Fade into darkness

Le froid mordait, enfonçait ses ongles dans la chair pour la geler de l’intérieur. Les voyageurs inexpérimentés auraient pu s’y faire avaler. Jotunheim, province mortellement glaciale. C’était en son sein qu’était né Vital. Second fils de bonne famille, rejeton inintéressant mais adulé par ses parents. Des gens profondément bons, des âmes douces et chaleureuses comme Arven n’en porterait sans doute plus beaucoup. Ce soir-là était plus froid encore que les précédents, plus sombre, plus triste. La porte de la demeure familiale s’ouvrit, entra alors un oiseau de mauvaise augure. Le messager se présenta, tête basse et épaules voûtées. Il amenait une triste nouvelle.

Pour l’aîné de la fratrie, ce soir-là marqua le début de son règne sur Jotunheim. Pour le cadet, ce fut la première phase du déclin. On les lui avait arrachés trop tôt, trop brutalement. Quelques jours auparavant , sa mère le tenait encore entre ses bras tendres et lui chuchotait qu’elle reviendrait vite. Mensonge. Elle n’était plus. Emportée, avec son époux, dans une avalanche meurtrière. Jotunheim avait décidé de lui arracher ses parents et de hisser son frère aîné à la tête de la famille.

Si son frère Varald devrait dès lors s’occuper de ces histoires, Vital trouva refuge dans la curiosité. Le deuil était moins lourd à porter lorsque son intérêt se portait sur autre chose. Il se découvrit la passion du savoir, l’être humain le fascinait, l’intriguait, le dérangeait par moment. Il voulait apprendre, connaître et découvrir ses semblables. Pas seulement en discutant avec une grande partie d’entre eux mais en se construisant une idée de ce qui pouvait se produire dans leur crâne. Les prémices de son apprentissage à l’Académie étaient déjà instaurées.

Trois ans. C’est tout ce qu’on lui avait offert avant de croiser à nouveau la mort. La jeune princesse Ljära, petite pétale douce et chétive, fut placée sous sa protection. On lui accordait une confiance qu’il n’avait jamais acquise jusqu’alors, on lui décernait un rôle de grand-frère dont Vital ne s’était jamais acquitté. Toute son affection se porta sur cette adorable jeune fille. Il la croisait, dans les longs couloirs de l’Académie, sautillant gaiement puis se calmant. Ce n’était qu’une enfant, une fleur des glaces, prête à se briser au moindre contact un rien trop violent.

Vital aurait tout fait pour elle, pour la voir heureuse, épanouie. Pour assumer ce rôle qu’on lui avait confié. Mais les couloirs de l’Académie résonnèrent du couperet. Elle était morte. Oubliée, perdue. La voilà qui rejoignait sa liste de déceptions. Avec elle, Vital perdit son amour propre. Ljära l’avait emporté ailleurs, à ses côtés. Pauvre enfant, victime d’un accident de magie. Sa fragilité avait été mise à découvert à l’Académie. Vital la pleura puis acheva son cursus mais Valkyrion ne voulait plus de lui à son retour. Traître et déshonoré, le duc le chassa sans ménagements.

Haï de son duc, rejeté de son aîné qui décida de se ranger aux côtés de son duc et de priver Vital de tout vivre, le jeune homme de dix-huit ans n’était plus rien. Cette perte totale d’identité, de soi-même, l’amena à Lorgol. La Cour des Miracles lui apparut alors comme un refuge, comme un exutoire dans lequel il pourrait se plonger entièrement.

Oubliant son aîné, oubliant son duc, oubliant même cette pauvre âme sensible partie trop tôt, Vital se dévoua à la Cour des Miracles.


Les étreintes tendres d’une donzelle contre son torse chaud, sa jambe dénudée enjambant les siennes, son doux visage enfoui contre sa peau halée. Elle roucoulait, la conquête. Ses doigts caressaient délicatement les muscles de son amant. Enfin, la belle se leva. Tirant le drap à elle pour obtenir un ultime regard sur l’anatomie de cet homme qu’elle s’apprêtait à quitter. Dans un rire presque trop innocent pour elle, la demoiselle se revêtit et quitta les lieux. La porte claqua dans son dos, abandonnant Vital, des songeries plein la tête.

La Cour des Miracles avait fait de lui un fils des miracles. Mendiant, son charme et sa maîtrise de la pensée humaine lui offrait toutes les clefs. La manipulation était un art pour lui, sa capacité à se métamorphoser en un individu complètement différent étant impressionnante. Abuser des esprits, voilà son don. Vital aimait cette vie qu’il menait désormais, loin du froid mordant de sa Jotunheim natale mais au plus proche de cette Cour des Miracles qui avait construit pierre après pierre, l’homme qu’il était aujourd’hui.

Ses doigts effleurèrent alors un tissu, tandis qu’il errait dans ses quartiers. Son regard se posa sur la cape. Cette cape qu’il reconnut, posée auprès d’un masque plus emblématique encore. Vital réalisa soudain la tâche qui lui était proposée. Il lui fallut du temps pour considérer la chose mais sa décision fut prise. Le masque prit place sur son visage, la cape s’accoutuma à ses épaules larges. Il devint le nouveau Fils des Ombres. Désormais, la Cour des Miracles lui répondrait d’une seule et unique voix.


Mener deux vies, être double. Un quotidien auquel Vital s’acclimata très rapidement. Bon orateur et acteur de talent, l’homme semblait tout indiqué pour le rôle de Fils des Ombres. Mais le devenir ne se résumait pas à porter un masque, une cape et veiller sur la Cour des Miracles. Un an, une année entière que Vital écoula à asseoir sa nouvelle autorité alors que certains ignorent encore que le Fils des Ombres a changé de visage, sous le masque.

Sa poigne est de fer, le Fils des Ombres ne plie pour personne. S’il est impitoyable dans ses jugements, il règne sur son peuple avec justice et bienveillance. Vital ne désire qu’une chose : faire perdurer les traditions ancestrales de la Cour des Miracles, maintenir l’ordre établi par son prédécesseur et surpasser celui-ci en matière de perfection. La Cour des Miracles possède un lourd poids politique, elle est bien loin de n’être qu’un amas de voleurs et de brigands. Cette emprise sur le reste d’Arven, Vital veut la conserver. Cette guerre dévastatrice qui s’approche à grands pas, le Fils des Ombres veut l’anticiper.

Les siens ont besoin de lui, de sa protection contre les erreurs de jugement des deux royaumes opposés. Qu’importe s’ils venaient à s’entredéchirer, la Cour des Miracles devra rester digne et fière, forte dans l’adversité. Car il serait risible de penser qu’une guerre entre Faërie et Ibélène ne toucherait en rien Lorgol. Territoire neutre, certes, mais pas à l’abri de profonds désagréments politiques et monétaires, résultats malheureux d’une guerre non-désirée.

Vital se veut compréhensif envers ses frères et sœurs des Miracles mais il n’acceptera aucune entorse à leurs lois, aucune bavure. Il se sent la responsabilité de veiller à ce que son règne soit aussi brillant que ceux des Fils des Ombres précédents. Et s’il le peut, il les surpassera avec plaisir.

Que penses-tu des compétences de la toute nouvelle impératrice de Faërie, la jeune Chimène ? La trouves-tu légitime, penses-tu qu'elle va réussir sa période de probation ?
Ce n’est qu’une enfant aux yeux de beaucoup de gens. Une gamine écervelée, montée trop tôt sur un trône bien trop vaste pour elle. Vital a tendance à penser autrement. Le Fils des Ombres a vu son frère aîné prendre le règne Jotunheim alors qu’il n’avait que dix-huit ans et parvenir peu à peu à devenir acceptable dans ce rôle. Lui-même, s’est retrouvé esseulé, abandonné, rejeté et détesté par tous à l’aube de sa dix-huitième année. Et aujourd’hui, il règne sur la Cour des Miracles. Dans son esprit, l’âge ne joue pas en défaveur d’une personne. Seules comptent ses intentions profondes. La jeune souveraine lui semble bien chétive, bien peu encline à devenir une grande. Cependant, certaines fleurs savent très bien dissimuler leurs épines.

Envisages-tu de prendre part au conflit si une guerre entre Ibélène et Faërie devait se déclarer ? Quel parti prendrais-tu, et pourquoi ? Comment participerais-tu à la lutte ?
Absolument pas. La Cour des Miracles est sa seule et unique demeure désormais, la seule envers qui il sera fidèle et loyal. Qu’importe si ses origines lui proviennent des contrées glaciales de Jotunheim. Cette vie-là est passée, le Vital qui se laissait dicter une conduite et qu’on jeta tel un malpropre est mort désormais. Il est le Fils des Ombres, un leader pour les siens. Que les deux royaumes s’entredévorent ne seraient clairement pas une chose bénéfique pour Lorgal. Mais jamais Vital n’y prendra part. Ils n’ont plus voulu de lui parmi les leurs, ainsi soit-il.

Que penses-tu de Lorgol, la ville aux Mille Tours ? Est-ce que tu t'y promènes sereinement ou est-ce que la capitale des peuples libres t'oppresse ?
Lorgol est son exutoire, son refuge, son domaine, sa patrie. Elle représente tout désormais, à ses yeux. La Cour des Miracles, plus précisément, est devenue son échappatoire. Elle fut là pour le ramasser lorsqu’il n’était plus qu’un reste humain. C’est grâce à elle que Vital se tient encore aujourd’hui sur ses deux pieds, mieux, qu’il est devenu un homme fort et apte à mener. S’y promener sereinement est naturel pour lui, Lorgol et la Cour des Miracles ont tué ses terres d’origines dans son cœur. Si bien que désormais, Vital se sent comme un natif des lieux.