérer ce genre de choses. Cependant, l'aide qu'apportent les mages de nuée enrôlés à bord s'avère souvent précieuse. Sibeliane est justement sur le pont en train de limiter les conséquences de la tempête sur le navire comme elle peut, dans la mesure de ses capacités magiques. L'un des marins t'a rapporté qu'elle s'y trouvait depuis pas mal de temps. La pluie s'est faite coriace depuis… et l'Outreventoise n'a pas bougé de là-haut.
Tu as pris la décision d'aller lui faire prendre une pause – longue, la pause –, autrement dit, de lui rappeler qu'elle a besoin de repos avant d'espérer aider davantage. Clairement, Philippe ne voudrait pas qu'un de ses membres d'équipage attrape la mort parce que ce dernier n'a pas conscience qu'il en fait un peu trop ou est en bon chemin pour. Tu attrapes une couverture pour la recouvrir une fois en haut et qu'elle se sèche un peu, puis pars en direction du pont. Tu refermes la porte de l'infirmerie derrière toi, puis t'empresses de monter les différents escaliers qui te permettent d'émerger au beau milieu de la tempête. Elle semble plus calme que dans l'après-midi, ce qui est un bon point : Sibeliane ne sera peut-être pas tentée d'y retourner plus tard.
Une partie de l'équipage s'active sur le pont et tu salues quelques-uns des pirates en passant. Tu cherches la mage des yeux pendant un instant avant de la trouver au niveau du cordage central. Un sourire apparaît sur tes lèvres, mais l'inquiétude remplace bien vite toute autre émotion quand tu constates qu'elle ressemble en tout point à un chien mouillé. Le froid s'est clairement emparé d'elle.
Quand tu arrives près d'elle, tu cries son prénom. Une fois. Deux fois. Trois fois. Elle semble enfin t'entendre. Tu lui offres un sourire en lui montrant la couverture. « Tu as fait du bon boulot ! Prends une pause, maintenant ! » Ce n'est pas un ordre. Ce n'est pas non plus une suggestion. Elle a besoin de se reposer. L'heure du repas approche. Il va falloir qu'elle se ménage un peu.
Tu attends qu'elle s'organise pour te rejoindre. Sûrement pour qu'un autre mage prenne le relai. Toujours est-il qu'à peine t'a-t-elle rejoint que tu passes la couverture par-dessus ses épaules. « Suis-moi au chaud, Sibeliane. Tu reprendras plus tard si c'est nécessaire. » Sans attendre, tu prends la tête et te diriges vers les escaliers menant à l'étage inférieur. Ce n'est qu'une fois à l'abri de la tempête, au bas de ces escaliers, que tu te tournes vers elle tout en continuant à marcher. « Tu sais que mourir de froid n'aidera personne à bord, hein ? » Tu as un sourire aux lèvres, le ton est taquin, mais l'inquiétude est bien là. Tu réalises en la regardant mieux qu'elle n'était pas sur le point de s'effondrer, mais la couleur de ses lèvres mériterait un peu plus de rose.