LIVRE I Il est difficile de se remémorer la petite enfance. On a tendance à ne retenir qu’une idée globale de ce temps passé. Une image, un lieu peut persister ; parfois un son, une mélodie reste encrée. En ce qui concerne Raphaël, c’est une odeur qu’il reconnaitrait entre milles qui le ramène en ces années oubliées. La liqueur de Poire.. Ou comme on l’appelait : « la sublime du ménestrel ».
Né dans un village entouré de charmants vergers, le Cielsombrois baigna très tôt dans le domaine végétal. Fils cadet d’une famille de distillateurs, il grandit au milieu du cuivre des alambics et des caissons de fruits. Le soleil filtrait entre les branchages ce jour-là. Pour une journée de fin d’été, le temps était particulièrement doux, et une légère brise venait caresser les feuilles du verger. Les rayons dorés accompagnaient alors une scène commune qui, bercée par ce bruissement discret du feuillage, se découvrait une nouvelle dimension. Les Vilvandre s’étaient mis tôt au travail. Comme chaque année, les enfants étaient à la récolte tandis que les parents s’occupaient de la macération : broyant en purée le fruit dorée fraichement cueillit, c’était là le début du labeur familial.
De sa fratrie, Raphaël demeurait encore le plus dissipé. Profitant de l’absence de cadre quelconque, l’enfant s’était peu à peu écarté de sa tâche et, attiré par les plantes dans les fourrées plus qu’aux fruits dans les arbres, il s’attelait à les reconnaitre.
A 12 ans, le garçon n’avait pas un corps très robuste et ses parents s’en inquiétaient quelque peu. Juché sur des jambes menues, il était en effet l’opposé de son frère ainé. Introverti, timide et bien qu’illettré, il demeurait constamment plongé dans sa bible personnelle : un dictionnaire ancien décrivant la flore en Arven. Concentré sur un buisson de plantes dont les feuilles ovales et lancéolées laissaient place à un bouquet de fleur doré, Raphaël ne s’était pas rendu compte qu’il était observé. Non loin de là, son absence de concentration avait effectivement gagné sa jeune soeur Elisa, qui s’était à son tour mise à observer les plantes dans un mimétisme parfait. Attendri par la petite fille, son frère lui fit signe de le rejoindre et, laissant définitivement de coté leur début de récolte, la fit entrer dans la confidence de son embryon de savoir. A l’autre bout du verger, hors du champ de vision de ses frères et soeurs, l’ainé Maximilien ramenait deux gros paniers de poires à l’atelier.
Au loin plus encore, la maison familiale s’était mise à dégager une vapeur inquiétante. Ayant pour habitude de boire de leur produit tout en le travaillant, les parents ne s’en inquiétèrent aucunement.
On ne saura jamais d’où vint la fuite.
Bien qu’usés, les ustensiles des Vilvandre étaient entretenus avec soin annuellement. Certains en arrivèrent à évoquer le sabotage : la Sublime du Ménestrel s’élevait l’époque comme l’étoile montante du moment. Mais les accidents demeuraient fréquents dans ce corps de métier.
Le cas ne préoccupa l’intérêt public qu’une dizaine de jours, tout au plus.
L’explosion fut pourtant d’une violence fulgurante. Propulsant certains débris à une centaine de mètres, arrachant des souches entières, elle détonna jusqu’aux frontières forestières du village. L’alambic s’éparpilla selon un cercle parfait et la maison en elle même implosa comme bulle, dans une simplicité presque burlesque que beaucoup relatèrent sans même y avoir assisté. Du verger, on ne sentit qu’un souffle. Mais le son était pareil à des dizaines de dragons rugissant simultanément, aussi effroyable que cette image puisse être. Le vent chaud qui parvint aux joues des deux polissons leur glaça le sang. Figé dans les herbes hautes, ils restèrent sans bouger quelques secondes, tétanisés par le choc de l’explosion. Elisa se mit à pleurer dans la minute, sans vraiment savoir pourquoi. Raphaël lui, ne l’entendait pas. Il n’entendait guère quoi que ce soit : le bourdonnement assourdissant de la conflagration raisonnait encore dans ses oreilles. Rapidement cependant, il balaya vainement du regard la centaine d’arbres qui l’entourait en quête d’un réconfort fraternel. Le champ était vide.
Lorsqu’ils arrivèrent au plus près des lieux, les flammes firent l’effet d’un tsunami dans l’esprit des deux rescapés. Elles étaient hautes et denses, pareilles à des démons, ces flammes. Dévorant la bâtisse et les quelques arbres qui l’entouraient, le feu ne laissait aucune optique de sauvetage. Raphaël accusa le coup un instant puis, doucement, dans une lenteur quasi mortelle, se laissa tomber à genou et finit par se recroqueviller au sol. La terre l’ensevelit d’elle même. Se mouvant comme un océan déchainé elle le recouvrit et le laissa couler lourdement telle une pierre dans un abysse sans fond. Expulsé de la réalité, l’enfant ne réalisa que tardivement ce à quoi il venait d’assister. Pour l’instant il demeurait sous l’eau dans un calme résonnant noyé dans l’émotion, le choc, cherchant désespérément le filet, synonyme d’espoir, qui le sortirait de cette noyade.
Ce furent finalement les pleurs, de plus en plus stridents et désespérés de sa soeur qui rappelèrent Raphaël à la réalité. Consolant la petite fille du mieux qu’il le pouvait, il occulta sa propre tristesse pour s’occuper d’elle. Il avait désormais déduis que Maximilien avait probablement subit le même sort que leurs parents. Elle demeurait donc sa seule famille. Tout ce qui lui restait et tout ce qui comptait.
LIVRE II :
« J’ai froid ». La petite voix fluette s’élève au clair de lune et se risque à briser le silence. A la sortie du village de Pommedor, une vieille bâtisse semble posée là, inébranlablement. Les pierres recouvertes de mousse empilées les unes sur les autres font office d’abri passager aux infortunés, mais ce soir là, ce sont des occupants réguliers qui se sont assoupis dans la poussière.
Cela fait près de deux ans que Raphaël et sa soeur ont élu domicile dans cette maisonnette en ruine à l’écart du reste du village. Depuis la mort soudaine de leur deux parents, les enfants s’évertuaient à survivre par eux-mêmes.Se tournant vers sa jeune soeur, Raphaël resta pensif un instant. L’hiver approchait, en effet ; Il s’annonçait rude, qui plus est ; Plus encore que le précédent, c’était un fait. Le souvenir de ces quelques mois passés blotti contre sa soeur, à conserver un maximum de chaleur pour prévenir toute engelure, lui réveilla un frisson incontrôlable.
*On l’a déjà fait* se rassura-t-il.
*On le refera* renchérit-il mentalement, peu convaincu.
Se rapprochant machinalement du frêle corps de la petite fille, l’adolescent lui céda sa couverture avant de l’entourer de ses bras.
Dehors, un ciel sans nuage laissait aux astres nocturnes toute leur expression. Les rayons argentés venaient caresser les terres Cielsombroises et en ce mois d’octobre 987, des bourrasques de vent déchainaient les arbres sur l’horizon. Dans le berceau nocturne, certaines créatures s’éveillaient vigoureuses, tandis que d’autres s’endormaient paisiblement.
Raphaël avait quatorze ans, sa soeur Elisa, neuf.
Poussés par le vent, d’épais nuages couvraient le village au petit matin. Le jour s’assombri et se rafraîchit, annonçant la rudesse des mois à venir. Cependant, malgré ce temps peu clément, les enfants cachèrent leurs objets les plus précieux et partirent en direction du coeur de village. C’était un jour différent. Aujourd’hui, c’était le bazar annuel. Aujourd’hui, des artisans et commerçants se réunissaient pour un marché exceptionnel : c’était l’occasion à ne pas manquer. En deux ans, les deux orphelins avaient développés plusieurs stratagèmes pour subvenir à leurs besoins, le vol demeurant de loin l’alternative la plus efficace. C’était donc dans cette optique que le duo se dirigea vers l’ouest du village. Derrière eux, ils laissaient alors deux couvertures, un jouet en bois, un couteau émoussé et un vieux livre endommagé par les années.
Sur la place du marché, les commerçants s’affairaient avec hâte pour mettre en place les derniers préparatifs. Telle une ruche en ébullition, le lieux bourdonnait d’activité. Des saltimbanques s’étaient installés près d’une troupe de ménestrels et s’occupaient de l’animation, promouvant au passage leur troupe itinérante. Plus loin, c’était aux agriculteurs de vendre le fruit de leur travail : bestiaux et produits locaux se vendaient à la criée. Le concert de sonorités produisait un tintamarre charmant par endroit, assourdissant à d’autres. Plus en retrait, les marchands de tissus et autres artisans de biens précieux s’étaient réunis en un dédale d’étoffes, pierres et décorations de choix : chaque produit brillant plus ceux des stands adjacents.
Pour les enfants, c’était là une véritable mine d’or qui s’étendait à leurs pieds. Evitant soigneusement les quelques gardes postés çà et là, le duo se faufila à travers la foule pour se placer en position stratégique, prêt à s’emparer du moindre fleuron à portée.
A l’opposée de leur position, un oeil réprobateur observait les deux vauriens. Persuadés d’être suffisamment insignifiants pour passer inaperçus, les orphelins ne prêtèrent aucune attention à ce regard aiguisé qui les surveillait. Aussi, leur surprise fut grande lorsqu’au moment de commettre leur premier larcin, une main s’abattit sur eux et les souleva tout deux d’une traite, sans possibilité d’en réchapper.
C’était là leur premier contact avec Arthur, un souffleur de verre d’une cinquantaine d’année assez réputé et déjà bien fatigué par les années. Sur le moment, les deux enfants restèrent muets aux questionnement de cet inconnu. Bien portant, l’homme à la barbe blanche et foisonnante impressionnait les deux orphelins. Cependant le célibataire ne se laissa pas abattre et, finalement, gagna le coeur de la « petite demoiselle », comme il l’appelait, en lui offrant un cheval de verre aux couleurs étincelantes. Obligé de se plier aux caprices de sa jeune soeur, Raphaël accepta l’accord tacite d’adoption. Le Destin en soit témoin, la confiance du jeune homme fut difficile à gagner. Meurtri par les années, il était pour lui compliqué de se défaire de ses défenses mentales. Néanmoins, il est certain qu’une fois l’homme accepté, l’enfant développa pour lui une reconnaissance et un amour infini.
A seize ans, il vouait un respect et une loyauté sans faille à l’artiste, l’accompagnant dans maintes de ses taches quotidiennes.
LIVRE III :Dans sa nouvelle demeure, il arrivait à Raphaël de se percher sur le toit et de contempler le ciel nocturne. Il s’élevait alors des problématiques quotidiennes et demeurait là, dans un espace comme figé dans le temps. Observant l’immense obscurité, il se surprenait à rêver d’une autre vie, d’autres péripéties. Il somnolait alors bêtement, bercé par le bruit incessant de l’atelier de son parent adoptif.
Bien que reconnaissant du Destin de l’avoir guidé jusqu’à Arthur, l’optique d’une vie plus simple, dénuée de tragédie, attisait parfois sa curiosité.
Néanmoins, l’accalmie des deux dernières années lui avait donné l’occasion de grandir en tant qu’homme. Auprès de l’artisan célibataire, il avait débuté un apprentissage de la lecture, de l’écriture et avait retrouvé un rythme de vie normal. Assistant de son mieux le souffleur de verre dans son travail, il avait gagné en dextérité et en rigueur, même si son art s’arrêtât pour l’instant à la simple sculpture sur bois.
Parfois il lui arrivait même de parvenir à mettre le passé entre parenthèses, dans une bulle qui lui permettait d’avancer. Dans ces moments là, il s’en allait chasser ou passait des heures à sculpter, sans s’arrêter. Cependant, cette carapace inconstante ne résistait pas toujours aux aléas journaliers.
« Eh. Oh. Eh oh, Raph’ » Un son à peine audible bat la mesure depuis quelques secondes maintenant.
« Eh. Tu devrais te coucher, tu travailles demain matin » La voix de l’artisan semble lointaine, tant l’adolescent reste concentré.
Penché sur sa dernière sculpture, Raphaël s’était fixé comme objectif de terminer le jouet avant de se mettre au lit. Les heures s’égrainant comme des secondes, il avait rapidement perdu toute notion du temps, accordant autant d’attention à la course des astres célestes qu‘à son environnement proche.
« Eh, petit » Arthur avait pour habitude de ne jamais appeler les deux enfants par leur prénom. Il était de ceux qui donnent des surnoms à tous leurs interlocuteurs. Bon vivant, il était particulièrement tactile et ce soir, c’est en posant sa main sur l’épaule de l’artiste en herbe qu’il le sorti de sa torpeur créative.
« Hein, que.. Max ? » Comme se dégageant d’un coma, Raphaël ne réalisa pas immédiatement qui se trouvait à coté de lui. Ramené quelques années en arrière par son obstination, il s’attendait en effet à voir son frère ainé, demeurant jadis celui chargé de le remettre au travail. En un instant, les six derniers années le retraversèrent de part en part. L’herbe fraiche sur son visage le renvoya dans les champs de son enfance et la vue de la fumée au loin lui voila le regard un court instant. Contraint de reprendre ses esprits à la vue de son tuteur, il eu un mouvement de recul incertain qui trahit sa surprise.
Un long silence suivit. Les mots sont inutiles quand le regard communique. Dans l’atelier de verre, un oeil doux et bienveillant se confronta alors au regard blessé d’un orphelin déboussolé.
Depuis sa première décennie, chaque couple d’années avait été difficile pour Raphaël, et aujourd’hui face à son mentor, après deux ans de tranquillité, il redoutait l’avenir.
LIVRE IV « Que nos chemins puissent se croiser à nouveau »
Quelques Cielsombrois vinrent à l’enterrement et portèrent leurs hommages à l’artiste dans une infinie tristesse. L’homme était apprécié au village. Visiblement plus que les Vilvandre quelques années plus tôt, à en déduire du nombre de présents à la crémation. Une certaine amertume rongeait Raphaël vis à vis de ce simple détail. On couvrit le mort d’un linceul et un à un, les personnes s’épanchèrent longuement sur le disparu. Le stoïcisme des proches du défunt surprit profondément l’opinion public, appuyant le décalage social qui pesait déjà sur les épaules du jeune homme. Les rumeurs s’épanchèrent dans le village et un temps, on le soupçonna des pires atrocités.
Imperméable à ce qui pouvait se dire Raphaël poursuivit sa routine sans trop de convictions. Délaissant la sculpture et tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à de l’art, il se mit à travailler nonchalamment, se contentant de gagner de quoi subvenir aux besoins de sa jeune soeur. Cette dernière dira plus tard qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même ce qui, compte tenu de son mutisme quasi constant, s’observait facilement.
Car ses besoins à lui se résumèrent très vite à l’alcool et à la drogue qu’il se mit à consommer en très grande quantité. Ces substances parfaitement licites en Sombreciel lui offraient quotidiennement une parenthèse de soulagement et d’allégresse dont la nécessité se faisait grandissante. S’enfonçant peu à peu dans son enfer personnel, il entra dans sa dix-huitième année sans travail constant. Ses démons intérieurs s’emparèrent très vite de son âme qu’il vendit sans remords aucun, pour quelques grammes de légèreté.Particulièrement saoul ce soir là, l’homme titubait difficilement dans le village Cielsombrois. L’absence d’activité contrastait grandement au dynamisme habituel et laissait au jeune homme tout l’espace nécessaire à sa débauche. Les lunes, seules témoins de ce manque de parcimonie, illuminaient faiblement les environs, affligées par cette piteuse scène. Les rues pavées se préparaient quant à elles à une chute imminente de la créature qui avançait de manière incertaine. Le village tout entier, balayé par un vent intrusif, restait dans un mutisme gêné vis à vis de ce spectacle lamentable. Telle une ombre instable courant le long des murs, la silhouette se traina ainsi pendant de longues minutes, jusqu’à finalement, atteindre son objectif.
La bâtisse n’avait reçu aucun entretien depuis le décès de la figure paternelle et très rapidement, l’atelier avait perdu de son charme. A l’extérieur, humidité et intempéries s’étaient attelées à dégrader les fondations mêmes tandis qu’à l’intérieur, de nombreux nuisibles proliféraient. Ignorant la dégradation des lieux, le jeune homme poursuivit son effort jusqu’à se déplacer en haut des escaliers, vers un lit qui l’attendait. Ayant passé les derniers jours enfermé entre taverne, droguerie et maison close les plus proches, l’homme n’avait pour souhait que le repos le plus simple. Pourtant, sur le pas de la porte, son mouvement se stoppa net. Ni l’alcool, ni les drogues, ni le parfum encore omniprésent de la femme qu’il venait de quitter ne pouvait tromper la vision qu’on lui imposait. Etendu sur le lit commun, un corps quasi squelettique semblait bercé par la mort elle-même. Recouverte d’une fine couverture, la petite fille respirait difficilement. Sa peau, aussi pale que les rayons lunaires, présentait de nombreuses blessures et autres plaques colorées qui signalaient l’état avancé de la maladie.
La vision de sa petite soeur amaigri et affaiblie par la maladie s’imprima définitivement sur la rétine de Raphaël. Réalisant soudainement de la négligence dont il avait fait preuve, il se contenta de revendre les drogues qui lui restait le lendemain même. Avec le peu de fleurons qu’il en récupéra, il demanda à faire venir une doctoresse et s’enquit auprès d’elle d’un remède pour Elisa, en vain.
C’est ainsi que débuta son premier apprentissage de la médecine. De manière aucunement officielle, le jeune homme se mit à assister la vieille femme dans son travail quotidien, profitant de l’expérience du terrain comme d’un apprentissage à part entière. Désireux de trouver un cas similaire à celui de sa soeur, le médecin en herbe développa ainsi un intérêt particulier pour la patientelle de son mentor. C’est cette dernière qui, quelques années plus tard incita le Cielsombrois à se présenter à l’Académie pour y recevoir une éducation complète de la médecine.
LIVRE V Le trajet pour atteindre Lorgol sembla interminable. Détenant peu de moyen, le jeune homme profita d’une caravane de passage pour faire son chemin jusqu’à l’Académie. Au rythme des chevaux, le voyage dura six mois. Se faisant passer pour un Kyréen, Raphaël proposa ses services d’apprenti médecin et de chasseur. La lumière pénétrait à travers la cime des arbres et venait colorer quelques parcelles de terres d’un doré chaleureux. Les couleurs soulignées par ce jeu de clair-obscur offrait un spectacle délicieux. La chaleur du printemps présentait alors un cadre idéal aux activités de plein air, étreignant les créatures de son manteau bienveillant. Muni d’arcs et de flèches, deux hommes se faufilaient à travers la végétation, se mouvant entre arbres et buissons sans bruits. Raphaël se sentait enfin dans son élément depuis que le convoi avait quitté Erebor. Bien qu’ouvert d’esprit et étranger à la politique, ses origines semblaient le conditionner à exécrer le duché du sable. De plus, les forêts luxuriantes des Terres du Nord permettaient nettement plus de possibilités de sorties que les déserts arides du duché voisin. Se frayant un chemin, il survolait le sol et retrouvait les sensations passées où, curieux, il fouillait les forêts de son village à la recherche de nouvelles plantes à observer. Mais aujourd’hui, son attention était focalisée pour débusquer le moindre gibier, si bien que lorsqu’il sortit du couvert des arbres, il ne remarqua pas immédiatement la vue qui s’offrait à lui. A ses pieds, s’étendait Lorgol, splendide dans le soleil de midi. La ville aux milles tours brillait sous l’astre solaire, et les innombrables tours lui donnaient un aspect sans pareille.
* * *
Devant l’Académie, Raphaël marqua une pause. Admirant l’édifice, le jeune homme douta un instant du bien fondé de sa venue. Réduit à l’insignifiant rang qui était le sien, il réalisa soudain l’impudence dont il faisait preuve en venant se présenter aux portes d’un tel établissement. Soucieux, il jeta un coup d’oeil à la tenue qu’il portait. C’était un habit typiquement Cielsombrois, certes. Mais les années l’ayant grandement détériorée, la guenille bien trop usée renvoyait son propriétaire à ses modestes origines.
« Quelque part, ça parait naturel que j’me présente. J’ai c’qu’il faut, et j’n’ai pas vraiment le choix.. » Planté devant le bâtiment, le jeune homme se lança un moment dans un débat avec lui-même.
« Mais d’un autre côté, pourquoi me prendre moi alors qu’ils doivent recevoir des nuées de nobliaux ? » Dubitatif vis à vis de ses idées préconçues, il laissait courir son regard le long des vitres, hypnotisé par la lumière qu’elles renvoyaient.
« J’pourrai rester là, refaire ma vie, sans mettre les pieds dans cette école de vendus. La ville est assez sympa de c’que j’ai pu voir. » Parlant à voix relativement haute, il ne réalisait pas qu’on lui jetait quelques regards méfiants et inquisiteurs tant son attention demeurait fixée sur les hauteurs.
Au dessus de sa tête quelques dragons s’élevaient puissamment dans les airs jusqu’à disparaitre au travers de nuages nacrés tandis que des griffons, plus joueurs, voltigeait à basse altitude. Du sol, Raphaël observait ces redoutables souverains célestes et se tut immédiatement. Respectueux d’animaux si fabuleux, il se sentit obligé d’observer une minute de silence.
Il profitait donc d’un certain calme passager lorsque des cris le ramenèrent à la réalité. La scène lui sembla familière lorsqu’en se retournant, il posa son regard sur un groupe d’enfants. En effet, parmi la joyeuse troupe, une petite fille aux nattes blondes essayait vainement de jouer avec les autres. Plus chétive et maladroite, la petite semblait incapable de suivre les espiègleries du reste de la bande, se retrouvant à l’écart, penaude. La ressemblance était frappante et rappela promptement l’égaré à ses devoirs.
L’instant suivant, lui et ses vêtements déchirés passaient le pas de la porte de l’Académie de Magie et du Savoir, feignant une assurance inexistante. Sur le moment, Raphaël se laissa guider par ses pas et se présenta aux entretiens instinctivement. Inhabitué à un milieu aussi affété, le jeune homme demeura déboussolé tout le long de la procédure de base. Comme absent, il ne reprit ses esprits qu’au moment de rencontrer les éminences chargées de le recevoir, dans le bureau prévu à cet effet. Les lieux n’étaient pas aussi luxueux qu’il se les était représenté. Au contraire, la pièce où on le reçu alliait sobriété et ingéniosité, le tout dans une simplicité déconcertant de par son élégance et qui surprit grandement l’étranger. Il apprit plus tard qu’il s’agissait là de l’alliance parfaite entre Magie et Savoir.
Tant bien que mal, Raphaël passa l’heure qui suivit à expliquer la raison de sa venue en ces lieux. Sans détailler les nombreuses tragédies de sa vie, il se contenta de se concentrer sur l’important : l’état de santé critique de sa soeur. Cependant, cette nouvelle ne provoqua aucune réaction chez ses trois interlocuteurs ce qui offusqua quelque peu le jeune homme. Obstiné dans son but, il élargit ses objectifs en accentuant son besoin sur celui d’aider non seulement sa soeur, mais autrui également. Il prit alors pour exemple les nombreux cas qu’il avait été amené à étudier, et l’expérience humanisante qu’il en avait retiré. A ces mots, des sourcils se levèrent et un intérêt lui fut finalement porté. Cependant, l’attention demeura de courte durée puisque quelques minutes plus tard, on l’incita à sortir sans réel espoir de continuation.
Inquiété par le manque de sollicitude de ses examinateurs, le Cielsombrois, s’activa dans les dernières minutes pour décrocher sa place en ces lieux renommés.
« Vous ne comprenez pas, c’est important ! Je.. Je.. J’ai déjà quelques connaissances, j’me suis instruit seul ! Et j’connais les plantes, j’en connais plein ! » Hâtivement, le jeune homme analysa la salle du regard à la recherche d’un soutien quelconque.
« Tenez, prenez ce Millepertuis, là ! » Pointant du doigt un bouquet de fleurs jaunes, il se précipita dessus pour étayer sa présentation.
« On en avait chez moi ! Vous pouvez en faire un cataplasme en cas d’brulures.. Ou.. Ou une infusion pour les maux de l'esprit. Il y a aussi la Mandragore qui a des propriétés intéressantes » Marquant une pause, il quitta le réconfort des plantes qu’il chérissait pour se tourner vers ses interlocuteurs qui n’avaient pas bougé d’un millimètre.
« J’connais certaines choses messieurs, mais j’manque de connaissances et d’pratique. J’serai un élève sérieux, j’vous demande juste de me donner une chance. » S’enfermant dans quelques secondes de silence, le jeune homme décréta qu’il avait correctement défendu sa cause.
« Merci d’m’avoir accordé de votre temps, j’attendrai votre verdict.».
L’étudiant tourna les talons et sortit de la pièce calmement, laissant derrière lui un espoir d’avenir. Dans son sillage, les trois académiciens ne demeuraient pas unanimes quant à cette candidature incongrue. Cependant, sa démonstration eu le mérite de surprendre et c’est sans doute ce qui lui valut sa place. Il avait alors vingt-deux ans.
Les années qui suivirent s’écoulèrent sans réels événements perturbateurs. Calme et discret, Raphaël suivit son cursus jusqu’au diplôme de médecine qu’il obtint sans trop de difficulté. Naturellement, il poursuivit cet apprentissage par une spécialisation en herboristerie.
A 29 ans, il est dans sa dernière année à l’Académie et languit la fin de son cursus afin de pouvoir retourner en Sombreciel où il espère retrouver sa soeur qu’il cherche toujours à soigner.