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| Sujet: Re: Ridicule générosité Lun 6 Juin 2016 - 23:14 | |
| Il y avait un problème.
Je n’étais pas douée pour régler les problèmes des autres. A vrai dire, la plupart du temps, les états d’âme de mes interlocuteurs m’importaient assez peu. Je disais la vérité, nette, brute, telle que je la voyais, et s’ils la prenaient mal, et bien, c’était de leur faute – qu’ils blâment donc leur susceptibilité au lieu de s’en prendre à mon absence de courtoisie ! Pourtant, je n’avais pas eu l’intention de blesser Mayeul, ni même l’impression que mes remarques pouvaient s’avérer insultantes. J’avais, au contraire, estimé que sa vie était merveilleuse et qu’il avait beaucoup de chances de la vivre. Je fronçai les sourcils, perplexe, repassant dans ma tête ce que j’avais pu dire de mal.
Tout en réfléchissant – et tandis qu’il hélait une serveuse pour commander une liqueur de Sombreciel – je m’attaquai à mon repas, imaginant dépecer le problème comme je découpais ce morceau de viande. Habituellement, je n’aurais pas prêté attention à ce soudain changement d’humeur : je disais tant de choses vexantes qu’une de plus ou de moins… Toutefois, Mayeul ne s’était jusqu’alors jamais offusqué, préférant penser que mon jugement était erroné ou trop véridique pour être insultant. Par conséquent, j'avais dû dire quelque chose de vraiment blessant. Du coin des lèvres, je cherchai comment exprimer des excuses à propos de ce sujet sensible que j’ignorais même avoir abordé. Néanmoins, je manquais d’expérience, et comme toujours dans ce genre de situations, je laissai ma langue s’exprimer à ma place.
Je m’enfonçai dans un long monologue sur Lorgol et la comparaison avec l’envol, avant de me réjouir d’avoir pu écouter l’histoire de Mayeul, et de le prévenir que je préférais ne pas avoir à entendre de nouveau parler d’une nuit entre ses draps. Une part de moins aurait voulu trouver le moyen d’exprimer des excuses pour avoir, d’une certaine façon, brisé cette entente entre nous. Du moins, j’aurais dû pouvoir dénicher un moyen de rattraper ce que j’avais fait. A moins que Mayeul ne soit simplement dans une mauvaise passe, et que, brutalement, tous ses problèmes s’étaient représentés à lui comme porté par un nuage noir d’orage. En ce cas, n’aurais-je pas dû m’arranger pour le consoler ? N’était-ce pas des choses qui se faisaient ? Heureusement, cette part de moi était encore novice, incapable de concrétiser ses idées par des actions concrètes, et bien moins dominante que celle qui répondit par des banalités.
Ce seconde part de moi, bien plus à l’aise, bien plus bavarde, bien moins embarrassée à l’idée d’avoir peut-être blessé Mayeul, se fraya un chemin dans le silence pesant pour l’envahir de mots inutiles. Des mots inutiles. Je considérais bien peu souvent mes paroles de cette façon, mais le soudain revirement de mon interlocuteur m’avait prise au dépourvu, et j’avais dû mal, quoi qu’en dise cette seconde partie de ma personne, à faire comme si de rien n’était. Une question indicible me brûlait les lèvres, et si je ne me faisais pas violence, je ne tarderais pas à la poser. Par chance, Mayeul choisit ce moment exact pour reprendre la parole, ce qui m’évita d’avoir à creuser le sujet de son comportement aussi soudain qu’inexplicable. Je ne manquai pas de remarquer, au passage, qu’il avait bu une rasade d’alcool comme si sa vie en dépendait, juste avant de parler.
Il me promit d’essayer de me garder loin de son lit, et le mot « essayer », si je n’avais pas été perturbée par le soudain changement d’humeur de mon interlocuteur, m’aurait sans aucun doute fait sourire. Essayer ne tenait à aucune réussite, ni même à un effort particulièrement fourni. Essayer, ce n’était pas faire de son mieux. Essayer, cela pouvait être sans réelle motivation. Moi aussi, j’avais déjà utilisé le stratagème de « l’essai » bon nombre de fois pour éviter de devoir promettre une chose embarrassante. Quand mes parents, par exemple, tentaient de me faire jurer d’être sage pour le restant de la journée. C’était assez utile, pour calmer leurs craintes et pourvoir quand même à mon besoin irrésistible de surmonter l’interdit et l’impossible.
Il se prétendit fatigué. Durant un instant, mon esprit sauta sur cette excuse pour expliquer son comportement, mais une part de moi la rejeta bien vite. Mayeul me ressemblait. J’agissais sensiblement différemment quand j’étais malheureuse et quand j’étais fatiguée. Non, ce n’était pas seulement dû à la fatigue, si le lien qui nous unissait, précieux et fragile à la fois, s’était brisé comme si un dieu cruel s’était amusé à jouer avec. Je vidai mon verre de liqueur lagrane comme si elle pouvait chasser la soudaine déception qui m’envahissait. Je savais, toutefois, qu’il n’en serait rien. J’avais espéré découvrir en Mayeul enfin quelqu’un avec qui les échanges se dérouleraient sans malentendus et avec facilité. Je m’étais lourdement trompée, et je n’avais même pas une petite explication à me mettre sous la dent. Soudain, le prochain rendez-vous que je lui avais promis m’apparut bien difficile. Je retins un soupir de dépit et l’écoutai essayer de tisser de nouveau autour de nous cette ambiance détendue qui nous avait bercés.
Mais il était trop tard, et même lui sans doute devait s’en apercevoir. Il essaya de plaisanter au sujet de ses tentatives d’enlèvement et, avec un léger sourire, il ajouta même que je finirai par rechercher la compagnie d’un homme comme lui. En fait, j’y avais cru. Sincèrement, j’avais cru être heureuse de pouvoir le revoir, mais il s’était passé quelque chose, tout à l’heure, qui avait brisé mes espoirs d’être tombé face à face avec quelqu’un d’exceptionnel. Et comme toujours devant une déception, je pris naturellement mes distances. Quand Mayeul proposa de me resservir, je hochai affirmativement la tête, un peu mécaniquement, toutefois, sans vraiment y prendre garde, comme un réflexe poli plutôt qu’un acte conscient. Je souriais toujours, oui, mais désormais plus par habitude que par joie.
— Je comprends : la fatigue, un de ces ennemis universels face auquel nous ne pouvons rien et qui touche tout en chacun. Le meilleur moyen de la combattre, c’est un bon lit. Si vous êtes épuisé au point d’en perdre votre humour, peut-être d’ailleurs devriez-vous aller vous coucher rapidement. Sans votre humour, et sans vouloir vous vexer, vous n’êtes plus grand-chose, Mayeul.
Etait-ce un peu sec ? Peut-être. Je n’avais pas voulu y aller aussi fort. Les mots l’avaient emporté sur ma pensée. Comme d’habitude, en fait. J’aurais pu m’arrêter là, mais déjà, je continuai sur ma lancée, conservant toujours, suspendu à mes lèvres, un léger sourire qui, même s'il ne reflétait pas le fond de ma pensée, pouvait paraître tout à fait naturel.
— Quant à m’enlever… oui, c’est vrai, vous en seriez capable. Je ne suis, d’ailleurs, pas sûre de pouvoir opposer une grande résistance. Ma force physique doit à peu près égaler celle d’une abeille. Les abeilles peuvent très bien piquer, allez-vous me dire, mais cela signe toujours leur arrêt de mort, et je préférerais ne pas prendre le risque. Enfin… puisque de toute façon, je n’ai que peu de moyens de défense à opposer à vos sombres projets, j’ai décidé de vous faire confiance. Cela m’aura au moins apporté de quoi me désaltérer et me remplir l’estomac.
Je me passai la main dans les cheveux, essayant tant bien que mal de juguler l’éclair de déception qui m’avait parcourue avec la brusquerie et la violence d’un coup de foudre. Je parvins à sourire avec un peu plus de facilité.
— Et, au cas où vous ne l’auriez pas compris, ce n’est pas votre compagnie que je demande, mais celle de votre griffon. La différence est aussi flagrante qu’entre le jour et la nuit. Un griffon est une créature qui doit être fondamentalement différente de vous puisque, au cas où cela vous aurait échappé, vous êtes un humain. Et en plus, c'est sans doute une créature incroyablement majestueuse.
J’avais pris un air rêveur sur ces derniers mots, mais je secouai la tête et me penchai pour prendre une gorgée de cette liqueur cielsombroise. Je crus que j’allais m’étouffer, et n'avalai, à vrai dire, que par réflexe. Ce truc – absolument immonde, au demeurant – était sans doute capable de liquéfier mes organes de l’intérieur. Dégoûtée, je repoussai mon verre comme s’il contenait la peste et observai Mayeul avec horreur, hésitant à fracasser la bouteille contre le mur afin d’annihiler toute trace de ce véritable poison. J’étais, à vrai dire, assez choquée pour oublier le malaise qui avait plané entre nous quelques instants plus tôt.
— Par tous les dieux, Mayeul, comment pouvez-vous boire une abomination pareille ?
Le cri était sorti malgré moi, et je toisai Mayeul de haut en bas pour vérifier qu’il n’était pas en train de perdre sa peau par plaques, ou de voir ses cheveux tomber par poignées. Mais non, il semblait en assez bonne santé, assez étonnamment.
— C’est imbuvable ! continuai-je à me plaindre comme une enfant capricieuse. Ca ressemble à du poison en bouteille ! Je ne comprends pas… Je ne parviens pas à saisir… Je ne…
J’en perdais mes mots, et il n’y avait rien qui m’horrifiait plus que de ne pas savoir que dire. Je secouai la tête et écartai le sujet d’un large geste de la main, avant d’être prise d’un terrible soupçon. Je plissai les yeux, soudain méfiante.
— A moins que vous n’ayez justement prévu de m’empoisonner, et que vous ayez touché à mon verre à mon insu…
Cédant à une impulsion, et avant qu’il ait pu protester, je me penchai par-dessus la table, m’emparai de son verre à lui pour en goûter une gorgée. Dans un geste assez peu gracieux, je recrachai le tout dans mon propre verre. Je trouvais absolument insupportable la brûlure incandescente de l’alcool, qui se frayait un passage à travers mon corps sans se soucier – à mon humble avis – du chemin habituel qu’il fallait emprunter à l’intérieur d’un être-humain. Quand j’eus repris mes esprits, je pus formuler le commentaire désobligeant qui me brûlait les lèvres, comme si ça ne suffisait pas que cette maudite liqueur cielsombroise me détruise le corps.
— Non, sincèrement Mayeul, que vous parveniez à avaler cette chose me dépasse. J’en viendrais presque à expliquer pourquoi vous avez l’air aussi ridicule, et à vous admirer d’accomplir un tel exploit. Est-ce que votre griffon est au courant que vous vous exposez à un danger pareil ? Et qu’est-ce qu’il en pense, lui, de vous voir vous abreuver de ce poison avec délice ? Parce que vous allez prétendre que vous aimez cette chose, n’est-ce pas ? Ce n’est pas juste une tentative de vous moquer de moi ?
J’hésitai une fraction de seconde, les sourcils froncés.
— Ce n’est pas juste une tentative de vous moquer de moi, n’est-ce pas ? répétai-je d’un ton suspicieux.
Je laissai un large sourire étirer mes traits.
— Ce ne serait pas très gentil, affirmai-je en ricanant.
Comme s’il allait se gêner. Je n’avais pas été des plus… gentilles avec lui depuis le début de cette conversation. Je n’étais tout simplement pas faite pour être gentille. « Etre gentil », c’était être trop lâche pour soutenir la vérité.
Or, je n’étais pas vraiment ce qu’on pouvait appeler lâche. Ni courageuse, d’ailleurs.
J’étais simplement trop imprudente pour faire le moindre cas du danger. |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Mar 7 Juin 2016 - 21:03 | |
| Il avait plombé l’ambiance, il le savait : terminée, leur agréable conversation, faite d’ironie et de propos insignifiants, terminée la bonne humeur qu’il avait ressenti en compagnie de la jeune fille. Chacun mangeait son assiette, visiblement perdu dans ses pensées avant que Melinda ne prenne la parole, assez peu secondée par Mayeul, en l’occurence. Et s’il croyait qu’elle n’avait rien, s’il l’espérait plutôt, il dût vite déchanter : rien qu’à sa voix, à son ton un peu sec, il avait compris qu’il l’avait... Déçue? Etait-ce vraiment de la déception? Pourquoi? Elle lui avait fait signe de la servir, et il s’était exécuté, sans vraiment songer à mal. Il partageait souvent un verre avec ses compagnons de Vol, quoique bien moins désormais, mais cela lui arrivait de temps en temps, et chacun d’eux savait lever le coude, au moins un minimum. Il était Cielsombrois, après tout, et l’idée même que l’alcool soit un peu trop fort à supporter ne lui effleura que rapidement l’esprit. Il aurait peut-être dû la mettre en garde, en vérité, mais oublia cette idée aussi rapidement que l’autre, bien trop concentré sur ses paroles et sa déception palpable. Il la regarda avec curiosité, car réellement, il ne comprenait pas pourquoi. En colère, il aurait compris. Curieuse aussi. Mais déçue? De son changement brusque de comportement, peut-être... Déçu parce qu’il était imprévisible? L’idée lui arracha un sourire : dans ce cas là, elle allait très vite déchanter de sa compagnie, Mayeul n’étant pas l’homme le plus équilibré qui soit. Ses changements brusques d’humeur - et encore, cette fois-ci, il n’avait rien pris depuis la veille- surprenaient même ceux qui le connaissait bien, alors il ne pouvait pas s’attendre à ce que Melinda les prenne avec philosophie. Et, à vrai dire, ça n’avait pas l’air d’être le cas : elle était presque mauvaise, en lui signifiait qu’il n’était plus grand chose sans son sens de l’humour. Il fallait sans doute comprendre plus très intéressant, ceci dit. Mais il ne la laisserait pas l’énerver, pas maintenant qu’il avait recouvrer un semblant de maîtrise de soi, tentant de recoller à la légèreté de leur conversation précédente. Mais Melinda, blessée, semblait ne guère vouloir y mettre du sien. Peut-être aurait-il dû s’excuser, mais non. Dire qu’il était fatigué était déjà une offre de paix en soi, il ne pousserait pas plus loin. Lui expliquer pour Mathilde, de toute façon, il n’en était pas capable. Peut-être aurait-il pu lui jeter à la figure, énervé, ou bien trop saoul pour contrôler réellement ce qu’il disait, mais c’était loin d’être le cas. Quoique s’il continuait à cette vitesse... Il s’était resservi, et avala d’un trait l’alcool en écoutant Melinda déclarer que c’était la compagnie de Nuage, pas la sienne, qu’elle recherchait. Plus la sienne, en fait. Si elle te connaissait, elle déchanterait vite, mon ami glissa Mayeul, narquois, au griffon. Il retint un reniflement amusé quand elle lui expliqua que le griffon était sans doute une créature des plus majestueuse. Elle ne les avait jamais vu rentrer à la caserne, ruisselant de pluie et à l’allure miséreuse. Il partagea l’image avec le griffon, amusé, semblant avoir oublié son humeur plus que sombre durant les minutes précédentes. Mais c’était purement lui, ça : il ne restait jamais malheureux très longtemps. Il... Oubliait. Ca paraissait terrible à dire, mais c’est ce qui lui semblait le plus logique. Les drogues, l’alcool, s’ajoutaient à son naturel manque de concentration et sa capacité à être des plus distrait, et il oubliait qu’il avait été malheureux, qu’il avait songé à Mathilde, jusqu’à la fois suivante. Qui revenait très vite, et c’était bien pour ça qu’il replongeait dans les drogues sans laisser de répit à son esprit. Ne pas penser, c’était bien plus agréable, et s’il le fallait, le brusque revirement de Melinda était la preuve qu’il était un bien mauvais compagnon quand son cerveau était capable de penser. Elle avait raison : il était bien plus marrant drogué que dans son état normal, et même lui s’en rendait compte, ce qui l’effrayait au plus haut point, enfin, jusqu’à ce que cette pensée se noie elle aussi. Et puis, tout bascula. Melinda laissa planer le silence avant d’avaler son verre, et manqua de s’étouffer avec avant de se mettre à piailler - Nuage, par Mirta, vous avez plus de points communs que ce que je pensais!- , puis de vérifier qu’il n’avait pas voulu l’empoisonner. Et quand elle prit une nouvelle gorgée dans son verre, pour la recracher avec épouvante, Mayeul se mordait déjà les lèvres pour ne pas éclater de rire. Il allait la vexer, et il ne le voulait pas, pas après l’avoir déçu par son comportement. Oh non, il n’aurait pas pu protester, il était bien trop occupé à contenir tant bien que mal son hilarité. Plutôt mal que bien, d’ailleurs, parce que quand elle l’accusa de se moquer d’elle, il finit par succomber et éclata de rire. Au pire moment sans doute, elle allait lui en vouloir, mais il ne pouvait plus se retenir. Il en avait même les larmes aux yeux, le pauvre, secoué d’un rire qui n’avait vraiment rien de feint. Rien que de repenser à l’horreur affiché sur ses traits délicats lorsqu’elle avait avalé son verre déclencha une nouvelle crise de rire, et il lui fallu quelques moments pour recouvrer sa dignité, et lui présenter ses excuses. Elle allait sans doute le haïr, mais il ne pouvait plus rien y faire. Nous avions déjà établi que je n’étais pas quelqu’un de confiance, je suppose que pas gentil peut aisément venir compléter la liste. Nouveau rire, qu’il jugula après quelques secondes Je suis désolé Melinda, je ne voulais pas me moquer, je vous promets, mais... C’est la première fois que vous buvez de l’alcool Cielsombrois, n’est-ce pas? Pour une première fois, ça avait été quelque chose. Il aurait vraiment du l’avertir. Erelf me pardonne, je suis désolé, j’aurais du vous prévenir. Il est notoriété publique que les Lagrans ne savent pas boire, mais vous... Vous! Nouveau rire, décidement, il ne pouvait s’en empêcher, et dû se mordre la joue pour se calmer. Reprenant son souffle, il lui adressa un sourire. Vraiment, Melinda, je m’excuse, je n’avais ni l’intention de me moquer, ni même de vous empoisonner. Et croyez-moi, avec l’expérience, on en vient à apprécier les plaisirs de Sombreciel. Aucun double-sens à ses propos, évidemment. Et l'expérience, il l’avait, sans aucun doute. Un nouvel éclat de rire menaça de prendre possession de lui, et il réprima son hilarité avant de lui tendre la bouteille de liqueur lagrane. Restez en à celle-là pour l’instant, d’accord? Plaisanta-t-il, amusé. Heureusement pour elle, elle n’avait pas avalé le verre entier, mais il la raccompagnerait sans doute après le repas pour s’assurer qu’elle rentrait en sécurité. Une gorgée d’alcool, ce n’était rien. La première gorgée d’alcool Cielsombrois, en revanche, pouvait toujours provoquer des effets indésirables. |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Mer 8 Juin 2016 - 14:56 | |
| Il se moquait de moi.
Je m’en doutais depuis quelques instants, déjà, mais cette constatation se concrétisa lorsque je l’en accusai, et qu’il éclata d’un rire visiblement irrépressible et incontrôlable. D’un côté, j’aurais voulu me vexer qu’il ose railler mon ignorance de cette chose qu’il acceptait de boire. Ce n’était pas ma faute si Mayeul était enclin à toucher au poison, et il aurait pu me prévenir ! D’un autre côté, toutefois, je savais que je n’aurais pas souvent l’occasion de voir cet homme rire à ce point, et son rire… m’amusait, en dispersant la tension qui s’était dressée entre nous aussi sûrement qu’un orage déchire la lourdeur de l’air. Même si j’affichai un visage désobligeant, barré d’une moue boudeuse, je devais me faire violence pour ne pas laisser voir le sourire amusé qui menaçait de me submerger.
Lorsqu’il eut repris son sérieux – j’hésitai presque à céder à l’envie de compter le nombre de secondes que ça lui prit, juste pour le plaisir de souligner qu’il avait l’esprit un peu lent – il me fit remarquer que « pas gentil » pouvait parfaitement s’ajouter à la liste des adjectifs qui le définissaient déjà. Sa propre remarque devait probablement lui paraitre très spirituelle, car il éclata de nouveau de rire. Moins longtemps, toutefois, comme s’il avait appris, avec l’expérience, à se contrôler. Alors, enfin, il me présenta des excuses – des doubles excuses, à vrai dire, une fois pour les moqueries qu’il m’avait faites, et une fois pour ne pas m’avoir prévenu qu’il me servait un véritable poison.
Je m’apprêtais à lui dire que ce n’était rien et que je lui pardonnerais si plus jamais il ne recommençait – une boutade de ma part, je n’étais pas vraiment vexée, je regrettais juste qu’il ne m’ait pas prévenu avant que mes organes ne se liquéfient, mais j’avais pour coutume de dire que ce qui était fait était fait – lorsqu’il osa sous-entendre que ma façon de boire était… au-delà de toute comparaison. J’étais, il était vrai, au-delà de toute comparaison dans de nombreux domaines. Mais celui-là, étrangement, ne me rendait pas particulièrement fière. A vrai dire, ce commentaire ne convenait pas à des excuses en bonne et due forme. Je haussai un sourcil, ne pouvant toutefois pas retenir un léger sourire. J’avais toujours été sensible à la maladie contagieuse nommée « le rire ». Et Mayeul, qui venait d’ailleurs de sombrer une nouvelle fois, était contagieux comme personne.
Il s’excusa à nouveau, ajoutant qu’il ne voulait ni se moquer ni m’empoisonner, et souligna que, avec l’expérience – comme si qui que ce soit voulait expérimenter à plusieurs reprises la sensation d’organes liquéfiés et de brûlure insupportable – on en venait à apprécier les plaisirs de Sombreciel. Je levai les yeux au ciel, songeant que jamais je ne m’abaisserais à apprécier cette chose et que s’il essayait de me convaincre, il se heurterait à un mur. Heureusement pour lui, Mayeul semblait être assez raisonnable sur la question, car il me tendit la liqueur lagrane en me demandant de me contenter de celle-là. J’acquiesçai et demandai à avoir un nouveau verre. Je ne tenais pas vraiment à toucher de nouveau à celui qui avait accueilli ce poison cielsombrois.
— Je ne sais pas comment vous faites, répétai-je, partagée entre l’admiration et le dégoût. Mayeul, à vrai dire, j’avoue que votre ridicule cède un peu sa place à votre capacité à accomplir ce que moi j’imagine impossible : boire cette… liqueur cielsombroise… sans en mourir.
Je secouai la tête, comme effarée.
— Et vous osez appeler ça liqueur… Vous n’auriez pas pu mettre une notice, dans le son nom, pour qu’il soit évident aux yeux de tous qu’elle est dangereuse pour la santé ? Je n’ose pas imaginer le nombre d’inconscients qui se sont laissés prendre au piège. Et vous, vous ne trouvez pas mieux que de vous moquer de moi alors que, j’en suis sûre, j’aurais pu en mourir ! Oui, pas gentil est un adjectif qui vous convient bien. En vérité, je pourrais même dire cruel.
Incapable de faire semblant d’être fâchée plus longtemps, je laissai un large sourire éclairer de nouveau mon visage.
— Non, en fait, j’avoue être incapable de vous en vouloir, Mayeul. Moi aussi il m’arrive d’être distraite – même si ma distraction porte rarement atteinte à la vie d’autrui – et vous vous êtes excusé au moins trois fois, si je me souviens bien. Je n’ai pas d’autre choix que de vous pardonner. Surtout parce que je dois encore accepter une autre de vos invitations, et je n’ai pas vraiment envie de vous couvrir de culpabilité simplement pour une petite erreur. Enfin… pour une grosse erreur, plutôt, mais peu importe.
Mon sourire s’élargit.
— En plus, les poires n’ont pas tendance à être rancunières, et je suis sûre qu’elles voudraient que je vous pardonne. Comme quoi, je peux me montrer flexible, de temps en temps.
En fait, Mayeul avait surtout de la chance que je ne considère pas sa distraction comme une trahison. Je pouvais tout à fait tolérer les erreurs. En revanche, je ne supportais pas qu’un de ceux en qui je faisais confiance prévoie d’agir contre moi. Je prenais donc le problème avec légèreté et non comme une affaire personnelle. Une serveuse choisit ce moment pour m’apporter le verre vide que j’avais demandé, et je le remplis de liqueur lagrane. Juste avant de le goûter, j’en reniflai le contenu. Puis, toujours méfiante, je m’en humectai les lèvres pour vérifier que mon interlocuteur n’y avait rien ajouté. Ce qui ne me semblait, heureusement, pas le cas.
— En revanche, vous ne pouvez pas me reprocher de me méfier de ce que vous me donnerez dès à présent. Je ne veux pas vous laisser une nouvelle occasion d’être… « pas gentil ». Qui sait, après tout, ce que vous pourriez mettre dans mon verre la prochaine fois ?
J’avalai une légère gorgée de liqueur lagrane. Non, tout semblait normal. Bien décidée à reprendre cette conversation comme si de rien n’était, je m’attaquai de nouveau à mon repas avec entrain.
Oui, Mayeul s’était moqué de moi, mais au fond, ça m’importait peu.
Moi aussi, je pouvais parfaitement me moquer de lui. |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Jeu 9 Juin 2016 - 15:09 | |
| Oh oui, il avait rit, éclatant de rire devant son air estomaqué et sa mine dégoutté, devant les accusations qu’elle lui avait lancé. Il n’avait pu s’en empêcher et honnêtement, il était devenu bon à ce petit jeu. Bon à pouvoir oublier, d’une gorgée d’alcool, d’un éclat de rire, oublier Mathilde, oublier sa position précaire dans le Vol, oublier tout ce qui n’avait pas de rapport avec l’instant présent. L’alcool, les drogues, il aimait ça, et se vantait d’être assez expérimenté pour savoir quand s’arrêter avant que ce ne soit pire. C’était peut-être faux, sûrement même, mais il se raccrochait à cette certitude qu’il dominait son destin, et savait pertinemment ce qu’il faisait. Parce que penser le contraire, il n’était pas sûr qu’il aurait pu s’en remettre. A cet instant, il se fichait un peu de vexer la jeune femme, tout comme il se moquait des regards outrés ou dédaigneux qu’elle lui lançait. Il avait rit, juste rit, oubliant cette ombre qui menaçait de le noyer s’il n’y faisait pas attention. Elle avait l’air impressionnée, la jolie Melinda, par sa capacité à avaler ce qu’elle nommait poison sans broncher. Elle était de Faërie, se remémora-t-il, et peut-être bien moins au courant que les autres Ibéens de la légendaire affinité entre les Cielsombrois et leur alcool. Et puis visiblement, elle n’avait pas l’habitude de boire autant. Bien qu’il ne le clamait pas avec fierté, Mayeul était noble, et très jeune, ses parents l’avait emmené dans ces fêtes fastueuses et débridées qui rhytmait la vie de la noblesse de tout Arven. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour s’y mettre, lui aussi, gardant pourtant sa consommation légère, parce qu’il avait vu le mal que cela avait fait à ses parents. Lui et Mathilde s’étaient promis de ne jamais sombrer aussi loin, de ne jamais succomber à cet appel désespéré, et il avait échoué. Souvent, il se disait que c’était parce qu’elle était bien plus forte que lui, et que désormais qu’il ne restait que lui, toute la force qu’il avait pu avoir s’était enfuie avec elle. Elle le qualifia de cruel, et il se contenta de lui sourire avec ironie. Elle n’avait pas entièrement tort, ceci dit : il aurait pu la prévenir. Il avait juste oublié, en réalité, que c’était peut-être sa première fois. Il ne connaissait pas Outrevent, en tout cas n’y avait jamais mis les pieds assez longtemps pour s’en faire une idée précise, mais il savait les collines et les landes battues par les vents, et s’imaginait bien plus Melinda pieds nus dans l’herbe que parée d’une somptueuse robe en train exercer ses affinités avec la boisson. Pas que ce soit particulièrement mauvais d’être une petite fille aux pieds nus qui courrait sur la lande, non : Mayeul avait joué au gueux plus que souvent dans son enfance, et il avait adoré cette liberté. Mais disons que pour le sujet qui les concernait, il n’était pas sûr que Melinda ait une grande expérience, et il aurait dû le prendre en compte. Tant pis, maintenant. Au moins, cela avait allégé l’ambiance de leur soirée. Elle accepta de lui pardonner, arguant qu’au final, les poires qui avaient rythmées leur conversation précédentes ne voudraient pas qu’elle se montre rancunière. Bien sûr, les poires, évidemment. Il hocha la tête, dissimulant son sourire dans une nouvelle gorgée de son verre, le défi dansant dans ses yeux tandis qu’il osait prendre une nouvelle gorgée de ce poison Cielsombrois qui avait failli, selon ses mots, la tuer.Il avait toujours envie de rire, mais il se contint, préférant hocher à nouveau la tête d’un air grave lorsqu’elle souligna qu’elle ne lui ferait plus confiance désormais. Il pouvait comprendre, l’expérience ayant semblait particulièrement difficile pour la jeune femme. Je penserais à remercier chacune des poires qui croisera ma route pour leur manque de rancune à mon égard. Ou votre manque de rancune, en fait. Souligna-t-il, amusé, tandis qu’elle s’attaquait à son repas avec entrain. Lui avait terminé son repas, et il se contenta de jouer avec son verre tandis qu’il la regardait faire. Elle avait l’air totalement normale, mais il se promit de la raccompagner à son auberge plus tard, et de veiller à ce qu’elle rentre saine et sauve. L’alcool et son manque d’expérience pouvaient avoir des effets dévastateurs, et il préférait s’assurer qu’elle soit entière à leur prochaine rencontre qui, il le savait risquait d’être dans un certain temps. Et je comprend que vous vous méfiez de moi désormais. Dites moi, comment pourrais-je faire amende honorable? Vous présenter des excuses, je l’ai fait, et vous m’avez pardonné, mais cela ne résout en rien votre manque de confiance. Faudrait-il donc que je goûte avant tout ce que je vous donne? Demanda-t-il, malicieux, étendant la main pour voler un bout de carotte dans son plat. Pas empoisonné. Je préférais m’en assurer. Conclut Mayeul en terminant de déguster le fruit - ou le légume - de son larçin, ses yeux rieurs posés sur Melinda. |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Jeu 9 Juin 2016 - 23:05 | |
| En un instant l’image apparut dans ma tête, vivace, forte, implacable, aussi collante que le miel, et non moins douce à mes yeux.
Mayeul. Les yeux larmoyants devant une simple poire, éperdu de reconnaissance envers ce fruit généreux qui lui avait épargné ma rancune éternelle. La cible des regards suspicieux des passants pour cette attitude pour le moins étrange. Eventuellement les mains jointes en signe de prière. Accessoirement à genoux, comme si les poires lui avaient offert bien plus que les moyens d’éviter une simple vengeance. Bien entendu, je savais pertinemment que jamais une telle scène ne se produirait. Mais ce fut comme un déclencheur dans mon esprit, et un large sourire étira mes lèvres. Qui s’élargit encore lorsque je m’aperçus que Mayeul était probablement à des lieues de s’imaginer cette situation – au demeurant fort peu probable, je l’avouais volontiers.
Il m’assura ensuite, de façon tout à fait naturelle, qu’il comprenait parfaitement ma méfiance, mais cherchait un moyen de faire amende honorable. Puisqu’il m’avait présenté ses excuses et que je l’avais clairement pardonné, comment pouvait-il gagner ma confiance ? Je laissai échapper un léger rire. La confiance était un trésor qui ne se donnait pas à n’importe quel prix, et j’avais appris à l’économiser quand j’avais compris que la trahison, l’abandon et la mort étaient des choses qui se distribuaient à tour de bras. Ce que Mayeul pouvait faire ? Même moi je l’ignorais. Prudente, j’avais enfermée cette imprudente confiance à double tour dans un coin de mon être et jeté la clé sans un regard en arrière.
J’étais encore occupée à juguler mon amusement et à finir mon repas dans la foulée, lorsque Mayeul, sans gêne – prétendant qu’il fallait qu’il goûte tout ce qu’il me donnait – étendit la main pour me piquer une carotte. Je redressai la tête et le foudroyai du regard, mais mon sourire, largement étiré en travers de mon visage, ne voulait pas coopérer avec cette menace implicite. Je me contentai donc de l’observer manger ma nourriture, attendant son pronostic qui consistait à dire que cette innocente carotte, effectivement, ne représentait aucun danger. Sans doute que ce n’était pas le meilleur moment pour me lancer dans un vibrant plaidoyer sur les carottes.
— Vous avez pris ma carotte, fis-je remarquer en plissant les yeux comme si cette expression, avec le large sourire qui collait à ma peau aussi sûrement que du miel n’était pas tout simplement ridicule.
Je jetai un coup d’œil à mon assiette, au demeurant presque vide. De toute façon, je n’avais pas vraiment faim. Mais ce n’était pas le problème. Mayeul n’avait tout simplement pas à farfouiller dans mon assiette. Je n’étais pas particulièrement fin gourmet, mais je ne supportais pas que quelqu’un approche ses doigts de ma nourriture.
— Ce n’est pas très gentil, fis-je remarquer avant de m’apercevoir que je l’avais déjà catégorisé sous cette épithète et de lâcher un léger rire. Je crois que je l’ai déjà dit, non ? Vous devriez retenir la leçon. C’est important d’avoir une bonne mémoire et de retenir les enseignements de ceux qui sont assez patients pour essayer de vous faire comprendre la vie. Et dans la vie, il faut être gentil. Et laissez les carottes à ceux à qui elles appartiennent !
Je fronçai les sourcils, soudain agacée par une idée précise.
— En l’occurrence, puisque c’est vous qui m’invitez, on pourrait penser que c’est de toute façon votre carotte, je suppose.
Je hochai la tête, comme persuadée que cette idée était merveilleuse.
— Mais ce n’est pas une raison ! Piquer votre carotte dans mon assiette, ce n'est pas gentil !
Est-ce que j’avais conscience de dire n’importe quoi ? Parfaitement. Est-ce que je m’en souciais ? Absolument pas. Comme pour le prouver, j’adressais à Mayeul un large sourire, piquant une nouvelle fois dans mon assiette. Je ne rencontrai que du vide et entrepris de chasser patiemment le dernier bout de carotte qui restait. De guerre lasse, je finis par pencher mon assiette pour que la carotte récalcitrante n’ait plus nulle part ou s’échapper, et que je puisse la prendre entre mes doigts. Juste avant de la manger, j’adressai un nouveau regard ennuyé à Mayeul.
— En fait, c’est pour votre propre sécurité que je vous interdis de toucher à mes carottes ! J’aurais pu vous couper un doigt – ce qui, en plus de tout, aurait gâché la nourriture, parce que le sang, ce n'est pas vraiment bon – ou pire, vous lancez mon couteau au visage par réflexe. Enfin, je ne sais pas vraiment si c’aurait été pire.
Je plissai les yeux, faisant mine d’observer attentivement son visage comme si je pesais le pour et le contre, profitant de cette intermède silencieux pour manger la carotte qui me restait.
— Pire pour vous, cela ne fait aucun doute. Je crois qu’il vaut mieux perdre un doigt ou une main que de devenir aveugle. Je ne supporterais pas de ne pas voir. On préférerait rester aveugle à certaines choses, d’accord mais…
Je gloussai, et lançai un large regard autour de moi. Qui pouvait regretter de voir ça ? Voir, c’était pouvoir percevoir la vie, les couleurs, les formes, les mouvements. Voir, à mes yeux, c’était la seule et unique façon de nouer contact avec le monde. Perdre cela, perdre le cadeau de la vue, devenir aveugle, ce devait être… horrible.
— C’est beau de voir le monde.
Je mis quelques secondes à me rappeler ce qui m’avait amené à ce raisonnement. Sitôt que je m’en fus rappelé, je frappais bruyamment des mains sur la table.
— Donc vous feriez mieux de ne pas vous approcher de ma nourriture. Ou de votre nourriture dans mon assiette, ça revient au même. Que ce soit pour la goûter ou pour l’empoisonner.
Je n’aurais jamais cru ça possible, mais mon sourire s’élargit de plus belle.
— J’aime bien votre conversation, Mayeul, sauf la plupart du temps. Parce que la plupart du temps, vous vous moquez de moi, vous essayez de m’empoisonner et vous dites des choses qui montrent que vous n’êtes pas du tout digne de confiance.
Une nouvelle fois, je dus m’interrompre quelques instants pour essayer de comprendre où je voulais en venir.
— Même si j’apprécie votre conversation – sauf la plupart du temps, donc – ça ne m’empêchera pas de chercher vengeance la prochaine fois que vous toucherez à ma nourriture. Et ma vengeance, quoi que vous puissiez en penser, sera terrible.
Mon sourire, ce traitre infatigable, décrédibilisait complètement mes propos. Mon regard tomba sur mon assiette vide, et je laissai échapper un petit rire.
— Terrible, peut-être, mais pas pour tout de suite…
Je me redressai pour regarder Mayeul droit dans les yeux.
— Il n’y a plus rien à manger, maintenant.
Je n’avais pas dit ça avec fierté, si ? Je n’avais pas voulu le dire avec fierté, mais entre ce que mon esprit avait voulu dire et ce que mes oreilles avaient entendu la différence était assez flagrante.
Sans doute les premiers effets d’une liquéfaction d’organes… |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Dim 12 Juin 2016 - 15:30 | |
| Il ne cherchait qu’à se montrer aimable, après tout, et à redorer son blason d’empoisonneur en lui volant une carotte. Ou peut-être cherchait-il seulement à la taquiner, Mayeul n’était pas encore fixé. En tout cas, vu la façon dont elle le foudroya du regard, et même si son sourire en disant long sur la menace implicite, le voltigeur songea qu’elle faisait partie de ses gens qui ne supportent pas que l’on touche à leur nourriture. Il songea à lui en faire la remarque, disant qu’au moins en Sombreciel, on partageait tout, que ce soit la nourriture ou l’intimité, mais il jugea que sa remarque, si peu de temps après son vol manifeste de carotte, ne serait probablement pas très bien perçue, aussi choisi-t-il sagement de se taire, approuvé par Nuage qui semblait fort intéressé par ce que faisait son voltigeur. Il se contenta de hocher la tête sans se départir de son sourire, répondant par l’affirmative à la remarque de Melinda. Oui, il lui avait volé une carotte. Uniquement dans le but de démontrer qu’elle n’était pas empoisonné, évidemment. Evidemment. Il n’était pas aussi taquin que cela, il n’avait plus dix ans. Evidemment. Mais elle avait raison sur un point : c’était lui qui payait, donc d’un point de vue strictement technique, cette carotte était à lui. Enfin, il ne savait pas trop où s’arrêtait sa propriété et où commençait celle de Melinda, et ça aurait probablement été un débat fort intéressant, si ce n’était que cela ne semblait guère le moment propice. Melinda était étrangement souriante, et Mayeul ne put s’empêcher de contempler son verre, pensif. Est-ce qu’elle ne commençait pas à ressentir l’effet de cet alcool dont elle n’avait visiblement aucune première expérience? Aussi amusant soit-il de saouler les gens, il n’aurait jamais pensé que ce soit sa première fois, sinon, il aurait sans doute fait les choses différemment. Mais c’était un peu tard désormais, maintenant que Melinda semblait décidée à lui faire comprendre son point de vue et la pertinence de ses conseils. Il fallait être gentil... Oui, il le savait, ses parents avaient vaguement essayé de lui apprendre. Il se considérait comme quelqu’un de gentil. Charmeur, taquin parfois, drôle souvent, mais gentil, à peu près, pour autant que cela signifiait réellement quelque chose. Il avait ses moments, évidemment... Mais quelque chose lui disait que ce n’était pas le genre de conversation philosophiques qu’il désirait avoir avec Melinda. Elle était beaucoup trop obstiné à lui tenir tête et à répondre phrases pour phrases qu’ils en auraient probablement pour la nuit entière. Et honnêtement, s’il devait passer la nuit avec la jeune femme, ce n’était définitivement pas la façon dont il l’envisageait. Elle continua d’ailleurs avec la liste de ce qu’elle aurait pu lui faire et cette fois si, le regard de Mayeul n’était même plus amusé, il était sceptique. Réellement? Elle croyait réellement qu’il prêtait le moindre crédit à ses menaces de le défigurer? Il la regarda dévorer sa dernière carotte avec une satisfaction mêlée d’énervement, avant de lui donner une dernière mise en garde sur sa terrible vengeance, qu’il se conta d’écouter en vidant son verre. Êtes-vous sûre de vouloir vous venger? Rappelez-vous, je suis quelqu’un d’horrible et indigne de confiance, je pourrais bien vouloir me venger à mon tour. Et j’ai le vague sentiment qu’actuellement, je sais peut-être mieux manier les objets tranchants que vous. Surtout dans votre état. Plaisanta-t-il en l’observant, joignant ses mains sous son menton avant de poser sur Melinda un regard inquisiteur. La tête qui tourne un peu Melinda? L’envie de rire, sans vraiment savoir pourquoi, l’impression étrange d’être capable de faire à peu près n’importe quoi? Il n’en savait rien, mais quelque chose lui disait que la jeune fille devait commencer à ressentir les effets de l’alcool. Peut-être l’expérience dont il se targuait tant, et qui n’était pas un mensonge, après tout. De toute façon, maintenant que nos plats sont vides, et que vous m’avez appris qu'il était préférable de ne pas voler des carottes dans les assiettes des autres, j’imagine qu’on peut appeler ça une bonne soirée non? Même si ma conversation peut se montrer désagréable, et mes manières bien peu correctes. Que de révélations! Souligna-t-il d’un ton moqueur, avant d’aligner quelques fleurons sur la table, laissant un généreux pourboire à la jolie serveuse de tout à l’heure. Mayeul n’avait guère d’obligation : pas de famille à entretenir, un prix dérisoire pour être logé à la caserne et y manger. Ses seuls loisirs étaient bien coûteux, mais il connaissait suffisamment de moyen de s’approvisionner pour n’être jamais à court, ni de drogues, ni d’argent, alors, il pouvait se montrer généreux. Et puis, si Melinda ne voulait pas partager son lit ce soir, peut-être que la serveuse serait plus encline à passer la soirée selon ses souhaits? Peut-être pourrait-il repasser plus tard, après avoir ramené la jeune fille saine et sauve à l’auberge où elle résidait en attendant les entretiens de l’Académie? Mais, bien qu’il ne connaisse pas Melinda, elle lui ressemblait trop pour seulement acquiescer à sa proposition de la raccompagner. Elle arguerait probablement être capable de prendre soin d’elle, qu’elle allait bien... Et la liste s’allongeait, parce que Mayeul la connaissait par coeur. Il avait exactement les mêmes arguments, et se rendait compte, ce soir, à quel point ils étaient stupides. Non, il n’allait pas bien et non, il n’était pas crédible. Voir les rôles s’inverser fît naître un étrange sentiment de malaise, et il se força à se concentrer, passant la main dans ses cheveux avant de se masser les tempes, et un geste bien dérisoire pour chasser ses pensées désagréables. Mais vous m’avez promis un futur dîner d’ici quelques semaines, et je n’ai pas oublié. Je vous raccompagne? Je saurais où venir réclamer mon prix ainsi. Il était assez fier de lui : cela ne ressemblait absolument pas à la proposition de ramener une jeune femme en détresse et possiblement assez éméchée pour ne pas savoir marcher seule. |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Dim 12 Juin 2016 - 22:26 | |
| La vengeance…
Non, ce n’était pas vraiment la vengeance que je voulais. Je n’étais pas particulièrement rancunière tant que je ne me sentais pas personnellement trahie, et je n’accordais pas assez de confiance à Mayeul pour qu’il puisse en profiter à mes dépens. Non, c’était juste… un réflexe, une chose incontrôlable pour laquelle je ne pourrais même plus être tenue responsable à présent que j’avais prévenu mon interlocuteur que je risquais – tout à fait inconsciemment et sans la moindre intention belliqueuse – de le blesser. Si Mayeul osait encore me prendre ma nourriture, et bien, ce serait à ses risques et périls. Et je n’estimerais aucune vengeance de sa part comme un juste retour des choses.
Enfin, il avait raison sur un point : je ne me sentais pas capable de manier efficacement un objet tranchant. D’abord, bien évidemment, parce que je n’étais pas douée pour les manier. Même en temps normal, j’étais plus susceptible de trancher mes propres chairs que celle de ma cible – que ladite cible soit un légume ou un humain, d’ailleurs, voire les deux en même temps. Avec l’effet que provoquait sur moi ce poison cielsombrois, j’étais sans doute effectivement moins réactive. D’ailleurs, mes pensées étaient… étranges. Comme prises dans une gangue de miel. Elles me paraissaient un peu embrumées aussi. Comme si ma logique déjà bien pauvre avait été totalement annihilée.
Mayeul posa son menton sur ses mains jointes et me fixa durant quelques secondes, avant de répertorier quelques symptômes. La tête qui tournait ? Je n’en avais pas l’impression, du moins, pas encore. L’envie de rire ? J’avais toujours envie de rire, généralement sans savoir pourquoi d’ailleurs. Les choses devenaient beaucoup moins amusantes une fois qu’elles étaient expliquées. L’impression d’être capable de faire n’importe quoi ? J’étais capable de faire n’importe quoi. Tenter l’impossible – et le rendre possible – était mon mantra de vie depuis que j’avais commencé à vénérer Lyncée. Non, je ne considérais pas cela comme des symptômes. Ils étaient juste ma routine.
Pour finir, Mayeul ajouta qu’on pouvait sans doute considérer ça comme une bonne soirée. Je fronçai les sourcils, incertaine de cette affirmation. A vrai dire, cette soirée avait été un peu comme toute mon existence. Globalement, mon impression était plutôt positive, mais quand j’y réfléchissais, il ne s’était rien passé de vraiment enthousiasmant : j’avais exposé à Mayeul les raisons qui le rendaient ridicule, j’avais essuyé son incrédulité, j’avais manqué de lui proposer un marché qui m’aurait conduite « entre ses draps », j’avais failli mourir sous l’effet de ce poison cielsombrois, et je n’étais certainement pas encore rentrée à l’auberge. Qui sait, peut-être le voltigeur allait-il se décider à me kidnapper ? Une idée aussi ridicule qu’horrifiante…
— A vrai dire, Mayeul, il s’est passé trop de choses pour que je puisse déterminer si c’était une belle soirée ou pas. Je pourrai sans doute vous donner mon avis demain.
Quand mon organisme aurait éliminé le poison cielsombrois et recommencerait à fonctionner à un rythme un peu plus normal. Afin que je puisse déterminer si mon jugement immédiat était complètement erroné ou s’il avait une part de vérité.
— Après tout, puisque j’ai menacé de vous mutiler ou de vous éborgner, je peux difficilement considérer ça comme une bonne soirée. Enfin, je suppose que si vous passez l’éponge sur mes menaces – qui n’étaient pas le signe d’une vengeance pour votre vol de carotte, d’ailleurs, juste un avertissement de mes réflexes instinctifs pour vous éviter de connaitre une situation déplaisante – je ne peux que faire pareil.
Je fronçai les sourcils.
— D’ailleurs, je vais plutôt bien.
Je laissai échapper un rire instinctif qui contredisait mes propos et me plaçait exactement dans la catégorie que Mayeul venait de décrire. « L’envie de rire, sans vraiment savoir pourquoi. » Je n’y prêtai pas attention, toutefois.
— Peut-être même que je vais un peu trop bien pour mon propre bien.
J’affichai un air songeur.
— C’est contradictoire, non ? Enfin, ce n’est pas trop grave. En tous cas, Mayeul, ma première impression est positive. Je n’ai pas beaucoup de raisons objectives, mais j’ai bien aimé cette soirée.
Mon sourire s’élargit considérablement.
— Et de toute façon, l’objectivité, ce n’est pas important.
Mayeul déposa alors quelques fleurons sur la table, et proposa de me raccompagner, pour savoir où me trouver quand il devrait venir chercher son prix. Je songeai avec ironie qu’il allait être difficile de savoir où je serais dans quelques semaines. Bien entendu, il était hors-de-question que je quitte Lorgol avant les entretiens d’entrée à l’Académie, mais la ville aux Mille Tours était grande, et il m’arrivait fréquemment de changer d’auberge, juste pour découvrir un maximum de choses dans le mois et demi de découvertes qui m’avait été accordé. J’aurais bien passé ce détail sous silence, mais Mayeul méritait de savoir où me trouver, et je tenais toujours mes promesses. Je devais le laisser m’inviter à un nouveau repas. D’autant plus que celui-ci, malgré quelques accrocs, s’était avéré… plaisant.
— Ce n’est pas prudent que je vous montre où je loge et que je vous laisse m’y accompagner. Enfin… nous avons déjà établi que je n’étais pas très prudente, alors je crois que je vais accepter quand même. Par contre, Mayeul, nous avons un problème.
Je lui lançai un large sourire.
— Je suis une exploratrice, et comme toute exploratrice, il m’arrive de me perdre. Ce n’est pas le cas en ce moment. Du moins, je ne crois pas. Mais comme la possibilité que je ne puisse pas retrouver mon chemin est plutôt élevée, il se trouve que j’ai décidé de ne pas me poser dans une auberge. Donc ça va être difficile pour vous de me retrouver.
Je plissai les yeux comme sous l’effet d’une intense concentration.
— Mais de toute façon, je pense que la difficulté ne vous fait pas peur. Sinon vous ne m’auriez certainement pas invitée à partager un repas – deux fois. Enfin, je suppose que je peux vous promettre d’essayer de rester le plus souvent possible au même endroit. Si je n’y suis pas, c’est que je me suis perdue. Ou peut-être que j’ai été enlevée par un autre inconnu à qui j’aurais fait confiance. Ou par vous, qui sait ?
J’éclatai de rire comme si je venais de trouver la meilleure plaisanterie au monde. Est-ce que je me rendais compte que je confirmais les propos de Mayeul ? Oui. Est-ce que ça m’importait ? Absolument pas. J’étais juste… joyeuse. Trop bien pour mon propre bien, d’ailleurs.
— Alors, je suppose qu’il ne nous reste plus qu’à y aller…
Je pris appui sur la table pour me lever, et commis l’erreur de bouger la tête un peu trop rapidement à ce moment-là. Le monde devint flou quelques instants, et je laissai mes jambes se dérober sous moi, pour me ramener à une position plus sûre. Assise sur ma chaise. Les mains sur la table. Dans un monde stable. Un monde qui ne bougeait pas. Un monde qui ne tanguait pas autant qu’un navire au beau milieu d’une tempête. Je lançai un regard éperdu à Mayeul, consciente que mon trouble apparaissait sans doute un peu trop visiblement.
— Mayeul, j’ai un problème, soufflai-je cependant, à voix basse, comme s’il s’agissait d’un terrible secret. Je ne crois pas que je pourrais me lever.
Je regardai une nouvelle fois autour de moi, prenant soin de ne faire aucun mouvement brusque. Le monde me paraissait normal, pourtant, tant que je restais assise.
— Le monde est trop haut pour moi, expliquai-je, sachant pertinemment que mon explication était ridicule. Et il tourne.
Je plissai les yeux.
— Je crois que je suis en train de mourir, Mayeul. Votre poison, il fait effet.
Je ricanai.
— Au moins, j’aurais une excellente excuse pour ne pas tenir ma promesse. Vous allez vous retrouver tout seul, Mayeul, si vous continuez à empoisonner les inconnus.
Je hochai la tête d’un air convaincu. La solitude…
Une juste vengeance. |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Mer 15 Juin 2016 - 14:14 | |
| Melinda avait haussé un sourcil interrogateur quand il lui avait dit qualifier cette soirée de bonne soirée, et pourtant, Mayeul n’avait aucun désir de reconsidérer son affirmation. Lui avait réellement passé une bonne soirée : il avait discuté, rit avec cette fille qu’il ne connaissait pas quelques heures auparavant, ils avaient échangé moqueries et légèretés, et c’était bien tout ce qu’il demandait. Une nouvelle rencontre, c’était toujours appréciable, et le voltigeur aimait bien discuter et faire des rencontres, surtout quand cela ne prêtait pas à conséquences. Melinda était amusante, vive et franche, et il avait sincèrement apprécié leur échange. C’est pour ça qu’il lui avait proposé de se revoir, et aussi parce qu’il était un peu curieux, il se l’avouait volontiers. Savoir ce qu’elle pensait de l’Académie, si elle avait réussi son concours d’entrée. Les entretiens de début d’années étaient pointilleux, et beaucoup échouaient à la porte de l’Académie, par manque de motivation, de compétences, ou de réelle affinité. L’Académie choisissait elle-même ses élus, après tout. Et si Mathilde et lui avaient eu la chance d’y aller, maquant un tournant dans leurs deux existences, sans doute sa vie aurait-elle porté quelques similitudes s’il n’y avait pas été. Serait-il devenu Voltigeur? Mayeul se plaisait à penser que oui, que son destin aurait fini par diriger ses pas vers la Caserne de Serre. Il était fait pour être Voltigeur, il l’avait compris au moment même où il s’était présenté devant les griffons. Il ne lui manquait que des ailes pour voler, et Nuage les lui avait fourni. Comment aurait-il pu en être autrement? Melinda lui avoua avoir un avis différent, peut-être. Elle n’était visiblement pas sûre elle-même de ses paroles, et Mayeul aurait pu parier qu’elle commençait à ressentir les premiers effets de ce qu’elle avait ingurgité. Pas qu’il s’en sente coupable - peut-être un minimum - mais elle semblait ne pas être dans son état normal, même si elle lui affirmait aller bien. Voire plus que bien, à sa grande surprise visiblement. Le voltigeur ne put retenir un nouvel éclat de rire quand à la perplexité dans laquelle Melinda semblait plongé, analysant sans nul doute les effets de la boisson sur ses pensées et la cohérence de ses propos. Ce n’était guère brillant, à vrai dire. Puis elle finit par conclure qu’elle avait apprécié, propos auquel Mayeul lui sourit plus largement, la contemplant avec amusement. Il ne se moquait pas de son éventuelle capacité à réfléchir désormais, oh que non, et il le lui soutiendrait si elle le lui demandait. Elle n’avait pas tort cela dit, quand elle lui indiqua qu’il n’était guère prudent de sa part de lui confier où elle logeait. Sans doute, mais elle comme lui savaient que penser de la prudence. Et puis, ce soir, il n’avait rien fait qui puisse mettre en doute le fait qu’il ne lui ferait aucun mal, non? Si on oubliait cette histoire de kidnapping. Et l’alcool. D’accord, peut-être qu’elle avait des raisons de se méfier. Mais bon, elle finit par lui expliquer, dans une multitude de mots, qu’elle changeait souvent d’endroit, avant d’acquiescer à sa demande de rentrer... Et de se rasseoir aussitôt. Oh sol qui tangue, pieds qui tremblent, vieux amis du marin et du soûlard. Et quand elle reprit la parole, Mayeul ne pût s’empêcher d’éclater de rire à nouveau, tant elle était adorable. Et sans doute quelque peu intoxiquée, comme elle le soutenait, par le délicieux alcool de Sombreciel servi plus tôt. Sa dernière phrase l’amusa, et il écarta résolument la possibilité de se retrouver tout seul pour se concentrer sur le reste. Melinda, charmante Melinda, merci de vous soucier de ma vie sociale, mais je n’empoisonne pas des inconnus en général. J’ai seulement fait une exception pour vous. Affirma-t-il en riant, avant de se lever et de glisser son bras autour de la taille de la jeune fille, la hissant sur ses deux pieds sans lui demander réellement son avis. On va y aller doucement, d’accord? Un pas après l’autre, jusqu’à votre auberge. Où je me contenterais de vous coucher et de repartir, je vous en donne ma parole. Vous croyez au respect des serments, n’est-ce pas? Je vous assure que je respecterais celui ci. Il aurait pu profiter de son état, peut-être, mais Mayeul préférait s’amuser avec des jeunes femmes consentantes que de se contenter d’une jolie poupée droguée. Et puis, il appréciait Melinda, sa conversation et ses remarques, et la revoir lui ferait réellement plaisir. Il réfléchit d’ailleurs à ce qu’elle lui avait dit, sa vie aventureuse et son absence d’attaches, et à comment ils pourraient bien se revoir. Elle aurait toujours pu lui laisser sa localisation à la Caserne de Serre, il y avait noué quelques amitiés durant son temps de cadet et il supposait que cela ne poserait pas de problèmes, mais obliger Melinda à lui signaler tout changement d’adresse semblait entraver cette liberté à laquelle elle semblait aspirer. Si vous n’êtes pas morte d’ici là, nous pourrions nous fixer un rendez-vous? Au milieu de mois de juin, devant cette taverne, qu’est-ce que vous en pensez? Il la regarda un instant, amusé. Il avait beau la soutenir, ils n’avaient pas bougé, attendant que Melinda s’estime prête. Si vous n’y êtes pas, je penserais qu’on vous a enlevé et je partirais à votre recherche. Ou alors je vous aurais véritablement empoisonné et je sombrerais dans le désespoir. Plus d’histoire de vos aventures, plus de résumé de votre entretien à l’Académie, je vais me trouver bien démuni. Il plaisantait, évidement, mais ne songea pas une seconde à s’excuser pour être en partie fautif de son état. Elle avait choisi de boire, et elle devait désormais s’en mordre les doigts. Ou alors, elle se réjouirait demain de cette expérience si particulière. On ne pouvait vraiment savoir, avec Melinda. Êtes-vous prête? Je vous soutiens, et je vous promets de garder mes mains uniquement où elles doivent être. La taquina-t-il avec légèreté. |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Mer 15 Juin 2016 - 21:51 | |
| Bien évidemment, Mayeul se moqua de moi.
J’étais en train de mourir – cela du moins j’en étais certaine – et pourtant, il éclatait de rire comme si tout cela n’était qu’une bonne plaisanterie. Une part de moi en était sidérée. J’avais envie de lui crier que je n’étais pas dans mon état normal, et qu’il fallait absolument m’aider. Une autre n’avait strictement rien à faire du comportement de mon interlocuteur. Elle était plutôt intéressée par la mouche qui voletait un peu plus loin, répandant dans son sillage un bourdonnement obsédant qui me transperçait le crâne. Entre une mouche ricanant et un Mayeul horripilant – ou était-ce une mouche horripilante et un Mayeul ricanant ? – je ne savais plus vraiment où diriger mes pensées. Du moins, les seules pensées encore vaillantes qu’il me restait.
Mayeul me remercia de me soucier de sa vie sociale. Je fronçai les sourcils avec perplexité. Ah oui, j’avais décrété qu’il serait seul s’il continuait à empoisonner les inconnus ! D’ailleurs, il précisa que j’étais une exception. Etait-ce parce que je l’avais prétendu ridicule qu’il s’était décidé à mettre fin à mes jours ? Etait-ce son visage souriant que je verrais jusque dans mon dernier cauchemar ? J’en étais encore à me demander ce qui me valait ce traitement de faveur – ou de défaveur, peut-être, j’ignorais ce que Mayeul faisait à ses autres connaissances – lorsque le voltigeur se leva, glissa un bras autour de ma taille et me releva.
Ma tête me tournait toujours, mais si je prenais appui sur Mayeul, je pouvais sans doute marcher. L’idée que son soutien me serait probablement nécessaire m’empêcha de protester. J’étais parfois stupide et obstinée, mais je pouvais être aussi capable de bon sens, quoi qu’en disent mes parents. Je savais ce qui était le mieux pour moi et, indubitablement, en cet instant, je ferais mieux de suivre Mayeul. Sans doute avait-il lui aussi été confronté aux redoutables effets de ce poison cielsombrois. De toute évidence, il n’en était pas mort. Peut-être allais-je survivre, alors ? La perplexité m’envahit, et j’écoutai ses conseils d’une oreille distraite.
Y aller doucement. Un pas après l’autre. Jusqu’à l’auberge. Où je pourrais dormir. L’idée que Mayeul puisse en profiter ne me traversa même pas l’esprit. Je croyais au respect des serments, et une part de moi lui faisait assez confiance – et était assez lasse – pour éviter de me lancer dans d’inutiles palabres sur le fait que je ferais mieux de me méfier de lui, puisque nous n’étions que des inconnus l’un pour l’autre. De toute façon, je savais qu’il me serait fort difficile, pour ne pas dire, impossible, de rentrer chez moi sans aide.
— Ne vous inquiétez pas Mayeul, je vous fais confiance.
Un léger sourire étira mes traits.
— Je suis votre exception, non ? Vous êtes un coureur de jupons… et bien vous ne courrez pas le mien. A vous de faire en sorte que ma confiance soit bien placée. C’est un précieux trésor, la confiance. Comme tout ce qui est librement donné, il ne faut pas le gâcher. Ne gâchez pas la mienne. Ça fait mal, une confiance gâchée.
Est-ce que j’avais dit ça à voix haute ? Non, jamais je n’aurais déclaré à Mayeul que j’étais son exception. Et encore moins parlé de la confiance comme ce précieux trésor à ne gâcher sous aucun prétexte. Je ne disais ça à personne. Et ce n’était certainement pas ce poison cielsombrois qui me pousserait à parler de ces sujets que je ne voulais aborder sous aucun prétexte, ces sujets que je gardais tout à fond de mon cœur parce qu’ils étaient les plus tristes, les plus blessants, et ceux sur lesquelles j’étais la plus fragile. Non, jamais je n’aurais permis à quelqu’un d’entendre ces mots. Ce n’était probablement qu’une pensée. Probablement. Sans doute. Peut-être. Mais il y avait très peu de chances que ce soit le cas. L’horreur me frappa quand je m’aperçus que j’avais effectivement parlé à voix haute. Je cherchais les mots pour m’expliquer lorsque Mayeul proposa de fixer un rendez-vous, mi-juin, devant cette taverne.
Je souris, mes pensées déviant vers ce sujet comme un naufragé vers le radeau le plus proche, pour oublier le plus vite possible à quel point je venais de me dévoiler. Un rendez-vous… Oui, c’était une excellente idée. Ainsi, je ne me sentirais pas prisonnière d’une même auberge pour le restant de mon séjour. Mi-juin, à peu près en même temps que mes entretiens d’entrée. Je lançai un regard à Mayeul, qui m’observait toujours avec amusement. De toute évidence, il ne croyait pas en ma mort. Moi aussi, à vrai dire, j’avais de plus en plus de mal à penser que j’allais mourir. Maintenant que j’étais debout, tout semblait plus… vivant. Mieux, en fait. Comme si mon corps n’allait pas se désintégrer immédiatement.
Il ajouta que si je n’étais pas au rendez-vous, c’était sans doute que j’avais été enlevée, et qu’il partirait à ma recherche. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire – ce qui, sans le soutien de Mayeul, m’aurait sans doute projetée face contre terre – en ayant l’image du voltigeur parcourant de sombres forêts et d’immenses plaines pour tenter de me trouver, comme dans une de ces épopées que j’avais entendues quand j’étais petite. Mayeul en héros… l’idée était, à vrai dire, risible. Mais entre un voltigeur qui chevauchait fièrement un griffon et un héros, il n’y avait qu’un pas. Ou qu’un battement d’aile.
Quant à l’idée qu’il désespère s’il s’avérait qu’il m’avait bel et bien empoisonnée et que je finissais morte… elle me fit sourire. Il était vrai que sans mes critiques constructives et ma générosité sans faille, Mayeul serait dans de beaux draps. Qu’il utilise mon histoire barbante et mes aventures banales pour ne pas révéler ses vraies raisons ne me regardait absolument pas. Ça ne m’empêcherait pas, évidemment, de le lui faire remarquer. J’allais d’ailleurs m’atteler à cette tâche lorsqu’il me demanda si j’étais prête. Il ajouta qu’il garderait ses mains où elles devaient être et je crus en sa promesse. Je n’avais pas vraiment les moyens de me plaindre, de toute façon. Mayeul était ma seule chance de rentrer à l’auberge.
— Je devais vous dire quelque chose d’important…, déclarai-je pourtant, les sourcils froncés par la perplexité. Ah oui, ça me revient. Il fallait que je vous fasse prendre conscience que ce n’était pas mes histoires qui allaient vous manquer si jamais nos chemins ne se recroisaient plus jamais. Ce sont mes critiques constructives, sans lesquelles vous resterez absolument ignorant de votre état, qui vous manqueront le plus. Vous en êtes devenu dépendant, après seulement quelques minutes de conversation. Maintenant, vous ne pourrez plus vous passer de ma franchise, Mayeul. Je vous l’avais dit, que vous risqueriez de vous attacher à moi.
Je pris une profonde inspiration, soudain consciente qu’il me fallait avancer. Appuyée sur Mayeul comme je l’étais, le monde me semblait un peu plus stable. Mais juste un peu. Après une légère hésitation, je me dirigeais vers la sortie. Un pas après l’autre. Tout doucement. Comme il me l’avait conseillé.
— Je suis prête ! remarquai-je avec l’enthousiasme d’une petite fille devant un pot de miel.
Que je réussisse à marcher – et à marcher relativement droit en plus – me surprenait moi-même, à vrai dire.
— A propos de ce rendez-vous… Il faut une date, à un rendez-vous, non ? A moins que vous ne teniez à me voir rôder dans la ville basse, devant cette taverne, jusqu’à ce que vous montriez le bout de votre nez.
Mon sourire s’élargit.
— Je ne me donnerais même pas la peine de dire que ce n’est pas très gentil.
Je fronçai les sourcils, soudain interloquée par une idée subite.
— En fait, Mayeul, je vais peut-être être forcée de revoir mon jugement.
Je hochai affirmativement la tête.
— Me raccompagner sans abuser de ma confiance, c’est effectivement très gentil.
Un large sourire étira mes lèvres, tandis que je jetais un regard malicieux à Mayeul. J’étais peut-être empoisonnée, mais rien ne me ferait perdre ma tendance à taquiner autrui.
— Je vous remercierais bien, mais je ne suis pas encore arrivée à destination, alors je vais attendre un peu.
Après tout, Mayeul pouvait encore très bien m’enlever. Ou m’attirer dans une ruelle sombre et me poignarder pour me voler – après m’avoir payé un repas, c’était très peu crédible, je l’avouais volontiers. Ou bien finir le travail commencé par le poison, juste par sadisme. Après tout, rien ne me prouvait qu’il était voltigeur, et il pouvait tout aussi bien abuser de la fragile confiance que je venais tout juste de placer en lui en m'ayant menti tout du long.
Il n’y avait rien qui m’insupportait plus que le mensonge – sauf peut-être la trahison.
Si Mayeul ne tenait pas sa promesse de me ramener à l’auberge indemne, il rentrerait dans les deux catégories.
Et j’aurais une sérieuse erreur de jugement à régler.
Parce qu’en dépit de tout… Mayeul m’inspirait une certaine confiance. |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Ven 17 Juin 2016 - 9:30 | |
| Melinda n’avait pas protesté de leur soudaine intimité, et du bras du voltigeur autour de sa taille, ce qui ne manqua pas d’amuser Mayeul. En pleine possession de ses moyens, sans doute lui aurait-elle sorti une remarque ironique accompagnée d’un mouvement pour se libérer et crier à l’enlèvement. Mais là, en vérité, elle devait bien sentir qu’il lui était d’un soutien plus qu’indispensable. Pauvre Melinda, initiée malgré elle à l’alcool et à ses effets particuliers! S’il n’était pas tant occupé à en rire, le voltigeur se serait probablement senti quelque peu coupable. Heureusement pour sa conscience, elle était bien plus amusante qu’à prendre en pitié, et étrangement loquace. Pas qu’elle ne soit pas loquace en temps normal, songea-t-il d’ailleurs, mais elle était étrangement plus ouverte. Quelques minutes auparavant, il aurait pu se damner pour qu’elle lui avoue aussi sérieusement qu’elle lui faisait confiance, et désormais, les mots semblaient glisser de ses lèvres sans même qu’elle ne pense à les retenir. Intéressant, à vrai dire. Elle parlait de confiance et de gâchis, comme si elle l’avait déjà expérimenté. Le voltigeur lui jeta un regard curieux, se contentant de resserrer son bras autour d’elle sans répondre. Il n’était pas sûr qu’elle aurait voulu qu’il le fasse en réalité. Melinda, la vibrante et pétillante Melinda, semblait cacher quelques déceptions sous ses abords ouverts et plein de vie. Mayeul ne pût s’empêcher de se sentir vaguement désolée pour elle : elle semblait bien jeune pour avoir connu de cruelles déceptions, même si, à vrai dire, il ignorait quel âge elle avait. La pensée de Mathilde et de sa perte indélébile flotta un moment à la lisière de la conscience, et il l’écarta d’un mouvement d’épaules. Pas maintenant. Elle le prenait pour un coureur de jupons, un des ces hommes déterminés à mettre tout ce qui bougeait dans son lit, et il se garda bien de la détromper. Ce n’était pas l’exacte vérité, après tout : il aimait charmer, draguer et plaire, il ne le niait pas. Il aimait faire l’amour, cette communion des corps et des esprits, cet oubli bienvenu qui envahissait les sens après une nuit passée à redessiner le corps de l’autre, il ne le niait pas non plus. Mais l’un n’amenait pas forcément l’autre, dans l’esprit de Mayeul : il était capable de nouer des amitiés sans forcément qu’elles ne se soldent par un contact charnel, il aimait ces instants de découverte de l’autre seulement avec des mots, des éclats de rire, et des contacts bien placés parfois. Il se définissait plus comme un amoureux que comme un coureur de jupons, mais peut-être que pour Melinda, la différence était subtile, surtout dans son état. Et probablement qu’elle ne se rappellerait pas de ses explications et de ses grandes théories demain matin, alors il préféra sauver son souffle pour autre chose. Est-ce qu’elle était son exception? Non, sans doute pas. Quoi qu’elle puisse clamer, il n’avait eu aucune intention de la soûler, pas consciemment en tout cas. Il rencontrait rarement des jeunes femmes comme elle, pleines de vivacité, d’intelligence et de malice sans que cela ne se finisse dans un lit - un lit, ou un autre endroit, il n’était pas sectaire -, mais cela avait dû arriver. Les filles de Sombreciel n’étaient pas farouches, et elles étaient intelligentes, mais il n’avait pas couché avec chacune d’entre elles, quoi qu’il ne douta pas que cela pouvait être un but de vie admirable. Il préféra tout de même orienter la conversation ailleurs, sur leurs retrouvailles, après ses examens. Il était un homme occupé, mais se libérer une soirée ou deux pour une charmante conversation était tout à fait envisageable. Melinda semblait plus joyeuse maintenant qu’elle n’était plus occupée à lui dévoiler ses sentiments sur sa confiance en lui, et il ne pût s’empêcher de rire avec elle quand il dressa le tableau de son affliction à ne pas être capable de la revoir. La jeune fille lutta un instant avec sa conscience embrumée, avant de lui rappeler que ses critiques et sa franchise lui manqueraient probablement plus que sa conversation. Mayeul ne pût réprimer un nouvel éclat de rire quand à son obstination. Croyait-elle réellement qu’il finirait par plier et accepter sa critique sans regimber, simplement parce qu’elle pensait détenir la vérité à son sujet? Il l’accompagna dans son mouvement, quelques pas hésitants puis plus assurés, avant de lui réclamer une date précise. Ignorant qu’elle soupesait la possibilité qu’il la trahisse et ne la ramène pas à bon port comme promis, Mayeul resta silencieux, s’efforçant de retracer mentalement son emploi du temps pour les mois à venir. Etre voltigeur compliquait quelque peu l’établissement d’un emploi du temps durable, étant donné que missions et obligations s’enchaînaient parfois sans prévenir au préalable, mais il avait une vague idée de ce qui s’avançait. Vous avez raison, attendez un peu avant de chanter mes louanges pour vous avoir ramené saine et sauve. On ne sait jamais. Affirma-t-il avec un sérieux démenti par l’amusement qui brillait dans ses yeux. Ils avaient atteint la porte et l’air frais, qui ramènerait peut-être un peu plus de lucidité à l’esprit embrumé de Melinda. Il ne la lâcha pas cependant, se contentant de la suivre dans la direction de son choix. Mais peut-être que vous avez raison, je me suis attachée à vous et à votre étrange conviction de connaître la vérité à mon sujet, bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même. Ou vous êtes tout simplement trop belle pour que je puisse apprécier l’idée de vous perdre de vue à jamais, qui sait? Glissa-t-il sur un ton énigmatique, l’observant quelques secondes. C’est bien pour ça que je veux fixer un rendez-vous auquel je suis sûr de ne pas vous faire faux bond. Mi-juin, à la réflexion, me semble bien compliqué. Que pensez-vous du 12 juillet? Sans faute, vous avez ma parole. Ou alors le droit de venir demander réparation à la Caserne de Serre, ils seront ravi de me faire savoir qu’une jolie fille est venu me réclamer. Plaisanta Mayeul avec bonne humeur. Avec les moyens mis en place pour rechercher les disparus de Lorgol, l’enlèvement de Melsant de Séverac et la disparition de Grâce, le voltigeur savait que ses journées risquaient fort d’être occupées, et il aurait été déçu de ne pas tenir sa parole auprès de Melinda. De ce qu’il en savait, elle ne lui aurait probablement jamais pardonné. |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Sam 18 Juin 2016 - 9:32 | |
| « On ne sait jamais ».
La phrase resta en suspens dans mon esprit durant quelques secondes, pendant lesquelles je me demandai si Mayeul était sérieux. Probablement pas, parce que jamais je n’aurais chanté ses louanges, et il devait en être parfaitement conscient. D’abord, parce que louer qui que ce soit n’était pas dans mes habitudes et mon caractère – le complimenter en toute sincérité, pourquoi pas, mais jamais porter quelqu’un aux nues. Ensuite, parce que j’avais insinué que je n’avais pas encore renoncé à le convaincre de son ridicule. Donc, il plaisantait. Il allait bien me ramener saine et sauve. Enfin… je l’espérais.
Nous finîmes par sortir dehors, et l’air frais agit sur moi comme un coup de fouet. Je n’étais probablement pas encore prête à marcher seule, mais j’avais le sentiment que mes pensées fonctionnaient plus efficacement maintenant. Du moins, un peu plus. Assez pour m’étonner lorsque Mayeul avoua qu’il s’était peut-être attaché à moi et à mon obstination. Assez pour laisser un sourire satisfait étirer mes lèvres. Assez pour hausser un sourcil sceptique lorsqu’il attribua son attachement à ma beauté. Je savais que je n’étais pas belle. J’étais juste ordinaire, du moins physiquement. Dès que je me mettais à parler, je passais sans doute dans la catégorie « particulière ».
Mayeul confirma que mon idée d’un rendez-vous était bonne – preuve, selon moi, que mes facultés de raisonnements n’étaient pas totalement en grève – et me proposa le douze juillet, sans faute. S’il n’était pas là, je pourrais toujours aller me plaindre à la Caserne de Serre. Ça me paraissait être une bonne idée. Je hochai donc affirmativement la tête, sachant que je n’avais absolument rien de prévu. Mes projets s’arrêtaient à mon entretien d’entrée à l’Académie. Après, eh bien, pour tout dire, je n’y avais pas encore réfléchi. Mais je notai Mayeul dans ma liste mentale.
— Je ne chantais pas vos louanges, Mayeul, je vous remerciais, corrigeai-je tout d’abord. La nuance est énorme, et j’ai maintenant un indice sur la raison de votre obstination à nier votre ridicule.
Un large sourire étira mes lèvres.
— Vous aimez à vous vanter, et votre égo aime ça aussi, affirmai-je en hochant la tête comme pour m’approuver moi-même.
Une idée m’effleura l’esprit, et je fronçai aussitôt les sourcils.
— Mais ne le prenez pas mal au point de m’abandonner ici. J’avoue que je ne suis pas sûre de pouvoir rentrer saine et sauve si vous n’étiez pas là.
Je marchais avec un peu plus d’assurance, il était vrai, mais je n’avais pas oublié la sensation d’impuissance qui m’avait saisie lorsque j’avais voulu me lever… et que j’avais découvert que le monde n’était plus aussi stable que d’habitude. Je préférais encore que Mayeul reste là. Il était un peu ma dernière chance si le sol décidait de se dérober maintenant sous mes pieds.
— Enfin, si vous vous êtes vraiment attaché à moi, je suppose que vous ne m’abandonnerez pas, et que je peux continuer d’être franche avec vous en toute impunité. D’ailleurs, c’est sans doute à cause de ma franchise que vous m’aimez bien. C’est un peu improbable que ce soit à cause de ma beauté. Moi je ne me cache pas la vérité. Je sais que je suis plutôt ordinaire.
Je posai soudain les yeux sur mes pieds. Ils avançaient comme d’une volonté propre. Un pas après l’autre. C’était un spectacle presque hypnotisant. Je secouai la tête pour en détacher le regard, et me concentrai de nouveau sur la conversation. Le rendez-vous, donc.
— Oui, c’est une bonne idée. Ce serait compliqué en juin. Et je n’hésiterais pas une seule seconde à venir vous chercher si jamais vous n’êtes pas là. Et à vous punir. Ce n’est pas bien de briser une promesse et de rater un rendez-vous.
Le douze juillet, donc. Ou le treize. A moins que ce ne soit le mois d’août ? Le doute s’empara de moi, mais avant que j’aie pu le clarifier, un papillon passa à quelques pouces de mon visage. Mes yeux s’écarquillèrent sous l’émerveillement tandis que je le suivais du regard. Un léger sourire étirait mes traits.
— J’ai toujours aimé les papillons, murmurai-je d’une voix songeuse.
Mon regard se fit malicieux, mon sourire espiègle.
— Mais ne le dites pas à mes abeilles, elles pourraient être jalouses. Or, ce n’est pas bon de mettre une abeille jalouse. Elles ont tendance à piquer.
Mon regard s’assombrit.
— Et une fois leur dard perdu, elles meurent, ces pauvres petites abeilles.
Je tournai un regard larmoyant vers Mayeul.
— C’est triste, une abeille qui meurt.
Je m’assombris plus profondément encore.
— En fait, c’est triste la mort.
Je me figeai, soudain prise d’une idée horrible, et tournai vers Mayeul un regard intransigeant.
— En tous cas, je vous interdis formellement de mourir avant de m’avoir ramenée à l’auberge. Et avant que nous ne nous soyons revus. Si jamais vous rencontrez la Mort, dites-lui de faire la file. Elle devra attendre, comme tout le monde. Est-ce clair ?
J’aurais voulu rentrer à l’auberge pour pouvoir me blottir dans mon lit et dormir, mais il était hors-de-question que je continue à avancer avant que Mayeul m’ait répondu.
Il avait pris rendez-vous avec moi, et il avait intérêt à être présent. La mort ne serait pas une excuse.
La mort n’était jamais une excuse. |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Lun 20 Juin 2016 - 23:06 | |
| L’air était agréablement frais après l’ambiance de la taverne et sa chaleur, contribuant à éclaircir les pensées embrumées de Melinda, qui se redressa légèrement. Mais Mayeul n’était pas près de la lâcher, à moins qu’elle ne le lui demanda expressément, ce qu’elle ne semblait visiblement pas près de faire. Cela ne le dérangeait pas, cette proximité, et leur conversation continua, loin du brouhaha de tout à l’heure, tandis qu’ils dirigeaient leurs pas vers l’endroit où Melinda avait élu domicile pour cette nuit. Elle protesta qu’elle ne s’apprêtait pas à chanter ses louanges pour son attitude chevaleresque, avant d’affirmer qu’il aimait se vanter, bien trop visiblement. Sa dernière phrase arracha à Mayeul un nouveau rire, comme s’il aurait pu l’abandonner à son sort uniquement parce qu’ils échangeaient, comme depuis le début de cette soirée, quelques petites taquineries qui ne prêtaient guère à conséquence. Je n’aime pas me vanter, j’aime, disons, embellir mes qualités. Est-ce réellement se vanter? Elles sont présentes, bien que moins flagrantes que je ne me plaît à le croire. Expliqua le voltigeur, jouant sans vergogne avec les mots. Melinda lui affirma que sa compagnie lui plaisait à cause de sa franchise, et non de sa beauté, plutôt quelconque à son goût. Mayeul la regarda avec amusement, mais Melinda ne le laissa pas démentir ses propos, acceptant le rendez-vous et menaçant de venir le chercher s’il n’était pas présent. Puis elle enchaîna, à une vitesse trop rapide pour qu’il puisse la suivre totalement. Papillons, abeilles, tristesse, mort... Il l’observa un instant sans répondre, tandis qu’elle venait de s’arrêter - l’arrêtant lui par la même occasion - pour lui poser une réclamation qui visiblement lui tenait à coeur. Mayeul hésita à lui répondre, la gorge serrée comme à chaque fois. Mais Melinda était sans doute trop éméchée pour comprendre pleinement le sens de sa phrase tandis qu’il finit par lui répondre, la voix un peu réveuse et le regard distant. J’ai déjà fait cette promesse, et je m’en repens chaque jour. Mais je ferais de mon mieux pour ne pas mourir avant de vous revoir, d’accord? Assura-t-il, sans chercher à dissimuler l’étrange tristesse qui colorait ses propos. A nouveau, Melinda ne s’en rappellerait sans doute plus demain, mais qu’importe. Elle avait raison. C’était triste, la mort. Surtout pour les gens qui restaient. Un bref silence, que Mayeul se sentit pourtant obligé de remplir. Terminer la soirée sur ces notes malheureuses ne le ferait aspirer qu’à une chose, il le savait, et si sa résolution faiblissait dès qu’il était en présence de ces drogues, si chères et si haïes tout à la fois, le voltigeur était bien décidé à essayer de lutter, et à remonter le moral de cette soirée, brusquement terni par les propos de la jeune femme. Et vous savez Melinda, vous êtes loin d’être ordinaire. Vous êtes charmante, vive, amusante. Un peu trop franche sans doute, ce qui ajoute à votre charme, mais j’ai rarement rencontré quelqu’un comme vous. C’est un compliment. Souligna-t-il, des fois qu’elle ne soit pas en état de saisir l’allusion, pourtant bien peu subtile. Ils avaient recommencés à marcher dans les rues, restant en lisière de la Ville Haute. Bien qu’il soit là tant pour la soutenir que la protéger, la Ville Basse n’était pas des plus amicales, surtout lorsque les jeunes filles un peu titubantes s’y aventuraient. Pas que la Ville Haute le soit plus, en réalité, mais les patrouilles de la Milice permettaient de garder un certain contrôle sur la situation. Et si cela vous rassure sur vos qualités, je ne suis pas du genre à demander des seconds rendez-vous. Plaisanta Mayeul, faisant allusion à la réputation de coureur dont elle l’avait affublé quelques minutes auparavant. La plaisanterie n’était pas aussi vive que plus tôt dans la soirée, pas aussi franche et amusée, mais il faisait de son mieux, et peut-être que dans son état, Melinda ne verrait pas la différence. De toute façon, le voltigeur n’avait guère envie de plaisanter, et il décida d’orienter la conversation sur un sujet moins risqué. Après tout, Melinda aimait parler, elle n’en serait probablement pas fâché s’il lançait des sujets de discussions. Comment est-ce, de s’occuper d’abeilles? Vous ne me semblez pas être le genre de jeune fille à s’atteler à une tâche répétitive, et pourtant, vous semblez les aimer, vos petites bêtes. Peut-être que ce n’était pas un travail répétitif, en fait, mais Mayeul avait un peu du mal à appréhender l’idée. Lui qui n’avait eu pour modèle que les fêtes de la noblesse dans son enfance, l’Académie et son entraînement de cadet, ses repos rythmés par les visites de Mathilde, avait un peu de mal à comprendre. Il était voltigeur, évidemment, mais dans son boulot, les activités ne se ressemblaient jamais, il était toujours en action, toujours à voir des choses différentes. Et Melinda lui ressemblait, alors, comment pouvait-elle apprécier un travail que lui aurait, sans aucun doute, qualifier d’ennuyeux? |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Mar 21 Juin 2016 - 17:13 | |
| De toute évidence, même si je mettais en doute ses qualités, Mayeul n’était pas prêt à m’abandonner. Le rire qu’il laissa échapper à ce qui pouvait presque ressembler à une supplique de ma part – avec un peu d’imagination – me rassura à ce sujet. Non, le voltigeur ne me laisserait pas tituber seule jusqu’à mon auberge simplement parce que j’avais froissé son ego. Je l’avais estimé ridicule ; il m’avait invité à prendre un repas. Peut-être qu’il avait tendance à remercier chaleureusement tout qui se montrait méchant, insultant et pernicieux à son égard ? Ou peut-être pas. Après tout, je n’étais pas insultante, j’étais simplement franche.
Sans doute, comme je l’avais estimé de premier abord, Mayeul avait-il simplement grand besoin d’amis sincères, et même s’il ne me le disait pas à haute voix – par manque de mots, sans doute pour exprimer ce qu’il ressentait – il était profondément reconnaissant envers moi pour la générosité qui m’avait poussé à l’aborder pour lui révéler en toute franchise ce que je pensais de lui. A vrai dire, cette idée me semblait peu plausible, mais elle me fit esquisser un large sourire et m’emplit d’une joie débordante.
Aussi, lorsque Mayeul se servit des mots pour soutenir son raisonnement, je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. C’était amusant, en fait, qu’il me ressemble à ce point-là. Moi aussi, il m’arrivait de manipuler la vérité pour qu’elle ne soit pas encore vraiment un mensonge, mais pour qu’elle dérive légèrement des faits, afin de convaincre mon interlocuteur exactement de ce que je voulais lui faire croire. Mais uniquement quand la situation l’exigeait, bien entendu. Evidemment, ces moments où « la situation l’exigeait » étaient assez variables, et décidés selon mon bon plaisir, mais ma conscience, un peu naïve sans doute, était apaisée par cette condition sur mes vérités-qui-n’en-étaient-pas-vraiment.
— Au moins vous avez conscience « d’embellir vos qualités », pour utiliser vos propres termes. Ce n’est pas si mal, pour un homme à l’ego surdimensionné.
Je continuai à parler, affirmant qu’il tenait trop à ma compagnie pour m’abandonner, et que s’il était attaché à moi, c’était certainement grâce à cette même franchise qui pouvait parfois passer pour insultante. J’acceptai son rendez-vous puis, alors que j’étais en train d’essayer d’enregistrer mentalement la date dans mon esprit, un papillon vint troubler le fil de mes pensées. Je ne sus trop comment je parvins à trouver un lien entre cette petite créature volante et la mort, mais toujours est-il que mes idées prirent un tour vraiment noir, et je me figeai pour forcer Mayeul à me promettre qu’il ne mourrait pas avant notre prochaine rencontre.
Son regard se voila quelques instants, et je me demandai si ma question l’avait blessé. En tous cas, il avoua avoir déjà fait cette promesse et la regretter au jour d’aujourd’hui. Il affirma, toutefois, qu’il ferait de son mieux. Je soupirai, à demi convaincue. « Faire de son mieux », ce n’était pas grand-chose. Parfois, même le mieux n’était pas assez. Pourtant, je ne pouvais pas demander plus à Mayeul, aussi j’hochai la tête comme si une telle promesse me suffisait, alors qu’au fond de moi, je brûlais de l’envie de le prendre par les épaules pour lui dire qu’il ne suffisait pas de « faire de son mieux », qu’il fallait simplement… faire.
— Je m’en contenterai. Merci, murmurai-je toutefois en me remettant en route.
Il avait dit qu’il avait regretté avoir fait cette promesse précédemment, et pourtant, il s’y risquait de nouveau. Pour moi. Alors oui, j’avais toutes les raisons d’être reconnaissante. Je fronçai les sourcils, soudain envahie d’une idée désagréable. Il s’était repenti d’avoir juré de rester en vie ? Je jetai un regard curieux à Mayeul. Avait-il voulu mourir ? Voulait-il encore mourir ? Le voltigeur semblait pourtant avoir certaines facilités à plaisanter sur la vie et avec la vie. N’était-ce qu’un masque, comme il m’arrivait parfois d’en porter ? Et qu’est-ce qui avait pu le pousser à regretter de vivre, d’abord ? Même à la mort de mon frère, la mort ne m’avait jamais semblé être une solution enviable. La vie était trop belle, à mes yeux, pour que je la perde volontairement.
Le silence était tombé tandis que les pensées fusaient à toute vitesse – du moins aussi vite qu’elles le pouvaient dans l’état actuel des choses – dans mon esprit. Mayeul brisa alors mes réflexions comme la mer finit par sa fracasser sur les falaises qui lui faisaient obstacle. Mes pensées sur les tendances suicidaires du voltigeur s’évanouirent comme des volutes de brumes éparpillées par les vents. Mayeul s’exclamait que j’étais loin d’être ordinaire. J’eus un léger sourire, amusée par ses compliments. En tous cas, j’étais prête à admettre qu’il n’avait jamais rencontré quelqu’un comme moi. Pour le reste… tout était une question de point de vue, probablement. Il souligna, néanmoins, qu’il n’avait pas l’habitude de proposer un second rendez-vous.
— Ce n’est pas parce que je suis extraordinaire que je possède forcément toutes les autres qualités que vous m’attribuez. En revanche, c’est sans doute pour cette raison que vous me proposez un second rendez-vous.
Je plissai les yeux, soudain songeuse, mais un sourire amusé étirait mes lèvres.
— Est-ce que vous ne seriez pas en train de me flatter pour que mon ego devienne dépendant de vos compliments ? questionnai-je, une lueur taquine dans le regard. Je vous préviens tout de suite que vous gâchez votre salive ; je sais ce que je vaux et je ne me laisserai pas corrompre par des… mots embellis. Toujours est-il que ce n’est pas bien, Mayeul, d’essayer de me convertir à vos propres vices.
Je lui lançai un sourire moqueur.
— Mais vous avez de la chance, je vous pardonne.
Je penchai la tête sur le côté, une pensée subite me frappant l’esprit.
— Peut-être parce je suis déjà devenue dépendante de vos compliments et que je ne peux plus me passer de vous, qui sait ?
Mayeul orienta alors la conversation vers mes abeilles, et aussitôt, mes yeux brillèrent de joie. J’étais toujours plus animée quand je parlais des petites créatures dont je prenais soin. Ces insectes, au fond, ne me trahissaient pas, ne me mentaient pas, et étaient là où je les attendais. Contrairement aux imprévisibles et blessants êtres-humains, ils ne se comportaient jamais de façon étrange. Je pouvais leur accorder ma confiance sans craindre qu’ils en profitent, et leur parler sans que cela s’ébruite. M’occuper d’elles étaient une façon de les remercier. Et jamais je ne trouvais cette tâche répétitive. Même les journées les plus monotones avaient quelque chose de plus que les précédentes.
— Vous devriez vous méfier des sujets que vous abordez, Mayeul, fis-je tout d’abord remarquer avec un léger rire. Vous qui me trouvez bavarde lorsque je parle de choses triviales, vous ne pouvez sans doute pas imaginer à quel point je peux me montrer prolifique lorsqu’il s’agit de discuter de ce que j’aime. Et comme vous l’avez constaté, oui, j’aime mes « petites bêtes ».
Habituellement, je ne me serais sans doute pas préoccupé d’épargner mon interlocuteur de mes paroles – d’autant plus que c’était ledit interlocuteur qui avait commis l’erreur de poser la question – mais, à vrai dire, je n’étais pas certaine de trouver les mots justes pour parler de mes abeilles dans mon état actuel, et elles méritaient mieux que quelques paroles mal placées.
— Mais comme je vous ai dit que j’allais essayer de faire des efforts concernant mon débit et ma quantité de paroles, je vais vous résumer les choses simplement, pour que vous puissiez suivre, affirmai-je avec un large sourire, sans même me rendre compte que ma remarque pourtant innocente pouvait être prise comme une insulte. Je tiens à mes abeilles parce qu’elles ne se moquent pas de moi, qu’elles ne projettent ni de m’empoisonner ni de m’enlever, qu’elles ne piquent pas de la nourriture dans mon assiette et qu’elles sont dignes de confiance.
Est-ce que j’avais listé tous les crimes dont Mayeul se rendait coupable à mes yeux ? Oui. Mes yeux, toutefois, brillaient d’une lueur malicieuse qui ne pouvait tromper sur mes véritables sentiments quant aux méfaits du voltigeur.
— Et, plus sérieusement, je tiens à mes abeilles parce que je n’ai jamais rien vu ou entendu de plus beau que leurs chants et leurs danses.
Cette confession-là, je n’avais pas pour habitude de la livrer à n’importe qui. Les chants et les danses de mes petites abeilles étaient pour moi des trésors à garder dans le secret de mon cœur, à cet endroit magique où je me réfugiais lorsque le monde devenait, de temps en temps, trop solitaire et trop triste.
— Et puis, bien sûr, qui n’aimerait pas le miel délicieux que produisent ces petites créatures ?
Ce n’était pas une affirmation, je n’avais pas osé m’approcher trop près d’un mensonge. Bien entendu, j’adorais le miel de mes petites abeilles, mais je n’aimais pas les abeilles parce qu’elles produisaient ce miel ; j’aimais le miel parce que mes petites abeilles en personne le produisaient. Evidemment, Mayeul n’avait pas besoin de connaitre cette vérité-là. Il en connaissait déjà beaucoup trop à mon propos, de ces petites vérités qui auraient dû rester secrètes.
J’esquissai pourtant un large sourire, avec assurance.
Mieux valait faire comme si de rien n’était.
Peut-être que Mayeul s’y laisserait prendre… |
| | | Les Voltigeurs Mayeul de Vifesprit Messages : 3250 J'ai : 32 ans Je suis : Voltigeur de Nuage, Major du Vol de Valkyrion, division de Svaljärd
Héritier de Vifesprit, petite barronie à l'Ouest de Sombreciel Feuille de personnageJ'ai fait allégeance à : IbélèneMes autres visages: Arsène Albe - Maximilien de Séverac | Sujet: Re: Ridicule générosité Dim 26 Juin 2016 - 9:28 | |
| Bien loin de savoir les pensées de Melinda sur son manque de réalisme et d’amis sincères, le voltigeur demeurait près de la jeune fille, son bras autour de sa taille, la guidant sur les pavés de la ville. Elle avançait à peu près seule, n’ayant après tout pas bu grand chose, mais il tenait à rester à ses côtés au cas où : il aurait été bête qu’elle tombe sous sa garde, et surtout, elle aurait bien été capable de le lui reprocher! Pour quelqu’un qui prônait la vérité à tout prix, la conversation avec Melinda était étrangement simple et amicale, alors qu’ils ne se connaissait pas quelques heures auparavant. Peut-être était-ce pour ça, d’ailleurs, que c’était aussi simple : après tout, les sujets délicats n’étaient pas abordés dès la première rencontre. Pour le moment, ils se contentaient de rire et de plaisanter, et pour sa part, cela lui suffisait entièrement. Melinda éclata de rire, soulignant sa capacité à se jouer des mots pour ls plier à sa convenance. Mais la bonne humeur retomba quand elle exigea de lui une promesse qu’il ne pouvait pas - qu’il ne voulait pas - tenir. Pas après Mathilde, et ce qu’elle lui avait enjoint de promettre. Hors de question. Alors il s’était contenté d’avouer qu’il essayerait, et bien que cela ne semblât guère convenir à Melinda, elle acquiesça. A contre-coeur visiblement, mais Mayeul ne tenait guère à c que le sujet se développe, aussi ne releva-t-il pas. La jeune fille avait froncé les sourcils, perdues dans ses réflexions, tandis que le voltigeur s’efforçait de chasser l’amertume et a nostalgie qui venaient, compagnons infatigables, frapper à la porte de ses propres pensées. Il ne savait pas à quoi Melinda pouvait penser mais, s’il y avait la moindre chance que ce fût à ses paroles, il décida de ne pas lui en laisser le loisirs, enchaînant sur un nouveau sujet sans vraiment y réfléchir très longtemps. Il s’efforça d’être enthousiaste et flatteur, comme avant, et cela parût faire son effet, puisque Melinda le taquina, prévenant qu’elle voyait clair dans son jeu. Il se contenta d’un sourire énigmatique, replongeant avec résolution dans ce mode si agréable de conversation qui était le leur, simple et amusant. Tout le monde est sensible aux compliments Melinda. Certaines ne veulent juste pas admettre qu’elles en sont dépendantes, voilà tout. Et vous m’aimez bien, alors, j’ai quelques longueurs d’avance sur le fait de vous plier à l’idée que vous êtes quelqu’un d’extraordinaire. Déclara-t-il avec emphase en observant la jeune fille, sa main toujours sagement posée autour de sa taille, comme il lui avait promis. Il s’avançait toujours, lentement mais sûrement, Melinda les guidant vers l’auberge où elle avait élu domicile pour la soirée, au minimum. Cette dernière parût, en tout cas, ravie du nouveau changement de sujet par Mayeul, et le voltigeur accepta de bonne grâce la remarque sur le fait que s’il ne voulait pas l’entendre, il n’avait pas à choisir des sujets qui soulevaient son enthousiasme. Comme les abeilles. Elle insulta d’ailleurs gentiment son intelligence et ses capacités de compréhension, avant de lister tous ce qu’elle avait bien pu lui reprocher un moment où à un autre. Sauf une chose essentielle, qu’elle semblait oublier, et que Mayeul lui lança avec amusement. Vous avez oublié de dire que les abeilles ne sont pas ridicules, elles. C’est ce point qui nous a amené à toute cette conversation, après tout. Il observa Melinda avec amusement, tandis qu’elle déclinait leur amour pour les chants, les danses et, bien sur, le miel de ces petites bêtes. Il est vrai qu’ils étaient bien rare, ceux qui dédaignaient cette douceur sucrée. Elle semblait réellement les apprécier, ses abeilles, là où lui ne voyait que des insectes bien peu intéressants. Chacun son point e vue, après tout, et il ne niait pas que sur le sujet, elle était sans doute bien plus expérimentée que lui. Vous comptez retourner auprès d’elles après l’Académie? Demanda le voltigeur, curieux. Etant donné l’enthousiasme visible de la jeune fille, la réponse lui semblait évidente, mais il pouvait se tromper. Elle les aimaient, ses abeilles, de ça au moins il était sûr. Quant à son avenir, il ne lui appartenait pas de lui donner le moindre conseil, quand il songeait à quel point il était en train de ruiner le sien... L’auberge de Melinda se dressait devant eux, signe qu’il faudrait bientôt se quitter. Il l’avait retenu assez longtemps, après tout, et elle allait dormir d’un sommeil de plomb, avec ce qu’elle avait bu. Belle Melinda, vous voici arrivée à bon port. Je tiens mes promesses, vous voyez? Souligna-t-il malicieusement, avant de se tourner vers elle. Bonne chance pour vos examens d’entrée. Et si vous avez le moindre souci, n’hésitez pas à envoyer un message à la Caserne d’Euphoria : vous êtes trop extraordinaire pour que personne ne vole à votre secours. Plaisanta-t-il en s’inclinant devant la jeune fille. |
| | | | Sujet: Re: Ridicule générosité Lun 27 Juin 2016 - 12:40 | |
| Sensible aux compliments, oui, tout le monde l’était.
Au cours de mes vingt-deux années de vie, j’avais pu constater à de nombreuses reprises qu’il suffisait d’un mot gentil pour modifier l’attitude de n’importe qui à mon égard. Pas une fois, néanmoins, les compliments que je faisais n’avaient été vides, comme les paroles creuses des flatteurs éhontés ; toujours, ils soulignaient la vérité, tout comme mes critiques. La plupart du temps, mes interlocuteurs préféraient les vérités qui leur donnaient une bonne image plutôt que celles qui brisaient l’illusion qu’ils se faisaient d’eux-mêmes. Mayeul semblait être une exception à cette règle, puisqu’il ne paraissait pas m’en vouloir de le trouver ridicule.
Nous marchions toujours à travers les rues, approchant petit à petit de mon auberge. Un instant je songeai à prendre un détour pour prolonger cette conversation. Mayeul parlait de compliments, de dépendance et du fait que je sois quelqu’un d’extraordinaire. Je l’écoutai d’une oreille distraite tout en réfléchissant. Non, prendre un détour ne serait probablement pas une bonne idée. D’abord parce que je n’avais nulle envie de tenter le sort en essayant de marcher plus longtemps, ensuite parce que je n’étais pas certaine de pouvoir retrouver mon chemin si j’essayais de dévier de celui que mes pas me montraient.
— Vous avez probablement raison, m’exclamai-je avec un léger sourire.
En réalité, les mots de Mayeul s’étaient perdus quelque part dans les méandres de mon esprit, et comme je détestais avoir à faire répéter qui que ce soit, je préférai marquer mon accord, ou du moins, accord relatif. Le « probablement » était un mot fort utile pour quelqu’un qui se refusait à mentir. Poser une hypothèse, ce n’était pas comme poser une affirmation.
Mayeul me posa alors une question sur mes chères petites abeilles, et je sautai dessus avec joie, plaisantant d’abord sur le fait qu’il risquait de m’entendre parler pendant longtemps. Je lui fis remarquer que les abeilles étaient à peu près tout le contraire de lui – et ne m’avaient pas fait subir tout ce qui aurait pu transformer cette rencontre en désastre. A cela, il répliqua que les abeilles n’étaient certainement pas ridicules. Je secouai la tête avec un léger rire.
— Ne soyez pas stupide, Mayeul ! On trouve aussi des individus ridicules parmi les abeilles. La plupart sont très intelligentes, plutôt belles et elles volent de façon impressionnante, mais quelques-unes peuvent s’avérer aussi ridicules que vous, selon les circonstances. Ce serait triste, un monde sans personne de ridicule. Et les abeilles sont assez intelligentes pour éviter que leur monde devienne triste, vous ne croyez pas ?
Je soulignai ensuite à quel point j’appréciai le chant et les danses des abeilles, et bien évidemment, leur miel. J’espérai à vrai dire que Mayeul ne remarquerait pas le soudain malaise que j’avais ressenti en m’apercevant que j’étais en train de lui parler à cœur ouvert. Mes espoirs furent comblés lorsqu’il se contenta de me questionner sur ma vie après l’Académie. Je fronçai les sourcils, n’ayant pas vraiment réfléchi à ce que je pourrais faire après mes études.
— Je suppose que je pourrais difficilement me passer de mes petites abeilles, commençai-je d’une voix lente. Ce sera déjà dur de ne plus les voir durant mes études… Alors oui, je pense que je ne pourrais pas m’empêcher de retourner auprès d’elle. Je crois que je suis bien plus dépendante de leur présence que je ne le suis des compliments, pas de chance pour vous.
Mon regard se perdit quelques instants dans le lointain.
— D’un autre côté, il pourrait se passer tellement de choses durant mes études. Qui sait, peut-être perdrai-je mon intérêt pour les abeilles, d’ici là ?
Je grimaçai, horrifiée par cette idée. Les abeilles avaient toujours été comme une part de ma famille. M’en désintéresser, ce serait comme perdre brutalement tous les souvenirs – et les sentiments – que j’avais pu avoir à propos de mon frère.
— Mais ce serait dommage, et j’espère que même l’Académie ne pourra pas me faire perdre de vue qui je suis vraiment, et à quel point j’aime mes « petites bêtes ».
Soudain, je m’aperçus que nous étions arrivés, et je fis signe à Mayeul que nous devions nous arrêter ici. Je m’aperçus dans un éclair de lucidité que j’étais toujours indemne, vivante, et tout ce qu’il y avait de plus libre. De toute évidence, ma confiance en ce voltigeur rencontré au hasard des rues n’avait pas été si mal placée qu’on aurait pu le penser. Je n’étais pas morte empoisonnée – pas encore – et il ne m’avait pas enlevée alors qu’il avait eu une pléthore d’occasions faciles. Il devait d’ailleurs penser la même chose, puisqu’il me fit remarquer qu’il avait tenu sa promesse d’arriver à bon port.
— Un bon point pour vous, admis-je en hochant la tête. Encore que tenir cette promesse-là ne signifie pas que vous les tiendrez toutes. Mais merci beaucoup, Mayeul. Je savais que j’avais raison de vous faire confiance.
Il me souhaita alors bonne chance pour mes entretiens d’entrée, et me proposa son aide s’il m’arrivait le monde problème, en s’inclinant devant moi. Je n’étais pas vraiment du genre à accepter le secours de n’importe qui pour n’importe quoi – je n’adorais rien de plus que de me débrouiller seule – mais je hochai la tête avec reconnaissance. Après tout, si Mayeul n’avait pas été là sur le chemin du retour, je me serais sans doute écroulé au coin d’une ruelle quelconque. D’un autre côté, je n’aurais probablement pas non plus expérimenté l’étrange sensation de voir le sol se dérober inexplicablement sous mes pieds.
— C’est aussi parce que je suis extraordinaire que je saurais me débrouiller seule, Mayeul, répliquai-je avec un léger sourire. Mais je vous enverrai un message si vraiment je suis dans une situation désespérée. Ou si vos compliments me manquent trop, qui sait ?
Je me dirigeai vers l’auberge, puis hésitai un bref instant et me tournai de nouveau vers Mayeul.
— Merci pour tout, Mayeul. C’était une bonne soirée. Même si je ne sais absolument pas dans quel état je me retrouverais demain. Enfin… Au revoir, je suppose. Puissiez-vous repenser à moi la prochaine fois que vous voudrez converser avec une poire. Rappelez-vous de la traiter avec respect, surtout.
Sur ces mots, je m’engouffrai à l’intérieur de l’auberge, bien décidée à me trouver dans mon lit avant que mes jambes décident qu’elles en avaient assez de me porter et qu’elles ne se dérobent sous moi. Je saluai l’aubergiste d’un signe de tête et parcourus la distance qui me séparait de ma chambre d’un pas lent, consciente que chaque pas tenait du miracle. Quand enfin j’atteignis mon lit, je m’y blottis en position fœtale.
J’étais vivante, chez moi, l’estomac plein, et sur le point de m’endormir.
Oui, la soirée était effectivement excellente, compte tenu du fait que j’avais abordé un inconnu dans une ville étrangère pour lui faire remarquer à quel point il était ridicule.
Mais bien entendu, une générosité telle que la mienne se voyait toujours récompensée. |
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