Le jeu du chat et de la souris

S’il n’y avait eu que la guerre pour occuper les pensées de Denys, les choses auraient été bien plus simples. Mais au delà de cette simple guerre, il y avait les affaires de son propre duché et celles de l’Ordre du Jugement. Il y avait aussi ses occupations personnelles, comme sa petite princesse nouvelle née, belle Raiponce qui avait été remarqué par Sithis et la Confrérie Noire… Et la marque du dieu Sans-Visage qui était sur lui et qui développait toujours autant de mystères. Décidément, la guerre n’était vraiment pas le seul souci qui courait dans ses pensées. Ils étaient multiples, grandissants, parfois difficiles à analyser, d’autres fois d’une facilité déconcertante à retourner et observer sous toutes les coutures. Et si à ses yeux un problème avait toujours une solution, certaines étaient plus longues à trouver. Entre tout ça, il ne pouvait négliger les rencontres avec ses homologues ducs ou duchesse. Même si comme pour lui, les conflits entre les empires devaient drastiquement les occuper. Surtout avec la dernière nouvelle tombée sur le continent tout entier... Une chose que Denys avait appris avant grâce à ses informateurs et à l’Ordre, mais qui l’avait surpris autant que cela avait dû surprendre les autres : la mort de l’Impératrice d’Ibélène, Catarine, fille de Faërie. Cela avait un goût de victoire pour le peuple Faë, sans le moindre doute, car le décès de cette femme allait sûrement causer bien des dissentions et des troubles dans l’empire du Savoir - à plus forte raison si l’empereur Augustus était lui aussi gravement atteint. Ainsi, c’était certainement l’occasion pour l’empire de la Magie d’avancer ses pièces sur l’échiquier, et ce devait être pour cette raison - entre autre - que Bartholomé avait demandé à le voir. Oh après tout, une entrevue devait avoir lieu au cours du mois, alors l’avoir avancé de quelques jours n’avait pas changé grand chose pour Denys.

D’autant que ce n’était pas à lui de se déplacer.

Ce serait au seigneur des flots de venir au coeur des terres sublimes et paisibles du duché des jardins, entouré d’une ambiance qui ne montrerait aucun signe de guerre à l’extérieur. L’image, telle un décor de théâtre, serait parfaitement créée et maintenue, sans que personne n’ignore les réalités lourdes et terribles qui pesaient sur Arven. Juste un îlot d’illusion, dont personne ne serait surpris de la part du peuple lagran, après tout. L’arrivée d’un aussi illustre invité n’était cependant pas prise à la légère, et les fils et filles des jardins étaient connus d’ailleurs pour leur sens festif et joyeux de l’accueil. Ainsi, rien ne fut laissé au hasard, comme c’était rarement le cas de la part de Denys de toute façon. Il fit préparer tout ce qui était nécessaire, et ce n’est pas immédiatement à l’arrivée de Bartholomé d’Ansemer que les choses se mirent en action. D’abord un peu de détente, du repos après un bref voyage, tout ce qui était nécessaire pour endormir l’attention, même si le duc de Lagrance savait parfaitement qu’avec un homme comme le duc d’Ansemer, les choses ne seraient pas simples. Elles ne l’avaient jamais été entre les deux duchés. Au lendemain seulement de l’arrivée de Bartholomé, Denys l’invita dans son bureau de travail, décoré et agencé avec finesse comme le voulait l’art de Lagrance, mais néanmoins marqué par un étrange désordre sur le meuble principal. C’est qu’il n’était pas très bien ordonné, Denys, là où ses pensées, elles, l’étaient parfaitement. Pourtant, une partie du bordel avait été déplacé pour laisser apparaître quelques douceurs et deux verres finement ouvragés, accompagnés d’une bouteille.

Cela faisait bien des mois que lui et Bartholomé n’avaient pas eu une telle entrevue seuls. Les derniers événements survenus un peu partout en Arven n’avaient pas été propice à de semblables rencontres, et avant cela, les avis différents qu’ils avaient partagés sur l’impératrice Chimène avait quelque peu grisé leurs relations. Évidemment, cela n'enlève rien à l’entente passée, ni ne faisait oublier à Denys le soutien que Bartholomé avait pu lui donner à l’époque où le nom de famille était encore mal vu par les grandes couronnes de Faërie. Depuis, avec ses nombreuses prises de positions, les choses s’étaient améliorées mais il devait au duc d’Ansemer cette faveur, par delà cette étrange amitié.

« Bien des choses sont arrivées en peu de temps. » Lâcha le duc de Lagrance en invitant son homologue à prendre place dans le fauteuil, face à son bureau. A sa suite, il s’y posa à son tour, affichant son habituel sourire de circonstance, masque des convenances. « Par quoi souhaiteriez-vous commencer Bartholomé ? J’imagine que pour avoir avancé votre venue, vous avez bien des choses à voir avec moi. » Il croisa les mains devant lui, appuyant ses coudes sur le bureau. Son regard limpide courait sur le visage de son homologue, attendant que Bartholomé lance le sujet avec plus de précision.