La chaleur si étouffante de la fin de journée, petit à petit, se fait écrasante dans ce bureau où Martial se décompose aux mots de son épouse. La douleur le prend au coeur et l’écrase ; la colère s’en mêle, piétine les morceaux et fouine dans les restes pour les embraser de sa flamme inextinguible ; enfin, la tendresse qu’il avait pour elle, bien enfouie, bien cachée, se brûle et meurt car elle n’aurait jamais du exister. Il n’a pas le droit. Il ne l’a pas comprise à temps, ne la comprendra sans doute jamais – tout comme elle ne le comprendra pas.
Mais à qui la faute, Martial, dis-le ? A qui la faute, à t’enfermer les nuits dans ta chambre à double tour en ressassant d’horribles pensées ? A se laisser aller tous les jours à des heures de travail, à dédaigner la compagnie de celle que l’on t’a donné pour femme et dont même les brimades et les piques en sont venues à te manquer ? A te réfugier dans les notes et les recherches, les combats et la fureur, les ministres et leurs murmures, à te parer de barrières pour qu’elle ne les franchisse pas alors que tu ne voulais qu’une chose ?
A qui la faute, Martial, si tu voulais cette flamme et cette ardeur mais que tu n’as su que chercher à l’éteindre en tendant les doigts vers elle ?
Il reste silencieux, le duc. Le visage fermé, étrangement défait, il ne lui répond même pas. Ne lui répond plus. Quelque chose s’est brisé – parce qu’il le remarque, il l’a brisée, elle. Ce qu’il a cru prendre pour une amitié naissante n’était que la fin de l’aventure. Ce qu’il a cru pouvoir attraper, brièvement, ce n’est rien. Une illusion.
Il n’a pas la force de la contredire. De lui expliquer qu’elle ne sait rien de lui, qu’il est aussi aveugle qu’elle. Face à sa femme devant les Dieux – jusqu’à la fin des temps, même la mort ne saurait les séparer – il est muet.
Le silence reprend sur lui ses droits, chassé il y a quinze ans de cela. Une boule qui s’installe dans sa gorge. L’homme soupire.
Il n’a pas la force de lui parler en face.
Avachi plus qu’assis, Martial évite son regard et se fixe sur un mur. « Ce qui fut dit aujourd’hui reste entre nous. » Rien ne changerait.
Il ne veut plus l’approcher depuis un an. Le peu qu’il l’a touchée, quelques minutes plus tôt, a bien prouvé la chose : il ne supporte pas.
Ce n’est pas elle, c’est lui. Un dégoût de l’intimité avec une autre personne, maladie secrète qu’il sait grandir en lui.
Il n’a plus la force, avec elle. Pas aujourd’hui. Pas dans un millier d’années. « Sors. » C’est moins un ordre qu’une supplique – le son qui sort de sa gorge est enroué, se brise sur même une simple syllabe. (Il voudrait ne pas trembler)
Sors.
Arrêtons-là ce qui ne sera jamais.