Qu'est-ce que vous ne comprenez dans « Ne pas entrer – DANGER », petits pions de la Destinée ? C'était pourtant bien marqué sur cette porte de l'Académie, soigneusement calligraphié sur un bel écriteau soigneusement accroché. Mais non, il a fallu que vous entriez, à quelques heures d'intervalle l'un de l'autre... et vous voilà coincés dans la Salle à Disparaître, un lieu d'entre deux, jamais au même endroit dans l'école. La salle se déplace incessamment, et vous allez devoir vous débrouiller pour en sortir malgré la porte obstinément verrouillée. Bonne chance !
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Les écriteaux sont parfaitement inutiles, surtout pour les lettrés
• Date : 17 décembre 1000 • Statut du RP : Privé - Animation • Résumé : Quand on interdit l’accès à une salle, il en faut forcément pour y pénétrer. Elève et professeur, voici Neve et Citalphe qui, pris sans doute d’un élan d’analphabétisme, se retrouvent coincés dans une Salle à disparaître bien décidée à rester verrouillée.
Ne pas entrer – DANGER
« Et pourquoi pas ? », s’était exclamé Citalphe qui, errant dans les couloirs en plein milieu de la nuit, s’était retrouvé devant cette porte close.
Un écriteau étrange dont les lettres étaient dessinées dans une splendide calligraphie qui dénotait avec un potentiel danger. Fourbe destinée qui happe les curieux quand ils constatent d’une dissonance qui les trouble : le professeur d’Histoire ne put s’empêcher de franchir l’entrée et de pénétrer dans la dite pièce qu’il avait refermé d’un mouvement ferme et d’un claquement théâtral. Pour se rendre compte que la porte ne voulait décidément plus s’ouvrir. Après avoir tenté de faire céder la poignée terriblement têtue, Citalphe s’était retourné pour observer la pièce dans laquelle il était coincé. Au moins, il ne faisait pas froid ici, et il y avait des chaises sur lesquelles s’asseoir. Tirant l’une d’entre elles à lui, le professeur s’asseyant à califourchon dessus, posant son menton sur le dossier et observant patiemment les alentours à la recherche d’une solution – mais que pouvait bien un simple Savant face aux facéties de la Magie ? Cela faisait longtemps qu’il abandonnait ces combats perdus d’avance. Quand il entendit derrière lui une personne entrer et refermer rapidement la porte, Citalphe poussa un soupir, croisa les doigts, et, sans se retourner, déclara :
« Bienvenue ! Puisque vous venez de verrouiller toutes nos chances de sortie, je vous conseille de bien vous installer. »
Danger (n.m.) : nom désignant un fait périlleux, pouvant porter atteinte à la vie ou l’intégrité d’une personne ou d’une chose. Entrer (v.) : verbe signifiant l’action de pénétrer dans une pièce, un lieu.
L’encyclopédie mentale de Neve était de toute évidence hors-service cette nuit-là. Tandis que le jeune ansemarien flânait dans les couloirs de l’Académie, tiré de son sommeil par un rêve lugubre, il se posta devant cette porte au demeurant si simple, avec ce petit écriteau rédhibitoire: « Ne pas entrer – Danger ». Mélancolique de ses nuits sans rêve, il jugea certainement bon de se changer les idées en bravant l’interdit, mais son acte stupide en valut la chandelle. Pénétrant sans un bruit dans la mystérieuse salle, il referma vivement la porte derrière lui, avant qu’une voix inquisitrice lui stipule qu’ils étaient tous deux enfermés désormais. L’ironie, Neve la reconnut : c’était celle de Citalphe Brusquevire. Il sursauta, tenta d’ouvrir la porte en vain et s’abstint de soulever la remarque du professeur au sujet de la magie.
– Professeur Brusquevire, mais qu’est-ce que…
Neve fut stoppé dans ses pensées en comprenant peu à peu les tenants et les aboutissants d’un tel lieu. Les pièces d’un puzzle mental coïncidèrent lentement ; il réfléchit quelques secondes. Tout lui sembla alors évident et lucide.
– La Salle à Disparaître, lâcha-t-il soudainement en perçant à jour ce qu’impliquait une pièce résolument défendue et magique. Nous sommes dans la Salle à Disparaître !
Sa voix trahissait un réel engouement, bien que la situation fut critique.
Citalphe reconnut la voix de Neve et se retourna sur sa chaise, se retrouvant enfin assis dans la position convenue et faisant ainsi face au nouvel arrivé. Il l’accueillit d’un sourire plus chaleureux. Mais le Chevaucheur semblait ailleurs, pris dans des pensées qui lui permirent de remettre la situation en place et de déclarer, d’une voix pleine d’engouement, qu’ils étaient dans la Salle à disparaître. Bien. Le professeur s’en était rendu compte bien plus tôt, quand il avait eu seul comme unique loisir de réfléchir.
« Bonne déduction, déclara-t-il en regardant Neve. Malheureusement, peu d’écrits à l’Académie relatent de la Salle à disparaître, et aucun d’entre eux ne conte une solution quand celle-ci décide de piéger ses occupants. »
Il se cala plus agréablement sur sa chaise, puis tira à lui l’une de ses voisines pour y déposer ses jambes. Après tout, autant bien s’installer, et il invita d’un regard son interlocuteur à faire de même.
« Donc, deux solutions : soit personne n’en est sorti, soit personne n’y est entré. Surtout quand un splendide écriteau indiquait un danger. Dans tous les cas, nous ne sommes pas beaucoup aidés. »
Citalphe croisa ses jambes, posa son coude sur le dossier de sa chaise, et jeta un coup d’œil rapide alentours.
« N’importe quoi dans cette pièce qui nous aiderait à ouvrir une porte magique ? Je t’aurais bien servi un verre, mais jusque dans ses endroits étranges, l’Académie cache ses bonnes bouteilles. »
Oui, il était vrai que seules quelques rumeurs étudiantes circulaient au sujet de la Salle à Disparaître. Selon certaines d’entre elles, une seule et unique carte permettrait de la trouver, volontairement il s’entend. Neve observa alentour l’allure de salle de classe que cette pièce si mystérieuse avait décidé d’adopter. Citalphe, que malgré tout le jeune ansemarien était heureux de revoir, prenait ses aises dans la pièce, résolument persuadé de ne pas sortir d’ici de sitôt. Son élève spirituel ne pouvait se résoudre à demeurer assis sans agir. Ainsi, sur le qui-vive, il scruta les murs proprets et simples, dépourvus de quelconque indices de sortie. La remarque de Citalphe arracha un sourire à Neve. Ce dernier jugea qu’il était inutile d’user d’une quelconque violence envers la porte, avec une force que de toute façon il ne possédait pas, et préféra la magie. Se concentrant avec sérieux, il glissa quelques filets d’eau dans la serrure de la porte pour tâcher de trouver le verrou et le mécanisme concerné. Mais à dire vrai, il n’existait aucun verrou, ni aucun mécanisme. La porte semblait véritablement ancrée dans le mur.
– Je crois que nous pouvons de suite abandonner l’idée d’ouvrir cette porte, magie ou pas magie, souffla Neve comme pour lui-même.
Il se retourna vers Citalphe, plus sérieux qu’à son arrivée.
– Nous ne pouvons rien à cette salle, elle est puissamment ensorcelée. Notre seule chance, ce sont les aléas du lieu. Il doit exister un moyen de le faire se déplacer et changer de forme.
Le regard marron du professeur brillait réellement de curiosité devant le Chevaucheur, qui cherchait toujours une solution. Avec un certain intérêt, comme un enfant devant des choses qu’il ne connaissait pas et ne comprendrait sûrement jamais, il regardait Neve user de sa magie, cherchait une solution, et déclarer que la porte ne s’ouvrirait de toutes les façons pas. Toujours imperturbable – et pas vraiment surpris –, le professeur fixa le jeune homme à l’air bien trop sérieux expliquer ses conclusions. Citalphe acquiesça. Une idée lui vint. Il se leva, il s’approcha de la fresque de fenêtre que comptait la salle de classe, il observa à travers celle-ci le sombre ciel.
« Ce côté de la salle donne plein Ouest, » dit-il après avoir observé un instant le paysage au dehors, entre les faibles lueurs de la ville et les étoiles.
L’idée de déplacer la salle lui plaisait bien. L’idée de la faire changer de forme, un peu moins, mais il garda ses réserves.
« Et sortir par les fenêtres ? Nous aurions certes l’air de voleurs, mais eux ont bien compris qu’à porte fermée, les fenêtres étaient toujours à notre disposition. Si nous trouvons le matériel adéquat. »
Au-dehors, le ciel sombre s’ouvrait. Neve s’approcha des larges baies vitrées aux côtés de Citalphe, qui jugea qu’ils se trouvaient à l’Ouest –pour le moment. Le jeune ansemarien avisa la hauteur qui séparait la salle du sol, et il déglutit en constatant que, pour le moment, sortir par-là n’était pas une solution envisageable. Et puis, il fallait en effet trouver le matériel adéquat. À moins que… L’idée fusa dans l’esprit du jeune ansemarien comme une évidence.
– Les dragons ! s’exclama-t-il. Si je m’adresse à Inespéré, peut-être pourrait-il nous venir en aide ?
Neve commença par se concentrer, soufflant dans son esprit quelques bribes de paroles à l’intention du dragon saphir. Mais sans avoir le temps de conclure son apostrophe mentale, la salle à disparaître sembla frémir, et quelques secondes s’écoulèrent avant que le ciel obscur ne disparaisse et ne laisse place à un mur, proprement et sûrement, sur lequel donnaient directement les fenêtres salvatrices. Neve resta abasourdi quelques secondes, avant que la porte de la mystérieuse pièce ne s’entrouvre avec prudence. Un visage ensommeillé, un pyjama mal ajusté et le minois ahuri d’une jeune élève apparurent dans l’entrebâillement de la porte.
– Par Uld…, souffla le jeune ansemarien, dépassé par les évènements.
La jeune femme les toisa un instant, décontenancée, tandis que Citalphe et Neve n’osaient faire le moindre geste. Une fraction de secondes s’écoula, et l’élève, la voix étranglée et le regard interrogateur, lâcha :
Un dragon. Ne pouvait-il plutôt pas invoquer une corde ? Ce serait plus sympathique pour le professeur. Surtout que grands reptiles étaient récalcitrants envers les étrangers, d’autant plus quand ceux-ci ressentaient une certaine appréhension. Enfin, c’était une solution, et si cela pouvait aider Neve, alors Citalphe n’allait pas trop se plaindre. Il n’eut que le temps de se faire à cette idée que la salle se mit à bouger. Ou peut-être fut-ce le monde autour des deux occupants de la pièce qui se mit à se mouvoir, car à la vérité, hormis les quelques vibrations qui parcoururent le sol, Citalphe ne sentit aucune différence. C’était perturbant. Plus perturbant lorsque, une fois que la salle avait décidé qu’elle serait bien mieux coincée entre quatre murs, une jeune élève perdue sortit de sa chambre pour arriver devant le duo malhabile ; à entendre Neve jurer, le professeur se mit à rire devant la situation incongrue. Ce qui n’était pas du goût de leur vis-à-vis puisqu’elle se détourna.
« Attendez ! », s’exclama Citalphe qui entendit la porte claquer.
Ses épaules retombèrent, il soupira. Tout n’était pas perdu : le professeur s’avança à grandes enjambées vers la porte, prêt à toquer pour rappeler la jeune fille, mais la porte se déroba sous ses doigts, ne laissant qu’un mur contre lequel ses doigts se heurtèrent avec douleur. Il se retourna pour voir la dite porte réapparaître à l’autre bout de la pièce.
– Je pense que c’est sans équivoque, répondit Neve sans énergie.
Être tourné en ridicule par une salle de classe, ce n’était pas un fantasme très répandu en Arven. Le jeune ansemarien n’avait pu que soutenir avec espoir son professeur tenter le tout pour le tout contre la lourde porte d’ébène, avant que cette dernière ne s’évince sous ses doigts pour venir reparaître à l’autre bout de la pièce. Les deux prisonniers soupirèrent de concert, résolument convaincus d’être les jouets d’un Destin fantasque.
– Bon, il ne reste plus qu’à attendre que la salle décide de changer d’air et se déplace à un endroit plus… abordable, disons, suggéra Neve sans réel espoir.
En effet, les quatre murs parquant la pièce et la porte résolument close n’offraient pas grandes possibilités de sorties. Le jeune ansemarien s’assit sur l’une des chaises, pestant mentalement contre la jeune femme qui venait de les snober dans un geste grandiose. Il n’avait pas pour habitude d’être grossier, loin de là, mais cette nuit-là, les jurons à base d’Uld et de Mirta fleurirent sans aucun mal dans son esprit fatigué. Les minutes s’écoulèrent en silence, les unes après les autres, sans perspective de sortie l’horizon. Neve s’apprêtait à engager une discussion folichonne avec Citalphe, lorsque brusquement, la salle fut comme éprise d’un soubresaut.
– C’était quoi ça ? lâcha le Chevaucheur en se redressant tant bien que mal sous l’effet du choc.
Le tremblement reprit de plus belle, prémonition d’un mouvement imminent. Neve ne se risqua pas à imaginer pire.
Être tourné en ridicule par une salle de classe ne pouvait arriver qu’à l’Académie, et même dans cette institution aux milles facéties, l’aventure des deux Ansemeriens n’était pas anodine. Si peu que plus la situation évoluait, moins ils n’avaient d’idées pour trouver une solution : l’optimiste Chevaucheur avait tourné au pessimisme, et il entendit plusieurs jurons traverser ses lèvres. Au moins jurait-il assez pour deux, constata Citalphe. Quand le professeur vit Neve prêt à engager une conversation joyeuse – après tout, tout s’était passé si vite qu’ils n’avaient pas pu échanger les politesses classiques –, il se montra prêt à l’accueillir, mais la salle se remit à vibrer. Se mouvait-elle si fréquemment qu’il avait vraiment fallu que les deux prisonniers jouent d’habileté pour s’y trouver coincés ? Les paysages derrière les vitres ne changèrent pas : ce fut la porte qui, une nouvelle fois ,se déplaça pour s’élever juste assez haut pour que la poignée étant juste assez haute pour que Citalphe l’effleure des doigts. Il n’essaya bien sûr pas, attrapant à la place une chaise et s’asseyant face à Neve.
« Que faisons-nous ? Je n’ai aucun doute sur la présence d’une nouvelle surprise derrière cette porte et je parierais plutôt sur les étals à fumier de l’écurie ou autres joyeusetés qui se déversent et bloquent les sorties. Je préfère complètement ignorer cette salle à la magie capricieuse. »
Un sourire fendit le visage du professeur.
« Comment vas-tu mon cher Neve ? Tu as l’air d’avoir mal dormi. »
Oui, en effet, les humeurs de cette salle étaient imprévisibles, et peu amicales en règle générale. La porte avait eu beau changer une nouvelle fois de position, il n’était pas certain qu’elle ne renfermerait pas derrière elle quelques nouveautés incongrues, ou pire, qu’elle ne s’ouvrirait pas. Neve tenta tout de même le tout pour le tout, et s’approchant sans réel espoir des lourds battants, il ne rencontra qu’un nouvel échec. Son soupir en disait long sur l’avancée de la situation. Pendant ce temps, le professeur Brusquevire avait pris place sur l’une des chaises de la salle de classe et faisait mine de ne pas prêter attention aux caprices de la salle à disparaître.
– Je pourrais vous retourner la question s’il n’était pas communément admis que l’Académie de nuit n’a plus de secret pour vous, sourit Neve en prenant place auprès de Citalphe.
Puisqu’il fallait se résoudre à passer du temps ici en compagnie d’un être pour le moins cher, autant en profiter plus que de se morfondre sur le sort capricieux qui leur était réservé.
– Vous qui n’éprouvez pas d’amour véritable envers la magie, il semble bien que le Destin vous joue des tours en vous enfermant ici, ajouta le jeune ansemarien d’un air quelque peu désabusé.
Il reporta son attention sur le professeur, curieux de connaître son point de vue. La magie et le savoir étaient leurs sujets favoris.
– Tous vos livres d’histoire ne mentionnent à aucun moment des disparitions loufoques au sein de l’Académie ? glissa-t-il en souriant.
Faire la conversation rendait déjà la situation plus agréable. Tandis que Neve prit place à son tour, après avoir tenté une dernière fois, Citalphe vit du coin de l’œil la porte se déplacer une nouvelle fois. Il l’ignora.
« L’Histoire est particulièrement possessive, et je soupçonne la Magie d’en être jalouse et de ce fait ne pas m’apprécier, répondit-il avec calme. Le Destin a néanmoins également joué ses tours à un Mage – un Chevaucheur qui plus est, la crème de la crème ! Je suppose donc qu’il n’a pas sélectionné ses pauvres victimes innocentes selon leurs affinités. »
A la question suivante, Citalphe réfléchit un court instant.
« Malheu… »
Une fenêtre s’ouvrit et claqua, et le mur qui servait de paysage attestait de l’impossibilité d’un courant d’air. Le professeur recommença sa phrase avec impassibilité malgré la surprise.
« Malheureusement pas à ma connaissance. Il y a tout un intéressant rayon dans la Bibliothèque du monde terrestre traitant d’anecdotes sur des élèves se réveillant tout en haut de la plus haute des tours, ou changé en cafard du jour au lendemain – il avait dû écrire sur un parchemin d’un doyen qu’il était changé en… »
A nouveau, ce n’était pas du goût la pièce qui se mit à claquer des fenêtres dans tous les sens, coupant ainsi la parole au professeur qui se mit à lui répliquer, agacé :
« On ne coupe pas la parole au professeur quand on est une salle de classe bien élevée, merci ! »
Au compliment de Citalphe, Neve rougit quelque peu. Il aurait voulu rétorquer quelque chose, mais déjà le professeur enchaînait sur autre chose. Mais son discours se voyait sans cesse entrecoupé de violents battements des fenêtres de la salle de classe, pourtant ouvertes sur un mur. Aucun courant d’air n’aurait décemment pu s’infiltrer ici, et pourtant les battants s’affolaient comme de beaux diables. Si bien que Citalphe finit par hausser le ton, excédé par les libertés que prenait la salle à disparaître. À sa remarque, pourtant très fine, la pièce sembla s’apaiser un instant. Le silence s’installa quelques dixièmes de secondes, dans une réalité suspendue, avant que la salle toute entière ne commence à se mouvoir. Elle semblait pencher inexorablement, comme si elle cherchait à se retourner sur elle-même, sens dessus dessous, littéralement.
– Je crois que vous l’avez vexée, remarqua Neve d’une petite voix, observant tout autour de lui les tables et les chaises glisser lentement vers les fenêtres.
Bientôt, il devint difficile pour les deux prisonniers de rester debout sans manquer de tomber. La salle continuait son lent retournement, et les deux compagnons ne pouvaient qu’observer avec une certaine crainte les fenêtres désormais sous leurs pieds, découvrant non plus les murs, mais le vide. Dans son renversement, la pièce donnait tout droit sur la ville de Lorgol, à une centaine de mètres sous les vitres sur lesquelles reposaient Citalphe et Neve.
– Nous étions sous le balcon de la plus haute tour de l’aile ouest…, souffla le jeune ansemarien avec stupeur.
Ce n’était pas aujourd’hui que Citalphe allait se réconcilier avec la Magie. Ce qu’il pouvait détester quand on lui coupait la parole ! Que ce fût un ivrogne, un élève, ou une salle qui l’agaçait tellement qu’à présent, il se sentait prêt à fleurir son langage pourtant soigné à la manière de Neve. Le professeur ne pouvait qu’affirmer la remarque de Neve, de plus en plus inquiet en voyant le mur se découvrir et offrir une vue splendide sur Lorgol, baignée de la lumière du soleil se levant à peine ; une vue dont Citalphe n’avait jamais profité puisqu’il avait ce mal très ordinaire mais terriblement gênant dans des situations pareilles : le vertige. Tourner les yeux. Mais s’excuser pour l’avoir vexée ? Quelle idée de présenter ses excuses à une salle, toute capricieuse et fière qu’elle pouvait être ! Cela ne changerait pas grande chose, cette pièce avait dû être un âne dans une vie antérieure. Bon sang, comment pouvait-il parler d’une salle magique comme d’une femme ? En plus, aucune d’entre elles n’avait tenté de le tuer, au contraire de cette pièce. Tourner les yeux. Garder les idées claires, et regarder les trois énormes dictionnaires glisser de cette étagère et tomber vers les fenêtres et le fond de la salle. L’un d’entre eux pouvait sans peine heurter le Chevaucheur.
« Attention aux dictionnaires Neve ! », s’exclama Citalphe en tournant ses yeux vers le mage.
Il déglutit devant le vide et fixa l’un des côtés de la pièce.
Neve trébucha et se retrouva mains contre verre, nez à nez avec le vide. Les tables et les chaises s’amoncelaient sur les vitres malingres, qui d’un moment à l’autre menaçaient de se fissurer. Le jeune ansemarien jeta un regard atterré au professeur, suggérant qu’il était plus que temps de quérir Inespéré. De son côté, Citalphe semblait plus que mal en point et faisait tout son possible pour ne pas se retrouver face au vide. Neve n’eut pas le temps de railler son vertige qu’une exclamation le tira de ses spéculations. Comment ça, « attention aux dictionnaires » ?
Le jeune ansemarien reçut de plein fouet lesdits dictionnaires. Il sentit les imposants volumes percuter ses membres et il tomba à la renverse comme une poupée de chiffon. Le choc le coupa de la réalité durant quelques instants, sonné et groggy. Lorsque Neve reprit ses esprits, les sens altérés, il tomba nez à nez avec les vitres fissurées de toutes parts. Citalphe l’appelait sans relâche, et le jeune ansemarien constata qu’il ne leur restait qu’une poignée de minutes avant que le verre ne se fende entièrement et déverse dans le vide tables, chaises et prisonniers démunis. Neve déglutit avec appréhension. Toutefois, il eut à peine le temps de prévenir Citalphe qu’il n’avait rien, que le verre sous les pieds du professeur se déroba. Le jeune ansemarien se précipita pour le rattrapa.
– Professeur ! cria-t-il en rattrapant de justesse le bras de l’historien.
Le vide les appelait tous deux. Il fallait prévenir Inespéré.
Les dictionnaires s’ouvrirent dans un froissement terrible qui fit mal au cœur lecteur passionné qu’était le professeur ; mais tout aussi apeurant s’avéra-t-être la disparition du Chevaucheur derrière les feuilles virevoltantes. Et le vide derrière elles. Citalphe tourna les yeux, l’appela, mais il eut pour seule réponse un choc. Et les implacables lois de la gravité contre lesquelles il ne pouvait rien et qui le firent glisser sur le plancher, l’attirant vers les fenêtres. Le plancher devint mur, les fenêtres devinrent sol : et si le vertige du professeur ne lui faisait pas perdre tous ses moyens, son cœur s’affolait avec déraison de voir ses pieds retenus par une dalle transparente. Neve semblait reprendre ses esprits, lui aussi appuyé sur le verre, et Citalphe l’appela une nouvelle fois pour être certain qu’il allait bien. Son optimisme légendaire se trouva réconfortée quand le Chevaucheur lui assura qu’il allait pour le mieux et il se sentit prêt à alléger l’ambiance mais il se sentit soudain très lourd, comme irrémédiablement attiré vers le sol. Un instant il poussa un cri dont il n’était pas fier ; l’instant d’après, Neve le tenait par le bras, et Citalphe le remercia d’un geste de la tête.
« Danger, hein ! – je vais en toucher deux mots à l’archimage sur ses panneaux préventifs complètement idiots ! »
Et gardant les yeux fixés sur le mage, oubliant le vide, il dit :
« Dis-moi que tu as une idée, les miennes viennent toutes de prendre leur envol… »
Citalphe demeurait suspendu dans le vide, les membres raidis. Neve, tant bien que mal, le soutenait du mieux qu’il pouvait, trop frêle pour le redresser dans la salle à disparaître et pas suffisamment faible pour le laisser choir dans le vide. Ou alors était-ce l’énergie du désespoir qui lui insufflait une telle force. Le professeur avoua que toutes ses idées avaient irrémédiablement pris leur envol, et le jeune ansemarien décida d’agir vite. Il ferma les yeux quelques instants, concentré sur le lien qui l’unissait à Inespéré, et lui souffla avec panique : Inespéré, Inespéré, tu m’entends ? La voix se perdit comme un écho dans son esprit. Inespéré, je t’en supplie, j’ai besoin de toi ! Une voix sage et douce lui répondit presque aussitôt. Je suis là.
– Je vais devoir vous lâcher, avoua Neve à Citalphe, entre ses dents. Faites-moi confiance.
Le professeur ne semblait pas du tout enclin à plonger dans le vide, et le fit clairement comprendre à son vis-à-vis en serrant davantage son maigre poignet. Neve maintenait son ami avec une difficulté croissante, lorsqu’enfin la silhouette svelte et bleutée d’Inespéré trancha la nuit alentour. Les vitres de la salle à disparaître menaçaient toujours plus de se briser de toutes parts, et le jeune ansemarien jugea qu’il fallait agir vite.
– Faites-moi confiance, supplia-t-il à nouveau auprès de Citalphe.
L’instant d’après, il lâchait prise. Le professeur plongea dans le vide comme un pantin désarticulé, mais la chute ne dura pas plus d’une seconde. Inespéré rattrapa l’historien au vol.
Spoiler:
250 mots
Dernière édition par Neve l'Embrun le Ven 29 Jan 2016 - 17:31, édité 2 fois
Non, non, non, il en était hors de question ; mais les mots ne franchissaient pas ses lèvres. Finalement, demander son idée à Neve était un très mauvais plan, et Citalphe ne voyait qu’une nouvelle preuve que la magie rendait fou les mages. Si le professeur n’était pas en train de subir une croissante panique, il aurait pu être reconnaissant envers le Chevaucheur. Les mots qui restaient coincés au fond de la gorge du savant démontraient tout le contraire. Les derniers mots de Neve semblèrent sonner le glas. L’instant d’après, il plongeait dans le vide – et son corps entier se retrouva paralysé. Le temps était figé, figé sur cette boule qui grandissait en lui et semblait irrémédiablement tirée vers le sol, l’emportant dans son élan. Puis le choc, des coupures, et une immense inspiration dans un environnement tout teinté de bleu. Par réflexe, Citalphe se retourna et s’accrocha pour ne pas chuter une nouvelle fois. Quand il sentait que ce à quoi il était agrippé de ses deux bras et de cette jambe sans trop comprendre pourquoi et comment. Mais il n’était plus attiré par le vide, ce qui était positif.
« Inespéré ? Enchanté. »
Et la suite ? L’esprit du savant était complètement chamboulé et sens dessus dessous, aussi il n’avait strictement aucune idée d’où était le ciel de la terre, l’arrière de l’avant du dragon.
« Si je vous dérange noble dragon, pardonnez-moi ; j’ai pourtant dit à votre Chevaucheur que c’était une très mauvaise idée. »
Le Destin sembla se montrer clément, car la chance leur sourit et Citalphe heurta comme convenu le dos d’Inespéré. Malgré la frayeur de la chute, le professeur eut l’intuition de se cramponner à tout ce qu’il pouvait, pour ne pas choir à nouveau dans le vide. La nuit les environnait comme des bras immenses et hostiles, et très loin en contrebas, la ville de Lorgol avait englouti toute lumière. Neve poussa un soupir de soulagement en distinguant malgré l’obscurité le professeur sur le dos de son ami, sain et sauf. Mais désormais, il lui fallait à son tour trouver le moyen de quitter la salle à disparaître sans embuche, salle commençant à s’effriter comme un arbre perdant ses feuilles à l’automne. Inespéré, je compte sur toi, souffla-t-il au dragon dans une pensée marquée par la crainte.
La seconde d’après, abandonnant les dictionnaires et les tables renversées, le jeune ansemarien se laissait happer par le vide à son tour. Son ami honora son habilité et sa hardiesse, et d’une vivacité sans faille, il agrippa Neve au creux de ses griffes, l’attrapant au vol comme une vulgaire proie. Le jeune ansemarien, certainement plus habitué que l’historien à de telles acrobaties aériennes, soupira, rassuré par la tournure que prenaient désormais les évènements. Mon Chevaucheur n’a jamais les idées les plus exempts de désagréments, souffla Inespéré dans une pensée rieuse à Citalphe et Neve.
– Réjouissons-nous plutôt d’être toujours en vie, ajouta ce dernier, ressassant dans son esprit les mésaventures de cette soirée houleuse.
Ce qui était le plus impressionnant, ce fut le calme qui suivit toute cette précipitation. Neve rejoignit le bord avec facilité tandis que Citalphe, faisant de son mieux pour garder son équilibre – malheureusement, sa tenue avait subi les dégâts des aventures du jour et continuait à s’écharper contre les écailles –, tentait de garder sa superbe. En vérité, il était complètement perdu. Neve, optimiste, philosopha et constata qu’ils étaient en vie. Citalphe soupira, puis gratifia tout de même son compagnon d’un sourire.
« Merci beaucoup Neve, et Inespéré bien sûr – votre aide était, si je puis le dire, totalement inespérée. »
Il y eut une secousse inattendue et le professeur s’accrocha du mieux qu’il put au dragon. Pendant une seconde, son visage arbora une grimace et il demanda légèrement gêné :
« Serait-il possible de se rapprocher un peu plus du sol ? Ce n’est pas contre vous noble dragon, mais je vis une relation conflictuelle avec les airs et les hauteurs. »
Ne pas regarder en bas. Citalphe inspira profondément, concentré sur son point d’équilibre, pour éviter de tomber. Malheureusement, il n’avait vraiment rien d’un Chevaucheur, et lorsqu’il tourna son regard vers Neve, le poids de son corps se déplaça juste assez pour qu’il perde son assiette et se retrouve à nouveau attiré vers le sol. Dans un geste réflexe, il s’accrocha à son compagnon pour ne pas chuter.
« Je te le promets Neve, une fois à terre, je te paye un verre – et les suivants. »
Neve avait rejoint l’historien sur le dos d’Inespéré. Le calme se posa comme une chape sereine sur les trois compères, remués par les émotions fortes et le sommeil qui pointait à nouveau dans leurs esprits embrumés. Citalphe les remercia tous deux, remerciement auquel Neve répondit pas un hochement de tête conciliant, toujours sous le choc qu’ils soient tous deux intacts. Le jeune ansemarien tâchait de retenir le professeur quand ce dernier vacillait, peu à l’aise au demeurant à une telle hauteur. Le rire clair d’Inespéré résonna dans son esprit, à la vue de ses deux passagers hurluberlesques. Je crois que nous devrions nous poser, nous sommes tous exténués, souffla Neve à son ami.
Le jeune ansemarien sourit à la promesse que Citalphe lui fit, et décida de garder cela dans un coin de son esprit, lui offrant une merveilleuse raison pour revoir son maître à penser, avec qui il n’avait eu que trop peu l’occasion d’échanger cette nuit-là.
– Ne promettez pas trop vite professeur, il faut déjà que nous parvenions à terre, railla Neve d’une voix amicale.
Inespéré finit par se poser sur l’un des larges balcons de l’Académie, ayant préalablement prit une altitude suffisante. Il se stabilisa en douceur, s’inclinant légèrement pour laisser à Citalphe et Neve tout le confort possible dans leur descente. Les deux amis mirent pied à terre sans difficulté. La nuit était sensiblement entamée.
– J’espère que tout ceci n’était pas qu’un rêve, avoua le jeune ansemarien en jetant un regard au ciel sombre et profond.
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