« Votre Grâce… un… colis, pour vous. » Tu sens l’hésitation sur le mot employé par le messager, dépêché à la seule porte de ton laboratoire, jamais autorisé à y mettre le pied. Ton humeur est massacrante, alors que ta fiancée est encore manquante à l’appel, disparue depuis quelques jours sans qu’un seul indice vous mette sur sa piste. Et même si tu tentes de t’occuper, de penser à autre chose, à ton épouse bien portante, à ta sœur qui s’est remise de son catastrophique accouchement et à ton nouveau neveu, tu en es purement incapable. Il n’y a qu’Alméïde, qui occupe ton esprit, qui y revient, douleur lancinante qui résonne et frappe sur une part de toi qui ne s’est pas rendormie. Une part sombre et amère, une part qui se baigne dans le sang, et qui n’attend qu’une occasion pour sortir, pour prendre contrôle de toi et laisser tout le reste derrière.
Tu suis le messager de bonne grâce, ton Familier sur les talons, jusqu’à l’accueil du palais. Quelques autres personnes sont attroupées devant quelque chose que tu ne vois pas, apparemment posé au sol. Tu renifles de mépris. Ces imbéciles incompétents n’ont même pas pris la peine de déposer le colis sur une table, ou une surface propre. Qu’espèrent-ils de toi ? Que tu te taches les mains de poussière ? « Laissez-moi voir ce fameux colis », demandes-tu brusquement, et tous aussitôt s’écartent et se raidissent, te saluant sans même que tu y portes une réelle attention. Car au sol, voyez-vous, il y a un homme.
Un homme dûment ligoté et bâillonné, couché au sol. Vêtu d’un uniforme vert que tu n’as aucun souvenir d’avoir vu. Un domestique lagran ? Ceux qui te servent ne sont pas vêtus ainsi, de ce que tu te souviens, bien que ta dernière excursion en Lagrance remonte, bien tristement, à des mois, déjà. Puis, que ferait un domestique de Lagrance ici, surtout sans Denys ? Mirat renifle l’homme, dont le regard passe nerveusement du chat à toi, de toi au chat. Il sent la terre. Bien plus que les fleurs. Curieux. Très curieux. « Et qui est-il ? Tu le pousses du bout de ta chaussure, comme tu le ferais de quelque chose de peu ragoûtant. Nous ne savons pas, Votre Grâce. Il a été envoyé directement à la Guilde des Mages, par portail, accompagné de ce parchemin. Il te tend une missive décachetée, dont la cire verte brisée t’indique sa provenance belle et bien lagrane. Ta bouche se durcit un peu plus, ta voix claque. Vous ai-je permis de lire mon courrier et je n’en ai pas le souvenir ? Nous, nous n’avons point lu. Nous voulions seulement vérifier que rien n’avait été glissé sur le papier, afin de vous, de vous porter atteinte. » Mais bien sûr. Et bien obligeamment, il a oublié comment lire, probablement, afin de ne pas fouiller dans ton intimité. Tu lèves les yeux au ciel.
Tu demanderas à ce qu’on lui coupe les mains, pour qu’il apprenne à ne pas ouvrir ce qui ne lui appartient pas.
Tu t’empares de la missive et la parcours du regard. D’abord rapidement, puis, une deuxième fois plus attentive, plus intriguée, même. Ton expression sérieuse s’éclaircit lentement, et tu ne peux pas deviner les frissons d’horreur sur les nuques et les bras de tes gens, qui voient sur ton visage un sourire des plus inquiétants se peindre, et tes yeux noirs se faire de métal lorsqu’ils se lèvent vers eux. Doucereux, tu t’adresses aux deux hommes les plus bâtis du lot :
« Emmenez-le à mon laboratoire. »
Ce n’est pas un colis.
C’est un cadeau.