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| Sujet: Le vieil homme et la mer Lun 4 Jan 2016 - 21:40 | |
| Livre I, Chapitre 1 Elyo Hautmistral & Neve l'Embrun Le vieil homme et la mer Retrouvailles entre le maître et le novice. • Date : 1 janvier 1001 • Statut du RP : Privé • Résumé : Alors que Neve se rend à l'Académie, empli de questions et désireux de recevoir un entraînement déterminant de la part du Maréchal de Flammes, ce dernier n'est pas en pénurie d'idées saugrenues. |
| | | | Sujet: Re: Le vieil homme et la mer Lun 4 Jan 2016 - 21:40 | |
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Inespéré se posa avec agilité sur l’un des larges balcons de l’Académie, spécialement aménagés pour recevoir les corps gigantesques des dragons. Des plus hautes tours de ce lieu mythique, Lorgol semblait s’offrir, inclinée et docile devant la magnificence de la magie et du savoir. Neve se glissa doucement à terre, quelque peu nostalgique à l’idée de retrouver les pierres anguleuses et les couloirs empreints de vie de l’Académie, où il avait lui-même vécu une dizaine d’années. Ce lieu s’inscrivait dans son cœur au même titre que la cabane de pêcheurs de ses parents, à Port-Liberté. Les souvenirs qui s’y rattachaient semblaient tous converger vers Inespéré, l’être le plus cher à son cœur sur ce bas-monde, qui l’avait choisi ici et l’avait vu renaître. « Tu regrettes ces belles années d’étude, n’est-ce pas ? » lui glissa le dragon, les yeux empreints d’une tendre sagesse, et Neve se contenta d’hocher la tête en souriant timidement ; les ruptures n’avaient jamais rajeuni sa vie. Quelques instants plus tard, Inespéré avait repris son envol et venait se jouer des mille tours de Lorgol, qui jamais comme lui ne pourraient s’envoler.
Cette marche quelque peu hasardeuse vers le passé commençait tout juste. En effet, si Neve s’était rendu à Lorgol en cette pâle journée de janvier, ce n’était pas pour examiner la poussière de son ancien dortoir en constatant qu’elle demeurait à l’identique. Il venait rencontrer Elyo Hautmistral, au caractère réputé en tout Faërie ; le fameux Maréchal de Flammes de l’Académie. Durant son parcours de mage, mais surtout de Chevaucheurs, Neve avait eut l’occasion de côtoyer à distance cette figure de la magie en Arven. Le jeune ansemarien appréciait son intelligence acérée et sa conception fine et plus ou moins sage du monde. Elyo était un homme que l’on détestait ou que l’on admirait, mais l’équilibre entre les deux n’existait pas. Neve appartenait à cette catégorie de personnes qui voyaient en ce mage de feu, plus puissant qu’aucun, la sublimation du dur labeur et de l’expérience. Il aimait ses logorrhées infinies sur la politique, la noblesse, le savoir, la magie, les dragons, le destin du continent, etc.
Neve progressait sans un bruit dans les couloirs de l’Académie, si silencieux qu’ils en semblaient presque sages. Le jeune ansemarien savait pertinemment où rencontrer Elyo, qui lorsqu’il ne chevauchait pas Fortune, son majestueux dragon, s’enfermait des heures durant dans les bibliothèques de l’Académie. Il espérait de tout cœur qu’il y soit, et que son approche à l’improviste ne viendrait pas interrompre une de ses réflexions trop poussées. Neve avait choisi à tout hasard d’entamer sa quête au plus haut de l’Académie, au niveau de la Bibliothèque de la Pensée Aérienne, mais en glissant sa tête dans l’entrebâillement de la porte, il constata que le Maréchal de Flammes n’y était pas, et que seuls quelques mages de l’air étudiaient en silence. Le jeune ansemarien éprouva un réel plaisir à traverser l’Académie de long en large, à s’introduire en catimini dans chacune des quatre bibliothèques pour chercher le vieil homme. Enfin, ce fut à la Bibliothèque des Eaux Vives qu’il rencontra Elyo.
Ce dernier était adossé nonchalamment à une étagère, un imposant bouquin de psychologie entre les bras. Tournant les pages frénétiquement, il semblait en quête de quelque chose, et Neve attendit sans un mot qu’il mette un terme à son manège avant de l’aborder, un sourire sincère au coin des lèvres, réellement heureux de retrouver cet homme que tous respectaient à l’Académie :
– J’espère que je ne vous tire pas d’une longue réflexion ésotérique.
Lorsqu’Elyo releva la tête pour observer son interlocuteur, ce dernier s’inclina légèrement en guise d’humble salut. N’osant pas s’approcher davantage du Maréchal de Flammes, par respect comme par considération envers lui, il ajouta d’une voix assurée :
– Si vous aviez un peu de temps à m’accorder, monsieur, j’ai de nombreuses questions à vous poser.
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| | | | Sujet: Re: Le vieil homme et la mer Ven 8 Jan 2016 - 18:11 | |
| Elyo n’avait jamais été pingre, pourtant, le larcin restait pour lui un passetemps. Loin de se penser au niveau des voleurs de la Cour des Miracles, il pratiquait de temps à autres, plus comme un test personnel qu’autre chose –il redoutait le jour où il n’en serait plus capable. Toujours est-il que régulièrement, il dérobait un fruit en guise d’encas. Il aimait ensuite déambuler dans la ville, nonchalamment, à la recherche de quelques passions. Il faut dire que l’ennui avait un effet terrible sur le vieux mage, devenant irascible –il se demandait d’ailleurs si ce n’était pas pour cette raison qu’il ne connut jamais de vraie expérience de couple. Néanmoins, ce jour-là, la pomme fraîchement volée du marché de Lorgol ne resta pas longtemps dans sa poche. Elyo n’avait pas senti la présence se tenant derrière lui. L’ombre avait d’abord intégré sa cadence, puis sa démarche, et semblait désormais tout à fait naturel. Se rapprochant minutieusement, une main d’une agilité remarquable fila droit vers la poche du Maréchal et, sans produire le moindre bruit, retira le fruit. A cet instant seulement, Elyo sentit le vide fraichement créé dans sa poche de tissu. Il se retourna avec une vivacité surprenante pour son âge, et n’eut le temps d’apercevoir qu’une silhouette, tentant de se fondre parmi la foule de la place du marché. Agacement, ou amusement ? Une demi-seconde plus tard, le mage retrouva sa jeunesse et sa fougue, s’étant déjà élancé à la poursuite de cet audacieux voleur.
La ville basse semblait un endroit parfaitement prévu à cet effet. Les ruelles s’enchevêtrent tel un dédale dont seuls les enfants de Lorgol connaissent le fil salvateur. Au détour d’un carrefour, le Chevaucheur hésitait parfois quel chemin emprunter ; il ne reçut le regard d’aucun passant. Il se décidait alors, et se remettait en route. La ville basse comptait de nombreuses tavernes, dont les sons de luth raisonnaient sur les pavés polis par le temps et l’usage. De temps à autre, des hommes à l’air menaçant écartaient un pan de leur longue cape mantellique, d’où dépassait un cimeterre ou un poignard affuté. Ils fixaient ainsi cet étranger, cavalant dans leurs rues. Malgré les apparences, ils étaient sans doute perçus comme protecteurs par les gens d’ici. Elyo longea un canal qui menait jusqu’au port. L’affluence était grandissante, et c’est au milieu d’un brouhaha de marchandises et piraterie que le vieux mage perdit définitivement la trace du ravisseur. Il lui restait cependant un atout à jouer. D’une pensée, un trait fendit le ciel. C’était Nyx, le faucon du Maréchal. Il ne tarda pas à retrouver le voleur, et Elyo accourut. Il se trouvait dans une ruelle étroite, adjacente au port bien que quelque peu reculée. Une silhouette encapuchonnée se débattait, tentant en vain d’écarter l’oiseau de proie. La langue de son maitre claqua, et Nyx se posa calmement sur son épaule.
La forme s’immobilisa, et d’un coup, prit consistance. Il s’agissait là du corps d’un jeune individu. De fines jambes dans un pantalon de toile souple, un corps svelte, élancé, une légère poitrine et… Un visage féminin. C’était une jeune femme qui faisait face à Elyo, et le dévisageait à présent. Malgré ses traits fins, ses cheveux courts évoquaient un homme, ou tout du moins un enfant. Un enfant aux yeux noisette, aux lèvres fines, figées dans une moue de peur, semblable à un animal. Petit à petit, ses traits se détendirent. Sa main sortit lentement de sa poche la pomme tant convoité. Un sourire effronté se dessina, et elle s’avança lentement.
- Quel âge as-tu ?
L’inconnue ne répondit pas, et roula des yeux. Sa démarche souple avait tout d’un chat. Maintenant toute proche, sa main frôla celle, gargantuesque d’Elyo, qui ne comprenait rien à la situation. Elyo la retira vivement et, de plus en plus inconfortable, recula d’un pas.
- Comment t’appelles-tu ?
- On m’appelle Lyn, dit la jeune fille.
Tel une enfant, elle s’élança et offrit un baiser sur la joue du vieux Maréchal. Réagissant plus vivement que son âge le laissait penser, il bascula sur ses appuis, repoussa le corps de la jeune chapardeuse et se mit en garde. Déconcertée, elle fit une moue de réelle déception.
- Vous êtes tous les même les militaires, incapables de recevoir de l’affection ! vociféra-t-elle.
Elle leva le poing, et Elyo qui se préparait à parer fut au combien surpris de voir la pomme filer et volé en éclat contre le mur à côté de lui. La jeune femme, avec une réelle expression de rancune, s’en alla en frappant le pavé de ses pieds. Elyo n’avait pas bougé d’un pouce, pas plus qu’il n’avait compris une seconde de cette folle aventure.
Au moment de grimper les escaliers, le vieux Maréchal le reconnaissait volontiers : il détestait ne pas comprendre. Et bon sang, il ne comprenait toujours pas ce qui c’était passé plus tôt dans la journée ! Voyageant d’un air décidé vers les bibliothèques de l’académie, le chemin lui apparut immédiatement, tant il avait effectué ce chemin. Filant entre les étagères, il trouva assez vite le livre en recherché : Psychologie des habitants Lorgol du dixième millénaire. Il tourna les pages à toutes vitesses, plus désireux que jamais de comprendre ce qui avait pu provoquer une telle colère chez la voleuse –tout de même, c’était lui le volé de l’histoire, non ?- quand une phrase le tira de sa frénésie. Il s’agissait de Neve, un jeune chevaucheur d’un dragon nommé Inespéré qu’Elyo avait aperçu à mainte reprise. Bien qu’il apprécie généralement le contact avec ses élèves, le professeur ne connaissait que peu de chose sur Neve.
De nombreuses questions à lui poser ? La curiosité piqua Elyo, qui abandonna aussitôt ses questions futiles. Il se retourna, et dévisagea l’élève face à lui. Grand, fin. Intelligence aiguisée ; timidité sensible.
- Qu’as-tu donc à me demander, jeune homme ?
Neve finit par avouer qu’il souhaitait une formation plus avancée sur la magie. A ces mots, un large sourire se dessina dans les yeux du Maréchal. Il se leva, et après s’être assuré que le jeune élève pesait ses mots, l’invita à le suivre. Ils s’avancèrent parmi les tours de la ville haute, quand Elyo s’arrêta, arrivant à la périphérie.
- J’aimerais voir Inespéré, dit Elyo.
Quelques instants après, les ailes grises aux reflets bleus survolèrent les deux humains, avant de se poser quelque peu en retrait d’Elyo. Le dragon et le chevaucheur soutinrent leur regard longtemps. Au terme de cet échange, le Maréchal de Flamme s’avança très lentement vers Inespéré. Il se souvenait de la plupart des dragons qui avaient séjourné au sein de la Caserne de Flamme, et le dragon de Neve n’était pas des moindres. Son nom mystérieux avait plusieurs fois interrogé Elyo. Avec le plus sincère respect, sa main s’avança, jusqu’à se poser contre la mâchoire du dragon. Ce geste était symbolique ; tout chevaucheur qui négligerait cet instant verrait sa main broyée. Une fois ce salut effectué, Elyo appela mentalement Fortune. Les reflets grenat de ses écailles projetaient autour du dragon des éclats rougeoyants, tels des braises.
- Voilà ce que je te propose, jeune homme. Je voudrais en apprendre plus sur toi, sur ton dragon avant de commencer quoi que ce soit. Je vais te poser quelques questions, et j’aimerais que tu m’y répondes le plus honnêtement possible. Tout d’abord, j’aimerais que tu me développe la relation que tu entretiens avec ton dragon. Puis, avec la magie. Et enfin que tu me fasses une démonstration de ta maîtrise de ces deux éléments de la vie en Faërie. A partir de cela, je verrais si je peux t’apporter quelque chose. Est-ce toujours ce que tu souhaites ?
Dernière édition par Elyo Hautmistral le Dim 10 Jan 2016 - 21:57, édité 1 fois |
| | | | Sujet: Re: Le vieil homme et la mer Sam 9 Jan 2016 - 22:54 | |
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Elyo Hautmistral émergea de sa lecture et releva les yeux vers Neve, avec une circonspection attentive et curieuse. Le jeune ansemarien se tenait bien droit, le regard assuré, tentant d’anesthésier sa carrure frêle au profit d’un esprit vivace et aiguisé. La voix du vieux Maréchal de Flammes le transperça comme une aiguille précise et affutée, tant elle semblait équarrie par les âges et par l’expérience. Neve n’était certainement pas le premier élève à venir quérir des conseils, ni même le premier à désirer acquérir une plus grande maîtrise de la magie. Orgueil ou fierté ? Il était plus juste de parler de nécessité. Mais Neve ignorait encore à quel point devenir plus puissant deviendrait pour lui une obsession, seulement deux jours après sa rencontre avec Elyo Hautmistral. Le jeune ansemarien travailla soigneusement ses mots dans son esprit avant de répondre à la question de son supérieur. Il ne savait pas réellement par quoi commencer, les demandes étaient multiples et diverses. Il décida d’aller droit au but :
– J’aimerais une formation plus avancée en ce qui concerne la magie, lâcha-t-il avec détermination.
Elyo le soupesa du regard un instant, un sourcil dubitatif arqué, avant de fermer le livre de psychologie qu’il tenait et de le remettre en place sur l’un des rayons de la bibliothèque. Le jeune ansemarien retint son souffle un instant. Il était au faîte de l’humeur imprévisible et parfois lunatique du Maréchal de Flammes, et il craignait que l’avoir tiré de sa lecture attentive ne lui retire toute chance de le voir lui venir en aide. Alors que Neve élucubrait sur la situation, Elyo s’approcha de lui, mais loin de s’arrêter devant son disciple, il continua son chemin en lâchant seulement par-dessus son épaule un bref : « J’aimerais voir Inespéré. » qui laissa le jeune ansemarien pantois quelques instants. Enfin, il emboîta le pas au Maréchal de Flammes et le suivit dans les couloirs de l’Académie, puis entre les immenses tours de la Ville-Haute. Ils parvinrent en quelques minutes, plongées dans un silence lourd et équivoque, à la périphérie, où les tours laissaient place à de vastes espaces découverts, favorables aux entraînements des jeunes Chevaucheurs. « Mon ami, j’ai besoin de toi. » souffla Neve à Inespéré, qui n’ayant jamais réellement quitté son ami, se présenta dans le ciel comme une ombre bleutée surgissant des mille tours de Lorgol. Le dragon se posa délicatement aux côtés des deux Chevaucheurs.
Le jeune ansemarien ne quitta pas des yeux le Maréchal de Flammes, qui s’avança lentement vers Inespéré, dans un geste connaisseur et expérimenté. Sa main se leva avec respect vers la mâchoire d’Inespéré, qui ne broncha pas, avant de venir effleurer ses écailles bleu-gris si caractéristiques. Elyo Hautmistral était réellement un phénomène en matière de dragons, pour ne pas dire une sommité. Il était le seul être de tout Arven à se faire accepter d’un animal si grandiose d’un simple regard, comme si la communion s’installait d’emblée entre lui et le reptile géant. Neve sentit toutefois dans son esprit que ce premier contact laissait Inespéré distant. Le Maréchal de Flammes, une fois ce salut symbolique effectué, sembla se concentrer un instant pour appeler son propre dragon, la fameuse Fortune, une magnifique dragonne aux éclats grenat. Neve l’observa de près pour la première fois, et en eut le souffle coupé. Intérieurement, il songea que ces deux énergumènes allaient bien ensemble.
Le jeune ansemarien s’apprêtait à avancer sa première question lorsque la voix claire et appuyée d’Elyo le coupa dans son élan. Il lui exposa ses conditions, avec une contenance sans pareille, comme un accord tacite que tous deux s’apprêtaient à passer avant d’initier une quelconque formation. Neve se concentra sur chacun des points énoncés par son supérieur, qui ressemblaient sensiblement à un test d’aptitude, et jugea qu’il se devait de faire de son mieux. Tandis qu’Inespéré lui partageait quelques pensées enjouées et positives, le jeune Chevaucheur rassembla ses esprits et se résolut à répondre avec la plus grande exhaustivité, ce qui ne l’empêcha pas de bafouiller de timidité :
– Lorsqu’Inespéré et moi nous sommes trouvés, ce dernier m’a dit une chose que je n’oublierai jamais, et qui est comme le fil directeur de mon existence désormais. Neve hésita un instant. Ceux qui nous sauvent de notre vie ne savent pas qu’ils nous sauvent, récita-t-il dans un souffle ténu, et le dragon saphir planta ses yeux emplis d’une tendre sagesse sur lui. Rien ni personne ne saurait plus habilement vous décrire le rapport que nous entretenons. Une complicité de la vie, de ses détours, de sa justesse et de sa poésie, acheva-t-il comme pour lui-même.
Ses yeux s’étaient perdus dans le vague. Jusqu’alors, il n’avait jamais été amené à décrire sa relation avec Inespéré. Et désormais qu’il le faisait, il sentait au plus profond de lui ce deuxième cœur flamboyant qui battait en même temps que le sien, plus puissant et plus sage, certes, mais également imparfait et sensible. Il finit par détourner les yeux et reprendre :
– Je reste persuadé que la magie est l’essence même de toute chose, le mouvement qui fait croître les êtres, penser les hommes, vivre toutes les créatures d’Arven, et que nous n’en sommes qu’un infime extrait. Je ne suis pas garant d’une magie destructrice, sans vouloir vous offenser, continua-t-il d’une voix qui se voulait plus sûre d’elle. Dans la magie, je recherche l’harmonie, l’aide, la douceur. Je la ressens continuellement là, dans mon ventre ; elle m’habite, et toutes mes démarches en sont empreintes.
Neve reporta son attention sur Elyo Hautmistral, au nom si équivoque, et acheva sa courte évasion d’un regard sincère et déterminé. Il espérait que ces quelques précisions lui accorderaient ne serait-ce qu’une infime place dans l’estime du Maréchal de Flammes.
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| | | | Sujet: Re: Le vieil homme et la mer Dim 7 Fév 2016 - 14:43 | |
| Quand Elyo le regardait, la frêle carcasse du jeune chevaucheur qui lui faisait face semblait se fondre dans le bleu-gris de son dragon. Peut-être était-ce dû à un simple jeu d’ombre et de lumière, mais le vieux Maréchal semblait percevoir une certaine profondeur dans les couleurs qui se dégageaient d’Inespéré. Un monde où les larmes sont bleues, où les vagues sont versatiles ; un monde pesant si fort qu’il peut tuer en une simple journée, ou sublimer celui qui se pensait détruit… C’était peut-être tout ça qu’était Neve. Un corps mort, qui abritait un joyau de vie.
Des mots tirèrent Elyo de sa rêverie. D’abord à tâtons, et puis en tentant, son élève saute sans élan et prononce le nom de son dragon. Après une première phrase laborieuse, ses mots prennent une consistance chaleureuse. Neve ne parlait plus à qui que ce soit sinon à tout le monde, et récita avec force « ceux qui nous sauvent ne savent pas qu’ils nous sauvent ». Les pupilles du jeune ansemarien connurent un changement imperceptible et, s’abandonnant à la force qui lui prodiguait son dragon, devinrent reptiliennes. Il fallait bien un corps de dragon pour supporter une telle intensité de vie, pensa le Maréchal. Ce drôle de personnage devant lui qui ne cessait de se métamorphoser tirait à Elyo des idées contraires. Etait-il conscient de la fragilité de son lien à la vie ? Il semblait en effet qu’il aurait pu cesser d’être, tout simplement. Et le Maréchal ne savait que trop bien qu’on ne fait pas long feu si l’on n’est pas prêt à se défendre contre la vie. Etait-il conscient de son intensité ? La puissance qu’il contenait n’était en rien destructrice comme son propre pouvoir. Elyo ne savait concevoir une explosion aussi douce.
Fortune formula finalement ce que se demandait le l’instructeur : qu’en est-il de la magie ? Son attention avait été captivée, mais il s’agissait à présent de réfléchir de manière prosaïque. Si le pouvoir du jeune ansemarien était fait de vent, sa déception sera énorme ; aussi, les épreuves qu’il lui réservait auront très vite raison de lui. Mais si le gamin était à la hauteur de ce qui perturbait tant le Maréchal… Il était tout à fait hors de question de laisser s’en aller ce jeune homme. Ce dernier reprit après une pause qu’Elyo ne saurait déterminer.
« Je ne suis pas garant d’une magie destructrice » ; « je cherche l’harmonie, l’aide, la douceur »… Elyo savait parfaitement ce qu’il allait faire.
- Assez parlé, dit-il en s’avançant. Serrons-nous la main pour sceller ce qui va être une aventure passionnante…
La gigantesque main du Maréchal recueillit en son creux la main de son élève. Il planta ses yeux au fond des siens. C’est parti. En une fraction de seconde, les yeux de Neve redevinrent fébriles, et se débattait pour comprendre ce qu’il se passait ; il eut même un mouvement de recul quand il sentit la main du vieux Maréchal chauffer. Une chaleur qui ne cessait d’augmenter, harcelante, terrifiante, qui ne soulignait que l’étreinte infaillible du colosse. Tu y vas trop fort, arrête. Il va réagir. Non, il va brûler, arrête ! Il va réagir. Et s’il décide de s’abandonner ? … Il doit réagir.
Les yeux du Maréchal étaient impassibles, et même Fortune n’aurait su y déceler toute la force qu’il tentait de transmettre à son élève… |
| | | | Sujet: Re: Le vieil homme et la mer Ven 12 Fév 2016 - 8:40 | |
| Elyo sembla satisfait des réponses de son discipline, toutefois n’exprima-t-il aucune forme de ressentiment. Il se contenta d’hocher la tête en silence, le regard vague, comme si les mots du jeune ansemarien parvenaient jusqu’à lui et le quittaient dans la seconde. Neve ne se démonta pas face au mutisme du Maréchal de Flammes et pesa chacune de ses paroles comme des pierres précieuses, qu’il convenait de soupeser avec soin. Fortune, le magnifique dragon d’Elyo, sembla tiquer à la phrase prononcée par son vis-à-vis, Inespéré : « Ceux qui nous sauvent de notre vie ne savent pas qu’ils nous sauvent. » et Neve pressentit alors qu’il se trouvait sur une pente favorable. Il ignorait tous les mots propres à l’amour et ne savait comment décrire avec justesse ce lien si profond et si complice qui l’unissait à son ami reptilien. Toutefois, il semblait que l’enchevêtrement de ses maladresses en disait long sur sa relation et sur ses conceptions d’Arven. Lorsqu’il eut fini, le Maréchal de Flammes hocha la tête avec une toute autre gravité.
– Assez parlé, annonça-t-il, avançant d’un pas assurés vers Neve. Serrons-nous la main pour sceller ce qui va être une aventure passionnante…
Neve ne saisit pas immédiatement l’ampleur de ses paroles. Le brusque revirement de son supérieur le laissa ébaubi quelques instants durant, observant avec un soupçon de méfiance cette main si forte et sinueuse qu’Elyo lui tendait. Il lui sembla que la situation, jusqu’alors en sa faveur, lui échappait ostensiblement, et il se résigna enfin avec lenteur à tendre sa main à son tour. La poigne de fer du vieux Maréchal de Flammes le cueillit comme une bourrasque. Il n’eut pas le temps de s’interroger davantage sur les tenants et les aboutissants de ce geste que, sans crier gare, une étonnante chaleur émana des doigts vigoureux d’Elyo. Neve lui jeta un regard de plus en plus attéré, tâchant de se départir des mains colossales, avant de comprendre à quel jeu dangereux avait décidé de jouer son supérieur. Ce dernier tâchait de l’évaluer, en tout et pour tout. Mais de l’évaluer comment ? En lui carbonisant les phalanges comme un petit feu de bois ?
La chaleur gagnait en intensité jusqu’à devenir un véritable feu brûlant et pétillant qui léchait ses doigts de Neve sans se préoccuper de ses grimaces de douleur. Devait-il réagir ? Devait-il user de la magie pour se défendre ou démeurer entre les griffes du grand Elyo Hautmistral, qui le maintenait fermement ? Sa main droite, en prise avec cette chaleur incommensurable, s’était raidie de douleur. Le jeune ansemarien serra les dents et ravala un gémissement de douleur, perdu dans ses considérations du pour et du contre, ignorant comment agir et pourquoi. La sueur perlait sur son front. Enfin, ses muscles semblèrent se relâcher et, loin de s’évader de cette emprise flamboyante, Neve fit appel à toute la magie reposant dans son être, dans son cœur, dans ses entrailles, et délibra cette essence immatérielle. De l’eau jaillit de sa main emprisonnée et aspergea les alentours avec force et fracas. Les deux protagonistes plièrent sous cette pluie inattendue et, profitant de la brève inattention du Maréchal de Flammes, Neve se départit de son emprise. Malgré la magie l’eau, dont Elyo avait avec facilité minimisé la puissance sous ses flammes destructrices, la main du jeune ansemarien continuait de le brûler comme un feu ardent. Il recula de plusieurs pas en titubant.
Inespéré, demeuré à l’écart de la scène jusqu’alors, se précipita de sa masse dragonnienne vers son compagnon, alerté mais sa démarche vacillante. Neve ne demandait aucune explication ; si son ami n’avait pas intervenu, tout comme Fortune, le dragon d’Elyo, visiblement tout aussi ahuri que son vis-à-vis, la raison était évidente. Inespéré comme Fortune avaient confiance en cet homme que tous les dragons de Faërie avait un jour connu. Cet homme dont les plus noires idées égalaient, certes, certaines des obscures stratégies de la Confrérie Noire, mais dont l’intelligence et la lucidité n’étaient plus à prouver en Arven, d’où son grade de Maréchal de Flammes. Inespéré transmit à la hâte une quantité astronomique de pensées préoccupées et rassérénantes à Neve, dont l’esprit chamboulé ne parvenait à répondre que par onomatopées. Le jeune ansemarien trouva toutefois la force de proncer ces mots, entre ses dents :
– Satisfait ?
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