Intrigue 3.3 • La Mémoire dans la Pierre

Tout avait fini par s’enchaîner excessivement vite et, au final, quoi qu’ils aient pu faire, il semblait que quelques personnes de la Rose l’auraient fait sans leur intervention. Las, il avait suivi le groupe, et assisté à la fuite de Pascaline Mappemonde, pour finir par revenir au temps normal. Et pour voir que tout le monde n’en faisait qu’à sa tête, sans chercher à agir de concert, pour… Dans quel but déjà ? Tout le monde semblait avoir perdu de vue leur mission première, lui y compris, et il lui fallut plus de temps que les autres pour arriver en présence de la jeune femme au sol, claudiquant, sa jambe le faisant atrocement souffrir. Il entendit les paroles rassurantes de Ferveur, et celles de Kumquat. Ils étaient loin, mais ils étaient toujours là. Et ils n’avaient rien ressenti, semblait-il, alors qu’il leur posait la même question que Merle. « Ils n’ont rien perçu de nouveau ou de différent. Mais sûrement ne s’en rendraient-ils pas compte. Pas encore. » Il continua à avancer en bon dernier, gardant le silence, les dents serrées à cause de la douleur.

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Il avançait péniblement, et ne cherchait pas nécessaire à rattraper les autres. Quelle importance, alors que tous étaient désunis, et résolument en désaccord ? Qu’ils s’impatientent, parce qu’il les retardait. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid, et s’ils décidaient de le laisser ici derrière, il se débrouillerait bien seul. Il fronça les sourcils, en sentant le poids sur sa jambe qui s’allégeait, comme si la douleur avait été fictive, avant de croiser le regard de Maelys. Évidemment. Était-ce juste un reliquat du devoir qui existait entre eux, qui la motivait à agir ainsi ? Cela le contrariait plus qu’il n’aurait su le dire, le faisant espérer pouvoir reconstruire une relation de confiance avec sa Chevaucheuse. Sa protégée…

Secouant brièvement la tête, il continua à marcher, rattrapant légèrement son retard grâce à l’aide de Maelys – pas aisément, et arrivant malgré tout après les autres. Mais bien assez tôt, pour entendre la proposition de l’archiviste. S’il avait soutenu le fait de parler à Pascaline, il écarquilla les yeux, à sa suggestion. Il hocha la tête, aux propos de Rackham. Ils avaient toujours échangé avec discernement, particulièrement quand les Chevaucheurs ansemariens avaient apporté leur soutien aux Chevaucheurs lagrans, même si la communication était rendue difficile par l’absence de capacité de lecture du capitaine. « N’oublions pas que c’est l’Académie même qui a toujours refusé mes semblables – et bien d’autres, aux dons honnis à ses yeux. Elle n’est qu’un pion, aux mains de la Rose, prête à satisfaire ses moindres désirs. Elle ne s’est jamais opposée à ces décisions injustes. »

Il fronça les sourcils, en entendant son homologue parler de se débarrasser de la fiole. Serait-ce la solution ? Un artefact aussi puissant reviendrait très probablement, tôt ou tard, dans les mains de quelqu’un. À moins de s’assurer de pouvoir la priver des pouvoirs latents, ou non, qu’elle avait… S’il était jusqu’à présent d’accord avec le mage de l’Hiver, la suite le surprit davantage. Il ne s’attendait pas à cela, et un soupçon d’admiration traversa son regard. Ainsi, il essayait de favoriser cette entente entre la Rose et l’Ordre ? Si chacun avait commis des actes répréhensibles, était-ce réellement une bonne solution, que de remettre tant de puissance entre leurs mains ? Pourtant… Pourtant, Tristan voulait y croire. Il semblait peut-être constamment mesuré, réservé, mais il était avant tout un idéaliste. Pourquoi aurait-il embrassé la magie du Sang, sinon ? « C’est la chose la plus intelligente que j’ai entendu de tout ce périple, je crois. Je vous accompagnerai volontiers. Mais cela demandera de régler plusieurs détails, dont nous pourrons nous entretenir plus tard. » Sous-entendu, loin des oreilles indiscrètes qui étaient présentes. Tristan n’avait confiance en aucun membre du groupe – Maelys et Rackham mis à part, bien qu’il reste quelque peu méfiant.

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Isabeau suivit à la trace Rackham, un sourire radieux venant illuminer son visage alors qu’ils retrouvaient enfin la douce moiteur d’Outrevent. De l’air, du vent, la liberté. Alors que le chevaucheur reposait avec délicatesse Roxane au sol, l’érudite lui adressa un signe de tête courtois. Elle se serait bien jetée dans ses bras pour le remercier mais la situation ne s’y prêtait pas vraiment. Et puis elle ne le connaissait pas vraiment et se comporter ainsi aurait pu être d’une indécence sans nom. Et s’il était marié ? Et s’il aimait les hommes ? Laissant aux autres membres du groupe le soin de se réunir, Isabeau resta un temps aux côtés de son amie, soucieuse. Elle passa avec douceur sa main dans les cheveux de la jeune femme, se voulant rassurante, maternelle. Après tout, au sein de la guilde des Compagnes d’Outrevent, la réputation de mère poule d’Isabeau n’était plus à faire. Appréciée tant par les clients que ses sœurs, elle en avait presque fait sa marque de fabrique. Avant de faire quoi que ce soit, elle devait s’assurer que Roxane allait bien. Ou en tout cas assez bien pour patienter quelques instants. Elle était frigorifiée, ce ne serait pas très long à priori.

-Roxane, j’aimerais partir sur le champ avec toi mais il me reste quelque chose à faire. Te sens-tu capable d’attendre encore un peu ?

D’un simple mouvement de tête, son amie lui fit signe qu’elle était d’accord pour rester. Il aurait été plus que fâcheux de s’éclipser après toutes ces mésaventures. Isabeau avait participé à tout cela au même titre que n’importe qui et elle comptait bien participer à la conclusion, au bouquet final. Personne ne semblait être accord sur la marche à suivre, ou presque. Maelys proposait de rendre la fiole à la Rose, ou du moins ce qu’il en restait. Il y a quelques heures de cela, Isabeau aurait approuvé sans même ciller. Mais maintenant qu’elle disposait de toutes ces nouvelles informations, elle était plus perdue que jamais. Personne n’avait vraiment raison, tout était une question de perspective et la Compagne n’avait jamais voulu comprendre le point de vue de l’Ordre. Maintenant elle le comprenait et elle ne trouvait pas normal qu’une telle relique soit confiée à une seule des deux factions. Isabeau voulait participer vraiment, mais qu’avait-elle à proposer maintenant qu’elle y réfléchissait ? Garder la fiole chez les Compagnes ? S’amuser à créer de nouveaux jeux lubriques autour de son utilisation ? Par tous les dieux, tout sauf ça.

Et les voix de Rackham et Tristan s’unirent à l’unisson. Et ils avaient raison. Il fallait que ces conflits cessent, que l’ordre soit rétabli à nouveau. Si cela passait par la mise en commun des efforts de ces deux entités opposées, soit, c’était la meilleure des solutions. Isabeau s’approcha alors du groupe, prête à parler. Bien qu’elle ne pouvait offrir aucune solution au groupe, elle avait elle aussi souffert et œuvré à leur fuite. Elle avait bien le droit d’offrir son avis, même s’il n’apportait en tant que tel aucune substance.

-Je n’ai pas entendu d’idée aussi pertinente depuis très longtemps. Si la fiole reste entre les mains d’un groupe seulement, cela créera de la dissension et des problèmes. C’est une idée.. Remarquable.

Songeuse, Isabeau l’était naturellement. Rien ne pouvait prédire ce qui allait advenir désormais. Peut-être était-ce la mauvaise décision, elle en savait rien. Dans tous les cas, elle avait mis son petit grain de sel et ça lui suffisait pour le moment.

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