Iris Sombrerose

Callixte Sombrerose avait souvent été fier de sa fille.

Tout d’abord, il y avait eu le jour de sa naissance. Aujourd’hui encore, il pouvait visualiser sa femme Philomène, épuisée après de longues heures d’un accouchement douloureux et imprévu, qui lui tendait un petit corps silencieux, qui dormait tranquillement. « Ta fille » avait elle murmuré, et il l’avait pris, timide, effrayé à l’idée de lui faire du mal. Il l’avait embrassé sur le front. Ils voulaient lui donner un nom de fleurs, c’était la seule chose sur laquelle ils étaient d’accord. Il avait contemplé sa fille – des joues roses, dix doigts et dix orteil, une touffe de cheveux bruns. Elle n’était pas minuscule comme une violette, mais n’avait pas l’air noble d’une rose. « Iris » « Iris, ça me va. » lui sourit son épouse. Il serra encore une fois sa fille – le cadeaux que lui faisait la nature après des années d’attente. « Iris… »

Ensuite venait ses premiers pas. Marcherait-elle, alors que, enfant extrêmement calme et solitaire du fait de sa cécité, elle ne semblait pas pressée de se déplacer ? A 19 mois, sa technique favorite pour se déplacer était de hurler jusqu’à ce que son père la soulève pour l’amener où elle voulait – ce qui tombait bien, car généralement, elle voulait être dans les bras de Callixte. Ce jour là, Philomène avait posé Iris sur une couverture dans un coin de l’herboristerie. Sa femme étant sortie, il était venue la surveiller, et assis sur une table à côté, taillait un morceau de bois lorsqu'il fit un faux mouvement qui vint profondément entailler son pouce. « MERDE ! Aaaaah… » gémit il. « Papa ! » Il se figea. Ce n’était pas qu’Iris l’eut appelé papa qui l’émouvait – même si ça n’y manquait pas, comme à chaque fois, c’était le fait qu’en disant ça, elle s’était levée brusquement, bien droite sur ses deux jambes, et que maintenant elle avançait vers lui. « Papa ! » Il pouvait sentir la peur dans sa voix. Il ne fit pas un bruit attendant de voir. Elle avait ses deux mains en avant, elle manquait d’équilibre, elle était de toute évidence effrayer à l’idée de se déplacer dans cet environnement hostile qu’elle ne pouvait voir, mais son amour pour son père était plus fort. « Iris… » Il se leva brusquement, la prit dans ses bras, ignorant son exclamation de surprise. « Je t’aime… »
Puis il y avait eu ce jour alors qu’elle n’avait que dix ans. C’était Philomène qui lui avait rapporté. Ce jour là, elle travaillait à l’herboristerie, mais elle était épuisée, n’ayant pas dormi depuis deux jours. Iris, assise sur un tabouret, rêvassait, et posait parfois des questions éparses à sa mère. « Tu prépares bien des plantes pour les malaises de la mère de la voisine ? » « Oui. Ail, feuille de citronnier, estragon, mélisse, menthe, sauge, et thym. Ton père va les faire macérer quinze jours et les mélanger avec du vinaigre. C’est radicale. » « Je ne suis pas sûre que ça le soit » « … Et pourquoi donc ? » avait répondu sa mère, légèrement vexée et très surprise. « Et bien » Iris était descendue de son tabouret, et à petit pas prudent, dirigée vers l’établis. Puis elle avait inspiré un grand coup. « Si je ne me trompe pas, il manque la sauge et l’estragon, et tu as inversé thym et romarin. » Stupéfaite, Philomène regarda son établis. Iris était dans le vrai. « Mais comment… ? » « Enfin maman » avait elle soupiré avec cet air agacé qui la caractérisait. « Tu ne penses pas que je passe tout ce temps ici sans rien retenir ? »

Et l’anniversaire de ses seize ans… Lorsqu’il avait reçu la lettre qui lui annonçait qu’elle était (pour une deuxième fois) refusée à l’Académie car « étant dans l’incapacité de prendre ses cours, rendre des devoirs écrits, etc... » (évidemment, bande d’idiots, elle est aveugle !), il l’avait rangé dans sa poche. Il préférait lui donner le lendemain, histoire de ne pas la décourager le jour de son anniversaire. Il la trouva dans le jardin de sa mère, où, accroupit, elle vérifiait prudemment par le toucher et l’odorat le stade de floraison de certaines herbes. Il soupira. Ces grands maîtres de l’Académie étaient des idiots. Iris était peut être aveugle, mais elle savait se compenser sa faiblesse, trouver de nouvelles façon de faire les choses, forcer des gens à les faire à sa place (avec son mauvais caractère...), et se débrouillait sûrement mieux que tous ces intellectuels dans le maniement des plantes. «Papa ? » elle ne bougea pas la tête pour lui parler – à quoi cela sert il quand on ne voit pas ? «Tu as reçu la réponse. » C’était une affirmation, pas une question. Même si globalement, elle faisait preuve de plus de délicatesse avec les plantes qu’avec les êtres humains, elle lisait facilement les gens. Il inspira un grand coup. Il craignait sa réaction. C’est que mettre Iris en colère était chose redoutable. « Oui… Iris… Ce sont des idiots… » « Donc, ils ont refusé. » Il attendait l’explosion, mais elle ne venait pas. Lorsqu’il osa la regarder, néanmoins, il ne lu pas sur son visage l’exaspération qu’il s’attendait à voir. Au contraire, elle fixait un point imaginaire. « Et bien. Je retenterai l’an prochain, et l’année d’après, et l’année encore d’après. Si ils ne me font pas entrer à cause de mon talent, ils le feront quand ils en auront assez. Je te le promet. »

C’était ce moment là qu’il avait en tête alors qu’il se dirigeait vers l’établis où elle travaillait. Car cette année, huit ans après sa première tentative, quelqu’un dans cette fichu institution était enfin parvenue à la réalisation : « mais, attendez, si on la refuse chaque année, c’est parce qu’elle est incapable de faire des travaux écrits ? Mais, c’est parce qu’elle est aveugle ? Mais, si on lui fait passer les examens, devoirs, etc... écrits à l’oral, alors tout sera possible et elle nous foutra la paix ? » Et la lettre qu’il tenait dans sa main disait, d’une façon assez diplomatique, «grâce à l’intervention d’un professeur doué d’un cœur, vous pourrez passer l'entretien d'entrée oral. Débrouillez vous pour la suite, et on espère très fort que votre aveugle de fille ne s’empoisonnera pas. » C’était un vieux professeur de l’Académie, un herboriste réputé, issus du domaine d’à côté, qui avait plaidé la cause d’Iris après avoir entendu des rumeurs sur la « petite herboriste aveugle ».
« Iris ? » Elle était occupée à étaler des fleurs de marjolaine sur un drap, pour les faire sécher. « Oui ? » Son ton était neutre, mais il pouvait sentir l’angoisse dans sa voix. Chaque année, elle avait réagit différemment, avec détermination la première, puis déception, colère, mépris, encore la colère, tristesse, et finalement, ignorance. Callixte avait préparé un grand discours, mais en voyant ses mains trembler, il ne perdit pas de temps. « Ils acceptent de te faire passer tes examens à l’oral. » « … » D’abord, elle ne réagit pas, puis l’information arriva à son cerveau, et ce fut l’explosion. Nous censurerons pour les oreilles chastes la flopée d’insulte qu’Iris lança, avant de se précipiter dans les bras de son père, renversant un pot en terre au passage. « Tu vas réussir, je n’en doute pas. » Il la serra contre lui. « Tu iras à l’Académie, et tu feras des études brillantes… Tu pourras découvrir d’autres plantes que celle de Verger sous la Lune, rencontrer d’autre gens » (entre nous, il doutait qu’elle leur adresserait la parole, mais on avait le droit d’espérer, non ?). Il la serra plus fort. « Je suis tellement fier de toi… »

Que penses-tu des compétences de la toute nouvelle impératrice de Faërie, la jeune Chimène ? La trouves-tu légitime, penses-tu qu'elle va réussir sa période de probation ?
Ce n'est pas que la politique ne m'intéresse pas, c'est plus que chaque fois que quelqu'un aborde le sujet, mon esprit dérive, et je me retrouve étrangement absente... Néanmoins, je la pense légitime - il serait complêtement stupide de mettre sur le trône une femme mariée à l'empereur d'à côté. Quant à savoir si elle réussira sa période de probation... Je ne la connais pas, alors je ne me prononcerai pas.
Envisages-tu de prendre part au conflit si une guerre entre Ibélène et Faërie devait se déclarer ? Quel parti prendrais-tu, et pourquoi ? Comment participerais-tu à la lutte ?
Non. Qu'est ce que tu veux faire d'une aveugle dans une guerre ? Si une guerre se déclarait, je me débrouillerai pour survivre, sans m'impliquer dans un camp ou un autre.

Que penses-tu de Lorgol, la ville aux Mille Tours ? Est-ce que tu t'y promènes sereinement ou est-ce que la capitale des peuples libres t'oppresse ?
La ville n'est pas mon environnement naturel. Non pas que la nature le soit particulièrement, notez bien. Simplement, pour être heureuse, j'ai besoin d'arbres, de fleurs, de pollens, des feuilles, de troncs, et pas ces rues étouffantes. Quant à m'y promener sereinement, on ne se promène jamais sereinement quand on est aveugle. On est attentif au moindre son, à la moindre odeur, au moindre effleurement. Et Lorgol n'en manque pas. Néanmoins, pour ne pas rester sur la négative, je dois avouer que Lorgol est moins pire que ce à quoi je m'attendais. Personne ne s'est encore fait tuer sous mes yeux (façon de parler), et on trouve des petits jardins privés tout à fait charmant.