Histoire
La naissance d’Hector n’avait rien de réellement extraordinaire. Troisième né de la famille Tranchaile, il était le petit frère de Hémon et Hercule, deux solides gaillards de respectivement trois et cinq ans ses aînés. Donatien Tranchaile, son père, était fier d’appartenir à une famille à la renommée somme toute relativement importante : c’était cette renommée qui lui avait permis d’enlever Vérité Lourdelame, fille d’un ancien général reconnu de l’armée belliférienne.
La gloire des Tranchaile ne venait pas du champ de bataille, cependant. Cuisiniers hors pair, la famille était surtout reconnue pour leurs recettes et préparations à base de volaille, appréciées d’un bout à l’autre du duché et jusque sur la table ducale. Une famille tournée vers l’inventivité culinaire et l’excellence de leurs préparations. ( Donatien aimait à dire que la recette du chapon à la belliférienne venait d’un Tranchaile, mais cela restait encore à prouver. )
Ce fut donc dans une maisonnée relativement connue dans le monde gastronomique belliférien, et après deux grossesses presque sans encombre, que Hector vit le jour. Blond enfant innocent, il grandit dans une famille sans problèmes. Les terres de Viremont étaient calmes, après tout, et sans vivre dans l’opulence la plus totale les Tranchaile étaient tout de même plutôt aisés.
Très jeune, on le plongea dans l’univers de la cuisine et de la préparation oh combien minutieuse des volailles. Contrairement à ses deux grands frères, parfaits futurs cuisiniers déjà prêts à prendre la relève, Hector ne manifesta jamais le moindre intérêt en la matière. Il y avait chez lui une forme de répulsion et de dégoût, à l’idée d’arracher le plumage des bêtes - et ne parlons même pas de la phase où il lui fallut apprendre à les vider ! Un enfant ne rêvait que rarement de mettre sa main dans une poularde pour lui retirer les intérieurs.
En somme, Hector n’appréciait pas la cuisine. Mais ce n’était pas de sa faute, sans doute Rya n’aimait-elle pas le gamin. Le pauvre n’était pas fichu de doser correctement. Sans parler des nombreuses tentatives de terrine ratées par un oubli, les bocaux cassés ou les départs d’incendie pour un plat oublié. Non, en cuisine, Hector ne faisait que manger, au grand désarroi de son père. Gourmand depuis son plus jeune âge, il le demeurait encore aujourd'hui.
En 991, avant ses quatorze ans, Donatien décida d’arrêter le tir. Si Hercule et Hémon apportaient déjà sur leur famille une lumière assez appréciable, il ne fallait rien attendre d’Hector. Du moins… pas en cuisine. Même les amis du jeune homme, en ville, s’accordaient à le dire : il ne fallait pas le laisser s’approcher à nouveau d’un fourneau.
En désespoir de cause, le jeune Belliférien fut donc envoyé chez son oncle, sur les terres voisines d’où était originaire sa famille maternelle. Et heureusement pour le jeune, on l’y envoyait pour apprendre autre chose que l’art culinaire.
L’Oriflamme était en effet une baronnie reconnue pour former l’élite des guerriers de l’infanterie, et une bonne partie de la cavalerie. Un lieu où les hommes étaient fiers d’être parmi les premiers guerriers du duché, non seulement de ceux envoyés en première ligne, mais également car la caserne et la lice étaient des endroits plus anciens encore que ceux d’Hacheclair.
Hector arriva sans peine à s'acclimater à l’environnement bien plus militaire que dans sa famille. Son oncle Commode était certes dur, et tout pétri des valeurs militaires inhérentes à son ancien statut d’homme de guerre (il avait dû se retirer des armées après une grave blessure, quelques années auparavant), mais comme bien des enfants du duché de la guerre il était juste et savait reconnaître la valeur des hommes. Il forma le jeune Hector à l’art militaire avec brio : le Tranchaile était enthousiaste dans tout ce qu’il faisait, passionné par cet apprentissage - s’il n’était pas aussi robuste que certaines montagnes de muscle qu’on pouvait croiser aux entraînements, il avait pour lui la stratégie et la perspicacité. Il savait frapper juste, frapper fort quand il le fallait plutôt que de foncer bêtement dans le tas. Bien sûr, il mordit la poussière de nombreuses fois. Bien sûr, il enviait ceux sur qui le regard de Kern se posait plus que sur lui. Mais il était juste, dans ses combats : s’il perdait, il y avait une raison.
Ainsi passèrent plus de quatre années : Hector ne retournerait pas à Viremont, hormis en de rares occasions. Focalisé sur son entraînement et attaché à Commode, il passerait les années suivantes à s’entraîner afin de devenir un guerrier des plus respectables.
Vous n’imaginez pas le temps qu’il faut pour maîtriser le combat en jupette.
Il noua de solides liens avec des guerriers plus âgés, avec lesquels il lui arrivait de s’entraîner. Il respectait leur valeur, leurs années d’expérience et leur force ; ils appréciaient sa jeunesse, sa hargne de vaincre et sa ténacité. Ce fut partiellement pour cela que Commode l’enjoignit à aller tenter sa chance auprès de l’armée belliférienne - ce qu’il ne voulut pas. Son avenir ne serait pas dans l’armée de terre, ni dans la cavalerie. Bien qu’il aime chevaucher dans les steppes de l’Oriflamme, fuir loin sur le sol rouge dans un nuage de poussière... Ce n'était pas sur le dos d'un cheval qu'il se voyait défendre Ibélène.
Il voyait encore plus grand.
Ce fut donc peu avant ses 19 ans, en juin 996, que le jeune homme se retrouva à Lorgol après un long voyage depuis les terres de l’Oriflamme. Il se présenta à la Caserne de Serre avec un espoir dans le coeur et la peur au ventre : il voulait s’illustrer, il voulait défendre, il ne reculerait pas. Mais si…?
Heureusement pour lui, une griffonne finit par s’approcher. Le fixer, doucement, d’un regard où le temps sembla s’enliser. Une présence sirupeuse, douce, dans son esprit - esprit lentement emprisonné, de bonne grâce, comme un insecte dans l’ambre.
Elle s’appelait Ambre. Histoire, douceur polie, sève séchée. Une griffonne dont les plumes scintillaient presque sous le soleil des terres du Nord. Ambre, une ambre d’une couleur riche, le seul joyau qui intéresserait le Belliférien et dont se parerait son esprit. Elle était douce là où Hector était direct et blessant, conciliante là où la droiture, la fierté bellifériennes et l’immuabilité de leurs convictions empêchaient le blond de céder du terrain. Elle arrondissait les angles d’un esprit taillé parfaitement, abrupt à certains moments. Si le lien mit un peu de temps à se faire, à cause de cette complémentarité qui sonnait comme une opposition, ça n'empêcha pas Hector de s’accrocher : elle l’avait choisi, et il la tolérait à ses côtés. Il ne voulait pas abandonner, et elle ne le voulait pas non plus.
Elle était ce qu’il n’était pas. Peu habitué à céder du terrain et à accepter un avis d’une personnalité qui lui était diamétralement opposée - sans compter qu’Ambre était une femelle, et que c’était bien la première fois qu’il écoutait ce qu’une femme avait à lui dire -, les premiers entraînements et premiers mois furent durs. Hector était persévérant mais sa fâcheuse tendance à s’énerver lui jouait des tours, surtout face à la caresse presque flegmatique de sa nouvelle compagne dans son esprit. Il était enthousiaste, prompt à obéir ; elle suivait avec douceur, coulante et calme. Il mit quelque temps à le comprendre, mais il le comprit, au fil du temps, et ils s’harmonisèrent.
Petit à petit, à force de tâtonner, les habitudes prirent. L’effleurement sirupeux d’Ambre contre son esprit ; les images surprenantes mais si logiques, au sens de plus en plus clair ; les sensations comme des étincelles au bout de ses doigts ou juste derrière ses paupières. La prise d’Hector sur son harnais fut plus assurée. Ambre ne déviait plus de sa trajectoire. Ils tournoyaient dans le ciel, l’un avec l’autre, à travers les nuées.
Il découvrit les territoires autour de Val-Griffon, et surtout la Ville Libre. Lors de ses soirées, en cette fin de millénaire, le cadet aimait à se rendre avec son groupe d’amis sur Lorgol : il pouvait ainsi profiter de ces instants de repos, le corps encore fourbu d’un entraînement intensif ; découvrir la ville aux Mille Tours et ses tavernes, jouer de sa carrure particulière pour impressionner, s’imposer auprès des filles, les séduire car l’esprit féminin était ainsi faiblement fait. Profiter, s’amuser, aimer celles qui le voulaient. Même si le consentement n’était pas le point fort de l’esprit même d’un Belliférien (le mot n’avait pas grand sens lorsqu’il s’apparentait aux choses de la chair), Hector avait en général assez de sens pour ne pas poursuivre follement une femme s’enfuyant. La poursuivre aurait accordé à une insignifiante une trop grande place dans son lit, dans son esprit, dans son histoire.
De même, dans ce dédain qui était propre aux hommes du duché de la guerre, jamais n’essaya-t-il de nouer plus que ça des liens avec les demoiselles voltigeant à ses côtés. Il apprit à devoir faire avec, mais en deux ans passés à la Caserne, les plus chanceuses avaient eu l’insigne honneur d’un jour entendre une salutation leur être adressée de la part du blond. Et il vivait très bien sans forcément collaborer avec elles.
Il fut envoyé à ses 21 ans en Bellifère afin de terminer sa formation sous les ordres et la tutelle d’un Voltigeur émérite : Grégoire de Brumecor, noble valeureux dont le frère avait combattu aux côtés de son oncle. À son contact, il apprit beaucoup d’un homme qu’il tenait en haute estime, et continua d’admirer. Une solide entente se noua d’ailleurs entre eux.
Avide de savoir, fier de servir, prompt à se dévouer au service de son duché et de son empire - un fier amour qu’Ambre appréciait, chez lui -, il ne pouvait que continuer à apprendre et grandir. Devenir un Voltigeur parfait, avec la discipline et la rigueur du duché de Kern, et l’amour de la liberté qu’offrait sa vocation.
Hector était heureux. Heureux de servir. Heureux de grandir. D’avoir un avenir l’arme au poing, prêt à défendre avec vaillance des terres qui étaient siennes.
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Pendant le livre I : 1001 sonna la fin de son entraînement, dans un monde de plus en plus en tension. Il fut intronisé officiellement Voltigeur mi-juin, intégrant la caserne de Hacheclair. C’était ici qu’il avait déjà passé la fin de sa formation, au côté de celui qui était devenu depuis peu le capitaine de vol de Bellifère. Il conservait avec le Brumecor une entente plus que cordiale, en plus du respect tout naturel qu’il lui vouait.
Ses débuts se passèrent plutôt bien, jusqu’à son assignation avec le reste de sa division à la protection de la capitale pour le tournoi des trois Opales. Déjà, la chose commençait mal, il y avait beaucoup, beaucoup trop de femmes dans le magnifique colisée, dont une Belliférienne pour Bellifère (Sacrilège ! ) et Grâce Martel - la fameuse, le cauchemar vivant de tout bon Voltigeur qui se respecte - pour Erebor. Bon. Ça faisait deux personnes de moins à choisir de soutenir. De toute manière, vu le branle-bas de combat mis en place pour assurer la protection des Champions et de la population, il n’eut que peu le temps d’aller s’en approcher. Le désastre que fut le tournoi lui laissa un goût amer en bouche. Il n’avait pas eu peur, pas un instant. Mais même Ambre ne savait calmer cette lourde impression d’avoir failli quelque part, quand on voyait les dégâts provoqués, les enlèvements, les brèches de sécurité. En bas de l’échelle, certes, mais il était une part du corps des Voltigeurs qui, pour toujours, aurait failli à assurer une sécurité irréprochable au Tournoi. Et s’ils avaient su réagir convenablement et efficacement face aux menaces, si le pire avait été évité, les échecs restent toujours plus en mémoire que les petites victoires.
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Pendant le livre II : L’année 1002 fut une année majoritairement passée au front pour Hector. Une fois la guerre déclarée, avec son ailier, il prit la direction du front belliféro-outreventois, où il se battit avec bravoure et courage. Il était un soldat dans l’âme, ça n’était pas nouveau. Il sut s’illustrer aux yeux de ses camarades de Vol… Et rester en vie.
Il profita notamment grandement de l’épidémie en août et septembre pour enfoncer allègrement les frontières faës - et reprendre les leurs.
Être au front ne signifiait pas que les nouvelles ne l’atteignaient pas. Qu’il s’agisse des attentats de Svaljärd en juillet, qui le plongèrent dans une colère sombre - on ne s’attaquait pas impunément à l’empereur - , ou du couronnement attendu d’un duc succédant à sa grand-mère duchesse. Cependant, il ne quitterait pas le front avant la trêve, après la mort d’un empereur respecté, après la libération d’un fléau oublié et la dissolution de la Rose, en laquelle il avait foi et confiance. Le chaos commençait à se répandre en Arven, portée par une Chasse Sauvage dont personne ne semblait rien savoir.
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TRAME ALTERNÉE (Intrigue 2.3 La Roue Brisée)
→ Durant la trame alternée, Hector n’a jamais rejoint la Caserne de Serre. Né à la frontière outrevento-belliférienne, sa vie a été assez rude et rythmée par des affrontements fréquents. Il s’est engagé dès ses quinze ans dans l’armée, et est depuis monté en grade et passe pour un des éléments les plus prometteurs.
→ Ne se réveillera pas.
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Pendant le livre III : De retour à Hacheclair, Hector en profita en ce début d’année 1003 pour panser ses blessures et prendre des nouvelles de sa famille : Hercule avait repris la suite de leur père à Viremont, et Hémon avait déménagé sur les terres proches d’Hacheclair qui appartenaient au duc Martial avec la jeune femme qu’il avait enlevée. Ce rapprochement permit à Hector d’aller lui rendre visite. Il évita habilement, par ailleurs, les questions sur un possible enlèvement de son côté : le Voltigeur n'avait pas encore trouvé un parti intéressant, et ne s'y était pas réellement penché. (Et il n'était rien, encore. )
Fin janvier, le trône de Bellifère se retrouva vacant alors le couple ducal était porté disparu. En un mois, les rumeurs se mirent à enfler et à murmurer dans les rues, jusqu’à ce qu’en février Guillaume de Brumecor prenne le trône dans un coup d’état parfaitement orchestré. Contacté par Grégoire, son frère, Hector eut l’immense honneur d’y participer, faisant partie des Voltigeurs de confiance placés par le capitaine de Vol de Bellifère pour assurer la sécurité du futur duc lors de son entrée dans le palais ducal. Le duc les avaient abandonnés, il n’était que justice qu’un meneur tel que l’illustre général des armées prenne sa place !
Il ne fit cependant pas partie de la délégation qui accompagna l’ambassadeur au couronnement d’Octave. Les échos de celui-ci lui firent craindre le pire pour le gouvernement à venir : on plaçait sur le trône un être contre-nature, un homme marqué de Sithis comme l’étaient les assassins - autrement dit, la lie de l’humanité aux yeux d’un soldat tel que lui. Mais de ce couronnement Hector retiendrait aussi la disparition de son Maréchal à la suite de la Chasse, et la nomination de son ancien mentor à sa place dans les jours suivants…
Et le remaniement qui suivrait, à cause de la sécession d’Erebor. Et s’il n’était pas capable d’en vouloir réellement au maréchal de Brumecor de réorganiser proprement ses effectifs amputés, avait-il besoin de l’envoyer en Sombreciel ?
Et avait-on besoin de lui assigner une décadente comme ailière ? Une décadente dont le griffon était incapable de faire trois mètres en ligne droite quand il décidait de se montrer ? N’allez pas lui dire qu’il n’y avait pas de Voltigeur en manque d’ailiers dans les rangs cielsombrois !
Mais Hector n’était pas du genre à aller contre la hiérarchie. Il serra les dents, tempêta chez lui, en chemin, se plaignit à Ambre… Mais encaissa. La hiérarchie le voulait là, là il irait.
Il passa le reste de l’année à tenter de s’adapter à Euphoria, à Sombreciel, à un duché radicalement différent du sien. Et si le Belliférien finit par lier quelques amitiés, et s’il se découvrit avec quelque surprise des intérêts qu’il n’aurait jamais imaginé en des choses bien éloignées de celles du duché de la guerre (et nous ne parlons ici que de théâtre), il avait la plupart du temps l’impression de se heurter à un mur. Et s'il ne souhaitait pas échouer, il devait apprendre, devait se faire à ce monde radicalement différent.
Chronologie
- 18 novembre 977 – Naissance à Viremont d’Hector
- 10 mai 991 – Départ pour l’Oriflamme
- mai 991 → avril 996 – Apprentissage auprès de son oncle dans l’optique de devenir guerrier.
- Juin 996 – Début de sa formation de Voltigeur.
- Septembre 998 – Rejoint le vol de Bellifère pour la suite de sa formation, sous la tutelle de Grégoire de Brumecor.
- 12 juin 1001 – Fin de formation, officiellement intronisé Voltigeur. Rejoint le vol de Bellifère.
- Fin septembre 1001 – Première mission d’importance, surveillance au Tournoi des trois Opales (I.5)
- Janvier 1002 – Début de la guerre. Départ pour le front outreventois, à l’extrême sud de la frontière.
- 10 décembre 1002 – Trêve hivernale, décès d’Augustus. Retour à la caserne d’Hacheclair.
- 28 février 1003 – Coup d’état de Guillaume de Brumecor. Il fait partie des Voltigeurs mandatés par son frère pour sécuriser l’entrée du palais ducal.
- avril 1003 – Suite à la disparition du Maréchal le Harnois, et à la réorganisation des escadrons de Voltigeurs à cause de la sécession d’Erebor, il est muté en Sombreciel.
- août 1003 – Envoyé à la frontière erebienne pour surveiller, suite aux momies parties en vadrouille fin juillet. Retour à Euphoria après quelques semaines de surveillance, à la mi-août.
Joindre l'inutile au désagréable
Ombeline de la Veilleuse & Hector Tranchaile
4 janvier 1004
Hector n’a aucune envie d’y aller. Mais alors vraiment aucune envie. Ce n’est pas nouveau, ce genre de situation, depuis qu’il est arrivé en Sombreciel. Il n’a aucune envie d’aller patienter sur la piste d’envol, dans le froid et l’air humide avec Ambre qui tente de le maintenir dans un état neutre à base d’images de cailloux qu’elle trouve amusants. Il n’a aucune envie de passer trois heures les bras croisés en regardant ses camarades de l’escadron lui adresser un sourire contrit avant de s’envoler. Il n’a aucune envie, surtout, de voir son ailière arriver bien trop en retard et à pied et
seule. Il n’a aucune envie de répéter un scénario qui est le même depuis maintenant huit mois.
Assis dans sa chambre à la caserne, déjà prêt, il tente de se motiver à sortir et de se dire qu’aujourd’hui, ça sera différent. Qu’aujourd’hui Ombeline ne va pas mettre deux heures à arriver, qu’elle aura son griffon avec elle et que, avec un peu de chance, celui-ci arrivera à voler droit pendant au moins un tiers de leur tâche !
Bon. Peut-être juste arrivera-t-il à prendre son envol correctement et à le suivre. Ca suffira. Aujourd’hui ça sera différent. La mission est simple, s’ils sont un peu en retard, bon. De toute manière, ces jours-ci, on ne leur confie rien d’importance (la faute à qui ? ).
Le Belliférien exilé referme doucement la porte de sa chambre et la verrouille à double tour, glissant la clé autour de son cou et sous ses vêtements : il tient à sa vie privée. Même si la chambre qu’il occupe est relativement vierge encore, on peut y sentir son influence dans les vêtements rangés, les armes conservées dans un alignement obscur qu’il est le seul à comprendre ou les quelques souvenirs qu’il a ramené avec lui de Bellifère. Et ce n’est pas demain qu’Hector laissera un Cielsombrois mettre les pieds dans le seul refuge qu’il a contre leur cielsombrie envahissante.
Ca fait huit mois qu’il est là, songe-t-il en prenant le couloir qui le mènera à l’extérieur. Huit mois qu’il se dit que ce n’est que temporaire, que d’un jour à l’autre on le rappellera en Bellifère ou même en Valkyrion. Il a confiance en leur Maréchal – un grand homme que le Belliférien tient en haute estime.
Il commence à se dire que, peut-être, il est parti pour rester plus longtemps qu’il ne l’a espéré.
Le Tranchaile pose le pied sur la piste pour être immédiatement accueilli par Ambre, encore plus ponctuelle que lui. L’air du matin est humide et a détrempé un peu le griffon.
Froid. Plumes qui glissent.
On va y aller bientôt, ne t’en fais pas.
Drap.Hector peut jurer sentir sur ses bras la chaleur d’un drap qui le sèche – et lui ébouriffe les plumes. Il sourit, levant les yeux au ciel. Ce sont les sensations qui toujours le font s’émerveiller secrètement.
Oui, je te sècherai en rentrant. Elle n’en a pas forcément besoin, mais elle aime l’attention, et la réclame.
Pour l’heure, Hector s’occupe de l’harnacher correctement, dans des mouvements lestes et facilités par l’habitude.
Puis ils attendent.
C’est vrai qu’il fait froid, aujourd’hui.
Une heure.
Une heure et demie.
Hector commence à regretter son choix de carrière.
« Je vais la tuer. »Ca ne la fait pas plus venir.
Deux heures.
Caillou.
Caillou rose.
Caillou griffon.
Caillou Hector.Deux heures quarante-cinq.
« Je sais pas si on partira aujourd’hui, Ambre. »Il l’a dit à haute voix, comme pour s’en assurer lui-même. Il peut presque jurer voir la tristesse dans ses yeux, et il peut sentir le regret glisser dans son esprit.
« Moi aussi je veux voler, tu sais. C’est à elle que faut t’en prendre. Foutue bonne femme. » grogne-t-il. Il est de fort méchante humeur, le jeune Belliférien, d’avoir attendu trois heures dans le froid, avec une griffonne qui lui a montré en long en large en travers sa collection de cailloux.
L’année commence si bien.