Héloïse • Où sont les jours passés ?

Qu'est-ce donc notre histoire ? Que sont nos vies ? La somme des jours écoulés depuis notre venue au monde ? L'ensemble des souvenirs collectés au fil des années, des hasards et des découvertes qui ont forgé notre caractère et notre vision du monde ? Nos proches, famille et amis, liés par le sang ou le hasard d'une rencontre ?

Je n'ai rien de tout cela.

Ma vie, pour tout ce que j'en sais, commence il y a un an et demi de cela. C'était un froid matin printanier qui se levait sur Riven, petite bourgade de Bellifère perdue aux confins du duché. C'est une main aveugle qui me réveilla, épongeant mon front meurtri avec douceur. Une voix apaisante à l'accent étranger qui m'enjoignis de rester couchée ne pas rajouter à la migraine qui me vrillait les tempes. Elle m'expliqua que ses frères m'avaient trouvée inanimée derrière chez eux et me demanda mon nom, avec toujours cette voix douce. Qui m'inspira pourtant une panique infinie. Mon nom. Quel était-il ? En avais-je seulement un ? Alors que lui répondre me semblait évident, les mots semblèrent se défiler sur le bout de mes lèvres, me laissant seule face à l'effroyable silence de mon esprit. Non, je n'avais pas de nom. Pas d'explications à ma présence dans leur jardinet. Pas de souvenirs, ni des derniers jours écoulés ni des années lointaines. Pas de passé.

Je me souviens encore de la panique, de cette peur qui s'insinuait partout et me nouait les entrailles. Elle me tint sanglotante et tremblante entre ses bras. Et, patiemment, elle prit soin de moi, me soigna, me nourrit, me lava. M'appris tous ces gestes évidents que je n'étais plus capable de faire par moi-même. Elle me confia son nom, Désirée. Et pour remplacer celui que j'avais perdu, m'en offrit un nouveau. Héloïse. Du nom, me confia-t-elle plus tard, de la fille qu'elle aurait aimé avoir.

Désirée ne vivait pas seule dans cette masure isolée près du large. Chassée par son époux pour la faiblesse de ses yeux, elle était revenue vivre près de la demeure de son père où elle se rendait utile par quelques menus services, triant notamment les perles nacrées qu'il pêchait jour après jour.
Il était hors de question pour cet homme dur de nourrir une bouche inutile et, de même qu'il avait mis sa fille au travail, il ne tarda pas à me confier diverses tâches ménagères. Il y eut, dans les premiers temps, comme une voix furieuse au fond de moi, se refusant tout à fait à obéir aux ordres qu'il braillait sans même me lancer un regard. Un sursaut d'orgueil aussi inexplicable que poignant. Mais quel autre choix avais-je ? Affaiblie et sujette à la panique face à mon amnésie, j'ignorais où trouver recours. Au moins trouvais-je ici un toit, des repas chauds et une amie en la personne de Désirée que j'appris progressivement à aider de mon mieux. Elle m'enseigna comment prendre soin de la maison, comment préparer un repas sans rien brûler et à repriser les vêtements. Mon travail maladroit ne semblait jamais entamer sa bonne humeur, quand il m'attirait les foudres du patriarche. Insultes et coups ont fusé. Fusent encore. Sanctionnant mes erreurs, bousculant le peu d'amour propre que j'ai en vain tenté de construire. Il clame que m'avoir retrouvée à la rue était bien normal, que j'ai sans doute été jetée là par un époux ou un père lassé de mon incompétence. Jamais je n'ai répondu à ses mots venimeux. Et les seules larmes qui ont pu couler sont celles que la douleur de ses coups suscita. Pourtant, chaque mot, chaque phrase qu'il prononça au fil de ces mois se sont ancrés profondément en moi.

Bonne à tout faire. Bonne à mal faire. Bonne à rien.
Je ne suis rien de plus.

Que penses-tu des compétences de la toute nouvelle impératrice de Faërie, la jeune Chimène ? La trouves-tu légitime, penses-tu qu'elle va réussir sa période de probation ?
• Chimène est jeune, il est vrai... J'ai quelque peu entendu parler de cette petite impératrice, au détour des rues. On la dit fragile, inexpérimentée, incapable d'assumer la charge venue peser sur ses épaules. J'ignore ce qu'il en est réellement de ces rumeurs qui fleurissent en Arven et au fond, je crains de le savoir. Les perspectives de son échec sont par trop effrayantes. Je prie Argon chaque jour pour que Chimène se révèle une souveraine digne de ce nom et que s'éloignent les spectres de la guerre qui nous menace.

Envisages-tu de prendre part au conflit si une guerre entre Ibélène et Faërie devait se déclarer ? Quel parti prendrais-tu, et pourquoi ? Comment participerais-tu à la lutte ?
• Que les dieux nous préservent de ce malheur. Tout Bellifère sembler piétiner d'impatience à l'idée d'en découdre. Les hommes aiguisent leurs lames, préparent leur harnachement, consolident leurs armures. Et moi... moi je tremble du fond de ma chambrette. Je ne suis qu'une femme, une servante, une moins que rien. Que pourrais-je être dans cette guerre, sinon un dommage collatéral oublié de tous ?

Que penses-tu de Lorgol, la ville aux Mille Tours ? Est-ce que tu t'y promènes sereinement ou est-ce que la capitale des peuples libres t'oppresse ?
• Du fond de ma mémoire, je crois n'avoir jamais visité cette lointaine cité. On la dit ville de lumière, d'équilibre entre sciences et magie, grandiose et magnifique. Mais l'on évoque aussi ses bas-fonds, ses tire-laines et autres maraudeurs... Cette ville m'intrigue par toutes les rumeurs qu'elle suscite et m'effraie tout à la fois. Qu'importe, je me plais parfois à l'imaginer puisqu'il est probable que je la découvre jamais.