Pulchérie Touillechaudron ♦ De soupe en sauce

Pulchérie est le seul enfant de Léonard Touillechaudron, fameux maître queux, et de Marceline son épouse, née Martel, originaires tous deux de Hacheclair en Bellifère. Ils s’installèrent à Lorgol dans les jeunes années de leur mariage, puisque Léonard était embauché à la Taverne de la Rose, propriété d’un petit seigneur de Riven sans guère de fortune.
Au fil des années, la Taverne prospéra ; et Marceline mit au monde une fille, beau bébé en parfaite santé, qui grandit harmonieusement. À la pâtisserie, spécialité de sa mère, Pulchérie préféra l’apanage de son père : la cuisine, la grande ! Dotée d’un instinct redoutable pour l’association des saveurs, elle apprit très jeune à se servir de tout ce qui lui tombait sous la main pour relever les plats. Il était fréquent de la voir dans un coin de la grande cuisine, haute comme trois pommes et juchée en équilibre précaire sur un tabouret, pour touiller avec application la louche dans le chaudron des sauces. Elle n’avait que huit ans la première fois que son père l’affubla du surnom de Touillette – et jamais plus ce sobriquet ne la quitta ensuite.

La Taverne passa de mains en mains, jusqu’à atterrir entre celles d’une femme : Pulchérie décida d’emblée que la nouvelle patronne lui plaisait, et lorsque Léonard quitta son emploi pour prendre une retraite bien méritée à Hacheclair avec Marceline, c’est avec un enthousiasme forcené qu’elle s’offrit de le remplacer auprès de Freyja. Dès lors, les cuisines de la Taverne devinrent son domaine, où elle règne depuis vingt ans maintenant avec un zèle jaloux. On ne compte plus les bordées d’injures émises en cas de livraison de denrées gâtées, ni les coups de louche distribués sur des doigts rapineurs – ou des mains baladeuses.

Oh, les choses ont changé, c’est sûr : la Freyja s’est faite pirate, mais elle revient tous les hivers prendre soin de sa Taverne, dont elle a confié les comptes à Pulchérie qui les tient comme si cet argent était le sien. Des bébés ont poussé, aussi – si Touillette se montre généreuse et ne leur refuse jamais une douceur, elle refuse tout net de les élever, et entretient donc des relations cordiales avec le bataillon de nourrices et de serveuses. L’adjonction toute récente de ruches dans le jardin intérieur de la Taverne l’emplit d’allégresse : c’est qu’elle fait du rudement bon miel, la petite Melinda !

A bientôt cinquante ans, elle n’envisage pas de quitter son poste. Si ses articulations se meuvent maintenant avec quelque raideur, elle a entrepris de former quelques commis, et s’est promis de laisser à la Taverne un successeur digne de régaler les convives quand elle s’en ira dormir près de Sithis. Depuis qu’elle a des petites mains pour gérer les tâches périphériques de la cuisine, elle s’est remise à pâtisser : les quelques kilos de trop de la jeune Louison, de la petite Fée ou de la farouche Viana viennent peut-être de là…