Par tous les dieux et par tous les jupons de Mirta ! Pourquoi cet imbécile d’Eloi s’acharne-t-il à t’énerver comme ça, alors que tu ne faisais que lui proposer une nouvelle idée ?! N’as-t-il donc aucun cœur ou pas la moindre jugeote ? C’est bien ainsi que tu l’imagines en tout cas, bête comme un âne bon à simplement railler les propositions géniales que tu peux faire. Et ce n’est sans doute pas parce que tu fais exactement pareil avec lui qu’il peut se permettre de te faire sortir de tes gonds par quelques remarques et piques bien placées. Hors de question de lui céder cette victoire, tu préfères partir du bureau du Recteur, non sans certainement fracasser la porte de celui-ci d’un geste dramatique qui a sans doute résonné dans l’entièreté de l’Académie. Bras chargés de papier, tu marches à grands pas en ruminant ton mécontentement et même – même ! – en grognant à voix haute tout ce que tu ne peux lui dire en face. Par politesse, bien évidemment, et pas par lâcheté.
Quoiqu’il en soit, l’attitude du Recteur ne cesse de t’hérisser, te faisant au combien regretter cette décision qui a été prise. Quelle personne saine d’esprit nommerait Eloi la Litote plutôt que toi à un poste qui demande un minimum de responsabilités ?! Hum, sans doute plus de la moitié du conseil de l’Académie et du corps professoral, soit. Mais tu as la sensation que les choses vont trop vites et que le sang couvre encore les couloirs de ce lieu que tu aimes tant… Tu voudrais protéger les élèves, et ça t’écorche de reconnaître qu’il en va de même pour ce Recteur parvenu. Cela t’écorche encore plus de reconnaître un peu, au fond de toi même, qu’Eloi fait ce qu’il faut, et que pour bien remettre les choses en ordre, il te faudrait œuvrer avec un peu plus de… diplomatie. Ah quelle ingrate tâche qui est tienne !
Encombré autant par tes pensées que par les papiers dans tes bras, tu ne remarques pas, au détour d’un couloir, la silhouette élancée d’un autre professeur que tu connais bien. Pourtant, grand comme il est, il est difficile de le louper, à plus forte raison dans une aile vide de l’Académie comme celle-ci. Hélas, tu percutes fort bien le corps de Matvei, répandant sur le sol tes documents dans un fracas sonore. Tu râles avec force, soufflant à grande respiration par les narines.
« Ah bon sang ! Voilà qui ne pouvait être pire ! » Bien sûr, tu peines à retenir l’émotion submergeant ton cœur et ton esprit, un mélange de colère et de frustration qui brille si bien dans ton regard. Et bizarrement, cela semble doucement se calmer, lorsque tu daignes enfin poser un regard sur l’homme qui a contribué à faire tomber tes affaires au sol – bien que ça soit entièrement ta faute. « Oh ! Matvei. » Une joie amusée dans la voix vient remplacer l’irritation, alors que tu te baisses pour ramasser les feuilles éparpillés. « Je suis navré, j’étais perdu dans mes pensées et je ne t’ai pas vu. Ce que je peux être tête en l’air parfois ah ! » Pour ne pas dire tout le temps, et tu ne le sais que trop bien. « Je suis content de te croiser. Tu allais quelque part ? » Il est bien digne d’un cielsombrois de changer aussi abruptement d’attitude, jonglant avec les mots avec une belle aisance. Tu n’es pourtant pas le plus sociable des hommes, trop passionné par tes propres démons, mais tu apprécies toujours de croiser Matvei. Car comment oublier un si charmant garçon qui a fait battre ton cœur dans ta folle jeunesse ?! Non, tu ne l’as certainement pas effacé de ton esprit, tout comme tu n'as pas effacé le souvenir de ce splendide râteau que tu t’es pris.