Elisabeth Rêvel

J’ai été femme et homme. Mère, père, grand-mère et même grand-père. Au côté de Messaïon, je me suis enfoncée dans les profondeurs abyssales. Accompagnée d’Amir, j’escaladais les collines, parcourais les prairies ou m’abreuvais le long d’une rivière qui coulait. Je n’étais ni homme, ni femme mais bête. Qui suis-je ? Peut-être celle que je vais présenter ou peut-être pas. Les histoires se chevauchent, murmurant des récits tous plus rocambolesques les uns que les autres.

Je m’appelle Elisabeth Rêvel. Autant vous le dire de suite, ce n’est pas mon véritable nom. Autant vous le dire de suite, je ne suis sans doute pas née en août. Autant vous le dire de suite, j’ai peut-être 27 ans, voire 28 ans. Avez-vous déjà ressenti l’inconfort quand quelqu’un vous demandait votre nom et que vous étiez incapable d’y répondre ? Non ? Moi oui, plusieurs fois, et maintenant, encore, en vous expliquant d’où je viens, l’inconfort demeure. Avec le temps, on apprend à mentir. Je déteste mentir, mais comment faire autrement quand quelqu’un vous demande qui vous êtes et que vous ne le savez pas ?
Il me fallait un prénom, j’ai pensé à Elise ou Beth, j’ai choisi Elisabeth. Il me fallait un nom, j’ai choisi Rêvel, mélange de rêve et de réveil en espérant qu’un jour mon vrai nom me serait révélé. Il me fallait une naissance. Je devais bien être née quelque part… Je devais bien avoir vu le jour à un moment… J’ai choisi une date. Entre 974 et 976. Après tout qui pourrait me dire avec précision quel âge j’avais ? Une personne qui me connaissait sans aucun doute, qui m’avait vue grandir, mais qui ?  J’ai vécu tellement de vie que mes 26 ans me semblent dérisoires. Pourquoi 26, alors ? Pas 27 ou 28. Je ne sais pas. Peut-être qu’inconsciemment je cherche à rattraper le temps perdu. Peut-être est-ce mon véritable âge. Peut-être est-ce encore une fois un lambeau de souvenirs factices. Peut-être…. Les doutes m’assaillent constamment quand il s’agit de parler de moi. Peut-être qu’un jour je pourrais de nouveau répondre à vos questions, honnêtement. Ou peut-être pas.

Je vous mentirai si je disais que je ne peux rien dire de moi. Encore, faut-il que vous jugiez si mon histoire est vraie ou si elle n’est encore une fois qu’une élucubration de mon esprit. J’ai rencontré Callia. Du moins en ai-je eu l’impression. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un mage ou d’un médecin. Dans mes souvenirs, elle tenait un bouquet d’herbes dans la main droite. Toujours est-il que depuis lors, j’ai fini d’errer entre les mondes. J’ai fini d’être esprit, voguant d’un corps à l’autre pour devenir femme. 10 ans que cela s’est passé. 10 ans que je me pose la même question : « Qui suis-je ? », cherchant inlassablement une réponse qui semble se faufiler entre mes doigts. Impossible de la retenir.

Je devais avoir 16 ans. Ou peut-être pas… J’avais froid, j’avais faim, j’avais soif. Je ressentais à nouveau. Avais-je déjà senti ? Sans doute, puisque j’arrivais à mettre des mots dessus. J’allais mourir après avoir effleuré brièvement la vie.

Heureusement, le Destin dut être avec moi ce jour-là. Elle s’appelait Gudrun Du Grimoire. Elle me trouva dans les contrées de Valkyrion. Je fus sans doute suffisamment acharnée pour vivre ou peut-être n’avais-je pas rêvé, peut-être que les dieux veillaient vraiment sur moi. Les interrogations sont nombreuses et encore une fois, je me retrouve à vous décrire une histoire qui n’est peut-être pas véridique.

Je me souviens que Gudrun était marchande. Elle aimait dire qu’elle vendait des livres mais en vérité, sa troupe transportait des fournitures de toutes sortes d’Ibelin vers Lorgol. Bien sûr, les écrits étaient appréciés en Ibelin. Elle m’a accueilli dans sa caravane et depuis lors je l’accompagne lors de ses voyages. Deux mois sur les routes, c’est long, suffisamment pour apprendre à lire, suffisamment pour me permettre de lire les livres qui me passaient sous les yeux. Parmi tous les sujets qui s’étendaient devant mes yeux, la psychologie a suscité mon intérêt. Peut-être comprendrai-je un jour ce qui m’est arrivé… Peut-être pas. Pour le moment, j’ai juste réussi à acquérir de solides connaissances en la matière. La lecture m’occupait après une marche harassante. Toutefois ma vie, pendant 10 ans ne s’est pas limitée aux trajets. Nous restions quatre mois à Ibelin et un temps similaire à Lorgol.  Parfois, nous visitions d’autres contrées pour répondre à une demande particulière. Gudrun était affiliée à la guilde des marchands. La vie suivait son cours – seul point noir dans mon existence : le doute.
Il y a trois mois, des images sont venues me hanter. Cette histoire revenait souvent s’incruster dans mes délires.

« Je suis née à Lorgol, fille d’Éric Bourre. Pour lui, j’étais Elise Bourre. Une fille. Une déception… Il m’accorda peu d’attention durant mon enfance, son entrainement guerrier passant avant tout. Il voulait appartenir à la guilde des guerriers mais n’y est jamais entré. Il devait devenir plus fort. Avais-je touché à une de ses armes ou n’était-ce qu’une illusion ? En tous cas, la peur elle était bien présente. J’étais en danger.

Ma mère, Béatrice Nouvel se proclamait pure cibellane. Pour elle, j’étais à éduquer. Parfois, elle louait mon air cibellan alors qu’à d’autres moments, le sang de mon père semblait l’écœurer. Elle m’appelait « Beth ». En fermant les yeux, je peux encore entendre le lointain écho de sa voix, hautaine – ou était-elle douce ? Je ne le saurai sans doute jamais.

Mes parents se rencontrèrent à Lorgol. Éric Bourre, voulant donner un nom à sa progéniture, avait fui Sombreciel pour rejoindre la guilde des guerriers. Il n’y entra jamais. Ebloui par les yeux bleus clairs de ma mère, il se présenta comme guerrier et lui proposa de l’épouser. Béatrice accepta, craignant de ne pas rencontrer de meilleur parti. Mon père disait souvent qu’il aurait mieux fait de ne jamais croiser le regard hautain de Béatrice Nouvel. Béatrice le détestait. Cet homme qu’elle croyait guerrier, n’était en réalité qu’un alcoolique. Elle aurait dû s’y attendre de la part de quelqu’un venant de Sombreciel. Elle voulait retourner en Cibella, mais ma naissance l’en empêcha.
Je naquis, telle une chaîne enserrée au cou de ma mère, l’empêchant de fuir, telle un poids sur les épaules de mon père, contrariant ses espoirs de voir apparaître un héritier, un guerrier. Ma mère resta, mon père sombra encore plus dans l’alcool. Je crois que je n’ai jamais eu de frères, mais peut-être est-ce faux. Peut-être que les personnes que j’ai vu au cours de mes voyages existent, peut-être ai-je un frère, deux, voire trois.

A ma naissance, mon père voulait me mettre sous la protection d’Erelf. Il espérait que ce dieu puisse m’aider à oublier ma triste vie de femme. Ma mère se révolta : pour elle, seule Aura avait le pouvoir de me guider sur la vraie voie. En effet, il faudrait un tour de magie pour me permettre d’échapper à l’influence de mon père. Mon parrain décida de me placer sous la protection de Callia. D’après ma mère, il était ivre. Mon père accepta dans un soupir cette proposition alternative. Ma mère se résigna. Devait-il s’estimer heureux qu’on ne m’ait pas choisi un dieu protecteur tel que Deadpool ou encore Balthazar ? »

Les souvenirs de mon enfance demeurent flous. Les rues pavées, des canaux et une habitation délabrée sont les seules traces qu’il me reste. Après, il y a le manque… Une douleur terrible…Et le noir. J’ai longtemps voyagé. J’ai été reine, noble, pirate, guerrière et même gueuse. Tantôt sous la forme d’une bête, d’un homme et parfois même j’étais la montagne qui dominait une ville. »

Cette vie revenait souvent me hanter. Cette fois-ci, c’était différent. Le souvenir demeurait telle une lumière dans l’obscurité. De retour à Lorgol, j'ai tenté en vain de trouver l’endroit où j’avais vécu. Seulement, en explorant la ville basse, aucun lieu ne me semblait familier, aucune personne ne semblait me connaître. L’histoire que je viens de vous raconter est peut-être vraie ou peut-être pas. Le saurai-je un jour ?

Que penses-tu des compétences de la toute nouvelle impératrice de Faërie, la jeune Chimène ? La trouves-tu légitime, penses-tu qu'elle va réussir sa période de probation ?
• Je suis bien placée pour savoir que la jeunesse ne limite en rien le nombre d’expériences que l’on peut acquérir. J’ai été reine, un instant, je comprends donc les difficultés qu’elle va devoir affronter, mais surtout, j’ai connu la perte. Le désespoir qui nous envahit, se répète inlassablement tandis qu’en vain nous essayons de changer une scène que seul le Destin peut éviter. Chimène est-elle légitime ? Quel est mon droit de juger cela ? Je ne sais déjà pas si je suis légitime.

Envisages-tu de prendre part au conflit si une guerre entre Ibélène et Faërie devait se déclarer ? Quel parti prendrais-tu, et pourquoi ? Comment participerais-tu à la lutte ?
• Je n’imagine pas qu’une guerre puisse se déclarer. Sans doute, cette rumeur n’est encore qu’une illusion de mon esprit. Etant peut-être d’Ibélène, de Faërie ou peut-être des deux, une guerre serait synonyme d’horreur à mes yeux, de désastre et de sang. En imaginant que cette question soit réelle et que mon esprit est de nouveau opérationnel, une telle guerre rendrait les route peu sûre et notre rôle de marchand périlleux. Choisir un camp me semble difficile. Et si je choisissais le mauvais camp ? Et si ma famille appartenait à l’autre camp ?

Que penses-tu de Lorgol, la ville aux Mille Tours ? Est-ce que tu t'y promènes sereinement ou est-ce que la capitale des peuples libres t'oppresse ?
• Cette ville aux  Mille Tours représente au mieux ce que je suis. Ne sachant pas si je viens d’Ibélène ou de Faërie, à mes yeux, Lorgol seul peut accepter ma nature. Je devrais donc m’y sentir à l’aise. Et pourtant, si je découvrais entre les murs de deux vieilles maisons, une preuve de ma vie réelle….Et si mon monde venait à s’écrouler du jour au lendemain…. Et si quelqu’un me reconnaissait… Les secrets qui croupissent à Lorgol me semblent très dangereux.