Etre dans le même bateau

Une seule date reste dans ma mémoire le 29 avril. Jour où j'étais enfermée avec mon ancien professeur dans la cale de l'Hermione. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Nos chances de survie ? Je ne peux le déterminer. Mais je ne compte pas les laisser faire, si c'est le cas. Bon d'accord, je ne suis pas une grande combattante, mais j'essaierais de parlementer.

Au bout de quelques temps, on fut transféré sur un autre bateau, la Marie-Sanglante. Nouvelle cellule, nouvelles têtes. Deux adolescentes, un homme aux allures de guerrier et une jeune femme d'à peu près mon âge, je pense. Et bien, en voilà, de drôles de prisonniers.

Quelques heures ou jours passent, toujours dans la cale de la Marie-Sanglante. Il n'y a rien à faire et j'en ai marre, j'ai besoin de m'exprimer un peu. Je me tourne vers mon professeur, par habitude, mais il dormait. Soupirant, je fais le tour de la cellule. Mon regard tombe sur le guerrier, qui comme moi, n'avait pas vraiment ouvert la bouche depuis qu'on était rassemblé.

Je me décale lentement vers lui, profitant du mouvement pour dégourdir quelques peu mes membres. La cellule n'étant pas vraiment grande, cela semble trop court à mon goût.

Enchantée, je me nomme Colombe Sylvest. Et vous ? Me permettez-vous de m'installer à vos côtés pour discuter ?

Sans attendre sa réponse, je me cale dans le coin sur sa gauche.

Puis-je me permettre d'être indiscrète en vous demandant d'où est-ce que vous venez ?

Par pitié, que ces balancements cessent ! Son estomac n'allait plus tenir bien longtemps. Il s'était dit qu'il finirait par s'habituer, mais il s'était lourdement trompé. Le cœur au bord des lèvres, le guerrier luttait pour garder son dernier repas bien a chaud en lui. Déjà que les pirates ne les nourrissaient pas beaucoup, il manquerait plus qu'il rejette tout pour souffrir encore plus de la faim. Il avait même fini par perdre la notion du temps. Incapable de déterminer si cela faisait plusieurs heures ou alors plusieurs jours qu'il avait atterri sur ce maudit bateau, il ne pouvait compter sur les passages de leurs geôliers pour s'assurer qu'ils n'avaient pas été oubliés.

Serenus n'avait guère ouvert la bouche depuis son arrivée, il s'était juste contenté d'observer du coin de l'œil ses compagnons d'infortune, avant de se plier en deux pour ne penser qu'à contrôler ses nausées. Lors d'une brève accalmie, son regard s'était posé sur son alliance, et il avait sombré dans la mélancolie en pensant à son épouse qui devait se faire un sang d'encre. C'était donc des temps bien moroses pour le guerrier, qui ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre, et lutter pour ne pas craquer.

Il était donc assis, dos contre le bois de la coque, le regard dans le vide, quand il sentit un mouvement sur sa gauche. Une de ses compagnes de cellule, une jeune fille blonde, s'était approchée de lui. Elle le salua, et se présenta comme étant Colombe Sylvest. Sans attendre de réponse de sa part, elle s'installa à ses côtés et lui demanda d'où il venait. Serenus la regarda un moment. Elle semblait avoir envie de parler, le silence devait peser sur elle et elle en avait visiblement plus qu'assez.
Le guerrier ouvrit la bouche et dit d'une voix rauque et pâteuse :

"- Serenus Dardalion. Je viens de la Volte."

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas parlé et il avait l'impression d'entendre la voix de quelqu'un d'autre plutôt que la sienne, mais, au moins, il pouvait encore le faire, il n'était pas devenu fou. Comme pour ne pas briser le lien qui venait de se tisser entre eux, il reprit :

"- Et vous ? Vous êtes d'où ?"

Je souris ravie que le guerrier réponde à mes questions. J'entends à sa voix qu'il avait du mal à prononcer ces mots mais c'est compréhensible vu le temps passé sans parler. Avant, était-il dans un autre bateau seul ou avec d'autres ?

   Enchantée, Serenus Dardalion. Je viens d'un village de Lagrance.

Je regarde plus attentivement Serenus. Je me concentre sur son physique, enfin plutôt sur les aspects non naturels de son physique. Par exemple, cette pâleur anormale ou cette transpiration excessive. Ce sont les symptômes récurrents des maux de mer.

Excusez-moi Monsieur Dardalion. Auriez-vous des nausées par hasard ? Je vois que vous êtes livide, ce qui vous donne un teint très pâle et vous avez des excès de transpiration. Ce sont des symptômes courants chez les personnes  ayant le mal de mer. Quand j'étais en Ansemer, au port, j'ai discuté avec les marins....

Pendant que je lui parle, je me mets à fouiller dans ma sacoche quelque chose. Ne trouvant pas, je me tais pour mieux regarder dans ma sacoche jusqu'à trouver ce que je cherchais. Sortant une racine  jaunâtre ou plutôt marron très clair, je la regarde contente de moi. Je l'avais récupérée avant ce kidnapping intempestif. Je reporte mon regard vers le guerrier et je lui souris. Je reprends mon dialogue en cassant un petit bout de cette racine.

Tenez, c'est du gingembre. En mâcher pourrait vous faire passer le mal. Après, je peux aussi vous aider avec ma magie comme je suis mage d'hiver, spécialisé dans la guérison. Mais pour cela, il faut que je vous touche vu que  je suis trop jeune pour le faire à distance. Pour le gingembre, ce sont les marins d'Ansemer qui m'en avaient parlé.

Je regarde Serenus dans les yeux et je rougis.

Peut-être que ceci ne vous intéresse pas ?

Mon regard tombe sur l'alliance à sa main.

Je vois que vous avez une famille. Elle doit vous manquer, loin d'elle. Vous voulez m'en parler ?

Serenus, même avec son mal de mer, n'aurait osé se montrer impoli, surtout avec une demoiselle. Il lui répondit donc, d'une voix pâteuse et fut satisfait de voir le sourire de Colombe. Elle était visiblement heureuse d'avoir enfin quelqu'un avec qui converser. Elle lui dit venir d'un village de Lagrance avant de se mettre à l'observer. Serenus la laissa faire, même s'il se demandait pourquoi il faisait l'objet d'une telle attention. Il n'avait pas bonne mine, et son apparence était tout sauf attirante. Sa barbe commençait à ressembler à un champs de broussaille, ses vêtements étaient sales et il avait l'air de flotter dedans avec le poids qu'il avait perdu. Il avait l'air d'un vagabond qui avait passé plusieurs semaines sans rencontrer la civilisation.

Au bout d'un moment, Colombe lui demanda s'il avait des nausées. Elle se justifia en lui disant qu'il était affreusement pâle et qu'il transpirait beaucoup trop. Serenus se contenta de murmurer, tandis qu'elle se mettait à fouiller dans son sac :

"- C'est pas difficile à voir." Il ferma la bouche et serra les dents, retenant un brusque élan de nausée et reprit, après quelques secondes durant lesquelles il se tenait le ventre et gardait la bouche fermée :"Je crois que mon estomac ne va plus tenir très longtemps."

Serenus ferma les yeux et les rouvrit que quand il sentit un mouvement sur sa gauche. Colombe avait achevé l'exploration de sa sacoche et lui tendait quelque chose. Serenus le prit et l'écouta tandis qu'elle expliquait que c'était du gingembre. Elle lui dit ensuite qu'elle pouvait ensuite essayer sa magie, mais que, pour cela, elle devait le toucher. Serenus secoua la tête et dit en souriant :

"- Vous fatiguez pas. Je vais essayer ça. Même si je garantis pas de le garder longtemps"

Elle le regarda dans les yeux, et se mit à rougir. Il ignorait pourquoi et aurait pu trouver cela gênant si son estomac ne s'acharnait pas tant à le faire vomir. Serenus mit le gingembre dans sa bouche, et lutta pour ne pas le recracher tant il trouvait le gout immonde. Il mâcha tout en retenant une grimace et parvint à marmonner :

"- Merci, ça devrait passer si les marins vous ont pas raconté de bêtises."

Tandis qu'il mâchait, elle lui demanda si sa famille lui manquait. Comment avait elle deviné qu'il était marié ? Certes il était assez âgé pour être au moins père de famille, mais cela ne pouvait se savoir à moins de le connaître. Il leva la tête vers elle, et lui dit :

"- J'ai une épouse, et oui, elle me manque terriblement. Elle a l'habitude de pas m'voir pendant plusieurs semaines, mais là, elle va surement s'faire un sang d'encre." Il récupéra la plante mâchée entre ses mains, se demandant s'il pouvait l'avaler sans risque, puis reprit :" Et vous ? Vous êtes mariée ?"

Je regarde Serenus mettre la racine dans sa bouche pour la mâcher. Hochant simplement la tête à la phrase sur les marins. Par la suite, je l'observe, en penchant la tête, attendant qu'il réponde à ma question indiscrète. Je le sais que c'est malpoli. Mais je préfère avoir un sujet de conversation quel qu’il soit. Donc il est bien marié. Bon il est vrai que l'alliance, avec laquelle il jouait, ne laissait pas de confusion. Je l'écoute attentivement. Je comprends qu'elle lui manque. La famille est importante. La mienne n'est plus de ce monde sauf une mère inconnue. Est-ce que je manque à ma véritable mère ? Ou m'a-t-elle abandonnée puis oubliée ? Je me pose souvent des questions sur elle.

Je le vois recracher la plante et la regarder comme si elle allait l'attaquer. Mariée moi ? Je souris doucement puis montrant la racine présente dans ses mains.

Normalement c'est mangeable si vous le souhaitez. Est-ce que votre mal est passé ?
Non, je n'ai aucune famille qui m'attend. Ni mari, ni enfants.  Je n'ai pas toujours été seule heureusement.

Je tourne mon regard vers mon professeur endormi.

Les seuls liens que j'ai actuellement sont des amis et des professeurs de l'Académie. Depuis la fin de mes études, je suis constamment sur les routes à la recherche d'une personne mais aussi pour un projet qui me tient à cœur.

Reportant mon regard vers le guerrier.

Vous savez que je suis mage, et vous, que faites-vous dans la vie ? Pourquoi partez-vous si loin des vôtres autant de temps ? Désolée pour mes questions indiscrètes. Si vous ne souhaitez pas y répondre, je comprendrais. Mais au moins, j'aimerais savoir comment vous en êtes arrivé ici ?

Serenus regardait la plante mâchée entre ses mains, se demandant s'il pouvait l'avaler sans risque. Colombe lui confirma que le gingembre était parfaitement mangeable, avant de lui demander si son mal était passé. Serenus remit la plante dans sa bouche et mâcha encore un petit instant, en silence, avant de l'avaler et d'hausser les épaules. Cela n'allait pas mieux. Mais ça allait sans doute passer. Serenus ne connaissait pas Colombe, mais son instinct lui soufflait de lui faire confiance. Voyant que la demoiselle attendait une réponse il souffla juste :

« - Ca va passer. Faut qu’ça fasse effet. »

Elle lui répondit ensuite qu’elle n’avait aucune famille, mais qu’elle n’était pas seule. Elle avait ses professeurs de l’Académie mais elle parcourait surtout les routes pour mener à bien son projet et pour rechercher une personne. Une personne en particulier ou juste quelqu’un qui pourrait partager sa vie ? Serenus suivit son regard vers un homme endormi. Etait-il un de ses amis ? Sans doute, vu qu’elle ne l’avait pas quitté depuis qu’ils étaient là. Serenus sentit peu à peu le mal de mer le quitter et il poussa un soupir de soulagement. Il étira ses jambes, posa la main sur son ventre désormais un peu plus apaisé et tourna la tête vers Colombe qui lui demandait quel était son métier, tout en s’excusant d’être aussi indiscrète. Serenus sourit et secoua la tête. Il passa une main sur sa barbe et répondit :

« - Y’a pas de mal. Je préfère notre conversation plutôt que le regard de ces pirates. » Il s’appuya plus confortablement sur le bois de la coque et reprit : « J’suis Guerrier, à l’antenne de la Volte, de la Guilde des Guerriers. Nos missions nous amènent souvent à nous éloigner de nos foyers pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ma femme est habituée, même si je sens qu’elle supporte de moins en moins mes absences. Je me suis retrouvé à Lorgol pour apporter un peu d’aide à de vieux confrères et je me suis aventuré sur le port. C’est là qu’ils m’ont pris. »

Un coup sur la tête, et le voilà sur cet horrible bateau. Les pirates n’avaient pas été tendre avec lui. Et lui non plus n’avait pas été très coopératif. Mais cela n’avait servi à rien. Il était seul, contre tout un groupe de pirates armés. Il avait dû se faire une raison avant de se faire tuer. Maintenant, il était là, sur la Marie Sanglante. Mais il n’était plus seul. Conscient qu’un petit silence s’était installé, il demanda :

« - Et vous ? Comment vous êtes-vous retrouvée ici ? C’est étrange. Ils ont pris des personnes quasiment au hasard, mais pour nous amener où, ça je l’ignore. »

Il passa une main sur son front, chassant la sueur qui coulait par petites gouttes. Il faisait une chaleur étouffante et, l’espace d’un instant, il était content de ne pas avoir son armure sur le dos. Rien de pire que de lourdes plaques de métal pour perdre toute son eau en moins d’une heure. Serenus, maintenant heureux d’avoir quelqu’un avec qui passer le temps, dit avec un petit sourire :

« - A mon tour d’être indiscret. Vous dites parcourir les routes à la recherche d’une personne. Est-ce une personne en particulier ? Ou juste un ami, ou une âme sœur ? »

J'arrête d'observer mon professeur endormi quand Serenus étira ses jambes entrant dans mon champs de vision. Je le regarde pour observer un visage moins tiré par la douleur. Je souris en réponse à sa première phrase. J'apprends donc qu'il est guerrier de la Volte et qu'il voyage dans le cadre de ses missions. Il me dit aussi que c'est au port de Lorgol qu'il s'est fait attrapé par les pirates. Par la suite, il me demande comment je suis aussi arrivée dans ce bateau.

J'étais en Ansemer lorsque c'est arrivé. Je me renseignais sur les plantes utiles en mer auprès des marins. Un jour, allant au port, des pirates menaçants m'ont guidé jusqu'à leur vivenef. N'ayant pas la carrure pour m'y opposer physiquement, tout en argumentant et interrogeant sur leur intention, j'arrivais sur leur pont. De là, j'ai découvert qu'ils avaient aussi pris mon professeur.

Je montre alors l'homme endormi.

Je trouve cela étrange aussi. J'ignore où on nous mène et je ne me rappelle pas que les pirates pratiquent certaines coutumes comme le sacrifice. Du moins, je l'espère.  

Je dis cela avec un sourire comme une mauvaise blague que j'aurais raconté. Il est vrai que dans mon duché, on organise un sacrifice le 23 mars pour assurer la fertilité des terres. Mais est-ce que la mer a besoin de sacrifices pour sa fertilité ? Mais alors ça ne serait pas plutôt aux marins de les faire et non aux pirates ? A moins que ça ne soit pour leur apporter la richesse ? Ne partirais-je pas un peu loin dans ma réflexion ? C'est le mouvement de la main du guerrier qui me sort de mes pensées. La sueur se reflétant sur son front. Il est vrai qu'être enfermés dans une cale humide et qui garde la chaleur, peut nous faire perdre des litres d'eau qu'on n'a pas. Je suis ravie d'avoir les cheveux relevés en un chignon. J'ai de la chance dans cette malchance.  Le jour de mon kidnapping, j'étais en robe de mousseline de soie agrémentée d'une cape en velours. La cape étant retirée, je ne mourrais donc pas de chaud dans ce tissu aéré. La chaleur était présente mais pas insupportable.

Je rigole à ses suggestions.

Si je tombe sur mon âme-sœur, cela ne serait que par pur hasard. Mais c'est bien une personne en particulier que je recherche. Une personne dont je ne sais rien. J'ai appris à la mort de ma famille que j'ai été adoptée. Je recherche donc ma véritable mère, celle qui m'a donnée naissance. Mais pour le moment, je n'ai eu aucun indice. A la fin de l'Académie, mes professeurs m'ont dit que mon projet était insensé. Mais le fait de ne pas savoir, tourne encore et toujours dans ma tête. Il faut que je sache. Je sais que c'est insensé mais ces voyages m'ont permis d'en apprendre plus sur les duchés, ainsi que sur les plantes comme pour le gingembre par exemple.

Le guerrier, dont l'estomac s'était peu à peu apaisé, étira ses jambes avec un soupir de soulagement. Il raconta à Colombe, par la même occasion, qu'il était un Guerrier, et qu'il travaillait à l'antenne de la Volte. Tout en parlant, il sentit la nostalgie l'envahir. Sa ville natale lui manquait terriblement. Il y avait quelque en la Volte qui la rendait unique par rapport à toutes les autres villes qu'il avait pu visiter. Il se rappelait encore l'odeur du pain chaud, à peine sorti du four. Il se revit en train de chiper quelques pâtisseries de la boulangerie familiale pour les partager avec ses amis, des bambins qui habitaient à quelques maisons, quelques rues de chez lui.

Serenus sourit. Tout cela était bien loin maintenant. Tout comme lui, ces bambins avaient grandi, et la plupart avaient suivi le chemin de leurs parents. Il revint dans le présent et écouta Colombe qui lui expliquait qu'elle s'était faite enlevée en Ansemer, et qu'elle avait, du coup, rejoint son professeur. Elle désigna alors l'homme profondément endormi. Serenus hocha la tête et Colombe l'approuva sur le fait que tout cela était bien étrange, et qu'elle espérait que ces pirates ne soient pas adeptes du sacrifice. Serenus sentit alors son cœur faire un bon dans sa poitrine. Il n'avait pas songé à cela. Un sacrifice ? Mais pour quoi ? La Marie Sanglante devait bien porter son nom. Il passa une main sur sa barbe et tentait de conserver son calme. Il répondit, sur un ton qui se voulait détendu :

"- En tout cas, je ne compte pas rester un instant de plus sur ce fichu bateau sans le savoir. Dés qu'ils reviendront, ils entendront parler de moi."

Maintenant que son mal de mer était passé, il se sentait prêt à casser du pirate. Non mais, pour qui ils se prenaient, à les traiter comme du bétail et à les entasser au fond de leur cale, tout ça sans leur dire quoi que ce soit ? Serenus ne comptait plus se laisser faire.
Mais les pirates n'allaient pas encore venir, il avait encore le temps de réfléchir à comment il allait agir. Pour le moment, il se contenta de faire durer la conversation, en posant des questions à la jeune femme. Et en faisant quelques suggestions. Elle laissa échapper un petit rire qui le fit sourire. S'ils arrivaient encore à rire, c'est que l'espoir subsistait encore. Elle lui raconta alors qu'elle était à la recherche de sa véritable mère. Son projet était complètement insensé d'après ses professeurs, mais son voyage lui avait permis d'apprendre beaucoup de choses, autant sur les duchés en eux même que sur ce qu'ils pouvaient renfermer. Serenus hocha la tête. Lui aussi voyageait beaucoup. Mais il ne prenait pas le temps d'en apprendre plus sur les lieux qu'il visitait. Le plus souvent, il effectuait sa mission, recevait sa paye, passait la nuit soit dans l'antenne du duché, dans une auberge, soit le long de la route, et il repartait. La seule chose qu'il avait pu vraiment découvrir grâce aux auberges, c'était la gastronomie. Les aubergistes étaient ravis de lui faire goûter les plats traditionnels de leurs duchés.
Il leva la tête et sortit de ses pensées, il dit alors à Colombe :

"- C'est vrai que je devrais prendre le temps d'en apprendre plus sur les lieux que je visite... Si j'avais su pour le gingembre, j'aurais fait en sorte d'en avoir toujours sur moi."

Quand j'évoque les sacrifices, Serenus semble un peu mal à l'aise. Il conserve son calme face à cette révélation, peut être erronée. Son métier semble l'avoir conditionné pour ne pas paniquer. Pour ma part, si on me l'avait dit, j'aurais paniqué quelque peu puis j'aurais réfléchis à une solution. J'écoute la réponse du guerrier qu'il serait prêt à cogner du pirate. Sa phrase me fait sourire doucement.  N'a-t-il pas peur de se confronter à un plus grand nombre que lui ? Les pirates lui diront vraiment ce qu'il veut savoir ? J'ai un doute. A moins d'aller vers sa mort, je ne vois pas l'utilité actuelle de se confronter à ces bourreaux. Mais peut-être est-ce sa façon de se défouler de pouvoir le dire à défaut de le faire ?

Je réponds par la suite à ses suggestions en riant doucement. Après leur énonciation, un silence s'en suit. Je revois les paysages de chaque duché que j'ai visité. La diversité de leurs couleurs et la sensation de liberté à chaque pas. Mais je le sais qu'il faut que je me cherche bientôt un travail. Quelle pensée incroyablement banale dans la situation dans laquelle je me trouve ! Peut-être que je cherche les moyens d'oublier un peu le fond de cette cale humide ? Je repense à la question du guerrier sur le fait que je pourrais rechercher une âme-sœur.

Une âme-sœur... j'aimerais bien rencontrer quelqu'un même si ce n'est pas mon âme-sœur.

Un murmure fragile. Un murmure gracile. Un souhait évoqué dans le secret des eaux. C'est la réponse de Serenus qui me ramène de mes pensées. Je souris avant de me replacer contre la paroi du bateau et de me laisser aller, je me reprends doucement avant de dire un peu plus haut.

Je me demande depuis combien de temps, on est dans cette cale et quand est-ce qu'on va arriver à destination, si il y en a une. Cet endroit commence sérieusement à ruiner mon moral.

Je soupire avec de continuer sur un autre sujet.

Avez-vous toujours voulu être guerrier ? Ne rêviez-vous pas d'autres choses ?

Le ton était moins distant, moins tendu, ils réapprenaient à sourire, à se détendre, malgré la situation qui les tourmentaient de plus en plus. Serenus étendit ses jambes et profita que son mal de mer soit passé. Leurs sujets de discussions étaient courts, et s'enchainaient à la suite de silences qui duraient plusieurs longues minutes, mais Serenus ne s'en plaignait pas. Il trouvait cela plutôt apaisant. Colombe lui dit dans un doux murmure qu'elle aimerait rencontrer quelqu'un, même si ce n'était pas son âme sœur. Serenus hocha la tête, même s'il n'arrivait pas trop à comprendre. Que voulait elle comme rencontre au juste ? Il était facile de faire des rencontres, suffisait d'entrer dans une taverne et de payer sa tournée, et voilà une bonne dizaine de rencontres d'un coup. Il baissa la tête et la releva pour dire, sur un ton marqué par sa volonté de plaisanter un peu :

"- Bah, voilà maintenant c'est fait. Vous m'avez rencontrée."

Il laissa échapper un petit rire qui s'acheva par une petite quinte de toux. Il avait encore le gout désagréable du gingembre dans bouche. Il se redressa et posa les mains sur son ventre, plutôt satisfait. La jeune femme demanda, pour elle même et pour Serenus, depuis combien de temps ils étaient là, et s'il y avait une destination. Serenus secoua la tête, et répondit :

"- Je sais pas. S'ils voulaient nous tuer, ils l'auraient sans doute déjà fait. Et ils ne nous pas fait grand mal. Je pense qu'ils nous gardent pour quelque chose. Ils ont sans doute envoyé une rançon à nos duchés respectifs."

Ils soupirèrent à l'unisson. Ne pas savoir était pire que connaitre la vérité. Serenus le savait maintenant. Il accepterait plus facilement le fait de mourir que de ne pas savoir ce qui allait lui arriver. Mais ces pirates n'allaient pas tarder à cracher le morceau. Ou ils arriveraient bientôt à destination. Colombe le sortit de ses pensées en lui demandant s'il avait toujours voulu être guerrier. Serenus sourit et lui dit :

"- Mes parents étaient boulangers. Ils étaient connus dans une bonne partie de la Volte pour la qualité de leur pain. Et ils espéraient que je suive la même voie qu'eux. Mais ce n'était pas ce que je voulais. Je voulais voyager, apprendre à me battre, servir mon duché. Je ne suis pas mage, alors je suis devenu Guerrier. Je n'ai jamais regretté ce choix."

Il se tourna vers elle et lui demanda :

"- Je suppose que votre magie vous a conduite directement à l'Académie, vous n'avez pas trop eu le choix je me trompe ?"