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 Livre V • Chasse Sauvage

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Message Sujet: Livre V • Chasse Sauvage   Livre V • Chasse Sauvage EmptySam 2 Déc 2017 - 14:42


contes et légendes d'arven

Chasse Sauvage

livre v



Préface


Le Chant de la Chasse

Traçant une spirale toujours plus grande,
La Chasse parcourt le monde des mortels
Tout se décompose dans ce vortex centrifuge
L'anarchie pure règne sur le monde,
Les vents de la guerre se gorgent de sang, les encerclent,
Submergeant les rites de l'ancienne innocence
Les justes perdent espoir et les mauvais
Se délectent du pouvoir fervent et trouble.


The Witcher II - Objet de Quête








Dernière édition par Arven le Sam 2 Déc 2017 - 14:51, édité 1 fois
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Message Sujet: Re: Livre V • Chasse Sauvage   Livre V • Chasse Sauvage EmptySam 2 Déc 2017 - 14:43




contes et légendes d'arven

Journée des Anciens

Livre V • La Chasse Sauvage








Hyppolite de la Houle,
premier Archimage de l'Académie



Lorgol – Académie du Savoir et de la Magie – An 75

♦️

Sa main ridée tremble, alors qu’il hésite à tourner la poignée. Enola ne s’y est toujours pas faite, elle n’arrive toujours pas à accepter que les années passent et que son humain est de plus en plus fragile. Elle le ressent, dans le tréfonds de son âme, et elle sait bien que la fin est proche. Mais cela fait près de 80 ans qu’ils sont liés, qu’ils se sont trouvés pour ne plus jamais se quitter. Le petit oiseau le connaît par cœur. Que ce soit son souffle, ses intonations et même sa façon de se taire. Et elle sait qu’il est loin ce temps où Hyppolite de la Houle pouvait courir sans même s’essouffler, sans jamais faillir. À dire vrai, elle ne se rappelle même plus de ce temps-là. D’autant que leurs routes se sont croisées le jour de ses 15 ans, après cet accident qui l’aura laissé boiteux le reste de son existence et incapable de reprendre la mer. Mais Enola a toujours été là, a toujours été un soutien au fil des ans. Et aujourd’hui encore, c’est ce qu’elle fera. Même si, pour le moment, elle ne voit que ses doigts tremblants et incapables d’ouvrir la porte.

« Attends grand-papi, je t’aide ! »

La fillette lui adresse un large sourire édenté et Enola piaille joyeusement dans sa direction, tandis qu’elle guide le vieillard à l’intérieur. Ils sont déjà nombreux tout autour d’eux et, l’espace d’un instant, Enola regrette presque leur solitude, les longues journées passées au bord de la mer, à regarder les vagues s’entrechoquer contre les rochers. Parce que tous les regards convergent en direction du vieil homme. Et le silence se fait.

En réalité, personne ne s’attendait à la venue du premier grand Archimage de l’Académie. Beaucoup le pensaient même mort pour être tout à fait exact et, quand elle y repense, Enola sent ses plumes se dresser d’indignation. Mais il fallait qu’il vienne à cette journée des Anciens. Probablement parce qu’il sent, comme son martin-pêcheur, que c’est la dernière fois qu’il pourra le faire. Son regard cherche des visages familiers dans cette foule qui le dévisage mais, comme lui souffle Enola avec un mélange d’agacement et de nostalgie, ils sont probablement tous morts ou tellement changés qu’il serait incapable de les reconnaitre. Pourtant, son regard s’attarde sur chacun d’eux. Sur les jeunes, qu’il n’a pas encore eu la chance de rencontrer et d’autres, plus anciens, qui, malgré les prédictions d’Enola, ne lui semblent pas si étrangers. Ses yeux se lèvent pour se perdre dans la contemplation des peintures, qu’il reconnait bien plus facilement, tandis que son arrière-petite fille l’entraine doucement vers un siège. Qu’il refuse, non sans lui asséner un coup de canne sur le sommet du crâne. Elle pouffe de rire avant de se rappeler qu’il faut être sérieux, le jour des Anciens, c’est ce que lui a dit sa mère. Et les discussions reprennent, non sans que chacun essaie d’approcher le vieil homme, de lui serrer la main, tout en balbutiant des remerciements plus ou moins compréhensibles. Il sourit, même s’il ne les entend pas tous. Il se sent un peu perdu, se demandant, l’espace d’un instant, s’il aurait encore la force de créer un portail pour fuir toute cette foule.

Mais, fort heureusement, un homme d’âge mûr, juché sur une estrade, attire alors l’attention de tous, après quelques tours de passe-passe savamment exécutés. Oh c’est vrai, ce n’est pas un mage, lui. À la réflexion d’Enola, Hyppolite ne peut s’empêcher de sourire. Il a été difficile de s’accorder avec le premier Recteur, son pendant chez les adeptes du Savoir. Pourtant, ils ont réussi à s’entendre, à trouver des compromis pour trouver des fondations solides. Et pour un peu, il lui manquerait ce bougre. S’il n’écoute pas le début de son discours, le vieil homme se rend compte, aux regards qui se tournent de nouveau vers lui, qu’il faudrait peut-être qu’il soit plus attentif.

« Si le jour des Anciens est toujours un évènement de par les rencontres que chacun d’entre nous peut faire avec ceux qui les ont précédés, celui-là revêt une saveur toute particulière pour chacun de nous… oui, même les non mages, contrairement à ce que certains pourraient penser. » Les rires fusent et il continue, d’un ton joyeux. « Parce que nous avons la chance unique de pouvoir saluer un homme à qui nous devons tant. De pouvoir le remercier d’avoir œuvré pour nous, d’avoir permis la construction de cette Académie qui est chère à chacun d’entre nous. Sans lui, cet équilibre entre le Savoir et la Magie ne serait pas celui qu’il est en train de devenir et aucun de nous ne serait là aujourd’hui. Alors j’aimerais que nous rendions tous hommage à notre premier Archimage, et à Enola, sinon elle risque de nous en vouloir, Hyppolite de la Houle. » Et il s’incline en direction du vieil homme, l’oiseau bombant le torse et faisant gonfler ses plumes quelques peu défraichies. Le regard qu’il lui a jeté semble sincère et dénué de tout calcul, comme s’il pensait vraiment ce qu’il disait. Les personnes les plus proches de lui s’inclinent également, non sans l’applaudir vivement, tandis que les vivats commencent à exploser de tous les côtés.

Alors leurs cœurs à tous les deux se réchauffent, gonflés d’un orgueil totalement justifié alors que les applaudissements ne font que s’amplifier. Demain, les douleurs reviendront et il sera de nouveau un vieil homme. Demain, Enola devra l’encourager et voleter autour de lui pour qu’il accomplisse chacune de ses tâches quotidiennes. Mais, en cet instant précis, il a oublié son âge, il a oublié qu’il n’avait pas remis les pieds à l’Académie depuis plusieurs années déjà, incapable de se déplacer seul. Il se contente d’apprécier ce moment unique. Il peut enfin savourer le fruit d’années, de décennies, d’un travail acharné pour construire cet endroit. S’il n’a pas monté les briques lui-même, c’est tout comme et, en voyant tous ces jeunes gens prêts à prendre le relai, il sait qu’il peut enfin accepter de prendre ce repos qu’il a tant mérité. Parce que ses enfants sont là pour poursuivre la route.



Adalbald d'Erain,
créateur du fleuron



Lorgol – Académie du Savoir et de la Magie – An 585

♦️

Aux portes de l'Académie, un crieur a été engagé pour que l'on annonce les visiteurs venus pour le jour des Anciens. C'est un bon travail et aujourd'hui, il sera payé double, lui a t-on dit. Une main serre contre son torse l'ouvrage comportant les titres et noms de ceux qui sont attendus, son œil exercé trouvant immédiatement le visage qui va de pair avec les prénoms de ses feuillets. Pas un seul accroc, il les trouve tous pour les annoncer d'une voix forte et claire à ceux qui remplissent déjà le hall, un verre à la main.
Mais alors que la porte s'ouvre de nouveau sur un groupe entier, il sent qu'il va manquer de souffle. C'est à peine si le pauvre bougre a le temps de regarder sa liste pour annoncer la venue de ce tourbillon de draperies, ces voiles couleur de nuit, et cette myriade de petits cliquetis de bijoux s’entrechoquant.

« Adalbald d'Erain, Grand Argentier de la Guilde des Marchands, Grand ordonnateur de la monnaie unique, Grand organisateur des assurances de marchandises transportées, Diplômé de l'Académie en Économie, Savant erebien de la Pensée, fondateur du nouveau chemin des caravanes de draperies de... »

Finalement, il n'y arrivera pas, déjà il manque de souffle. Il lui reste deux ou trois titres mais voilà que le tourbillon est déjà loin, sa suite ne ralentissant pas non plus.

« de.. ET SA SUITE ! »

Un dernier effort pour tenter de boucler son retard mais l'homme est conscient de son échec. Grommelant mais surtout inquiet, il attrape la carafe qu'on a laissé à sa disposition pour réhydrater cette gorge aussi sèche que le duché d'origine de cet illustre visiteur.

Adalbald n'a pas besoin d'être annoncé. Qui ne le connaît pas ? Ses yeux cernés de traits noirs parcourent l'assemblée sans ne rien louper. Dans sa barbe blanche tremblent les bijoux d'or qui l’ornent. Encore aujourd'hui et à son âge, le Grand Argentier de la Guilde des Marchands foule de façon régulière les pierres de l'Académie. Les commerces du premier étage reçoivent sa visite si couramment qu'on pourrait ouvrir un second bureau de la Guilde au sein même de l'Académie. Adalbald aime se montrer, faisant fructifier sa popularité et son pouvoir comme cette petite pièce de monnaie qui roulait de façon hypnotique entre ses longs doigts aux ongles impeccables.

Oh comme il contrarié ce grand homme qui foule Lorgol comme si la ville lui appartenait. Cet idiot posté à la porte d'entrée aurait pu ruiner la grande annonce qu'il a préparée. Bien entendu, la nouvelle n'est pas une nouveauté en soi. Mais aujourd'hui est le jour qu'il a choisi pour l'annoncer officiellement aux hommes et aux femmes qui ont une réelle importance dans l'économie des deux empires. L'erebien est orgueilleux mais non sans raison. Il va ajouter un nouvel exploit à sa carrière.

« Mesdames, messieurs, aujourd'hui est un jour particulier. » Une pause se fait alors que le recteur fait teinter sur son verre avec charisme, grâce à cette petite cuillère qui servait encore il y a peu a déchiqueter méticuleusement une part de gâteau. « Fêtons ensemble le jour des Anciens, fêtons nos gloires passées mais surtout, nos gloires futures. »

Quelques applaudissements retentissent sous la bienveillance de cette belle assemblée réunissant savants et mages. « Aujourd'hui, nous accueillons un homme des plus occupés. Un homme qui a soufflé un vent nouveau sur bien des aspects économiques de nos deux empires. Oui, je vois dans vos regards que vous avez deviné. Mesdames, messieurs, j'ai l'honneur de laisser la place à Adalbald d'Erain, Grand Argentier de la Guilde des Marchands. »

Les applaudissements redoublent, plus cérémoniels, plus lourds. On peut ne pas aimer l'homme, mais il faudrait être fou pour ne pas reconnaître la vigueur qu'il a réussi à apporter à sa guilde. Un nouveau nuage de drapés d'or et de bleu se soulève pour danser jusqu'à la petite estrade laissée libre par le recteur qui s'est effacé. Un sourire d'un blanc incroyable vient s'ouvrir sur le visage basané du noble du roc d'Erebor. De ses deux mains, paumes soulevées vers le plafond, cette figure emblématique du commerce attend que les applaudissements s’affaiblissent.

« C'est un honneur, vraiment. » Cette fausse modestie en fait sourire plus d'un mais personne ne relève cette introduction. « Je ne vous apprendrais rien en vous disant que mon mantra est : “Le temps c'est de l'argent”. Pourtant je suis ici parmi vous, au lieu de me pencher sur les livres de comptes qui m'attendent sur mon bureau. Une fête même à la gloire de nos plus grands esprits et contributeurs d'Arven, n'est ce pas ce qu'on pourrait qualifier de... futile ? Non ! Ne vous laissez pas tromper par les boissons et divertissements qu'offre annuellement notre belle Académie. Tout est politique, aujourd'hui plus qu'un autre jour. Des idées seront échangées, et de nouveaux concepts germeront dans certains esprits. Et, qui sait, dans quelques années, on les exposera peut-être ici-même, lors d’un prochain jour des Anciens. Soyez audacieux ! Brillez ! Montrez au peuple que votre éducation vous a mené aux sommets de votre art ! Brillez et contribuez à élever nos sociétés dans l'Histoire. »

De nouveaux applaudissement retentissent, vibrants, alors que l'homme a tout de même trouvé le moyen d'assassiner dans son discours la gestion pécuniaire de l'Académie.
De la main gauche, il retire de sa manche cette pièce qui dansait encore il y a peu entre ses doigts.

« Académiciens ! La Guilde des Marchands a l'honneur de vous présenter aujourd'hui, et après de nombreuses années d’expérimentations, le nouveau modèle monétaire unique que nous nous évertuerons à diffuser dans tout Arven... le fleuron ! »

La pièce attire autant de regard que si il s'agissait d'un petit soleil brillant. Des exclamations s'envolent. Ainsi, le voilà enfin, ce fleuron dont on entendait un peu partout parler. Adalbald, d'une petite poussée de son ongle l’envoie, dans la foule de ses compatriotes. Et alors que la pièce se met à circuler de main en main, le Grand Argentier se tourne vers les hommes qui l'accompagnent. Les réactions attendues pour cette annonce sont au rendez-vous. Le message silencieux qui circule entre eux est clair. Ils ont réussi. D'ici demain, la nouvelle se sera répandue comme une traînée de poudre. Dès demain, leurs comptoirs ouvriront avec succès. Peut être que cela mérite une part de gâteau finalement.



Sir Doré, musicien émérite



Lorgol – Académie du Savoir et de la Magie – An 502

♦️

Toute une vie à trouver ta place, à te démarquer, à te faire un nom. Une vie faite de bonnes rencontres et de succès qui te mène aujourd'hui aux portes de l'Académie. Académie de tes souvenirs. Académie de ton cœur. Tu t'y vois encore étudier le langage avec sérieux, parfois moins, mais toujours avec le même désir au fond ; la reconnaissance. Une soif de reconnaissance que tu finiras par acquérir de par ton assiduité à maîtriser ce savoir sous toutes ses formes et, à ta manière, de le mettre si joliment en valeur avec ta voix aussi mélodieuse que celle d'un rossignol. Tu t'étonnes d'ailleurs parfois encore que ce nom d'oiseau ne t'appartienne pas, mais tu n'as rien à envier à celle qui le porte. Le jour des Anciens n'attend que toi et tu finis donc par presser le pas, t'aventurant dans cette merveille d'architecture, ton instrument de musique t'accompagnant tout naturellement dans tes déplacements.

- Dame Rossignol., fais-tu en voyant justement la voleuse de nom. Tes pas t'ont porté jusqu'à elle - peut-être bien inconsciemment - et ton corps se charge de la saluer avec toute l’élégance et la finesse dont tu disposes. Combien d'années se sont écoulées depuis votre dernière rencontre ? Une, dix, peut-être vingt. Pourtant tu n'oublies pas qu'elle fut ta première, quel que soit son prénom...

- Sir Doré, te répond-elle de sa voix de crécelle qui t'écorche encore et toujours les oreilles. Qui arrive même à écorcher ton illustre nom et qui pourrait sans aucun mal casser les cordes de ton luth. Tu te rassures d'ailleurs d'un coup d’œil à son sujet.

Doré. Tu portes si bien ce nom. À tes cheveux blonds semblant refléter les rayons du soleil, à la couleur de tes habits à faire rougir un canari même, tu ne l'as pas volé, contrairement à d'autres, il te va comme un gant et tu l'épouses dans toute sa splendeur. Ce n'est pourtant pas ton physique rêveur à faire chavirer les cœurs de ces dames qui t'a placé sur un piédestal, mais bien ta voix aussi sucrée et douce que le miel et les compositions qu'elle porte avec délice. Chatoiement et ravissement pour les oreilles comme pour les yeux, tu te dis déjà être l'accomplissement de toute une vie. Un génie sans pareil.

Tu la flattes, Dame Rossignol, de compliments bien mensongers, mais qui ont le don de la faire rougir. Et tu te délectes de ses réactions, autant que tu te délectes de celles qui fleurissent alentour petit à petit. Ta voix émerveille et ton physique hypnotise. Tu le sais. Tu le constates. Tu es bien rapidement le centre de l'attention sans grande surprise. Et Dame Rossignol, une femme de plus à tes pieds.

Les petits moineaux piaillent autour de toi, les insectes aussi bourdonnent à tes oreilles.

- Chantez pour nous, Sir Doré. Racontez-nous ! réclament-ils capricieusement. Tu attires la foule présente ; aussi bien les femmes que les hommes, les jeunes que les vieux, les élèves que les professeurs. Cette journée est déjà tienne. Serais-tu pris un jour pour un Dieu que cela ne t'étonnerait guère. Tu es parfait après tout, tu le mériterais largement.

Ainsi entouré et cajolé de tous de par l'admiration que l'on te porte ; amoureux de ta personne, miroir de la réussite, fanatique des compliments et des fleurs qu'on peut te jeter ; tu te mets à chanter et à jouer de ton instrument, pensant que tu as bien fait de venir encore une fois. Tu ne raterais, de toute manière, pas une occasion pouvant te mettre en valeur. Et le jour des Anciens répond à tes espérances tant qu'à tes critères. Tu es idolâtré comme jamais. Que demander de plus ? Toi, merveilleux Lagran, maître du langage et du chant, barde séduisant qui enchante les plus hautes cours d'Arven.

Perdu entre prestige, luxure et vantardise, tu ne vois pas le temps filer follement. Et alors que le jour des Anciens touche à sa fin, que tu as défié honteusement de tes chansons et de tes récits tous les dieux du panthéon existants, tu ne te doutes pas un seul instant que ta verve a été trop loin. Beaucoup trop loin pour que les dieux puissent fermer les yeux sur ton cas.

Profite donc de cette fin de journée, Sir Doré. Partage ton vécu comme jamais, aussi bien que tes connaissances, avec les petits oisillons. Abreuve les plus jeunes et embrasse les plus âgés. Profite de cette fête et de ta notoriété,  Lagran enjôleur. Profite de ces victuailles que tu penses à ton honneur. Car demain, ta voix de rossignol s'en sera allée. Ne restera que tes balades que d'autres chanteront en ton nom alors que telle la rose de ton duché adoré, ta beauté flétrira à tout jamais.



Maden Hurlevent, philosophe incompris



L’Académie de Magie et de Savoir – Le Jour des Anciens – An 89

Le Jour des Anciens.

Un sourire hésitant se glisse sur mon visage. Je crois que c’est bien la première fois que cette simple mention ne suscite ni peur, ni mépris, ni ennui au fond de mon être. Je me souviens de la façon dont les regards et les moqueries dirigées vers mon père me blessaient, autrefois, à cette époque où j’étais encore jeune, mal assurée et emplie de doutes et d’incompréhensions. Aujourd’hui, je sais que leurs paroles ne sont que mensonges, destinés autant à dénigrer mon père qu’à se protéger eux-mêmes d’idées si vraies qu’elles les effraient. Auparavant, quand je posais les yeux sur l’homme qui m’a élevée et qui m’a donné la vie, je sentais comme un pincement de cœur et une étincelle de honte s’allumer en moi. Désormais, je dresse fièrement le menton en soutenant son bras. Maintenant, je sais. Je sais que mon père est un héros.

Ils le disent fou, évidemment. Quand j’ai commencé mon apprentissage entre ces murs, nombreux sont les professeurs qui m’ont lancé des regards emplis de pitié en apprenant de qui je suis la fille. Je ne comprenais pas, à l’époque. J’étais encore trop jeune pour saisir quelles idées géniales mon père avait mises au jour. Plus tard, j’ai fait quelques recherches, pour en savoir plus à ce sujet. J’ai découvert que Maden Hurlevent, mon père, avait toujours été un élève brillant et appliqué. Il avait de nombreuses idées captivantes, et promettait, une fois son diplôme en poche, de devenir un philosophe particulièrement intéressant. Sans doute était-il surtout devenu un philosophe trop intéressant pour que ses propres contemporains le comprennent. D’ailleurs, aux yeux du monde – de ce monde réducteur et tueur d’idées – la mort de ma mère, qu’il aimait profondément, lui avait fait perdre la raison. Lui-même disait souvent que c’était plutôt ce qui lui avait ouvert les yeux.

Je jette un coup d’œil à mon père. Il se fait vieux, et le temps ne l’a jamais vraiment épargné. Les doutes qui se sont parfois saisis de lui lui ont rongé le visage et ont profondément marqué ses traits. En véritable héros, il n’a toutefois jamais abandonné la voie de la vérité, malgré les arguments, parfois plus ou moins bien construits, parfois plus ou moins mêlés d’insultes et de remarques assassines, de ses nombreux adversaires. Mais, comme l’a si bien dit un auteur dont j’ai oublié le nom – je crois qu’un ou deux de mes professeurs de philosophie me fustigerait pour ça – « ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison »*. Je les ai vus juger ce qu’ils n’ont pas pris la peine de connaitre à partir d’embryons de vérités sortis de leur contexte, et je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une méthode particulièrement fiable.

Ils disent que mon père se croit à la fois Savant et Mage, par pure fascination pour un domaine qui lui sera à jamais inaccessible. Mon père ayant fait des études de philosophie dans sa jeunesse, il est, par conviction et par convention, aussi Savant qu’il puisse l’être – la majuscule étant ici essentielle, puisque la sagesse, pour lui, ne doit jamais être considérée comme un acquis. Dans un message pacifiste et unificateur, Maden Hurlevent est parti du principe que tout est un. La Magie et le Savoir sont comme deux faces d’une seule et même pièce, et leurs différences inconciliables ne sont qu’une illusion. Pour lui, pratiquer le Savoir est une forme de magie, et c’est en ce sens qu’il se considère comme Mage. Je crois que, s’il a fait un scandale parce qu’il voulait porter le titre de Mage en plus de celui de Savant, c’était surtout pour attirer l’attention d’autrui sur ses idées. Mais ses collègues ne comprennent pas, ils ne voient pas, et ce qui les gêne est forcément quelque chose d’inacceptable.

Mon père est de ces héros qui prônent la paix et montrent que cette guerre, qui n’est pas si lointaine, n’a pas lieu de revenir : si Faërie et Ibélène se soulèvent encore une fois l’une contre l’autre, elles ne feront pas de mal à un ennemi, mais elles blesseront le corps gigantesque qu’elles forment, et par extension, elles se blesseront elles-mêmes. De même, Magie et Savoir ne sont pas inconciliables ; au contraire, les deux disciplines ne font preuve de toute leur efficacité que dans leur union. L’Académie en est un parfait exemple.

— On prend juste un verre et on s’en va, Morgan, déclare mon père avec un large sourire, m’arrachant à mes pensées. Je ne sais pas si j’aurais le courage de les entendre se moquer d’Aria, aujourd’hui.

Mon père continue à se montrer lors du Jour des Anciens, comme pour rappeler à tout le monde ce qu’il pense. Je crois qu’il aime bien expliciter sa pensée théorique en actes parfois un peu extrêmes, pour être d’autant plus frappants. Sans doute est-ce pour que même ceux qui n’auront jamais le cran de le lire puissent être intrigués par sa façon de se comporter. C’est pour ça qu’il a essayé de réclamer le titre de Mage après avoir obtenu son diplôme de philosophie. Et c’est pour cette raison également qu’il leur a présenté son Familier : Aria, un galet, lisse et grisâtre, juste d’une taille idéale pour tenir dans la paume de mon père. Je ne sais pas s’il croit vraiment à cette histoire de Familier, mais je dois dire que son raisonnement se tient.

« Tout est un, a-t-il écrit, et puisque tout est un et que nous sommes vie et conscience, tout est vie et conscience. La terre que nous foulons de nos pieds, les arbres qui étendent leur ombre sur nous, les galets que vient frapper l’océan, l’océan qui se glisse sur nos plages, le vent qui hurle sur nos plaines, l’enfant qui s’agite dans son berceau, et jusqu’à votre prochain interlocuteur ; tous sont vivants, et tous sont conscients, c’est-à-dire capable de pensée. La pensée, en elle-même, peut prendre multiples formes, et même si, en nous laissant guider par l’apparence, nous supposons que tout être-humain est capable de penser comme nous, la forme que prend leur pensée est au moins aussi différente de la nôtre qu’elle ne l’est d’un galet, du vent, ou d’un bébé. Nous ne douterons pourtant pas de la capacité à penser d’un de nos confrères humains. De la même façon, nous ne devons pas douter de la conscience qui peut habiter le moindre élément du monde qui nous entoure ».

Je trouve ce genre de discours assez convaincant. Mais j’admets que mon père est parfois un peu extrême dans sa façon de le montrer. Il aurait pu se montrer un peu plus délicat sur la manière de présenter Aria, il est vrai – parce que tout le monde n’est pas prêt à imaginer qu’un Savant puisse avoir un Familier, et que ce Familier puisse être un galet, voire même qu’un galet puisse être un vivant, et un vivant pensant. Je ne suis pas encore parvenue à déterminer s’il tâchait de provoquer des réactions chez autrui par amusement ou par conviction, ou s’il était sincère dans certaines de ses mises en scènes. Dans un cas comme dans l’autre, je trouve admirable qu’il suive son raisonnement dans des chemins escarpés, loin de l’opinion générale et de la route dégagée que d’autres auraient tracée avant lui.

Mon père est un héros, mais pour le savoir, il faut accepter d’entrer dans son monde, juste l’espace d’un instant. Accepter certains de ses comportements loufoques, passer outre, et lire le fond de sa pensée. Alors, on peut peut-être le comprendre, en partie du moins. C’est dommage, je trouve, qu’il préfère faire de l’effet en ayant l’air fou qu’en passant pour un génie. Je vois bien que ça le ronge, cette idée de ne jamais être reconnu à sa juste valeur, et en même temps, je pense qu’il est incapable d’agir autrement. Maden a toujours exprimé ses idées haut et fort, et ce n’est pas parce qu’autrui n’est pas prêt à entendre la vérité qu’il va se taire. Aujourd’hui, néanmoins, malgré son sourire et son air fier, je lui trouve l’air d’un vieil homme, rongé par son histoire et ses choix. Je lui tends un verre avec enthousiasme, espérant contrebalancer cette note de lassitude que j’ai cru percevoir en lui.

— Tu as renoncé à les convaincre ? demandé-je avec douceur.

Ses lèvres s’étirent en un sourire sans joie.

— Je crois que certaines personnes sont imperméables à la vérité, tu sais, marmonne-t-il en haussant les épaules.

Je fronce les sourcils. Mon père n’abandonne pas, d’habitude. Je le connais aussi entêté qu’un kyréen – une autre preuve que tout est un, j’imagine, de la part de cet homme outreventois. Le voir dans cet état m’inquiète, pour être honnête.

— Moi aussi, il fut une époque où je ne te croyais pas, tu sais ? soufflé-je en plissant les yeux.

— J’ai le bonheur d’avoir une fille qui change d’avis. La plupart des gens s’accrochent à ce qu’ils croient comme des moules à un rocher, et refusent les contradictions sans même réfléchir à leur possibilité.

J’ouvre la bouche, prête à répondre que tout le monde peut changer d’avis, et hésite une fraction de seconde en m’apercevant que cette affirmation ne repose sur rien. Si j’ai lu les textes écrits par mon père en décidant de surmonter les rumeurs qui pesaient sur sa personne, c’est uniquement parce que je suis sa fille, et que la famille, c’est sacré. S’il avait été un parfait inconnu, je n’aurais probablement pas prêté autant d’attention à ses thèses. Et peut-être que je n’aurais jamais découvert la vérité. Le temps que je trouve autre chose à répondre, l’Archimage a commencé son discours, et je ne l’écoute que d’une vague oreille, observant mon père d’un air inquiet, mon cœur se serrant douloureusement dans ma poitrine. Je sais qu’il ne restera pas longtemps, que ce soit dans cette salle, ou dans cette vie. J’aimerais me tromper, mais je sais que j’ai raison. Je le vois à son visage, parfois, à ses paroles, de plus en plus souvent, et à la façon dont il traite autrui, comme une foule perdue dans les mensonges et non comme des êtres qu’il peut éclairer.

Mon père est un héros. Un héros qui accepte d’être considéré comme fou par toute une communauté académique alors même qu’il prône la vérité. Un héros qui, pour attirer l’attention sur cette vérité, s’est exprimé haut et fort par des exemples frappant l’imagination. Un héros qui s’est confronté aux doutes et aux résistances d’autrui avec un courage jamais brisé. Un héros qui mourra sans savoir si ses actions auront jamais porté leur fruit. Un héros qui a consacré sa vie entière à un but qu’il n’atteindra peut-être jamais. À moins, bien entendu, que quelqu’un n’accepte de reprendre le flambeau. Quelqu’un qui croira en ses idées et qui aura le courage et la volonté d’y consacrer sa vie, face au mépris d’autrui et au temps assassin.

Malheureusement, je ne crois pas qu’il existe une telle personne. Mon père aura vécu pour rien, et quoique connu de son vivant comme un homme qui aurait sombré dans la folie, il mourra sans que personne – je ne compte pas vraiment, étant celle qu’il a élevée – n’ait cru en lui. On dirait presqu’une malédiction divine. Je lui lance un regard attristé. Même s’il sait désormais qu’il n’aura plus le temps de convaincre personne, il continue à sourire, mon père, et il est présent à ce Jour des Anciens, pour affronter ses adversaires et ses délateurs avec un courage que je n’aurais jamais.

N’est-ce pas là toutes les caractéristiques d’un héros ?

*Citation de Coluche



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contes et légendes d'arven

Libération de la Chasse Sauvage

Livre V • La Chasse Sauvage







Arthur de la Volière,
savant horloger



♦️

27 novembre 1002


Son cœur bat à tout rompre alors qu'il essaie de reprendre son souffle. Ses doigts raclent le mur derrière lequel il s'est réfugié sans même qu'il en ait vraiment conscience. Ce n'est que lorsque la douleur se met à pulser dans sa main qu'il réalise qu'il est en train de s'arracher les ongles à force de les gratter nerveusement contre la pierre. Il a les doigts en sang et ça ne s'arrange pas quand il porte sa main à sa bouche pour la mordre au lieu de hurler, de pleurer ou encore d'appeler au secours.

Parce qu'il sent sa présence, pas loin. Il n'arrive toujours pas à vraiment comprendre ce qui s'est passé. Il était sorti avec la jolie Rose, pour pouvoir passer un moment avec elle loin du tumulte de la fête. Après tout, c'était pour ça qu'il était venu. Pour la revoir après toutes ces années. Il ne l'avait jamais oubliée. Son rire qui retentissait à chaque fois qu'il se faisait malicieux, son regard amoureux quand ils n'étaient que tous les deux. Le Destin les avait séparés mais ce soir, il avait enfin eu une nouvelle chance. Et il n'avait pas eu l'intention de la laisser passer. Alors, quand il lui avait pris la main, il avait été heureux de voir qu'elle l'avait suivi sans se faire prier. Il avait répété son discours à maintes reprises dans son esprit, cherchant les meilleurs mots pour lui déclarer sa flamme et lui dire de venir vivre avec lui en Lagrance quand il repartirait. Ils pourraient se marier, être enfin heureux et travailler tous les deux dans son petit commerce d'horloger. Il pourrait se faire pardonner de ne pas avoir eu le courage d'affronter sa famille il y a maintenant cinq ans de cela, quand ils sortaient à peine de l'Académie. Voilà tout ce qu'il voulait lui dire, sans bien arriver à trouver les mots qui la toucheraient vraiment.

Mais le silence agréable des jardins avait été brusquement interrompu par un grognement alors qu'il venait de lui tendre une fleur portant son nom, commençant son petit monologue au vu de la séduire pour de bon cette fois. La peur l'avait saisi au ventre, lui avait noué les entrailles alors que la silhouette du molosse était sortie de l'ombre. Il n'avait jamais vu de bête comme celle-là et, pendant un instant, il était resté sans bouger, la peur le figeant sur place. Avant que le cri de terreur de Rose ne le fasse réagir. Alors, il avait fait la seule chose qu'il pouvait faire. Tout faire pour la protéger. Arthur n'était pourtant pas quelqu'un de courageux, loin de là. Il avait toujours trouvé le moyen d'éviter le danger, sous quelque forme que ce soit. Mais personne ne toucherait à sa Rose. Jamais. Alors, il lui avait soufflé, dans un murmure déchirant. "Cours. Retourne à l'intérieur. Je t'en supplie. Je vais le… distraire." Elle avait refusé mais le molosse s'était précipité dans leur direction en grondant, cherchant sans nul doute à les attaquer. Il l'avait donc poussée loin de lui, se prenant de plein fouet l'impact de la bête. Qui par chance, avait été elle aussi sonnée par l'attaque, Arthur ayant tout de même une carrure des plus impressionnantes, malgré un embonpoint certain. Il avait alors pu voir Rose se précipiter en direction du bâtiment, le visage ravagé par les larmes, mais il n'avait pas eu le temps de s'en soucier plus longtemps alors qu'il se relevait tant bien que mal, se faufilant entre les haies pour échapper au monstre.

Et maintenant ? Il ne sait plus quoi faire. Il court depuis combien de temps ? Une minute ? Une heure ? Il est incapable de s'en rappeler. Mais il sait qu'il ne tiendra pas longtemps comme ça. Ce monstre doit avoir bien plus d'endurance que lui qui n'a jamais été vraiment athlétique. D'autant qu'il est là, juste derrière ce mur. Et qu'il a peur comme jamais il n'a eu peur dans sa vie. Il tremble de plus en plus, implorant tous les Dieux qu'il n'a jamais vraiment priés pour le sortir de là. Il baisse les yeux alors qu'il entend le bruit d'une griffe qui racle le sol. La patte du molosse dépasse du mur. Elle est presque aussi grosse que son propre visage et ces griffes dépassent tout ce qu'il aurait jamais imaginé. Arthur déglutit, réalisant qu'il n'aura jamais pu dire à Rose qu'il l'aime avant de mourir. Parce que c'est ce qui va arriver, à n'en pas douter. Il espère juste qu'elle aura pu retourner à l'intérieur. Qu'elle est en sécurité. En réalité, il s'y raccroche comme un naufragé à un bout de bois qu'il aurait trouvé. Cela ne l'empêchera pas de sombrer mais, au moins il aura pu entrevoir une lueur d'espoir avant la fin. Il entend alors le monstre renifler et, alors qu'il ferme les yeux, se demandant si cela va durer longtemps ou pas, il le voit brusquement partir en trombe en face d'eux. Arthur se fige, laissant échapper un rire incrédule. Il va s'en sortir ? Vraiment ? Les Dieux auraient-ils eu pitié de lui ?

Mais il s'arrête brusquement alors qu'il reconnait la voix de Rose en train de hurler son nom. Puis de hurler tout court. Impossible de ne pas comprendre ce qui vient de se passer. Il laisse filer un sanglot avant de se précipiter dans sa direction. Sa Rose, l'unique amour de sa vie. Et il la voit, au sol, la main qui serrait la sienne quelques instants plus tôt agitée de soubresauts alors que le molosse se tient juste au-dessus d'elle, plantant ses crocs dans son ventre. Et Arthur peut voir les pétales de la fleur éparpillés à quelques centimètres à peine de ses doigts. C'est peut-être ça, plus que le reste, qui le sort de cette espèce de torpeur alors qu'il hurle, en direction du monstre. "LÂCHE-LA ! NE LA TOUCHE PAS ! PAS ELLE !" Et il fonce sans réfléchir dans sa direction. Il pourrait jurer qu'il a vu Rose lui sourire à travers ses larmes et murmurer qu'elle l'aime. Il a envie de le croire alors que le choc est d'une rare violence et qu'il s'écroule au sol, sentant le poids des pattes du molosse sur son torse. Il n'arrive déjà plus à respirer et ne se rend même pas compte qu'ils sont déjà plusieurs autour d'eux. Il aimerait dire à Rose qu'il l'a toujours aimée, malgré tout, mais c'est déjà trop tard. Parce que c'est son sang à lui qui se répand maintenant dans les jardins de l'Académie.

Pourtant, il arrive à tendre la main et à effleurer les doigts de Rose. Au moins une dernière fois. Avant que tout ne devienne noir pour de bon.



Juanita de l'Orchidée



♦️

Professeur à l'Académie surnommée 'la Bavarde' par nombre d'élèves.
22 juin 941 – 27 novembre 1002



- Moi, mes chères, de mon jeune temps, on ne s'affichait pas ainsi en public. Mais donc, de quoi parlions nous déjà ? Elle avait le don de partir sur bien des fronts, Juanita de l'Orchidée que l'on appelait parmi les élèves 'la Bavarde', quand il était question de discussion. Elle ne se rappelait d'ailleurs que très peu comment elle s'était retrouvé assise à discuter aux côtés de Rhapsodie Épi-d'Or et d'une autre rouquine. Ni même sur quoi avait porté la première question qu'elle avait entendu de la journée. Sûrement des banalités de type 'Professeur comment vous portez-vous ?' ou encore 'Quel est votre ressenti au sujet de la guerre en cours ?' Rien de bien passionnant d'après elle, paroles dont ses voisines la dispensaient. Si seulement on pouvait lui parler des merveilles de la magie, de celle de l'été, de sa première apparition dans sa vie, mais non rien de cela. Il fallait croire que ses enseignements comme son expérience passaient bien au dessus de certains, si pas de la plupart des personnes présentes aujourd'hui. Soit ! Pour en revenir à ce cher Octave, s'il y mettait un poil plus du sien, il irait loin. Cela me chagrine, oh oui beaucoup, il me plait bien ce petit, vraiment, je vous assure. C'était le seul qui paraissait écouter et supporter à la fois son cours et sa voix ces derniers temps. Le pauvre Octave passa à la trappe quand ses mirettes se posèrent sur un jeune homme.

- Oh ! Mesdemoiselles avez-vous vu ce charmant jeune homme ! Là, à droite, le second en partant du buffet, à côté de cette espèce d'ours belliférien. Ne vous fait-il pas battre le cœur ? J'ai été son professeur, je pourrais vous le présenter. Si seulement c'était vrai ! Elle n'avait pas souvenir d'un si charmant visage participant à son cours, il tendait plus à chevaucher les cieux qu'à dompter la magie à ses côtés.

Ah, Chevaucheur, ravis moi le cœur ! Tout mais pas ça. lui répondit en écho Sucre, sa vachette.

C'est qu'elle sentait ses joues fondre, à moins que ce ne fut l'alcool entre ses mains vieillies qui lui montait à la tête et lui procurait des palpitations au cœur. Ah, si seulement j'étais plus jeune, je... Elle gloussa avant de s'irriter en voyant une personne se planter devant son champ de mire. Mais non ! Pourquoi le Professeur Sombreterne, je l'appelle ainsi entre vous et moi pour son teint blafard,, confia t-elle du coin des lèvres, à la limite de faire de la ventriloquie, à ses jolies voisines avant de reprendre, se dresse t-il devant nous ? Nous. C'est qu'elle avait presque oublié qu'il s'agissait d'une conversation à plusieurs. C'était une bonne chose que la compagnie soit muette ou trop polie pour intervenir, elle qui aimait si bien parler pour deux voire pour trois.

- Ah miséricorde, le voici ! fit-elle horrifiée en le voyant presser le pas jusqu'à elle. Elle ne l'avait jamais apprécié, cet hurluberlu des chiffres. Lui par contre, adorait lui tenir compagnie depuis ce qui lui semblait être une éternité. Il fallait, ceci dit, faire bonne figure, ne serait-ce qu'un peu, et endurer ses monologues amplis de passion pour la comptabilité et les bouliers. Juste un peu. Elle soupira en elle-même en l'accueillant d'un sourire. Elle soupira plus encore quand il s'installa à ses côtés sans y avoir été invité. N'y avait-il pas une rousse à sa droite plus tôt ? Partie. Comme la muette de gauche. Tu vas souffrir Juan' !'Bonté divine, Javaï, donnez moi la force de supporter son charabia.' supplia-t-elle dans un murmure à peine audible en fermant les yeux.

Bien vite victime à son tour d'un monologue pompeux tout droit sorti de la bouche d'un physique tout aussi pompeux, Juanita s'excusa, feignant ne point se sentir bien et de devoir prendre congé. Il insista un peu, mais la laissa quitter ses filets cielsombrois. Merci Bramir, le silence lui manquait. Elle ne connaissait que trop bien le contenu de ses récits dont il lui faisait part, ou plutôt ses plaintes. Des élèves lançant des bouliers par les fenêtres, à ceux trop lent pour saisir la beauté des nombres et des affaires – comme si elle la saisissait, elle ! Elle commençait à étouffer et à avoir bien chaud, la Bavarde, aussi se rendit-elle dans les jardins pour souffler un peu.

***

S'installant sur le premier banc en vue, elle ne mit pas longtemps à s'assoupir un peu tout en restant assise. Quelle ne fut pas sa surprise, agréable, de voir une personne lui tenir compagnie et s'enquérir de son état à peine les yeux ouverts. Qu'il était adorable - mise à part la souris qui lui servait probablement de Familier. Et élève ! Quelle chance avait la collègue en charge de ce dernier ! Si seulement il y en avait de ce genre dans sa classe. Mais rapidement le plaisir des yeux prit fin. Il semblait alerté et Juanita elle-même sentit que quelque chose ne tournait pas rond. Il y avait eu une sorte de secousse. Plusieurs même.

Que se passe-t-il ? Je l'ignore Sucre. Les animaux autour s’affolent, je sens le danger également, de ton côté. Mais nous sommes à L'Académie, à Lorgol, il n'y a rien de plus sûr que – un cri suivi de plusieurs interrompit l'échange. Son cœur fit un bond, mais Juanita resta droite, elle était professeur, adulte respecté, comment pouvait-elle seulement paniquer devant un élève !

- Nous ne devrions pas rester ici, professeur. L'Académie est attaquée... un dragon ! se mit à raconter de manière décousue le jeune.
- Comment ?! Et il y avait bien un dragon entrain d'éventrer l'architecture grandiose de l'école. Le sang aux joues, par la boisson, la surprise et la colère qu'on ait pu abîmer le lieu de sa fidélité, la mage se leva prête à rentrer pour en découdre d'une manière ou d'une autre avec les agitateurs. Comment pouvait-on oser semer le chaos lors du jour des Anciens, c'était tout simplement scandaleux. Venez mon enfant ! ordonna-t-elle en entamant le chemin de retour vers le lieu d'instruction avant de s’arrêter net et de barrer la route de l’élève. Juanita ?! Une bête horrible ! Fuis ! Non, je suis avec un élève, je ne peux pas fuir ainsi. Fuis quand même, pour nous. Je dois faire mon devoir. Ton devoir est d'instruire, pas de mourir !
- Fuyez ! hurla-elle au garçon qui n'eut pas besoin qu'on le lui répète deux fois. Ah ! que n'aurait-elle donné pour déclencher sa plus forte magie sans devoir prendre un moment à se concentrer. Qu'elle était cette bête ? un loup ? Un chien démoniaque ? À qui appartenait ce sang dégoulinant de sa gueule qui la faisait frissonner et la répugnait ?! Elle bougea doucement sur le côté, restant sur ses gardes, avant d'émettre un hoquet et de pousser un petit cri en découvrant dans le tracé de l'animal le corps sans vie d'un enfant, déchiqueté de toute part.

- Abomination ! hurla t-elle, la bête se lançant sur elle. Fuis par pitié ! Il est trop tard, Sucre ! Trop tard ! Non, il n'est jamais trop tard ! Elle tremblait, mais ne pouvait se détourner, pas alors qu'un enfant était mort et que des élèves se trouvaient encore en danger. Dans sa malchance, elle fut sauvée par l'intervention d'une autre magie que la sienne, d'un autre mage qu'elle vit s'enfuir en courant, mais qui lui laissa suffisamment de temps pour faire appel à un élémentaire de feu. Elle se défendit ainsi Juanita, couvrant par la même occasion la fuite des élèves qui couraient devant cette scène, mais rien n'y fit, rien du tout. L’élémentaire ne dura pas  et l'horreur la saisit d'un coup de mâchoire claquante à la gorge. Juan' ! sonna dans sa tête le cri de désespoir de son Familier avant de s'évanouir tout comme sa conscience. Comme un animal qui porte le coup fatal directement, Juanita assista impuissante à sa propre mort. Saisie, vieillie, elle ne parvint même pas à esquisser un geste pour se défaire de l'emprise barbare qui lui coupait le souffle. Le son effroyable de sa chair déchirée lui assomma les oreilles et ses yeux roulèrent rapidement dans leur orbite. Son agonie, sa mort, qui lui avait paru durer un temps effroyablement long, dura à peine trois secondes avant que, d'un dernier battement de cil, sa vie ne quitte son corps.

L'abomination poursuivit son acharnement, ses attaques et dégusta salement son repas, n'épargnant aucun bout de son visage, déchiquetant le moindre trait d'identité du professeur dans une mélodie d'os cassés, mâchés, brouillés, de chairs arrachées et de sang écoulé. Repue, la bête n'avait pourtant pas fini son carnage, loin de là. Elle délaissa ce qui restait de la pauvre Bavarde pour poursuivre son massacre ailleurs. Là, des cris et l'odeur de la chair fraîche l'attendaient.


« Fuyez pauvres fous, car la Chasse Sauvage est longue et pleine de souffrance. »



L'Ortie d'Adonis



♦️

Quand récit, poème et souvenirs s'entremêlent.



S'il te plaît, pardonne moi, me demanda-t-il
Tu ne serais pas là aujourd'hui, sauve et tranquille
À me rouspéter d'avoir fait ce choix
Si l'épidémie avait eu raison de toi.

Je lui répondis : « M'as-tu seulement demandé mon avis ?
Tu m'as volé mon avenir, pas cette épidémie,
Ce que j'en pense, ce que je ressens,
Tout cela t'est donc bien indifférent ?

Tu me dis l'avoir fait pour moi, pour ma famille, pour eux,
Mais depuis près de deux mois nous ne sommes plus que deux,
Dans cette Académie où nous étions quatre autrefois ;
Toi, notre ami Timothée, Tournesol et moi.

En me faisant boire cela, contre mon gré,
Tu ne t'es pas contenté de me blesser, tu as tué.
Tournesol, t'en rappelles-tu, mon Familier, mon âme sœur ?
Depuis qu'il n'est plus là, j'ai l'impression qu'on m'a brisé le cœur.

C'est de ta faute ce qui se passe,
Si je me sens aussi vide qu'une carcasse.
C'est de ta faute ce qui m'arrive
Et si depuis septembre tout m'est insipide.

Je te déteste, Ô, comme je te hais !
Tu parles d'un frère, tu n'es qu'une plaie !
Va t'en donc trouver ton Familier, ton âme sœur,
Et ne te gêne surtout pas de devenir Chevaucheur.

Tu m'as volé ma vie, pourquoi pas aussi mon rêve.
Mène la tienne et vois comme j'en crève.
Je meurs de chagrin, je meurs de tout.
Tout, je dis bien tout, est fini entre nous.

C'est ça tourne le dos, retourne donc à l'Académie !
Laisse moi broyer du noir dans ces jardins, démunie.
Je n'ai pas besoin de toi, de tes excuses, de ta compassion,
Car ce que tu m'as infligé est synonyme de trahison ! »

J'ai l'air bien fragile et tremblante à présent,
Alors que je fais face à ce molosse imposant.
Il m'observe, prédateur, il me sonde,
Et l'odeur de la peur soudain m’inonde.

Je repense à ce que j'ai dis et j'en ai honte,
J'ai l'impression que je vis mes dernières secondes.
Là seule chose qui me frappe en ce moment et me réjouit,
C'est de t'imaginer loin de moi et donc à l’abri.

Il est affreux ce molosse, il est horrible
Et à repenser à plus tôt je me sens bien stupide.
Si j'avais su bien avant qu'il s'élancerait sur moi,
Je t'aurais remercié au moins mille fois.

Je regrette tellement mes mots si tu savais,
Si seulement c'était possible je les effacerais,
Mais il est trop tard, je le sens, je le sais.
La mort s'approche de ses dents ensanglantées.

J'ai bien tenté de me défendre, de fuir,
Je ne pensais, à la fin, plus qu'à survivre.
Tout comme ma magie s'en est allée et mon Familier aussi,
Je m'en vais les rejoindre, mon frère.

Ta sœur qui t'aime, Ortie.




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