Panser les blessures

Le calme est revenu à bord. La violence de la bataille contre une vivenef de la flotte belliférienne a laissé des séquelles ; la lisse nécessite de sérieuses réparations, les voiles mériteraient encore un bon rafistolage et le mât semble de guingois. Le plus gros changement est le vide laissé par certains de leurs camarades tombés au combat. Ils ont été rendus à Messaïon le soir-même et le rhum a coulé à flot en leur honneur. Désormais, l'Audacia se doit de faire sans les pauvres hères qui contribuaient tant à sa renommée et qui ont donné leur vie au coeur de la bataille. L'abordage n'a pas été de tout repos, mais il en valait la peine. Trois canons bellifériens à la puissance de feu phénoménale, une dizaine de barils de poudre, de nombreuses armes acérées. Sans compter les sacs de fleurons et de réserves de nourritures qui ont été embarqués. Une véritable aubaine. Et s'ils n'ont pas coulé le navire, c'est bien uniquement par respect pour l'oeuvre délicate qu'est une vivenef.

Ilse est remontée à bloc. Elle n'a pas été touchée durant la bataille, ses boulets de canon ont plus sur l'ennemi et elle est restée en retrait au moment de l'abordage afin de pouvoir intervenir en cas de problème. Elle a bichonné les nouveaux canons dès leur arrivée et les a fait installer à des endroits stratégiques pour augmenter leur puissance de feu durant les prochaines batailles. Il lui tarde déjà d'étrenner ces merveilles. Mais il reste encore du boulot à bord, et avec une équipage réduit, chacun doit mettre la main à la pâte. Elle a bien dû passer deux heures à rafistoler des voiles avec quelques coéquipiers avant de pouvoir enfin se rendre à la proue, où Rhéa se remet également de ses blessures. L'audacieuse dame de bois a malheureusement subit quelques dégâts, elle aussi.

« Comment vas-tu aujourd'hui ? » « Oh tu sais, j'en ai vu d'autres. » plaisante-t-elle, levant son bras amoché. Son sourire est mi-sournois, mi-nostalgique. La canonnière sent qu'il y a bien des aventures qu'elle ne lui a pas encore contées, malgré les nombreuses discussions échangées durant toutes ces années. « La Poutre t'a pas encore rafistolée ? » « Oh si, mais il a fait le minimum pour aller s'occuper de choses plus urgentes. Un trou dans la coque, ça pardonne pas. » rit-elle en tournant la tête vers la pirate. Celle-ci se hisse sur le bastingage pour se rapprocher de Rhéa. Ses cheveux relâchés et sa chemise lâche son secoués par la brise, ses manches retroussées dévoilent une peau qui a pris quelques couleurs sous le ciel printanier. « Il devrait pas tarder, il a dit que j'étais sa priorité aujourd'hui. » Ilse esquisse un sourire en coin. « Tiens donc. » Voilà qui est fort surprenant.