Balade et rencontre impromptue

J'avais ce jour une envie irrépressible de prendre l'air ; besoin de m'oxygéner l'esprit, profiter des rues de Faërie et surtout décompresser de cette pression. Accomplir mon devoir, tel est mon devoir que j'accomplis de manière scrupuleuse. Il était évident qu'un garde m'accompagnerait à bonne distance pour me laisser cet esprit de liberté. Je concevais cette présence nécessaire à mon rang de princesse.

Je prévins mon père de mon désir ardent de me rendre dans les rues afin d'admirer la ville. Précautions d'usages données, je le rassurai en précisant qu'un garde serait là pour veiller sur ma personne. Pour sûr, aujourd'hui, je ne m'aventurerai guère dans les flaques, ces bêtises d'enfant en compagnie de mon frère appartenaient désormais au passé. En revanche, je pourrais m'adonner à cette admiration des dragons survolant les tours. Depuis notre arrivée à Faërie, je me rappelais ces instants où l'on échangeait enfants sur nos projets pour l'âge adulte ; des projets de chevaucher nos montures, laissant libre cours à notre magie, toujours souriant. Le Destin avait eu bien d'autres projets pour nous deux.

Je pourrais le regretter, être amère de cette vie qui s'offrait à moi ; mais je voyais cet avenir tellement comme une occasion en or de rendre fier mon père. Rétablir l'honneur des mages du sang, l'avenir pesait sur mes épaules, j'en avais conscience. Les projets de mon père pour mon avenir allaient dans ce sens.

Vêtue de manière correcte par des températures hivernales je m'empressai de me diriger vers l'extérieur de notre demeure. Bonne garde, un homme, comme prévu m'avait emboîté le pas. Me retournant vers lui je hochai simplement la tête en signe d'approbation. Nulle présence de père, mère ou frère. Très bien.

Les rues étaient animées malgré la température décourageante ; le soleil, astre de lumière, réchauffait les rues figées par le froid. Je m'aventurai silencieuse sous les yeux des badauds. Pâle sourire devant des regards portés sur ma personne. Ils pourraient être surpris de la sortie de la princesse mais je n'avais peur de rien ; un sourire sur les lèvres je hochai la tête à leur salut.

Des minutes durant, j'errais, m'arrêtant quelques instants pour profiter de mon errance ; ma promenade avait un but précis, celui de me rendre au lieu le plus propice à l'examen des dragons, créatures volantes. J'y étais presque, quelques embranchements ; arriver à un muret, s'asseoir sur un banc ; faire face au palais et examiner leur vol.

Le garde à bonne distance avait un regard sur les personnes susceptibles de déranger ma quiétude. Les yeux brillants je restais absorbée. Certains badauds se risquaient sous bonne surveillance de mon protecteur. Un cri derrière, discret mais suffisamment perceptible m'ôta de la contemplation des dragons. Une jeune femme semblait ennuyée à quelques mètres de là avec sa robe. Regard vers le garde, je me rapprochai d'elle et lui dit simplement « vous avez besoin d'aide ? Un souci ? » ; une princesse venant en aide à une inconnue cela pourrait paraître surprenant mais je n'en restais pas moins sympathique et tournée vers les autres ; pour sûr que si l'inconnue tentait un geste quelconque à mon encontre, le garde ne s'en laisserait point découdre.

Ce jour-là, après un levé assez tôt, je me suis dirigée vers la forêt pour y cueillir des plantes et me promener un peu. Ramassant les plus utiles dans mon sac, je furète un peu partout dans les recoins de cette verdure. Cependant, elle n'était pas l'égale des forêts de Lagrance. Ces magnifiques forêts et  leurs arbres fruités me manquent un peu.

J'arrive à l'orée de la forêt quand je remarque un mouvement au loin. Traversant les derniers arbres, je vois petit à petit le palais et les dragons qui le survolent. C'est magnifique ! Leurs immenses ailes puissantes brillent au loin par le soleil. J'étais tellement absorbée par leurs spectacles que je ne vis pas le dernier buisson sur mon chemin.

Un petit cri sort de ma bouche alors que je me fais stopper dans ma marche par ce buisson accrocheur.

Oh non ! Ma robe !

Je m'accroupis pour essayer de l'enlever délicatement pour ne pas qu'elle s’abîme. J'aime beaucoup cette robe. Tellement prise dans ma tâche que je n'entends pas les pas approcher. Ce sont donc les paroles de l'inconnue qui me font sursauter. Je me relève rapidement pour tomber nez à nez avec la princesse de Faërie. Tout de suite, je m'incline.

Votre Altesse ! Veuillez excuser mon comportement. Je retire ma robe de ce buisson et je vous laisse en toute intimité.

Je n'avais pas remarqué que la princesse occupaient déjà les lieux ; tellement j'étais occupée à observer les dragons. Je me ré-incline en disant « Veuillez m'excuser. » pour retourner à ma robe et la défaire du buisson le plus rapidement.

Je profitais de l’instant de calme en Faërie, sous bonne garde, le regard tourné vers les tours que les dragons survolaient. Absorbée par ma contemplation, je n’avais nulle conscience de danger ; mais après tout est ce que je risquais quelque chose sous bonne garde ? Nul doute, que si l’on attentait à mon existence ou que l’on touchait à un seul de mes cheveux la réplique serait cinglante.

Bien avant d’être princesse j’étais noble ; grandir dans l’opulence et la douceur familiale ; les relations s’étaient quelque peu envenimées envers ma mère, surtout depuis la naissance de ma magie. De plus, la montée sur le trône de son époux avait démultiplié sa fierté. Elle me jaugeait du regard, se méfiant de ma personne mais je n’en avais que faire. Je ne faisais qu’obéir et approuver ce que mes parents avaient décidé pour mon avenir. Après tout si cela pouvait à mon tour m’ouvrir les portes du pouvoir je ne m’y refuserai guère.

Les pensées dérivantes furent troublées par ce petit cri soudain derrière. Mon attitude aurait pu en surprendre plus d’un. Avancer vers l’inconnue, s’enquérir de sa situation. Noble et princesse font ménage avec ma volonté farouche d’assistance envers les plus faibles ou ceux dans le besoin. Cela est finalement peut être ma force et ma différence d’avec Laurianne. On ne devient pas princesse, duchesse ou encore impératrice sans se faire au préalable aimer de ses sujets.

Je souris au questionnement de la jeune femme ; ainsi, elle m’avait reconnu. Troublée, elle l’était, il en aurait été surprenant d’une réaction toute autre. Un regard vers le garde qui s’était rapproché avant de hocher la tête « je ne risque rien, ne vous inquiétez pas » lui dis-je en me rapprochant de l’inconnue.

La robe était emmêlée et plus elle s’agitait, plus elle se trouvait prisonnière, incapable de se dépêtre de la situation embarrassante dans laquelle elle se trouvait « vous permettez ? » lui dis-je tout en me dirigeant vers le buisson. Je pris entre mes doigts un pan de robe bloqué. Le buisson me piquait les mains, mordant ma lèvre inférieure je prenais sur moi. Quelques instants plus tard, la  jeune femme était libre « voilà, qui aurait dit que la princesse de Faërie pouvait voler à votre secours… » ; des badauds un peu plus loin semblaient se réjouir du spectacle… je ne manquai pas de les fusiller du regard. J’avais tout de même une réputation à tenir, il ne fallait point exagérer.

Puis m’adressant à nouveau vers la jeune femme, je lui dis « où donc courriez-vous pour ne pas voir ce buisson d’épines ? ; vous ne m’importunez guère j’ai au contraire bien besoin de compagnie… » jetant un regard au garde « espérons que votre impétuosité ne me cause point de damages ». Il était évident qu’elle avait vu le garde ; ses mots sonnaient tel un avertissement empreints d’un brin de gentillesse.

A mon saut de surprise face aux paroles de la princesse, le garde s'est approché comme signe de danger. Elle le rassure avant de revenir vers moi.

Alors que j'étais retournée vers ma robe pour la dépêtrer, la princesse s'accroupit pour m'aider à la défaire. Ma robe, maintenant relâchée, celle-ci décide de faire une blague. Mais était-ce une blague ? Je n'en sais trop rien. Sa phrase sonnait terriblement étrange à mes oreilles. N'est-ce pas le rôle d'une princesse de voler au secours de son peuple ? Certes normalement c'est d'une façon moins directe. Sortant de mes pensées, je me ré-incline face à elle.

Je vous en remercie, Princesse.

Je suis son regard suite à sa phrase vers son garde. Un avertissement clair et précis. Je fronce des sourcils. Si elle ne veut pas causer de troubles pourquoi donc m'accepter à ses côtés. Les princesses sont vraiment étranges. Je me décide alors à répondre à cette dernière.

Par les arbres, les ailes brillantes des dragons m'ont attiré vers ce lieu. Le spectacle magnifique de leur vol est vraiment beau. Courant à travers la forêt, je ne vis pas le buisson dans lequel je me suis pris. Le regard au ciel ne me permit pas non plus de vous voir dans ce lieu. C'est pourquoi,
je me retrouve ici en votre présence.

Alors que je venais de la dépêtrer du  buisson d’épines, la jeune femme me remercia, de manière tout aussi respectueuse, j’en fus presque contrite de tant de cérémonial à mon égard. Certes cela me complait de tant de respect…. Mais après tout ce rôle d’assistance n’était-ce pas celui qui marquait mon existence depuis toute petite ? C’est pourquoi après ses nouvelles paroles de remerciement je ne manquai pas de lui répondre « c’est avec plaisir, je suis là pour ça et je sais combien ces buissons peuvent être traîtres quelques fois… j’ai pour ma part laisser quelques bouts de robe depuis notre installation au palais, je ne puis que compatir à votre peine d’avoir abîmer votre tenue ».

Qu’importe, ce n’était point le moment de se lamenter sur la situation vestimentaire puisque déjà, elle m’explique que son inattention est essentiellement due au regard qu’elle portait sur les mêmes animaux que j’examinais moi-même quelques minutes auparavant. Un sourire s’empara de mon visage, pétillement des yeux accompagné d’un petit rire venant ponctuer la détente qui s’installait dans mon corps. Non seulement elle ne me dérange point mais mieux que cela, je trouvais en sa compagnie une fervente admiratrice des dragons… le hasard fait des fois bien les choses.

M’éloignant quelque peu d’elle, me trouvant entre elle et le garde et l’invitant à me suivre je me dirige vers le rebord. Reprenant la parole je m’adresse à elle « je vous invite à venir me rejoindre, ne vous inquiétez pas, vous ne risquez rien ».

Je m’installe sur le banc où je me trouvais quelques minutes auparavant, regard rêveur tourné vers les tours puis regardant la jeune femme je lui dis « si je n’avais pas été ce que je suis nul doute que je serais montée sur un de ses dragons comme mon frère… maintenant, il n’en est plus question,  nos obligations nous attendent ailleurs et ma magie ne peut être compatible avec le chevauchement de ces créatures… » une pointe de regret dans la voix mais, je ne peux gommer ce que je suis, mage de sang, rétablir leur honneur,  vivre ma nature le plus naturellement du monde et en faire mon credo tel est mon destin… nul doute que les regrets de mon passé feront la force de mon avenir….