Bruna Clairbrisant dite Bruna l'Etourdie

Février 984 :
Le temps était à la pluie en ce jour d'hiver à Port-Liberté.  Bertie Clairbrisant était dans la boulangerie en train de servir une cliente quand elle ressentit les premières douleurs de l'accouchement. Elle ne s'en inquiéta pas, pensez, c'était son sixième ! Elle finit donc tranquillement sa transaction avant de filer dans l'arrière boutique prévenir son époux, Anselme. Puis, elle monta l'escalier qui menait dans son logement juste au dessus. Bertie n'était pas une mauviette, et elle était d'excellente constitution. Elle eut à peine le temps de s'allonger sur son lit qu'elle eut déjà envie de pousser. A peine une demi-heure s'était écoulé qu'une petite crevette blonde pointait son nez. Bertie savait qu'elle avait beaucoup de chance d'accoucher aussi facilement. Elle avait déjà eut cinq accouchements précédents et tous les enfants étaient vivants : d'abord Selma qui avait dix ans, puis Rob qui en avait huit, puis Reba qui en avait cinq, puis Lori qui en avait trois, puis Gabe qui en avait deux. Une jolie petite famille. Six était bien assez.

Avril 990 :

"Mais où est encore passé cette gosse ?" s'exclama Bertie alors qu'elle finissait de compter la recette du jour. Encore au bord de mer, certainement ou à aller regarder les dragons ! ! Pfff, c'était une vraie obsession ! Cette enfant n'avait que les dragons à la bouche ! C'était bien beau les rêves mais ça ne nourrissait pas la panse ! Si c'était pas malheureux ! Alors que Bertie suait sang et eau pour que ses petits ne manquent de rien ! Et les corvées  de Bruna ne seraient pas faites, évidement !  Quoique ce n'était pas un drame vu que l'enfant avait deux mains gauches… Par quel miracle une fillette aussi malingre et empotée avait pu sortir de son ventre, alors que Bertie était une femme solidement charpentée, et si travailleuse ? Mystère… En soupirant, elle envoya son aînée aller chercher la cadette. Anselme n'allait pas attendre sa soupe du soir indéfiniment.

Janvier 996 :

Ils s'étaient souvent demandé ce qu'ils pourraient bien faire de Bruna… Et puis, enfin, les prières que Bertie avaient adressés à tous les dieux possibles avaient été entendues : la petite avait développé un don pour la magie. Vraiment, un coup de bol !
C'était arrivé hier soir. Bruna devait servir la soupe, et puis tout à coup, cette dernière s'était mise à bouillir, bouillir, jusqu'à se déverser sur la table, comme ça, sans aucune raison. Ils en étaient tous resté comme deux ronds de flan, avant de féliciter la petite qui avait eu peur de se faire gronder, la sotte !
Au moins, elle n'irait plus courir à travers toute la ville pour mettre Bruna au travail : l'Académie s'en chargerait. Puis, Bertie sentit ses yeux se mouiller de larmes. Un de ses poussins allait quitter le nid ! Elle aurait préféré qu'ils restent tous à Port-Liberté ; la famille était si essentielle. Mais c'était un honneur, et Bruna reviendrait certainement une fois sa formation finie. Il fallait qu'elle garde le sourire et la tête haute.

Les bagages furent vite faits et Bruna partit rejoindre son avenir. Un soucis de moins !

Bertie ne pouvait pas deviner que l'Académie hésiterait à prendre cette gamine mal dégrossie et inculte dans leurs cours. Mais dans le coeur de Bruna brûlait depuis longtemps ce rêve inaccessible d'être Chevaucheuse. Et ce don de magie miraculeux qui lui était tombé du ciel était sa chance, sa seule et unique chance de réaliser ce rêve. Alors, elle la timide, la contemplative, avait plaidé sa cause avec passion et sincérité. Et finalement, elle avait réussi à convaincre le jury. D'un cheveu...

Yule 999 :

Le peu d'alcool que Bruna avait bu lui avait échauffé les joues. Cela et la danse. Bruna adorait Yule, et danser jusqu'à user ses semelles. Surtout que ce soir là, elle avait un cavalier fort charmant, et noble lui avait-il dit. Elle n'avait aucune raison de penser qu'il mentait : il avait d'impeccables manières. Il lui proposa gentiment de s'asseoir cinq minutes. Ravie, elle sentit la main de son cavalier enserrer sa taille tandis qu'il la guidait vers l'étal des boissons. Bruna ne protesta pas : il était beau, il était jeune, et elle se sentait toute légère. Alors qu'ils attendaient leurs consommations, il se rapprocha d'elle et l'embrassa dans le cou. Elle se sentit troublée et ma foi, elle n'eut aucune envie de le repousser. Il s'enhardit à la  rapprocher encore de lui pour l'embrasser doucement d'abord puis avec plus de passion. Son haleine avait cette douceur de lait que conférait l'alcool, et Bruna se sentit fondre sous cette mâle assurance qui l'étreignait. Mais c'était absolument délicieux ! Pourquoi personne ne lui avait dit que c'était absolument délicieux ?
Le souffle court, et les yeux brillants, il lui chuchota :

"On ferait mieux de se mettre dans un coin, sinon ta réputation risque d'en souffrir."

Qu'il était prévenant ! Elle le suivit donc dans un coin de la salle et fut embrassée avec expertise. Elle se sentait devenir toute molle et ses genoux tremblaient. Soudain, les mains du jeune homme s'aventurèrent dans son décolleté avec une brusquerie désagréable. Bruna dit clairement un "non" et remonta les mains baladeuses.

"Comment ça, non ? Tu n'aimes pas ce que je te fais ?

- Jusque là oui, mais pas le reste !

- Allez laisse toi faire, je te promets que je suis un gentil garçon.

- J'ai dit non...Je ne suis pas prête pour plus ! Je regrette si je t'ai fait croire que je voulais autre chose que des baisers. Je veux que ma première fois soit particulière.

- Sale petite allumeuse ! Tu croyais quoi ? Que j'allais te demander en mariage, alors que tu n'es qu'une fille de rien, juste bonne à être troussée ? Fallait pas me suivre, si tu voulais pas voir le loup. Alors tu te tais, et tu te laisses faire, bon sang ! C'est trop tard pour pleurer maintenant."

Il la pressait contre lui, et ses mains remontaient sa jupe, maintenant. Ce n'était pas ce qu'elle voulait ! Paniquée, elle recula et se retrouva dos au mur, et ce qui était bien pire. Il lui faisait mal à lui pétrir le sein sans aucune tendresse...Non...Non...Non...Son esprit protestait mais son corps était incapable de la moindre réaction. Et puis, une colère venue d'on ne sait où monta en elle. L'ire la libéra de la peur, et elle sentit son genou partir avant qu'elle ne réfléchisse, et tandis que le malotrus était plié en deux à chercher ses noix dans son pantalon, elle lui balança un pot d'eau froide grâce à sa magie.

"Je suis une future Chevaucheuse, pas une proie facile !"

Furieuse et blessée, elle le planta là et quitta la salle de danse. Les larmes roulaient sur son visage. Elle avait été sotte, évidemment, à se laisser embobiner par un joli visage et des belles paroles ! Elle n'était pas la fille de rien, d'abord. Son père était un honnête artisan travailleur et dévoué à sa famille. Bruna était fière de ses origines aussi minuscules soient elles. Elle rentra directement à son dortoir. La fête était finie pour elle. C'est sur son petit lit qu'elle pleura toute les larmes de son corps, et qu'elle réalisa qu'elle ne voulait plus donner l'occasion à un homme de la traiter aussi mal. Des baisers, certes , car elle aimait ça et pour le reste… Elle voulait mieux parce qu'elle valait mieux.
Et puis une idée se faufila dans son esprit : que faisait celles qui ne pouvaient se défendre ? Elle subissaient...Elles subissaient et se taisaient. Et il en était de même pour les enfants, les petits, les faibles, ceux dont on pouvait écraser la gueule parce qu'ils étaient des riens. C'était pour cela que les Chevaucheurs existaient en toute extrémité : pour protéger la couronne, certes, mais pas seulement. Et ce but était noble. Elle allait le faire sien, voilà quelle était sa voie !
Et à partir de ce jour, elle travailla encore plus dur.

Juin 1001

Ma chère Maman,

Je t'écris car il m'est arrivé quelque chose d'absolument incroyable aujourd'hui ! Je suis tellement contente, si tu savais !
Je suis allée me présenter aux dragons, aujourd'hui. J'avais tellement le trac. J'en avais tellement envie et depuis si longtemps...Mais je n'y croyais pas. Je ne pensais pas qu'une de ces créatures magnifiques pourrait s'intéresser à quelqu'un d'aussi insignifiant. J'étais là, dans la cour principale de la caserne, à attendre, le verdict qui signifierait la fin de mes illusions quand je l'ai vu, lui, s'avancer vers moi. Il est grand et bien proportionné, sa robe est d'un bleu parfait...Une beauté sans pareille ! Et là, il s'est planté devant moi, a plongé ses yeux dans les miens et j'ai entendu dans ma tête : "Tu es à moi, désormais."
Oh, Maman, c'était si intense que j'en pleure rien qu'en y repensant... Sombre m'a choisi ! Moi, la gamine de Port-Liberté ! Je vais rentrer à la Caserne ! Ta fille sera Chevaucheuse !

Bruna

Fevrier 1002 :
(Extrait du journal de l'instructeur des Cadets Chevaucheurs).

Franchement, je ne sais pas à quoi pensait Sombre quand il a choisi Bruna. Et dire qu'il a attendu des années avant de choisir un nouveau Chevaucheur...pour nous ramener ça : une gamine, sans aucun caractère qui balbutie et n'arrive pas à aligner une phrase pour un peu qu'on monte le ton. Et elle n'a aucun de souffle, et la condition physique d'un bulot cuit.  Alors que la guerre gronde ! Vraiment !
A sa décharge, elle travaille  plus dur que les autres, ne rechigne et ne se plaint jamais et  elle s'occupe impeccablement de Sombre. Si les dragons pouvaient ronronner, je jure que ce saphir le ferait ! Je t'en foutrais de la sagesse draconnique !

27 Novembre 1002 :

(Dans la tête de Bruna).
Qu'est ce que c'est que ce bruit ? Et pourquoi le Recteur interrompt son discours ? Par Messaïon et tous les autres dieux, c'est glaçant ! Oh, non, n'ouvrez pas les portes, vous êtes fous !! Il faut les empêcher d'entrer, ça va être un carnage ! Je peux pas laisser faire ça ! Je peux pas laisser crever des innocents ! J'ai la magie... Je n'ai que ça pour l'heure, et tant pis si je meurs...Sombre, Mon Sombre...
Allez, Bruna c'est pas le moment de pleurnicher et de t'apitoyer sur ton sort ! Des monstres...Des monstres sortis de cauchemars ! Je dis, je dois...AAAh !

Et le plafond tomba sur elle. Elle resta deux jours coincée sous les décombres avant qu'on la sorte. Depuis, elle est devenue claustrophobe.

Avril 1003 :

Est-ce qu'il existait quelque chose de plus grisant que le vol ? Bruna ne le pensait pas. Même les baisers de ce gentil mitron n'égalaient pas l'excitation qu'elle ressentait quand elle était sur Sombre. Le vent qui fouettait son visage, et cette sensation incroyable de liberté… Bruna ferma les yeux deux secondes pour savourer son bonheur.

- Et si tu te concentrais sur la manœuvre en cours, Bru ? grommela une voix dans son esprit.

Bruna éclata de rire et caressa le cou bleu intense de son dragon.

-Excuse moi, mon cœur. Virage à droite. La cible est située sud-sud ouest.
- Comme si je ne le savais pas, fillette !

Sombre pouvait être tout à fait arrogant, à ces heures. Qu'importe, Bruna lui passait absolument tout. Sombre était sans conteste le dragon le plus outrageusement choyé de toute la caserne des cadets. Il avait pris son temps avant de se choisir un nouveau Chevaucheur, et il ne le regrettait pas. Ou du moins, Bruna faisait en sorte que personne ne le regrette. Tout ce qui avait attrait aux dragons la passionnait. Au fur et à mesure, la jeune femme avait gagné en assurance. Elle s'excusait moins souvent, baissait moins les yeux quand on lui parlait, osait prendre la parole. Oui, la fillette timide et terrorisé qui était arrivé à l'Académie des années plus tôt avait disparu. Elle prenait plus que sa part, avec enthousiasme et volonté.

Quand la mission d'entrainement fut finie, elle resta un petit moment, la joue collée sur la tête de Sombre. Ce dragon était tout son univers. Elle se souvint avec émotion de l' atroce épidémie magique de l'été dernier : elle avait cru devenir folle à ne plus sentir Sombre dans son esprit. Heureusement le dragon saphir avait insisté pour qu'on mette Bruna en contact physique avec lui...Dès qu'elle avait pu le toucher, elle avait été sur la voie de la guérison. Bruna n'était pas certaine d'arriver à aimer qui que ce soit aussi fort que Sombre. L'angoisse l'étreignit alors : c'était la guerre, et on lui demanderait certainement d'aller se battre, de prendre des risques. Oh, elle n'avait pas peur pour elle, évidemment.
Mais force était de reconnaître que cette invasion était folie. Les dirigeants de Faërie ne comprenaient pas que les gens d'Ibélène allaient être capable de tout, et surtout du pire pour récupérer leurs terres ancestrales ? Il n'en sortirait rien de bon. Pour personne. C'était le bon sens des gens du peuple qui parlait en son cœur. Qui pouvait encore l'entendre ?  Comment pouvait-elle faire, elle, la petite Chevaucheuse, timide fille de boulanger, pour préserver le peu de paix qui restait en Arven ?

Vie Alternée :

Bruna n'a pas été choisie par Sombre. Dépitée par son échec, elle continua ses études de mage de l'hiver, et se spécialisa dans la purification. Elle rentre en Ansemer, retrouver sa famille. Elle fit la connaissance d'un adorable jeune homme, en tomba amoureuse et se maria. Las, elle perdit la vie lors de son premier accouchement. De constitution frêle, Bruna n'était pas faite pour donner la vie.