BOOM
L’explosion est puissante, violente. Il est tôt au matin, le soleil qui n’est pas même levé encore et dans le silence de l’aube tous auront entendu le vacarme de l’explosion. Le palais qui s’est réveillé en alerte, craignant peut-être une attaque ennemi. La guerre, si elle n’a pas reprise, est toujours là, en suspens, et une attaque serait possible, plausible.
L’odeur de fumée, de feu, ne tarde pas à se propager au sein des murs du palais. Les grands murs de pierre solide ne brûlent pas, certes, mais les planchers sont fait de bois, les paroies couvertes de tapisseries, les rideaux et les draperies qui couvrent les fenêtres sont aussi tout autant d’objets qui s’enflamment rapidement. L’air est sec des derniers jours, et le feu prend rapidement. Grimpant sur une traverse là pour enflammer un voile ici. Il lèche les planches qu’il laisse noirci et brisées sur son passage. La cendre qui s’accumule, le bois qui craque, qui tombe.
C’est le désordre et le chaos au sein des domestiques et des gardes qui tentent de contenir les flammes. Le duc et ses femmes ont certainement été éveillés, mais pour l’instant personne n’est là à les prévenir de ce qui se passe. Leurs appartements sont assez éloignés qu’ils ne devraient craindre les ravages des flammes, et ils ont été épargnés de l’explosion ; les flammes seront éteintes avant qu’elles ne grimpent les étages et mettent en danger la plus haute noblesse de Sombreciel.
Mais dans le chaos ambiant, il manque quelque chose. Une présence qui aurait dû être là, pour les guider, les organiser. Qui aurait su quoi faire, et voilà les domestiques un peu désemparés, laissés à eux-même.
Et quand il ne reste que des braises, que la fumée s’est calmée et qu’il n’y a que la poussière encore qui forme un voile brumeux dans l’enceinte du palais, il faut bien se rendre à l’évidence. L’explosion semble être survenue dans la cuisine des domestiques ; mais il n’en reste pas grand chose. Le plancher a cédé, et une grande portion s’est écroulé sur les étages précédents. S’effondrant sur un couloir ici, un petit salon là, mais surtout, sur les appartements du majordome. Un silence lourd s’est installé parmi les domestiques qui descendent alors, tentant de dégager les débris au travers les cendres, espérant. Peut-être le vieil homme était-il déjà levé? Peut-être que le duc l’avait fait venir un peu plus tôt cette nuit pour quelconque tâche et qu’il était loin, peut-être était-il même sorti? Par delà la crainte de trouver le vieil homme sous les décombres, il y a surtout celle qui suivra ; la crainte d’annoncer à Castiel cette explosion, la crainte surtout d’annoncer à sa Grâce le décès de son majordome. Ils espèrent qu’ils ne trouveront rien, là dessous. Mais c’est des espoirs vains.
Bientôt, sous quelques planches dégagées, au travers les braises et les cendres des lourds draps qui devaient former le lit du vieil homme, il y a des membres. L’odeur de la chair brûlée est atroce, mais ils poursuivent, dans l’espoir maintenant irréaliste que ce ne soit pas lui. Sauf qu’il n’y a pas de doute possible. L’homme fait peine à voir ; pour peu qu’il en soit encore possible de le discerner: la figure écrasée et calcinée, tout à peine reconnaissable. Le visage a dû subir une lourde charge, et les traits sont défigurés au travers la chair noircit, les os visibles ici et là. Il est difficile de dire qu’il s’agit là de Césaire, mais il est tout aussi difficile de dire que ce n’est pas lui. L’homme est vieux, et les lambeaux de vêtements que l’on retrouve sur son corps sont bien ceux du majordome. Les cheveux blanc qui n’ont pas brûlés sont bien ceux qu’on lui connaissait… Le corps est dans un piètre état, mais c’est bien lui.
La dépouille sera recouverte d’un drap, avant qu’il ne soit emporté pour être brûlé plus tard, comme la coutume Cielsombroise le veut. Castiel sera averti, pauvre domestique qui s’en chargera au risque de recevoir les foudres du duc.
Nous sommes le trentième jour de décembre. Toute la nuit durant, les domestiques s’affairaient encore à terminer les préparatifs pour l’anniversaire du duc de Sombreciel. L’éveil qu’ils lui offrent est certainement tout autre que ce que dernier aurait espéré.
« Votre Grâce, pardonnez les mauvaises nouvelles. Une portion du palais a été détruite dans l’explosion. Et… votre majordome… je suis désolé. »
Joyeux anniversaire Castiel.