Proserpine

Je suis belle.
Je suis très belle.

Je le sais : les dignitaires et la haute noblesse n’ont de cesse de me le répéter à chacune de nos rencontres. Ils se pâment devant mes yeux doux. Ils complimentent la finesse de ma taille. Je les laisse me couvrir de compliments et leur souris avec délicatesse. Je sais qu’ils ont raison. Je sais aussi qu’ils le soulignent car mon cher petit papa est l’ambassadeur de Lagrance et est le patriarche d’une famille aussi ancienne que noble. Ils ne disent rien sur ma mère, simple maîtresse si aisément oubliable et oubliée. Ils ne parlent que de ce qui flatte ma personne et pourrait charmer mon père. Je les laisse parler de ma beauté nitescente, je les laisse disserter de ma ressemblance avec mon père. Moi, je les écoute sous un air affable soigneusement étudié. Je me plais à les entendre et à les voir s’incliner si aisément pour mes si jolis yeux.

Je ne parle pas beaucoup de ma naissance. Ma mère était issue d’une famille sans éclat et vivait une liaison passionnée avec mon père alors marié plus par raison que par amour. Mes premiers souvenirs sont liés à cet homme qui me laissait déjà l’appeler papa et m’aidait à me hisser sur ses genoux. J’étais petite lorsque sa femme est décédée et je ne me souviens plus vraiment de ma vie d’avant. Il me semble avoir toujours vécue à ses côtés. Il n’avait pas d’autres enfants à aimer. Son attention m’était entièrement dévouée. Il n’y avait que moi, uniquement moi. L’admiration qu’il m’accordait, moi, son unique fille légitime, forgeait mon caractère épineux. Mon cher petit papa m’a appris à me respecter au plus haut point et à me montrer irréprochable par mes manières soignées. Il m’a également enseigné à obtenir ce que je voulais des autres et à comprendre ce que je valais. Il n’était donc pas étonnant de me voir pointer l’index, du haut de mes six ans, pour rappeler aux domestiques qu’il ne fallait pas oublier mes dentelles et mes rubans. J'ai toujours apprécié aiguiller les autres sur la meilleure voie à suivre.
La mienne.

La magie s’est annoncée l’année dernière et mon cher petit papa était subjugué par l’idée que sa précieuse fille, sa parfaite héritière, développe son don. J’ai passé l’entretien d’entrée aisément et c’est sous l’attention particulière de mon professeur que j’apprends le domaine du contrôle. Rien de surprenant pour une jeune fille ayant un instinct naturel à l’autorité. Depuis, j’évite les dortoirs où ma délicatesse et ma santé fragile pourraient être si aisément heurtées. Je loge toujours à notre sublime tour couverte de fleurs en patientant ma chambre individuelle à l’Académie. Je me plais à y recevoir mes consœurs d’étude. Là-bas, dans mon territoire, il me semble plus simple encore de les éblouir et de leur montrer qui est la réelle meneuse de notre groupe.
Moi.