Il n’a a ni ciel, ni terre, à l’extérieur, tant Aldor siffle et souffle de tous ses flocons, son froid se mêlant au souffle des dieux qui font tomber sur Euphoria une monumentale tempête. Cette année, pas de célébration à l’Académie, ni de fête. Oh, il y en a bien une qui bat son plein, dans l’une des salles de bal de ton palais, mais tu as faussé compagnie à tes invités il y a déjà une heure, afin de t’isoler dans ton bureau. Dans le noir total de la pièce, tu observes avec un ravissement pensif le jouet automate que t’a donné la princesse Alméïde. Les lucioles dansent devant tes yeux et lorsque tu les fermes, tu les revois doucement éclairer le visage de la femme que tu aimes. Tes doigts manipulent doucement le médaillon à ton cou, perpétuellement caché sous ta chemise désormais, en attente d’une parole, d’une pensée.
Quelques coups discrets à la porte de ton bureau te font sortir de ta contemplation. « Entrez. » Discrètement, la porte s’ouvre sur un des législateurs du palais, qui reste ébahi devant les lueurs. Quelques secondes, même, avant qu’il se souvienne apparemment le but de sa visite et referme la porte derrière lui, entrant tout à fait dans ton bureau. Sa noirceur ne le préoccupe pas plus que toi. « Votre Grâce », salue Aurélien Finrenard, dans un profonde révérence. Tu repères bien son regard loucher sur l’étrange mécanisme, curieux, mais il ne te pose aucune question à ce sujet. « Nous sommes en processus d’approbation des dernières conventions de l’année, avant que celle-ci se termine, et nous… nous… nous avons trouvé ce, cet édit. » Il te glisse un parchemin roulé, tremblant au bout de ses doigts, et lorsque tu le déroules pour y jeter un simple coup d’œil, tu sais déjà ce que celui-ci clame. Tu le lui rends sans même terminer de l’ouvrir. « Qu’y a-t-il ? Il est parfaitement conforme, cet édit, je l’ai rédigé moi-même. Oui, Votre Grâce, très bien rédigé, tout à fait conforme, mais… il n’a pas été raturé par aucun de vos conseillers, au contraire de vos édits habituels, et je voulais m’assurer que c’était désiré. Tu esquisses un sourire entendu. Tes conseillers te sont fidèles, mais tu connais bien les instructions laissées à tous les législateurs du palais, à savoir de vérifier et contrevérifier tout document déposé par ton auguste personne. Tu ne peux pas en vouloir à ce pauvre homme de faire son travail. Votre minutie est un véritable don, Aurélien, mais oui, c’était désiré. Notre législation n’a pas changé le temps d’une nuit, je crois bien, et tout document signé par le duc, même sans la cosignature de ses conseillers, est valide. Oui… oui, tout à fait, vous avez raison, tout… tout à fait valide. Sa voix faiblit un peu, jusqu’à devenir un chuintement d’hésitation. Bien. Dépêchez-vous d’aller l’approuver. L’année ne sera pas éternelle. »
Il attend tu ne sais quoi, mais c’est tout ce que tu as à dire. Tu le congédies sans plus attendre, d’un geste de la main, et tu remontes ensuite la boule de miroirs et de lumière afin d’encore voir les lucioles. Il devrait s’y attendre, pourtant : il a été de ceux présents lors de la signature d’autres papiers, secrets ceux-là, lors de la visite d’Alméïde au palais. Certes, il n’est pas autorisé à en parler, ni à divulguer quoi que ce soit, sous menace très sérieuse de mort, mais… il ne lui est pas interdit de réfléchir, à ce cher homme.
Pour cet édit, tu as fait demander qu’il soit clamé dans tout le duché et même sur tout le territoire ibéen, qu’une missive officielle soit envoyée à tes homologues, afin que tous puissent apprécier ton geste.
Dès cette nuit, au dernier jour de l’année et au premier de la nouvelle, Alméïde d’Erebor est faite princesse dans ton duché.