Singularité qui attise l'attention

Circulant parmi les canaux de la Ville Basse, l'envie de revoir les rues de celle-ci m'avait pris d'un coup mais surtout la promesse de quelques boissons. J'étais venue à la Ville Haute pour des vacances.  Etant sur Lorgol pour une semaine, je me suis dis qu'une petite promenade me ferait du bien. Un voile orange écarlate sur les épaules, une bourse à la ceinture à l'opposée de mon épée et j'étais partie sur les parapets de pierre.

Saphir n'est pas loin. Danger. Imprudence. Avant de partir, il m'avait clairement fait comprendre que je ne devrais pas y aller. Je l'avais caressé pour le rassurer, avant de partir. Je reviens très vite. Promis. Je veux juste boire un bon verre. Puis, je suis arrivée ici. Prendre un verre dans la Ville Basse plutôt que la Ville Haute mais c'était ennuyant. Je regarde les gens passer devant et à côté de moi. Je resserre ma main autour de ma garde.

Imaginez le contraste, une femme  portant une robe en taffetas ocre au décolleté plongeant avec une épée fine à la taille. Un vent fit voler le voile et des mèches blondes apparaissent. Je continue de marcher alors que la pression sur mon esprit de Saphir se fait plus forte. Mauvais. Tu as peur ? Ne t'inquiétes pas. Je viens d'arriver à la Taverne

Je m'étais arrêtée devant une devanture. J'entre donc dans la Taverne de la Rose. M'installant à une table libre, propre et assez éclairée, je commande une boisson forte. Alors que je fais le tour de la pièce des yeux, je sens un regard sur moi. Reportant le mien sur celui qui m'observe, je fus coupée par l'arrivée de ma boisson, verre et bouteille. A Mirta ! Buvant d'une traite le premier verre, je me ressers. Un mouvement me signale une présence à ma table. Je pose alors mon regard sur une fillette.

Lou-Ann comme tous les jours depuis des années traînait ses guêtres entre les tables de la taverne de la Rose. Divaguant, elle profitait de chaque instant qui lui était donné pour se noyer dans le flot de pirates. Mais ils étaient peu en ce moment la faute au plein été. L'Audacia n'était point à quai, ils étaient tous à bord des vivenefs naviguant tranquillement.

Mais en tout cas une chose était sûre, à l'issue du prochain hivernage, Lou-Ann embarquerait. Déterminée, elle pourrait sembler trop jeune pour  la plupart des autres pirates qui avaient une expérience forte de plusieurs années. Mais après tout elle était la fille du capitaine non ? La vie n'allait pas être très agréable, ses parents l'avaient prévenue, astiquer le pont, nettoyer... mais on n'avait rien sans rien. Et si au milieu de ses devoirs, elle pouvait quémander quelques enseignements, cela pourrait être fort utile.

Lou-Ann s'ennuyait vraiment aujourd'hui, une chance la journée touchait à sa fin... un jour de plus mais un jour de moins avant son rêve ; elle allait pour sortir de la taverne quand une jeune femme pénétra. Ce n'était point une tête connue celle-là ? En plus elle avait l'air d'être un peu prise dans ses pensées. Ses habits trahissaient qu'elle ne devait guère appartenir à la piraterie et qu'est ce qu'elle voyait à sa taille ? Une lame ? Lou-Ann regarda rapidement autour d'elle, la taverne était quasiment déserte hormis un ou deux habitués. C'est pourquoi Lou-Ann s'assit un peu plus loin observant l'inconnue.

Mais que donc faisait-elle ? Attendant sa commande elle la  vit trinquer à Mirta ; ça n'était point le dieu du coin celui-là.  Un sourire aux lèvres elle entreprit, jeune fille curieuse et avide de connaissance elle se posa devant l'inconnue et rigolant lui dit « par ici on trinque à Messaïon M'dame ; v'nêtes pas d'ci j'me trompe pas non ? ».

Elle était courageuse et l'inconnue ne lui faisait pas peur, au contraire, elle s'assit face à elle avide de savoir ce que cette inconnue faisait dans le coin...

Alors que je trinquais à Mirta, la petite fille sans gène prend la parole en rigolant. Je lève un sourcil pour indiquer ma curiosité face à sa question.

Et bien, à mon troisième verre, je trinquerais pour lui ; le deuxième étant pour Valda. Messaïon, c'est bien cela ? Que gouverne-t-il ?

Oui, je n'allais certainement pas oublier le dieu des étoiles. Celui sous lequel je vole avec mon partenaire, Saphir. Celui qui nous accorde sa bénédiction. Je regarde, plus attentivement, l'enfant. Elle ne semblait pas inconnue de ce genre d'endroits vu son aisance à aborder les inconnus. Que fait-elle dans un lieu pareil ?

Je ne suis pas d'ici en effet. Je suis venue prendre quelques verres avant de repartir vers ma contrée. Comme ça fait une semaine que je me promène à Lorgol, je me suis dis qu'il fallait que je revienne goûter aux excellentes bouteilles de cette taverne. Et toi, que fais-tu dans ce lieu ?

Je fais tourner le liquide ambré dans mon verre que je n'avais pas encore touché. Je le lève en disant « A Valda ! » Avant de tremper mes lèvres dedans.

Mais c'est qu'elle commençait sérieusement à l'intriguer cette femme ; nullement, troublée par sa présence voilà qu'elle enchaînait mentionnant encore d'autres dieux ; certes, elle connaissait Valda, la déesse des cieux et des astres. Après tout que serait la piraterie sans ses astres de lumière guidant leur chemin de leurs rayons ?

Mais quelle ne fut pas la surprise de Lou-Ann quand elle se rendit compte que Messaïon ne  disait rien à cette inconnue qui semblait  encline à enchaîner les verres... Cela sonnait comme une évidence, elle n'était non seulement pas du coin mais encore moins pirate. Quel pirate pourrait se targuer de ne pas connaître Messaïon ? Du haut de sa jeunesse, elle n'en avait du moins pas rencontré jusqu'à aujourd'hui.

Ses doutes furent confirmés par les affirmations qui suivirent. Bien, au moins, elle était franche et reconnaissait qu'elle était simplement de passage. Mais quelle personne avait-elle donc face à elle ? Elle devrait utiliser d'autres questions pour connaître son interlocutrice qui accessoirement ne se gêna point à son tour de la questionner.

Lou-Ann se mit à rire avant de s'asseoir, retournant une chaise, les barreaux se trouvant devant elle, l'ainée des Jedidiah déposa son menton sur le haut de celle-ci et entreprit de lui révéler son identité « moi c'que j'fais là ? J'habite là ma brave dame ! La taverne de la rose c'est comme ma s'conde maison avant de monter sur l'Audacia dans un an... ouais mon père c'est le captain de l'Audacia et ma m'man sa s'conde »... elle était fière la jeune fille de se présenter de manière aussi abrupte.

La taverne c'était sa maison là où elle grandissait depuis des années ; attendant le jour où elle poserait ses pieds sur le pont de l'Audacia, embrassant l'avenir de la piraterie à bras le corps. Elle n'eut point le temps de réfléchir un instant supplémentaire  à ce qu'elle allait dire ou faire par la suite puisque pour la seconde fois ; celle qui désormais lui faisait face venait de vider un nouveau verre.

Fronçant les sourcils « en t'tout cas même si vous n'êtes plus du coin on d'rait bien q'vous descendez les verres aussi rapidement qu'un pirate le ferait ; vous avez ça dans le sang m'dame ? Vous v'nez souvent par là ?».

Après tout ne lui avait-elle pas dit quelques minutes auparavant qu'elle revenait goutter aux bonnes bouteilles de cette taverne c'est qu'elle la connaissait forcément non ? Bref elle verrait bien les réponses de celle qu'elle commençait à regarder d'un air méfiant...

Je regarde la petite se présenter, ou du moins, présenter sa famille. Donc sa famille contrôlait l'Audacia, un célèbre bateau pirate. Résultat, j'avais une future petite pirate devant moi. Intéressant.

J'attends un peu puis je vide une petite rasade de mon verre. Je vois la jeune enfant, froncer les sourcils, avant de poser d'autres questions.  Je rigole à sa supposition.

Je pourrais rivaliser avec un pirate sur la boisson ? Peut-être bien. Mais je ne le souhaite pas. Boire de temps à autre est bien mais pour mon travail, je préfère rester sobre. Toutefois, bien des gens de mon duché pourraient s'amuser à un concours de boissons face aux pirates.

Il y a quelques années, j'empruntais le chemin jusqu'à cette taverne pour décompresser un peu lorsque j'étais élève à l'Académie. Puis, je suis retournée à mon duché et je suis venue ici en vacances, donc j'en profite un peu.

Et toi, alors jeune fille ? On veut devenir marin dans un an ? Prête à travailler dur ?

Je préfère ne pas préciser pirate pour voir si elle va me reprendre ou non ? Après tout, j'aime quand les choses sont confirmées avant d'agir en conséquence.

Mais c’est que la jeune femme ne s’en laisse point compter en terme de boissons ; après tout comment une enfant, certes qui aspire à devenir pirate pourrait tenir tête à cette femme qui lui fait face. Et quelle est-elle surtout ? Car certes, elle lui a demandé qui elle était mais en avait-elle fait de même pour sa part ?

Lou-Ann fronça les sourcils devant autant d’impolitesse, qu’une enfant certes mais son caractère bien trempé lui permettait de rétorquer la phrase qu’elle lui préparait surtout quand elle compara sa future activité de pirate à un vulgaire marin.

Sifflant entre ses dents elle lui dit « marin ? j’dirais plutôt p’rate même si j’vais pas chercher les ennuis ; m’man et p’pa m’ont déjà prévenu, je m’plierai au d’voir de mousse, à nettoyer l’pont, mais j’compte bien profiter d’ces instants à bord pour ‘prendre un ch’peu plus ».

Puis continuant sur sa lancée « z’êtes bien curieuse ; z’allez pas nous chercher des noises non ? » puis le regard fixant elle poursuivit « z’êtes qui vous ? une noble ? ».

Bon elle avait évoqué la boisson et sa présence dans le duché étant jeune mais elle avait un travail trop d’informations pour le cerveau de la future pirate aussi réitéra-t-elle sa question « noble qu’travaille mais c’quoi votre travail ? » ; l’ainée des Jedidiah voulait s’assurer qu’elle ne risquait rien en compagnie de l’adulte… un pas en arrière lui assurait une fuite certaine si l’autre tentait un geste dans sa direction. Certes elle prétendait connaître les rues de Lorgol mais, de mémoire de Lou, peu de personnes parvenaient à la suivre dans les rues de Lorgol…

Les sourcils de la jeune fille se froncent devant ce qui semble être une insulte. Avant de répliquer, les dents serrées, le visage fermé qu'elle serait pirate et non marin.

Oh, donc vous aspirez à un grand avenir ? Reprendre les rennes ? Devenir capitaine ?

Je laisse ma curiosité prendre le dessus. Petit défaut qui peut s'avérer très utile dans certaines situations. Heureusement, ici, ce n'était que pour entretenir la conversation. C'est bien mieux de boire accompagnée que seule. Je passe plus de temps à parler que boire ainsi.

Je ne viens pas aux problèmes, gamine. La curiosité est ce qui entretient la conversation non ? Sinon, je pourrais te retourner la question. N'est-ce pas celle-ci qui t'a conduit droit vers moi ?

Je fais silence alors que je reprenais une petite rasade pour humidifier mon gosier. Quand la série de questions reprend.

Tiens donc, n'est-ce pas là de la curiosité ?

La réponse vient naturellement avec un haussement de sourcil.

Je ne suis pas une noble, je suis une enfant du peuple. Grand bien m'en fasse. Pas envie de mes coltiner leurs obligations.

Puis franchement un noble dans une taverne de la Ville Basse ? J'aurais tout entendu !

Que Mirta me garde dans ses jupons, j'en ai déjà bien assez à faire. Je travaille dans la stratégie.

Je n'allais pas lui dire que j'étais Voltigeuse de quoi en avoir pour ma peau ici. Je la vois reculer d'un pas. Un deuxième haussement de sourcil avant de sourire narquoisement, aurait-elle peur ? Proie. Chasse. Excitation. Non, Saphir. On ira après si tu veux.

Peureuse pour une future pirate ?

Lou-Ann avait beau être en territoire connu, chez elle, elle avait beau être courageuse et maîtresse de ses sensations, elle n'en restait pas moins prudente envers les inconnues surtout quand ceux-ci commençaient à la tanner de questions. Mais le sang de pirate coulait dans ses veines, elle devait se ressaisir ; certes c'était une adulte mais elle n'avait rien à craindre d'elle non ? Si l'autre avait voulu tenter quelconque escarmouche à son égard elle l'aurait déjà faite. Pour l'heure elle semblait plus affairée à vider son verre qu'à chercher des noises à la jeune fille qu'est Lou-Ann.

Voilà qu'elle lui parlait de son avenir, de devenir capitaine ; Lou la regarde souriante. Son ego est flatté. Peut-être oui mais bien plus tard ; pour cela elle devait travailler on l'a prévenu et ce depuis des années ce n'est point parce qu'elle est la fille du capitaine que cela sera plus facile que pour les autres. Au contraire, elle comptait bien travailler encore et toujours sans vergogne pour mériter sa place sur l'Audacia c'est pourquoi elle lui répondit « bien plus tard m'dame 'vant ça faut que j'me forme ; j'me vois ptet avec un sabre à la main dans des années, j'compte bien apprendre à l'manier assez vite, plus vite j'apprends mieux c'est ; je sais j'suis impatiente un peu m'dame ».

L'étrangère la rassure cherchant simplement à expliquer que c'est la curiosité qui la pousse à la questionner ; Lou hilare la regarde et lui dit « dans l'même temps oui j'suis pareille et si z'aviez été dang'reuse j'pense pas que j'vous aurais approchée toute manière non ? J'suis pas née de la dernière pluie v'savez! ».

Lou-Ann se rapproche imperceptiblement de la table tout en gardant cette distance salvatrice à une échappatoire pour le cas où son instinct lui aurait joué des tours. D'ailleurs, la jeune femme n'a pas son pareil pour remarquer cette attitude en retrait et lui fait remarquer de son ton aguicheur « non m'dame nullement, jvous observe c'tout ».

Mais ce qui agaçait prodigieusement Lou-Ann en cet instant précis c'est l'identité de celle qui lui faisait face, toujours aucun nom ni aucun métier. Certes elle n'était point noble mais hormis cette information qui n'en était pas vraiment une, elle ne connaissait rien de cette étrangère.

Lui faisant face et se penchant sur la table Lou la regarda fixement « mais vous m'dame m'avez toujours pas répondu faites quoi dans la vie ? ». L'étrangère n'allait pas s'en sortir comme ça ; certes la curiosité est un vilain défaut mais des fois il contribue à identifier la personne qui vous fait face... et à l'heure actuelle Lou voulait savoir si elle pouvait réellement faire confiance à cette femme...